Organe terminal d’un robot manipulateur
La robotique industrielle existe depuis plus de 55 ans. Elle est apparue avec Unimate, le premier robot industriel à avoir été déployé dans les chaines d’assemblage de General Motors en 1961 [Nof (1999)]. Ce robot à 4 degrés de liberté (d.d.l.) dans sa version de base, disposait en bout de bras de différentes terminaisons, appelées organes effecteurs ou organes terminaux, parmi lesquelles une pince à 1 ou 2 degrés de liberté et une ventouse . Ces organes terminaux servaient à la saisie d’éléments dans la chaine d’assemblage. De manière générale, l’organe terminal est une partie du robot qui a pour but d’interagir avec l’environnement : saisie et manipulation d’objets, forage, soudure, découpe, etc. Dans ce manuscrit, nous nous concentrerons sur les organes terminaux dédiés à la saisie et manipulation d’objets.
La robotique industrielle a largement évolué, avec des bras robotiques désormais plus complexes, plus précis et plus rapides – il suffit de s’intéresser aux normes ISO pour s’apercevoir des conditions rigoureuses de fonctionnement imposées à la robotique industrielle actuelle (ISO 9283 :1998). Quant aux organes terminaux dédiés à la saisie ou la manipulation, la plupart d’entre eux sont restés des pinces à 1 ou 2 d.d.l. Malheureusement, ce type d’organe terminal présente des limitations [Murray et Sastry (1994)] :
— Manque de dextérité : les pinces sont adaptées pour la saisie d’un objet mais elles n’ont pas assez de d.d.l. pour manipuler ou reconfigurer l’objet saisi.
— Limitations des possibilités : la pince peut saisir de manière sûre un objet de forme cubique, mais la saisie d’une sphère ou d’une tige peut devenir une tâche complexe. Il faut alors envisager d’utiliser un autre organe effecteur.
— Nécessité d’effectuer de grands mouvements du bras pour reconfigurer l’objet saisi : le nombre de d.d.l. de l’organe effecteur étant limité, il faut utiliser les d.d.l. du bras robotique pour réorienter l’objet, occasionnant des mouvements amples de l’ensemble de la structure robotique et pouvant constituer un danger si un opérateur se trouve à proximité.
— Manque de finesse du contrôle en force : les pinces peuvent présenter des actionneurs puissants, pouvant délivrer un couple moteur élevé. Ces pinces sont alors limitées à la prise en force d’objet rigide, et elles ne permettent pas la manipulation d’objet fragile.
Dès les années 60, la recherche scientifique se penche sur l’amélioration des capacités de préhension et de manipulation des organes terminaux. Cela passe par la conception de systèmes mécaniques plus complexes, on voit apparaitre des organes terminaux avec plus de d.d.l. que de simples pinces, on peut citer le préhenseur de Tomovic et Boni datant de 1963 . On nomme cette nouvelle gamme d’organes terminaux par le terme de préhenseur multidigital (multifingered hand). L’amélioration des capacités de préhension et de manipulation des organes terminaux ne passe pas uniquement par la conception mécanique, mais aussi par l’intégration de capteurs pour de meilleurs capacités de perception, ainsi que par le développement d’algorithmes rendant le contrôle plus efficace et le système plus intelligent. Ces développements visent à atteindre les buts suivants [Bicchi (2000)]:
— La dextérité : il s’agit de la capacité du préhenseur à manipuler des objets afin de les relocaliser arbitrairement dans l’espace de la paume pour la réalisation d’une tâche précise.
— La robustesse de la saisie : c’est la capacité à garder la saisie de l’objet en présence de perturbations (forces extérieures, estimation erronée des caractéristiques de l’objet saisi, etc.) tout en maintenant une saisie adaptée aux caractéristiques de l’objet afin d’éviter tout dommage.
— L’opérabilité humaine : cette capacité permet une interface facile du préhenseur avec l’opérateur humain. Cette définition est à prendre au sens large : l’opérateur peut être le programmateur du préhenseur, il s’agit alors de faciliter la programmation de la tâche à réaliser par le préhenseur. L’opérateur peut aussi être un patient qui a besoin du préhenseur comme prothèse.
D’autres sous-objectifs optionnels, inclus dans la désignation d’ « opérabilité humaine », sont parfois recherchés :
— Anthropomorphisme : Il s’agit de l’attribution de la morphologie humaine au préhenseur multidigital. Cette qualité est parfois recherchée car la plupart des outils sont conçus pour la main humaine, un préhenseur anthropomorphe peut ainsi manipuler ces objets.
— Capacité sensorielle : On cherche à avoir une bonne connaissance de l’environnement du préhenseur en utilisant des capteurs (capteurs des positions articulaires, capteurs des courants des moteurs, capteurs de force et capteurs tactiles, vision).
— Compliance : Les préhenseurs peuvent être amenés à interagir avec un opérateur, et leur comportement doit alors être maitrisé et sûr. Cette sûreté peut être assurée en jouant sur la raideur et l’amortissement du système et en adoptant un comportement dit souple (soft robotics) pour le préhenseur.
De nombreuses avancées ont ainsi permis le développement des préhenseurs multidigitaux et de la manipulation dextre [Okamura et al. (2000)], et aujourd’hui, de plus en plus d’applications industrielles cherchent à intégrer ces technologies.
Intérêt de la préhension et de la manipulation dextre
Afin d’évaluer l’intérêt qu’ont la recherche et l’industrie pour les préhenseurs et la manipulation robotique, on peut s’intéresser à la feuille de route multi-annuelle des projets européens [SPARC (2015)]. Ce document définit les axes privilégiés pour la recherche européenne, décrit les technologies à développer et les marchés clés dans lesquelles ces technologies pourraient être intégrées. Cette feuille de route montre que la capacité de manipulation en robotique est un axe de recherche particulièrement important puisqu’il pourrait intervenir à l’avenir dans de nombreux secteurs industriels.
Trois catégories de manipulation y sont définies :
— La capacité de saisie : il s’agit de la capacité d’un mécanisme à saisir un objet ;
— La capacité de maintien : il s’agit de la capacité d’un système robotique à maintenir la saisie d’un objet dans le but de réaliser une tâche ;
— La capacité de manipulation : il s’agit de la capacité d’un système robotique à saisir et déplacer un objet dans le but de réaliser une tâche.
Chacune de ces capacités est découpée en différents niveaux traduisant la difficulté de mise en œuvre d’une telle technologie . Le niveau 0 définit l’incapacité à saisir, maintenir ou manipuler un objet. Les niveaux suivants établissent des jalons technologiques à déverrouiller afin d’atteindre une certaine maitrise de la capacité. Pour la capacité de manipulation, le niveau 1 est défini comme la manipulation simple d’un objet, avec la dépose de l’objet à une localisation mais sans maitrise de l’orientation. Les niveaux suivants étendent les aptitudes demandées au système robotique : maitrise de l’orientation, du placement, manipulation avec compliance, manipulation d’un objet en présence d’incertitudes (objet mal connu), réalisation d’une tâche complexe de manipulation, manipulation d’objet inconnu, identification de l’objet à partir de la manipulation. Ces niveaux permettent donc d’évaluer et quantifier la dextérité, la robustesse et l’opérabilité du système robotique.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 Introduction
1.1 Contexte
1.1.1 Organe terminal d’un robot manipulateur
1.1.2 Intérêt de la préhension et de la manipulation dextre
1.2 Difficulté de mise en œuvre de la préhension et manipulation dextre
1.3 Objectifs
1.4 Plan du mémoire
2 Modèles pour la manipulation dextre et incertitudes de contact
2.1 Introduction
2.2 Cas d’étude
2.3 Etude statique d’un préhenseur multidigital
2.3.1 Définition de la saisie
2.3.2 Propriétés générales
2.3.3 Espace des forces de contact et des torseurs dynamiques
2.4 Incertitudes sur le point de contact
2.4.1 Origines des incertitudes
2.4.2 Formulation mathématique des incertitudes
2.4.3 Conséquences des incertitudes
2.5 Modélisation dynamique pour la manipulation dextre
2.5.1 Approches proposées dans la littérature
2.5.2 Proposition d’une nouvelle modélisation
2.5.3 Détermination de la représentation d’état du système
2.5.3.1 Description générale des dynamiques du système
2.5.3.2 Mise sous forme assemblée des équations dynamiques
2.5.3.3 Prise en compte de la redondance
2.5.3.4 Suppression des états liés
2.5.3.5 Détermination de l’équation d’état
2.5.3.6 Expression des forces de contact
2.5.4 Étude de la commandabilité du système
2.5.5 Conclusions
2.5.6 Remarque : Lien avec les synergies
3 Qualité de prise en présence d’incertitudes
3.1 Introduction
3.2 État de l’art
3.2.1 Méthodes classiques
3.2.2 Prise en compte d’incertitudes
3.2.3 Positionnement scientifique
3.3 Métrique de l’évaluation de l’espace atteignable
3.4 Evaluation du RWSU
3.4.1 Approche par intersection des polytopes
3.4.2 Approche par exploration extensive
3.5 Cas d’étude
3.5.1 Présentation
3.5.2 Evaluation des algorithmes
3.5.2.1 Erreur de translation
3.5.2.2 Erreur d’orientation
3.6 Exemple en trois dimensions
3.6.1 Présentation
3.6.2 Résultats
3.7 Conclusions
4 Manipulation dextre en présence d’incertitudes
4.1 Etat de l’art
4.1.1 Contexte statique
4.1.2 Contexte dynamique
4.1.2.1 L’approche par commande hybride
4.1.2.2 L’approche par commande en impédance
4.1.2.3 Premier constat
4.1.3 Prise en compte des incertitudes
4.2 Positionnement scientifique
4.3 Modélisation
4.3.1 Description du système
4.3.2 Modélisation des incertitudes du point de contact
4.4 Commande robuste par synthèse LMI
4.4.1 Forme générale
4.4.2 Objectifs de la commande
4.4.3 Commande en impédance par synthèse LMI
4.4.4 Contrôle des forces internes
4.4.5 Algorithme traitant les incertitudes
4.5 Cas d’étude et simulations
4.5.1 Exemple
4.5.2 Résultats de simulation
4.5.3 Résultats expérimentaux
CONCLUSION