Contribution à l’étude sur l’édition scolaire : Analyse d’un livre

Justification du choix de la langue de rédaction

           La préface et le premier chapitre de « Fianara-marika » nous révèlent le choix fait par les auteurs dans la rédaction de ce manuel: l’emploi simultané du français et du malgache. Ils justifient ce choix d’une manière assez confuse. D’une part, « Fianara-marika » se veut un nouveau manuel de mathématique en langue malgache. Ce manuel, poursuivent les auteurs, a été attendu impatiemment par les écoles. En tout cas la nouveauté ne réside pas dans l’emploi de la langue malgache. Nous savons que des manuels de mathématiques en malgache de différents niveaux avaient existé avant la colonisation. Pour les débuts de la période coloniale, j’ai des références de deux manuels à la Bibliothèque Nationale, Paris:
STANDING, Herbert F., Fianara-marika. I, Nalahatr’i
H.F. Standing, Tananarive, F.F.M.A., Faravohitra, 1904, 20 p.
MONDAIN, Gustave, Fianara-marika. I, Nataon’i G.
Mondain, 4e Edition. Tananarive, F.F.M.A., Faravohitra,1904, 20 p.
Pour les années 1930, j’ai vu un manuel un peu plus développé à la Bibliothèque de la L.M.S., Faravohitra:
CAILLET, E., RASAMOELINA, A., Fianara-marika na
Dingana voalohany amin’ny Marika. Nataon’i E. Caillet sy A.
Rasamoelina, Edision faharoa, Tananarive, Imprimerie L.M.S.
Faravohitra, 1934. 52 p.
Il semble donc que ce type de manuel n’ait pas été du tout exceptionnel. Mais je note que tous étaient publiés par des missionnaires. Je ne connais pas les manuels en usage dans les écoles officielles ». Ainsi d’autres manuels de mathématiques bilingues ont déjà été publiés auparavant, mais… par des missionnaires « protestants », mais il semble dans le cas présent que les « écoles catholiques » ne les auraient pas utilisés, rien qu’à la manière avec laquelle les rédacteurs mettent en exergue la « nouveauté » du présent manuel Fianara-marika. Cela dénote un certain cloisonnement, voire une rivalité entre les écoles confessionnelles. En tenant compte de ces faits, en cette période des années 1950, date de publication de « Fianara-marika », on peut supposer que la langue d’enseignement et d’écriture de manuels scolaires était utilisée par les missionnaires catholiques comme moyens d’insérer les mots français dans la langue malgache en pleine évolution. Et ceci, afin de concurrencer les emprunts à l’anglais qui, soulignons-le avait déjà eu un siècle d’avance (1826) sur le français. Selon les rédacteurs du présent manuel, le « bilinguisme » pour lequel ils ont opté pour la rédaction du manuel s’inscrit naturellement dans le contexte sociolinguistique de l’apprenant. La langue d’enseignement ne pourrait être intégralement le français pour les élèves malgaches en CP et CE. Cela constituerait un facteur déterminant de blocage dans leur apprentissage de la mathématique. Ainsi, « Fianara-marika » est, selon ses auteurs, un consensus, solution idéale répondant aux besoins pressants de « nos écoles » et en parfaite cohérence avec la « mentalité et le niveau intellectuel » des élèves citadins malgaches, tout en tenant compte des milieux linguistiques campagnards. Forts de ces arguments, les professeurs du Collège SaintJoseph de Fianarantsoa se lancent dans l’écriture hybride de « Fianaramarika ». « Ecriture hybride » Cette expression me paraît en effet caractériser très bien notre manuel. Le procédé en lui-même ne peut pas être considéré comme nouveau. Il était présent comme nous venons de le voir dans les livrets du Père Dubois, mais aussi bien avant dans d’autres manuels comme:
Gramera frantsay, Roavoamena, Antananarivo:
Misiona Anglikana, 1987, 10 x 16,5 cm, 66 p.
Cette petite grammaire française est rédigée en malgache, mais avec la terminologie en français. Il en est de même dans: MONDAIN, G. Grammaire Malagasy vaovao, Fizarana I, Monsieur G. Mondain, Tananarive, Imprimerie F.F.M.A.,1917, 10,5 x 17,5 cm, 12 p. qui est assez proche des grammaires publiées avant la colonisation par Cousins et Sewell, mais qui remplace la terminologie d’origine anglaise de Cousins (ny naona, ny verba) et de Sewell (ny noun, ny verb) par une terminologie française (ny nom, ny verbe). Evidemment, c’est la colonisation qui a antraîné ici un changement de méthode pédagogique. » En fait, le mélange français-malgache est fortement présent dans les premiers chapitres du manuel pour faire place à un français pur dans le cinquième.

Redondance mais aussi Fixation

               Le fait d’expliciter les notions mathématiques en français, ensuite en malgache ou inversement et celui de rappeler fréquemment « Comment les vazaha disent ceci ou cela » (pp. 9, 10, 17) fait planer parfois un sentiment de redondance. En effet, le procédé semble inculquer aux élèves que la connaissance n’est vraiment complète que si on n’arrive pas à maîtriser la formulation de la notion en langue française. Mais d’un autre point de vue, si on considère que « la répétition est l’âme de l’enseignement », la reformulation des notions et concepts mathématiques dans l’autre langue (malgache ou français) serait bénéfique à l’apprenant. C’est une autre forme de fixation.

La « Mission civilisatrice »

             …  » Madagascar était en 1895 nettement plus avancé que la plupart des pays de l’Afrique Noire au moment où ceux-ci furent sortis du girond du colonialisme soixante ou soixante dix années plus tard. Le principe européen d’imposer la colonisation au nom de « la mission civilisatrice » était ainsi difficilement justifié. Au contraire l’expérience de Madagascar semblait démontrer qu’une nation primitive et païenne, sans une aide intéressée de l’Europe pouvait aspirer à un certain degrés de civilisation chrétienne et sans l’ombre d’une structure d’administration coloniale. »  Dans son livre « Fanabeazana sy Fiainam-pirenena » (Education et Vie de la nation) à la page 7, le Pasteur FETY Michel dévoile le vrai visage de cette mission soit-disant « civilisatrice » : « … Non seulement, le système scolaire imposé par les colonisateurs français n’ont apporté aucun progrès, mais il a fait des ravages énormes à la nation malgache. Nous en subissons encore les séquelles jusqu’à ce jour. » L’histoire nous enseigne, et cela n’est plus à démontrer que « la mission civilisatrice » prônée par les colonialistes français n’est qu’un prétexte cachant l’exploitation économique, humaine et culturelle qu’ils ont perpétrée dans les colonies. D’ailleurs, les scientifiques modernes, les savants, les chercheurs déclarent d’un commun accord qu’il y a bel et bien eu une civilisation précoloniale. Mais « Hélas, ce développement allait être brusquement stoppé, et nous n’en avons pas fini d’expier les crimes de nos ancêtres blancs, qui se crurent tout permis, imbus qu’ils étaient de leur supériorité. » a confessé René DUMONT dans son livre « L’Afrique Noire est mal partie », à la page 22.

Qu’est-ce que le livre?

               Le livre n’est pas seulement cet assemblage de feuilles imprimées et réunies en un volume relié ou broché comme le définit le Petit Larousse, il est aussi une banque qui garde des données relatives à la période et au lieu (contexte socioéconomique, linguistique, etc.) de sa conception. Le livre n’est pas seulement cet auxiliaire pédagogique destiné à faciliter l’enseignement et l’apprentissage qu’on essaie de faire parvenir aux mains des enseignants et des élèves coûte que coûte, il est aussi un outil important à l’aide duquel les responsables ont mis en œuvre leur politique éducative. Enfin, le livre comporte en lui-même une forte charge culturelle. Et, si cette culture ne peut être acceptée comme une matière quantitative de consommation mais comme l’expression qualitative de l’éducation, il est capital de comprendre que l’éducation malgache actuelle, dans sa recherche d’une approche, de méthodes et de techniques appropriées dans la multitude de ses aspirations et dans le respect d’une « éducation pour tous », ne doit pas renier ses racines et ses valeurs. Sans quoi elle brisera la permanence ou la continuité. L’analyse des manuels anciens, tel que « Fianara-marika » permet de vérifier ces affirmations. Et, plus le manuel est ancien, plus les résultats des analyses sont d’autant plus probants car le contexte est mieux éclairé par les découvertes faites dans les autres domaines de la recherche. C’est ainsi que nous avons pu tirer ces conclusions relativement intéressantes aux termes de l’analyse de « Fianaramarika ».

CONCLUSION GENERALE

                Les résultats de l’étude que nous avons présentés dans ce mémoire marquent seulement le début d’une contribution à la recherche de solutions à tous ces problèmes de l’édition à Madagascar. L’analyse sociolinguistique du manuel « Fianara-marika » nous a permis d’identifier des éléments, aux abords banals et ordinaires mais très révélateurs et intéressants sur le plan social et particulièrement éducatif auxquels il faut porter une attention méticuleuse. Cette richesse est malheureusement ignorée et mal exploitée par les acteurs de l’édition scolaire contemporains malgaches. Nous entendons par « acteurs », toutes les personnes et les entités impliquées dans la chaîne du livre, à savoir: les décideurs politiques, les bailleurs de fonds, les responsables pédagogiques, les chargés d’études, les concepteurs, les auteurs, les éditeurs, les imprimeurs, les enseignants en classe. L’analyse de ce manuel ancien s’est fixée comme objectif de contribuer dans une large mesure à une meilleure compréhension de l’édition scolaire malgache. L’étude du document apportera sans aucun doute des résultats significatifs à la somme des données déjà collectées, et éclaircira la piste de réflexion à la poursuite de laquelle nous invitons les acteurs de l’édition scolaire malgache. Les travaux effectués dans le cadre de ce Mémoire de D.E.A ne constituent qu’un petit pas d’accompli par rapport à l’objectif global que nous nous sommes assignés et que nous voudrions poursuivre dans la recherche doctorale: être capable de répondre à la question « Avec quel livre instruire l’élève malgache pour qu’il s’éduque? » Nous espérons aussi que ce mémoire offrira l’occasion d’échanges de vue fructueux avec les responsables et toutes les personnes qui se préoccupent des problèmes de l’édition malgache en vue d’actions futures plus efficaces.

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Table des matières

Introduction
Partie 1 : Le document 
1.1. La page de couverture 
1.2. La préface « Filazana mialoha »
1.3. La première partie de Fianara-Marika « Toko I »
1.4. Conclusion de la Première partie
Partie 2 : Analyse linguistique 
2.1. Justification du choix de la langue de rédaction 
2.2. Emprunts au français
2.3. Forces et faiblesses de la méthode bilingue de « Fianara-marika » 
2.4. Conclusion de la Deuxième partie 
Partie 3 : Analyse sociolinguistique
3.1. Faits linguistiques et faits sociaux
3.2. Faits historiques
3.3. Conclusion de la Troisième partie 
Partie 4 : La nécessité de l’analyse sociolinguistique dans l’édition scolaire
4.1. Qu’est-ce que le livre ?
4.2. Les différents points de vue sur les manuels 
4.3. Mesures urgentes à prendre
Conclusion générale
Bibliographie
Annexes

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