La technologie des laboratoires sur puce (Lab-On-a-Chip, LOC) est sur le point de changer le domaine de l’analyse et du diagnostic. Un laboratoire sur puce est un dispositif intégrant des fonctions de laboratoire sur un substrat miniaturisé. Bien que de nombreux groupes académiques travaillent sur les applications futures des LOC, la pénétration sur le marché est encore faible. Les systèmes LOC programmables sont les plus prometteurs car ils confèrent une souplesse d’utilisation accrue. Les systèmes dits de microfluidique digitale sont des dispositifs capables d’effectuer des opérations de déplacement, création, scission et fusion de gouttes dont le volume peut varier du nanolitre à la dizaine de microlitres. Advanced Liquid Logic est une compagnie industrielle spécialisée dans le développement d’outils de ce type.
La puissance de ces outils réside dans la possibilité d’automatiser et de paralléliser des fonctions d’analyse sur des échantillons de faibles volumes. De plus, l’intégration sur puce est aisée car les techniques employées sont de type électrique. Alors que de nombreux systèmes très spécifiques et mono-fonction sont développés dans le monde entier, le plus grand défi est de proposer une solution d’analyse complète, intégrant sur une puce toutes les étapes classiques élaborées en laboratoire. Les innovations de type Lab-on-a-chip possèdent un fort potentiel applicatif dans les domaines de l’analyse du sang, de la cancérologie, de la détection de virus et de bactéries ou encore du contrôle environnemental. En 2009, le marché des LOC est estimé à 817 millions de dollars. Les spécialistes prévoient une croissance annuelle de plus de 20% pour dépasser les 2 milliards de dollars en 2014 .
La qualité et le contrôle de l’eau sont des préoccupations environnementales importantes. Les LOC sont des outils capables de répondre aux nouveaux enjeux de gestion de l’eau posés par le développement technologique de nos sociétés. Les polluants et pathogènes émergents sont les nouvelles cibles des outils de détection d’aujourd’hui et de demain.
L’environnement et l’eau
L’ère que nous traversons est marquée par l’innovation et le progrès scientifique et technique. Paradoxalement, l’humanité se trouve maintenant face à des choix stratégiques et politiques majeurs pour la gestion de son environnement, notamment au niveau de la ressource en eau. Cette orientation, basée sur le progrès technologique ne devra pas pour autant se faire dans le seul but de profiter à une minorité aisée de personnes vivant sur la planète. Les enjeux à venir liés à l’augmentation de la population et la raréfaction de la ressource en eau douce soulèvent donc, dès aujourd’hui, la question de l’accessibilité à l’eau pour tous et des moyens techniques mis en œuvre pour y parvenir.
L’accès à une eau propre à la consommation et à l’hygiène sanitaire n’est pas évident pour une large partie des habitants de la planète (1.6 milliards de personnes manquent d’eau potable), et il est annoncé que ce problème va s’aggraver avec la diminution des réserves en eau [Shannon et al., 2008]. Il faut toutefois noter que la problématique de l’eau n’est pas qu’une problématique des pays les plus pauvres. Ainsi, le centre de contrôle des maladies aux Etats-Unis (CDC, Atlanta) a recensé 780 épidémies d’origine hydrique entre 1971 et 2006 touchant près de 577 000 personnes. De même en Europe, il a été dénombré par exemple 413 épidémies d’origine hydrique entre 1999 et 2006 touchant près de 23 000 personnes [Figueras & Borrego, 2010].
Il apparait donc clairement qu’aux risques de pénuries s’ajoutent les risques sanitaires engendrés par la pollution de l’environnement et des réserves en eau. L’émergence de nouvelles technologies a fait apparaitre de nouvelles pollutions ; en 2002, l’agence U.S. Geological Survey a publié une étude reconnaissant l’occurrence de contaminants d’origine pharmaceutiques, hormonaux et organiques présents dans les ressources en eau des Etats Unis d’Amérique [Kolpin et al., 2002]. L’étude a fait remarquer que les doses détectées étaient généralement en deçà des seuils admissibles. Il existe toutefois un doute sur le risque estimé au niveau de la santé humaine du fait de l’absence de connaissance des effets de ces composés chimiques (agissant seul ou en synergie) sur le métabolisme général. Associé à ce risque chimique, l’eau présente également un risque de contamination microbiologique.
Il est à noter que l’émergence de nouvelles technologies a également conduit à une meilleure analyse de l’eau tant au niveau chimique que microbiologique. L’évaluation de la qualité microbiologique de l’eau de boisson s’est ainsi améliorée en même temps que l’émergence de nouvelles technologies. L’objectif premier de ces analyses demeure la protection des consommateurs contre des maladies dues à la consommation d’eau contenant des agents pathogènes de nature fongique, bactérienne, virale ou des protozoaires parasites. Depuis le siècle dernier, cette évaluation qualitative s’est notamment orientée vers la recherche d’indicateurs de pollutions fécales qui sont prédictives de la présence d’organismes potentiellement pathogènes dans l’eau.
Les progrès technologiques visant à améliorer les techniques d’analyse de l’eau ne sont donc pas achevés. Devant cet état de fait, le développement de nouveaux outils de détection grâce à la recherche est essentiel afin d’apporter des réponses ciblées et efficaces aux enjeux de ce nouveau siècle.
Management de l’eau : contrôler pour mieux gérer
L’eau est une ressource précieuse qui exige une gestion intelligente pour répondre aux besoins des populations mais aussi des industries et autres activités comme l’agriculture. La composition et la qualité d’une eau sont liées à l’environnement et sont donc très variées. En France, la qualité des eaux destinées à la consommation humaine est réglementée par décret . Par exemple, pour les eaux brutes utilisées pour la production d’eau destinée à la consommation humaine, une eau contenant plus de 20 000 Escherichia coli et plus de 10 000 entérocoques par 100 millilitres d’eau prélevée est impropre aux traitements. Selon le critère bactériologique, une eau est potable si elle ne contient aucun agent pathogène.
Dans les sociétés les plus riches, l’eau est traitée par des stations d’épuration qui la filtrent et l’assainissent par divers moyens physico-chimiques et biologiques. VEOLIA est le leader mondial dans le domaine. Les eaux rejetées par les différentes activités humaines (domestiques, industrielles) posent un problème de gestion évident. En effet, les eaux usées contiennent divers éléments contaminants tels que les composés chimiques perturbateurs endocriniens (par exemple : le bisphénol A), les métaux lourds et les agents biologiques pathogènes. Que ces eaux soient rejetées dans l’environnement ou qu’elles soient réutilisées, il est souvent nécessaire de les retraiter afin d’en limiter l’impact environnemental.
Les effets de certains de ces polluants sur la santé humaine et les options pour s’en débarrasser ont été résumés par Bolong et ses collègues [Bolong et al., 2009]. Cependant, les moyens à mettre en œuvre pour le traitement des eaux usées peut, dans certains cas, être encore plus dévastateur, notamment lors de la réutilisation d’eau pour l’agriculture [Hamilton et al., 2006]. Il existe des risques de pollution et de salinisation des eaux souterraines et de surfaces, de dégradation de la qualité des sols avec un impact sur la croissance des cultures, de maladies et d’épidémies via la consommation de légumes arrosées avec des eaux usagées, et enfin la possibilité d’augmenter la production de gaz à effet de serre par l’emploi de procédés de traitement très couteux en énergie, comme l’osmose inverse pour la désalinisation.
Quelques méthodes de détection « classiques »
Dans les stations d’épurations, il existe de nombreux capteurs en ligne pour la mesure du taux d’oxygène dissout, du pH, de la conductivité ou encore du niveau de surface et du débit. Pour les industries de procédés, dont le besoin en outils de contrôle est important, il existe des solutions d’instrumentations automatisées pour la mesure de paramètres physico-chimiques (pH, conductivité, potentiel d’oxydo réduction), de la dureté, de nutriments (nitrates, phosphates), de CO2 et d’O2 dissout, de chlore. Les techniques de détection reposent sur la voltammétrie, l’ampérométrie (via des électrodes électrochimiques) et la colorimétrie. Agilent et Endress+Hauser sont des approvisionneurs mondiaux de ce type de systèmes. Eureka Environmental, Advance Measurements and Controls Inc, Horiba, Hach Co, ou encore In-Situ Inc sont d’autres fabricants de solutions d’analyses de la qualité de l’eau sur site (systèmes portables). Cependant, pour l’analyse fine de composés chimiques particuliers comme les micropolluants émergents, ou la détection de microorganismes, il est nécessaire d’effectuer des prélèvements d’échantillons qui sont ensuite envoyés en laboratoire.
Il existe des systèmes amont d’alertes de perturbations de la qualité de l’eau reposant sur la surveillance d’entités biologiques. Ces bio-systèmes permettent de réduire le nombre de prélèvements et d’analyses (généralement coûteux en temps et en ressources). Par exemple, un système automatisé détecte en temps réel les mouvements des branchies d’un poisson en aquarium où l’eau à surveiller s’écoule continuellement. Une alarme se déclenche lorsque des troubles sont mesurés [Shedd et al., 2001]. Ce type de protocole est très sensible et améliore la rapidité des actions à prendre lorsque des conditions toxiques sont avérées. Biological Monitoring Inc développe et commercialise ce système.
Aussi, l’apport des données satellites hydrologiques est essentiel pour l’amélioration de l’évaluation de la qualité de l’eau et l’optimisation de son utilisation, grâce à l’observation en continu des changements des phénomènes climatiques [Glasgow et al., 2004]. Le potentiel de cette approche a été couronné de succès lors de la prédiction d’épidémies infectieuses telles que la dengue, la fièvre jaune ou la malaria [(WHO), 2007, Rogers et al., 2002]. Ceci ne s’applique pas à des agents pathogènes de l’eau, mais l’approche est originale.
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Table des matières
Introduction Générale
1 : L’environnement, l’eau, et les Lab-On-Chip. Vers un nouveau système de mesure du pouvoir infectieux
1.1 Préambule
1.2 L’environnement et l’eau
1.2.1 Management de l’eau : contrôler pour mieux gérer
1.2.2 Quelques méthodes de détection « classiques »
1.2.2.1 Les micropolluants non-vivants
1.2.2.2 Les microorganismes
1.2.2.3 Conclusion partielle
1.3 La microfluidique et les Lab-On-Chip : applications dans le domaine de l’eau
1.3.1 Détection de micropolluants inorganiques
1.3.2 Détection d’agents pathogènes
1.3.2.1 Préambule
1.3.2.2 Quelques exemples
1.4 Cryptosporidium sp. : Problématique et outils
1.4.1 Cryptosporidium sp. : Un problème de santé publique
1.4.2 Les outils actuels de détection du parasite
1.4.3 La viabilité et le pouvoir infectieux
1.4.4 Les outils miniaturisés
1.5 Un Lab-On-Chip comme solution d’analyse du pouvoir infectieux
Bibliographie du chapitre 1
2 : Présentation des fonctions du système, des technologies employées et premiers résultats de concentration
2.1 Préambule
2.2 L’électromouillage sur diélectrique : EWOD
2.2.1 Principe de l’électromouillage sur diélectrique
2.2.1.1 Equation de Lippmann-Young
2.2.2 Electromouillage pour le déplacement de goutte
2.2.3 L’hystérésis
2.2.4 Discussion sur la création de goutte
2.2.5 Quelques applications EWOD pour les laboratoires sur puce et la microfluidique.
2.3 Manipulations de microparticules en milieu liquide
2.3.1 Principe Force-Vitesse
2.3.2 Les techniques de manipulation employant l’action sur la particule.
2.3.2.1 La diélectrophorèse
2.3.2.2 Quelques autres forces
2.3.3 Techniques de manipulation employant l’action du liquide
2.3.4 Techniques combinant la force exercée sur la microparticule et le déplacement du liquide
2.4 Techniques de concentration mettant en jeu l’EWOD
2.4.1 EWOD et manipulation magnétique
2.4.2 EWOD et manipulation optique
2.4.3 EWOD et manipulation électrique
2.4.4 Objectifs du travail de doctorat
2.5 Spécifications du système et résultats préliminaires
2.6 Conclusion
Bibliographie du chapitre 2
3 : Modélisation et simulation du concentrateur
3.1 Préambule
3.2 Introduction
3.3 Bilan des forces
3.3.1 Forces électrocinétiques AC
3.3.1.1 La force diélectrophorétique
3.3.1.2 La force d’électroconvection
3.3.1.3 La force électro-osmotique
3.3.2 Autres forces
3.3.2.1 La force de gravité, la poussée d’Archimède et le mouvement Brownien
3.3.2.2 Force hydrodynamique
3.3.2.3 Bilan des forces
3.4 Les simulations par éléments finis
3.4.1 Plateforme de simulation
3.4.2 Construction des modèles 2D et 3D
3.4.3 Résultats des simulations 2D.
3.4.3.1 Influence du couple (V) et de la géométrie (e et w) sur la température.
3.4.3.2 Influence de la fréquence du signal et de la géométrie (e et w) sur l’électroosmose
3.4.3.3 Influence de la géométrie (e et w) sur la hauteur de lévitation
3.4.3.4 Conclusion sur le modèle 2D
3.4.4 Résultats des simulations 3D
3.4.4.1 Influence de la conductivité électrique du liquide
3.4.4.2 Influence de la géométrie (e)
3.5 Conclusion
Bibliographie du Chapitre 3
4 : Résultats expérimentaux
4.1 Préambule
4.2 Etude multiparamétrique du concentrateur
4.2.1 Objectifs
4.2.2 Présentation du banc de test
4.2.3 Procédés de micro-fabrication
4.2.3.1 Fabrication du dispositif de concentration avec réservoir en SU8
4.2.3.2 Dépôt et recuit pour la micro-structuration de la résine SU8-2075
4.2.4 Méthodologie de l’expérience
4.2.5 Observations et discussion du dispositif multi-puits
4.2.5.1 Observations et discussion
4.2.5.2 Conclusion
4.3 Le concentrateur optimisé
4.3.1 Objectifs
4.3.2 Procédés de micro-fabrication
4.3.3 Méthodologie des expériences
4.3.4 Observations et discussion du concentrateur optimisé
4.3.4.1 Observations
4.3.4.2 Discussion
4.4 L’extracteur
4.4.1 Objectifs
4.4.2 Présentation du banc de test
4.4.3 Micro-fabrication du capot super hydrophobe
4.4.3.1 Etapes de fabrication du capot
4.4.3.2 Gravure des nanofils par voie chimique
4.4.4 Observations et discussion
4.4.4.1 Observations
4.4.4.2 Discussion
4.5 Le séparateur
4.5.1 Intérêt de séparer des espèces en biologie
4.5.2 Objectifs
4.5.3 Dispositifs et méthodes
4.5.4 Observations et discussion
4.5.5 Conclusion
4.6 Le détecteur
4.6.1 Fabrication des motifs de culture cellulaire
4.6.2 Culture cellulaire
4.7 Conclusion
Bibliographie du chapitre 4
5 : Conclusion générale
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