Les glaciers de montagne sont une des composantes de la cryosphère terrestre (IPCC, 2013). Ils se forment notamment dans les régions de haute altitude ou de haute latitude où les conditions climatiques permettent l’accumulation pluriannuelle de neige et sa transformation en glace. Les chaines de montagnes présentant les étendues glaciaires les plus importantes se trouvent dans l’Arctique canadien, en Alaska, en Amérique du Sud, ou encore en Asie centrale (d’après : http://nsidc.org/cryosphere/glaciers).
Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (IPCC , en anglais) considère dans ses rapports les glaciers de montagne comme des indicateurs clefs du changement climatique (Lemke et al., 2007). Par ailleurs, ces masses de neige et de glace constituent des réservoirs d’eau douce d’une importance capitale dans le fonctionnement des systèmes physiques, biologiques et des sociétés (Vaughan et al., 2013).
Dans les Andes tropicales, à plus de 4500-4800 m d’altitude, se trouvent près de 99% des glaciers tropicaux (Kaser and Osmaston, 2002), dont 71% au Pérou, 20% en Bolivie, 4% en Équateur, 4% en Colombie et au Venezuela (Hastenrath, 1981 ; Jordan, 1991 ; Francou et Vincent, 2007). Le recul des glaciers tropicaux est un phénomène qui s’est accéléré depuis la fin des années 1970 (Rabatel et al., 2013), cela est également le cas de presque tous les glaciers de montagne dans le monde. La surface totale des glaciers tropicaux dans les Andes était estimée de 1920 km2 au début des années 2000 (Francou et Vincent, 2007). Ceci représente à peine 0,25% de la surface des glaciers à l’échelle mondiale (Pfeffer et al., 2014).
Cependant, leur localisation géographique dans une zone clef pour documenter le changement climatique à l’échelle globale fait de ces glaciers des témoins fiables pour reconstruire et comprendre les fluctuations climatiques actuelles et passées. C’est d’autant plus vrai que ces glaciers présentent une sensibilité très forte au climat (Francou et al., 1995 ; Kaser and Osmaston, 2002 ; Francou et al., 2004 ; Vuille et al., 2008) qui se reflète par des variations de masse et ensuite des fluctuations de la position du front des glaciers. Une augmentation de température de 4°C à plus de 4000 m d’altitude est simulée pour le XXIe siècle selon le scénario A2 de l’IPCC (Bradley et al., 2006 ; Urrutia et Vuille, 2009). Cette situation pourrait entrainer d’importantes réductions des glaciers et la possible disparition de ceux pour lesquels la ligne d’équilibre (ELA, equilibrium-line altitude en anglais) est très proche du sommet des massifs (Rabatel et al., 2013).
Régime climatique à l’échelle régionale
La cordillère des Andes est l’une de plus hautes chaînes montagneuses du monde. Elle est située à l’ouest de l’Amérique du Sud le long de l’Océan Pacifique. Les Andes ont une longueur d’environ 7500 km entre le Venezuela et l’extrême sud de l’Argentine. Cette étroite chaîne montagneuse Nord-Sud parcourt notamment la zone tropicale au-dessus de laquelle le soleil reste proche de la verticale toute l’année. Lié à cela et à l’altitude, les hautes Andes tropicales reçoivent tous les mois de l’année une quantité importante d’énergie radiative, sans qu’apparaisse une saison froide marquée.
Dans les tropiques, le soleil dans son mouvement apparent, passe deux fois au zénith et sur l’équateur ce passage à lieu lors des équinoxes en mars et en septembre. Pour cette raison, la variation de température annuelle (ΔTa) est inférieure à la variation diurne (ΔTd) (Wagnon, 1999 ; Kaser and Osmaston, 2002). C’est cette caractéristique qui délimite la zone tropicale du point de vue climatologique .
Dans un contexte régional, le climat et l’hydrologie de la zone tropicale interne en Amérique du Sud, notamment à proximité de l’équateur, vont être influencés par la circulation atmosphérique, le relief et indirectement les courants marins (Pourrut et al., 1994, Francou et al., 2004).
La circulation atmosphérique. L’Équateur est situé sur la côte ouest de l’Amérique du Sud, à proximité de l’océan Pacifique, proche de la zone de basse pression où convergent les alizés mûs par la circulation atmosphérique associée aux cellules de Hadley. Leur rencontre forme la Zone de Convergence Intertropical (ZCIT) . Le déplacement de la ZCIT est correspondant avec le mouvement apparent du soleil, vers le nord durant l’été boréal (avril-juillet) et vers le sud pendant l’été austral (octobrejanvier). Ce déplacement permet l’arrivée de masses d’air continentales du sud-est ou du nord-est, et l’Équateur se trouve sous l’influence de conditions modérément chaudes et peu humides dans le premier cas et chaudes et très humides dans le deuxième cas .
D’autre part, l’Equateur est sous l’influence d’une circulation zonale Est-Ouest au niveau de l’équateur, ou « circulation de Walker » ; cette boucle présente une branche ascendante sur l’ouest du Pacifique tropical, et une branche descendante sur l’est du Pacifique tropical, le long des côtes de l’Amérique du Sud. La branche descendante inhibe les mouvements convectifs à l’origine des précipitations, elle est plus forte durant l’hiver austral (JJA), mais s’affaiblit en été austral (DJF), ralentissant les alizés.
D’autre part, dans l’Atlantique, entre l’Amérique du Sud et l’Afrique se trouve une autre cellule de Walker avec sa zone de convection principale située sur l’Amazonie et contre les Andes en été austral (DJF). L’union des alizés venant de l’hémisphère nord et ceux de l’hémisphère sud chargés d’humidité sur l’océan tropical chaud, puis sur la forêt amazonienne, développent la « mousson amazonienne », qui atteint les Andes. Une grande partie de cette humidité transportée par ce flux de mousson se dépose sous forme d’intenses précipitations sur le versant Est, précipitions qui tendent à diminuer en direction du versant Ouest de la chaîne. Cette circulation (Hadley et Walker) subit des profondes modifications avec le mode oscillatoire de l’ENSO (voir plus loin). Ainsi la zone tropicale dite « interne » (à proximité de la ligne équatoriale) se distingue par un régime des précipitations bimodale, avec (1) : une saison des pluie principale lors du premier passage de la ZCIT après le premier équinoxe, de mars à mai (MAM) ; (2) une saison humide secondaire lors du second passage de la ZCIT après le second équinoxe en septembre-novembre (SON) ; (3) un minimum de précipitations lors du « veranillo » de décembre-février (DJF) ; et (4) un autre minimum de précipitations lors du « verano » de juin-août (JJA). En revanche, en allant vers le sud, dans la zone tropicale dite « externe », le régime des précipitations devient unimodal : un pic en été (DJFM) lors que passage de la ZCIT), un creux très marqué en hiver dès lors que la ZCIT se positionne sur l’hémisphère Nord).
Régime climatique dans le secteur de l’Antisana
Dans le massif de l’Antisana les précipitations mensuelles montrent une faible variation saisonnière, sans qu’il y ait une saison vraiment sèche (Francou et al., 2004; Villacis, 2008). Entre 1995 et 2008, la moyenne mensuelle est d’environ 80 mm. Sur le versant ouest de l’Antisana (sous le vent), les données mesurées depuis le milieu des années 1990 montrent un régime de précipitations caractérisé par deux périodes de fortes précipitations (Francou et al., 2000). La première, forte, entre mars et mai, et la seconde, plus modérée, entre octobre et decembre . La couverture nuageuse suit le même schéma que les précipitations tandis que la température de l’air reste relativement constante tout au long de l’année . La variabilité interannuelle de la température est d’environ 3°C (écart-type sur les 50 dernières années).
Dans le site d’étude, nous avons des mesures de précipitation au pied du Glacier Antisana 15 et sur le bassin versant « Humboldt » qui correspond au bassin du Glacier Antisana 12 au cours de la période (1995-2008) (Fig. 1.9B). Au total, six pluviomètres ont été retenus pour l’interprétation de la relation entre le climat et le glacier : P0 (4850 m), P2 (4780 m), P3 (4550 m), P4 (4450 m), P5 (3930 m) et P6 (4059 m). La qualité de cette information a été évaluée par Manciati et al. (2014). Les pluviomètres sont situés dans les deux zones de régimes hydrologiques identifiées par L’Huissier (2005) : la zone Glaciaire (P0, P2, P3, P4) et la zone Páramo (P5, P6).
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Table des matières
Introduction
Chapitre I : Contexte climatique de la zone de tropical interne
1.1 Régime climatique à l’échelle régionale
1.2 Régime climatique dans le secteur de l’Antisana
1.3 Particularités des glaciers près de l’équateur
1.4 Conclusions du chapitre
Chapitre II : Les glaciers du volcan Antisana
2.1 Situation géographique
2.2 L’enjeu économique de la zone de l’Antisana dans l’approvisionnement d’eau de l’agglomération de Quito
2.3 Le service de surveillance GLACIOCLIM dans le secteur de l’Antisana
2.4 Les glaciers sélectionnés dans cette étude
2.5 Jeux de données disponibles
2.6 Conclusions du chapitre
Chapitre III : Les méthodes de suivi des fluctuations des glaciers
3.1 Le bilan de masse des glaciers et les méthodes pour le mesurer
3.1.1 La méthode glaciologique
3.1.2 La méthode géodésique
3.2 Quantification de la variation d’épaisseur du glacier
3.3 Variation géométrique des glaciers de l’Antisana
3.3.1 Variation de taille des glaciers (1956-2014)
3.3.2 Surface de référence pour le calcul du bilan de masse entre 1995- 2012
3.3.3 Estimation du recul des glaciers
3.4 Ré-analyse du bilan de masse du glacier Antisana 15α (1995-2012)
3.5 Conclusions du chapitre
Chapitre IV : Ré-analyse du bilan de mass du glacier Antisana 15α
4.1 INTRODUCTION
4.2 STUDY SITE AND CLIMATE SETTINGS
4.3 DATA
4.3.1 Glaciological in-situ observations
4.3.2 Aerial photographs
4.3.3 Meteorological data
4.4 METHODS
4.4.1 Construction of digital elevation models using aerial photogrammetry
4.4.2 Quantification of the mass balance using the geodetic method
4.4.3 Quantification of the mass balance using the glaciological method
4.4.4 Quantification of the ice flux using the kinematic method
4.5 RESULTS
4.5.1 Geodetic mass balance
4.5.2 Specific mass balance computed using the glaciological method
4.5.3 Assessment of uncertainties in the glacier mass balance series
4.5.3.1 Assessment of uncertainties on the geodetic mass balance
4.5.3.2 Assessment of uncertainties on glaciological mass balance
4.5.4 Adjustment of the glaciological mass balance
4.6 DISCUSSION
4.6.1 From glaciological observations to estimation of the mass balance
4.6.2 Uncertainties in estimated accumulation
4.7 CONCLUSION
Chapitre V : Évolution des glaciers d’Equateur, et en particulier ceux de l’Antisana
5.1 Le recul des glaciers équatoriens depuis la fin du Petit Âge Glaciaire (PAG)
5.2 Evolution récente des glaciers dans les Andes équatoriens
5.3 Evolution des glaciers de l’Antisana au cours des cinq dernières décennies
5.3.1 Inventaire des glaciers de l’Antisana
5.3.2 Variations de la taille des glaciers durant la période 1956-2014
5.3.3 Variations du bilan de masse des glaciers dans la période 1956-2009
5.3.4 Que nous révèle le bilan de masse des glaciers de l’Antisana ?
5.4 Conclusions du chapitre
Chapitre VI : Impact de la variabilité climatique sur les glaciers de l’Antisana au cours de la seconde moitié du XXe siècle
6.1 Facteurs pris en compte dans l’analyse :
6.1.1 L’exposition
6.1.2 L’ensoleillement potentiel
6.1.3 Variables climatiques
6.2 Le comportement des glaciers de l’Antisana expliqué par les facteurs locaux : morphologie et exposition
6.2.1 Comment l’exposition et la morphologie du versant modulent le rayonnement incident et influent sur l’ablation.
6.2.2 Pourquoi les bilans de masse exceptionnellement contrastés observés entre 1956-1978 n’ont-ils pas entrainé des fluctuations significatives du front des glaciers ?
6.3 Comportement des glaciers de l’Antisana en fonction du climat régional et de ses fluctuations
6.4 Relation entre bilan de masse et évolution des surfaces glaciaires.
6.5 Conclusions du chapitre
Conclusion
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