La supraconductivité est une des plus fascinantes manifestations de la mécanique quantique. Elle est caractérisée par deux propriétés remarquables : une résistance nulle et l’expulsion du champ magnétique (effet Meissner). En 1911, K. Onnes découvre que le mercure a une résistance nulle en dessous de 4,15 K ce qui lui valu le prix Nobel de Physique en 1913. La découverte de l’effet Meissner date de 1939 avec du plomb. L’explication théorique du mécanisme de la supraconductivité date de 1957 avec la théorie BCS de J. Bardeen, L. Cooper et J.R. Schrieffer (Prix Nobel en 1973). Cette théorie explique qu’il y a condensation de quasi-particules (excitations électroniques d’un métal se comportant comme des particules libres et indépendantes) en une fonction d’onde macroscopique composée de paires d’électrons : les paires de Cooper. Cette même théorie prévoyait une température critique Tc de transition supraconductrice ne pouvant dépasser 25 K. Pendant 75 ans, la meilleure Tc connue était 23 K sur le composé Nb3Ge.
En 1986, A. Müller et J. Bednorz synthétisent le cuprate La1,8Ba0,2CuO4 avec une Tc de 30 K ! La supraconductivité à haute température critique était découverte et prima les auteurs du prix Nobel en 1987. Dès lors, une véritable course à la Tc a été lancée. En 1987, P. Chu découvre le composé YBa2Cu3O7-d avec une Tc de 92 K ; Tc au dessus de la température de liquéfaction de l’azote (Tl = 77 K), liquide cryogénique moins onéreux que l’hélium liquide (Tl = 4 K). Aujourd’hui la meilleure Tc connue est de 138 K sur le composé Hg0,8Tl0,2Ba2Ca2Cu3O8,33. Théoriquement, l’application de BCS est remis en cause : la température critique maximale prédite est largement dépassée. Selon P. Anderson, le couplage électron/phonon responsable de la formation des paires de Cooper ne peut pas expliquer des Tc aussi élevées.
Vingt ans après la découverte de la supraconductivité à haute température critique, son origine est toujours fortement débattue. Malgré quelques déceptions sur les valeurs de Tc découvertes et les applications potentielles, la compréhension des propriétés fondamentales des cuprates a nettement progressé. En fait, la problématique ne se cantonne pas qu’à l’état supraconducteur mais également à tout le diagramme de phase température – taux de porteurs (T,p).
Les cuprates supraconducteurs sont caractérisés par une structure lamellaire, constituée de plans CuO2 alternés par d’autres couches. Les substitutions chimiques dans ces couches intermédiaires contrôlent la concentration des porteurs de charge (trous ou électrons) dans les plans CuO2. Sans ce dopage, il n’existe pas de porteurs de charge dans les plans CuO2 et les moments magnétiques des atomes de Cu sont alignés dans un ordre antiferromagnétique. En augmentant le taux de dopage, les cuprates évoluent de cet état isolant de Mott antiferromagnétique vers l’état supraconducteur. A une concentration de porteurs de charge particulière (dopage optimal), on obtient une température critique maximale. Autour de cette température, on définit les régions sous-dopées et sur-dopées où la température critique diminue. Au delà de la phase supraconductrice, il existe d’autres phases avec des propriétés physiques différentes en fonction du dopage.
Diagramme de phase (T, dopage)
Le changement complexe des propriétés électroniques des cuprates est décrit par leur diagramme de phase (T, dopage). En variant le dopage en porteurs, les propriétés électroniques varient d’une région antiferromagnétique à un liquide de Fermi en passant par la région supraconductrice. Au dopage optimum, la température de transition supraconductrice est maximale. Les régions à droite et à gauche de ce dopage optimal s’appellent respectivement la région sur-dopée et sous-dopée du diagramme de phase. Endessous de la température de pseudo-gap T*, il y a suppression des excitations électroniques de basse énergie. Entre l’état antiferromagnétique et la région supraconductrice, il y a ségrégation de spins et de trous dans la région stripes.
Région antiferromagnétique
Etude des composés parents
Les propriétés électriques et magnétiques des cuprates proviennent des électrons d des cations de cuivre des plans CuO2 (Cu2+ configuration 3d9) et de la manière dont les atomes de cuivre et oxygène sont ordonnés dans la structure pérovskite.
Le décompte des valences des composés parents (non dopés) montre que toutes les couches atomiques de tous les atomes sont remplies, sauf pour les neuf électrons de la couche 3d de Cu2+. La dégénérescence orbitale d’ordre 5 de la couche 3d des atomes de cuivre est levée sous l’effet du champ cristallin. Pour une symétrie quadratique ou orthorhombique du réseau cristallin, et avec l’atome de cuivre au milieu d’un octaèdre d’atomes d’oxygène, la levée de dégénérescence se traduit par l’apparition des orbitales (par ordre décroissant d’énergie) dx²-y², dz² dyz, dxz et dxy . dx²-y² pointent vers les orbitales des oxygènes voisins des plans CuO2 et dz² vers celles des oxygènes des plans supérieurs et inférieurs. dxy ,dyz et dzx pointent vers les autres directions. L’orbitale dx²-y² se trouve donc avec un électron non apparié de spin ½ (un trou par site cuivre ou demiremplissage). Le champ cristallin sépare aussi les trois orbitales 2p des oxygènes du plan, donnant lieu (par ordre décroissant d’énergie) à une orbitale π// parallèle au plan CuO2 ; une orbitale π⊥ et une orbitale σ pointant vers les cuivres voisins. L’énergie de l’orbitale 2pσ (ou π⊥) est très proche de celle de l’orbitale 3dx²-y² du cuivre, il y a recouvrement géométrique de ces deux orbitales et donc une forte hybridation entre elles.
Ainsi, en absence de dopage, la physique des cuprates devrait être dominée par les bandes anti-liantes Cu (3dx²-y²) – O (2pσ) qui se trouvent à moitié pleines (un électron provenant du cuivre). La théorie des bandes prédit alors un état métallique non magnétique, mais l’expérimentation montre que ces composés à dopage nul sont des isolants antiferromagnétiques avec un gap isolant de l’ordre de 1 à 2 eV [Tanner1990]. Cette défaillance de la théorie des bandes est expliquée par les fortes corrélations électroniques dans ces systèmes. La forte répulsion coulombienne U entre les deux électrons sur le même site cuivre les force à rester les plus éloignés possible l’un de l’autre. L’énergie ∆ qui sépare les états vacants du métal des états 2p remplis de l’oxygène et W la largeur de bande de l’oxygène doivent être pris en compte [Zaanen1985]. La répulsion coulombienne U sépare donc la bande 3dx²-y² du cuivre en deux niveaux (dits de Hubbard) dont le niveau le plus bas est occupé par l’électron célibataire, et le niveau haut est vide. La bande 2pσ de l’oxygène se trouve entre les deux niveaux de Hubbard (bande de conduction) par un gap ∆CT de transfert de charge : il s’agit donc d’un isolant à transfert de charges [Imada1998].
• Propriétés magnétiques
Il est énergiquement plus favorable pour les spins résiduels de Cu (S = ½) des orbitales dx²-y² de s’aligner dans un ordre antiferromagnétique, ce qui est typique des liaisons Cu – O – Cu à 180° [Rice1997]. Cet ordre est réalisé via une interaction de superéchange [Anderson1958] entre les spins de Cu [Goodenough1971], séparés par les électrons des orbitales 2p des oxygènes. (Un faible ordre ferromagnétique peut être trouvé dans les liaisons Cu – O – Cu à 90°, comme celui obtenu dans le cuprate « cousin » SrCuO2 [Rice1997]). Les expériences de rotation Muon Spin et de diffusion inélastique de neutrons confirment l’existence d’un ordre tridimensionnel antiferromagnétique des moments de Cu2+ dans La2CuO4 [Birgeneau1988; Endoh1988; Thio1988]. L’intégrale J d’échange entre les spins premiers voisins prévoit une température de Néel entre 1000 et 1700 K qui est réduite à 300 K à dopage nul à cause du caractère bidimensionnel des SHTc [Aharony1988]. Cet ordre tridimensionnel antiferromagnétique est détruit au dessus de la température de Néel (TN = 320 – 325 K pour La2SrCuO4) [Chen1995; Thurston1989].
|
Table des matières
Introduction
I. Propriétés électroniques générales des cuprates
1 Diagramme de phase
1.1 Région antiferromagnétique
1.1.1 Etude des composés parents
1.1.2 Effet du dopage en trous dans les cuprates
1.2 Etat supraconducteur
1.2.1 Théorie BCS : une description microscopique de la supraconductivité.
1.2.2 Symétrie d du gap dans les SHTc
1.2.3 Théorie de Ginzburg-Landau : une description phénoménologique de la supraconductivité
1.3 Etat normal
1.3.1 Comportement non -liquide de Fermi
1.3.2 Phase de pseudo-gap
1.4 Approche Théorique
1.4.1 U << t : Modèles de corrélations faibles
1.4.1.1 Modèle de point critique quantique
1.4.2 U >> t Modèles de corrélations fortes
1.4.2.1 Modèle RVB
1.4.2.2 Modèle de pré-appariement
1.4.2.3 Modèle de rubans de charges
1.5 Rubans de charge « Stripes »
1.6 Modèle de résistivité
1.7 Effet d’une impureté non -magnétique
1.8 Problématique
II. Echantillons et techniques expérimentales
2.1 Echantillons
2.1.1 Propriétés structurales des cuprates supraconducteurs
2.1.1.1 Structure cristalline de Bi-2212
2.1.1.2 Structure cristalline de La2CuO4
2.1.2 Effet du dopage
2.1.2.1 Effet du dopage sur Tc : cas La2-xSrxCuO4
2.1.2.2 Effet du dopage du dopage Sr dans La2-xSrxCuO4 sur la structure cristallographique
2.1.2.3 Effet du dopage à l’yttrium sur Bi2Sr2Ca1-xYxCu2O8+d
2.1.2.4 Effet d’autres dopants R sur Bi2Sr2Ca1-xRxCu2O8+d
2.2 Techniques expérimentales
2.2.1 Spectroscopie infrarouge.
2.2.1.1 Principe de l’interféromètre de Michelson
2.2.1.2 Spectromètre à transformée de Fourier
2.2.1.3 Cryostat
2.2.1.4 Précisions des mesures
2.2.2 Résistivité.
2.2.2.1 Enceinte cryogénique
2.2.2.2 Le porte-échantillon
2.2.2.3 La bobine de champ magnétique et le contrôleur de température
2.2.2.4 Réalisation des contacts
2.2.2.5 Acquisition des données
2.2.3 Techniques de caractérisation
2.2.3.1 Diffraction de rayons X
2.2.3.2 Microscopie électronique à balayage
2.2.3.3 Mesures d’aimantation
III. Spectroscopie infrarouge de La2-xSrxCuO4
3.1 Réponse optique des cuprates
3.1.1 Conductivité optique
3.1.1.1 Modèle à deux composantes : Drude + MIB
3.1.1.2 Modèle à une composante : Drude généralisé
3.1.2 Evolution de la réponse optique en fonction du dopage et de la température
3.1.2.1 Phase supraconductrice
3.1.2.2 Phase de pseudo-gap
3.1.2.3 Stripes
3.2 Spectroscopie de réflexion
3.2.1 Interaction lumière-matière.
3.2.1.1 Equations de Maxwell
3.2.1.2 Relations dans un milieu linéaire, isotrope et homogène
3.2.1.3 Propagation des ondes électromagnétiques
3.2.2 Grandeurs optiques
3.2.3 Phonons actifs en infrarouge
3.2.4 Transformation de Kramers-Krönig
3.3 Modèle de la fonction diélectrique
3.3.1 La fonction diélectrique
3.3.2 Modèle de Drude – Susceptibilité plasma
3.3.3 Modèle de Lorentz – Susceptibilité ionique
3.3.4 Fonction diélectrique complète
3.4 Résultats expérimentaux
3.4.1 Echantillons de La2-xSrxCuO4
3.4.1.1 Croissance cristalline
3.4.1.2 Caractérisations
3.4.2 Spectres de réflectivité
3.4.3 Ajustement du spectre de réflectivité
3.4.3.1 Etude suivant ab
3.4.3.2 Evolution suivant
3.4.4 Conductivité optique
3.4.4.1 Evolution de la conductivité des plans ab
3.4.4.2 Evolution de la conductivité suivant l’axe c
3.4.5 Phase supraconductrice
3.4.6 Phase de pseudo-gap
3.4.7 Stripes
3.5 Conclusion
Conclusion
Télécharger le rapport complet