Analyse quantitative
A chaque fois que les débarquements contenaient des mérous et des badèches, nous avons déterminé pour chaque espèce identifiée, la fréquence, l’abondance, la longueur totale pour quelque individus et le poids total. Durant la période comprise entre la fin septembre et début novembre, et suite à une alerte lancée par des pêcheurs et des plongeurs ayant observé des mortalités inhabituelles et des comportements natatoires anormaux des mérous E. marginatus et E. costae le long de la plage D’raouch (08°15’ Est, 36°15’6’’ Nord, Wilaya d’El-Tarf) (Fig. 3), des investigations ont été menées sur la base de relevés visuels (nombre, taille et poids approximatifs des poissons au comportement natatoire anormal, signes et lésions externes, profondeur, habitat) entre 0 et – 15 m et d’analyses cliniques et histologiques effectuées sur des échantillons qui ont échoué sur la rive ou recueillis en surface (Fig. 2). Sur les individus examinés, nous avons recherché la présence éventuelle d’ectoparasites branchiaux puis examiné l’état des viscères (foie, gonades, vessie natatoire). Ensuite, le cerveau et les yeux ont été prélevés de façon aseptique et fixés dans du formol tamponné à 10% directement après le prélèvement. Les échantillons ont été traités en utilisant la norme technique histologique, noyés dans de la paraffine, sectionnés à 3 µm et colorées à l’hématoxyline et à l’éosine pour les examens histopathologiques (Kara et al., 2014).
Distribution géographique et habitat
L’aire zoogéographique de distribution d’E. costae couvre l’ensemble de la Méditerranée à l’Atlantique (Bauchot, 1987). Toutefois, cette espèce fréquente des biotopes différents comparés à d’autres Epinephelus. Elle est présente sur les côtes d’Italie, de France, d’Espagne, de la Tunisie, d’Algérie ainsi que le long des côtes Sud portugaises et des côtes Est de l’Afrique, du Maroc jusqu’au Sud de l’Angola (Heemstra et Randall, 1993). Maurin (1968) la signale sur les récifs coralliens du cap Blanc au Nord de la Mauritanie. Cette espèce est signalée également au cap Garajau, sur les côtes Sud de Madeïra en Islande (Waschkewitz et Wirtz, 1990). En Méditerranée-Occidentale, la répartition zoogéographique de cette espèce est limitée vers le Nord par une ligne joignant approximativement Barcelone à Rome et passant par le Sud de la Corse (Tortonèse, 1986). La badèche est aussi indiquée sur les côtes orientales de Corse (Miniconi, 1989) et occidentales (Meinesz et al., 1990; Miniconi et al., 1990). Elle fréquente habituellement les fonds mixtes constitués de rochers et d’herbiers à posidonie (Heemstra et Randall, 1993; Derbal et al., 2013), mais aussi les fonds sableux (Louisy et al., 2007) et vaseux (Craig et al., 2011), entre – 10 et – 300 m (Bauchot, 1987). Son comportement territorial (Neill, 1967), ne semble pas aussi structuré que celui d’E. marginatus (Chauvet et Francour, 1990), bien que le mode de vie en groupe soit volontiers adopté par cette espèce, en particulier chez les juvéniles qui occupent les aires littorales et qui ne cohabitent pas avec les adultes. Le comportement territorial d’E. costae varie suivant les saisons (recherche d’un gîte, rassemblement génétique). Selon Waschkewitz et Wirtz (1990), la badèche effectuerait des migrations catadromes (homing) en revenant chaque année du même site. Chauvet et Francour (1990), conclurent que cette espèce effectue des migrations saltatoires génétiques, mais sans pour autant que ces auteurs précisent leurs aires géographiques des frayères. Mycteroperca rubra est présente dans le sud de la Méditerranée, le long des côtes marocaines (Collignon et Alloncle, 1973), algériennes (Dieuzeide et al., 1954; Djabali et al., 1993; Derbal et Kara, 2001), et plus rarement sur les côtes tunisiennes (Bouain, 1980), libanaises (Mouneimne, 1978), au nord de la Méditerranée (Arena et Bombace, 1970) et en mer Egée (Economidis, 1972-73). En Atlantique, il est signalé sur les côtes du Portugal, d’Angola, à Madère et au Maroc (Heemstra et Randall, 1993), et aussi à l’ouest de l’Atlantique, des Caraïbes au Brésil (Cervignon et Valasquez, 1966 ; Smith, 1971), dans la mer des Antilles (Thompson et Munro, 1978) et sur les côtes de Provence ou de Ligurie (Whitehead et al., 1984). Le mérou royal est une espèce sédentaire et solitaire, vivant à proximité du littoral, à des profondeurs variant entre 15 et 100 m, même s’il est plus fréquent de le rencontrer dans la zone des – 50 m. Il affectionne les fonds rocheux au voisinage des prairies à phanérogames et peut aussi se satisfaire de fonds sableux (http://doris.ffessm.fr). Sur les côtes orientales de la Méditerranée, cette espèce est observée sur des fonds rocheux à moins de 40 m de profondeur (Aronov et Goren, 2008).
Prélèvement, préparation et observation des écailles
Plusieurs traitements ont été testés sur les otolithes (coloration, immersion dans les huiles, brûlant, polissage, gravure à l’acide et coupe) pour la détermination de l’âge, mais ils ne sont pas efficaces. Par conséquent, nous avons opté pour scalimétrie (utilisation des écailles). Ces dernières font partie du squelette superficiel des poissons, au même titre que les rayons des nageoires (Meunier et al., 1979). Leur prélèvement étant aisé, nous avons tenté d’estimer l’âge des poissons à partir de leur lecture directe. Le prélèvement des écailles s’est effectué sur un échantillon de 334 E. costae (20,5 ≤ Lt ≤ 84,6 cm) et 29 M. rubra (21,1 ≤ Lt ≤ 29,7 cm). Afin de minimiser les aléas d’erreurs dus aux écailles régénérées qui sont illisibles, le prélèvement s’est effectué sous la nageoire pectorale gauche lorsqu’elle celle-ci est rabattue. Ce choix est justifié dans la mesure où ces écailles sont généralement mieux protégées des agressions extrinsèques donc présentant une faible probabilité de taux de régénération. Compte tenu de la variabilité de la taille et de la morphologie des écailles au sein d’une même zone de prélèvement (Hile, 1970), il est important d’observer plusieurs écailles. Pour cela, nous avons prélevé un nombre compris entre 10 et 20. Avant toute préparation, la première étape consiste à sélectionner les écailles (loupe binoculaire) visant à éliminer celles avec cal granuleux. Après avoir essuyé soigneusement la zone de prélèvement, on arrache avec une pince fine les écailles sur des individus qui ont été préalablement mesurés et pesés. Une fois prélevées, elles sont stockées dans des piluliers remplis d’eau douce. Parce que les écailles sont partiellement recouvertes de résidus du derme, de l’épiderme, de mucus secs et de pigments, il est souvent indispensable de les nettoyer avant leur montage (Jearld, 1983). Après ou non un frottement à sec entre les doigts, les écailles sont nettoyées avec une eau javellisée (6°) et une petite brosse suivie d’un rinçage à l’eau douce. Enfin, les écailles sont montées à sec entre deux lames porte objets.
Adiposité
Chez les Perciformes, la teneur en lipides est faible et constante dans les muscles mais varie considérablement au niveau du tissu périviscéral. Durant un cycle annuel, l’adiposité a été suivie et appréciée directement à l’œil nu en respectant l’échelle de Nikolsky (1963):
Unité 0: absence de tissus graisseux.
Unité 1: présence de quelques cordons graisseux dans les anses intestinaux.
Unité 2: abondance de cordons graisseux le long de l’intestin qui reste toutefois visible.
Unité 3: les cordons deviennent épais et dissimulent et/ ou couvre complètement l’intestin.
Rapport hépato-somatique
Les valeurs minimales (♀: 0,84 ± 0,33; ♂: 0,79 ± 0,33) du RHS sont observées en août pour les deux sexes. A partir de septembre, elles augmentent progressivement (Fig. 33; Tab. XXIX en annexe) jusqu’à janvier pour les mâles et février pour les femelles, où le rapport atteint sa valeur maximale (♀: 1,71 ± 0,86; ♂: 2,66± 0).Le pic du RHS précède de 4 mois celui du RGS. L’ANOVA montre l’existence d’une différence très hautement significative entre les valeurs moyennes du RGS (♀: F = 5,799; ♂: F = 4,920; p ≤ 0,05). Le test de comparaison des moyennes deux à deux (test de Newman-Keuls, SNK) montre que la valeur moyenne obtenue en janvier chez les mâles est différentes des autres mois restants, tandis que chez les femelles, en observe une succession des groupes de moyennes.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Cette étude nous a permis de capitaliser des données fondamentales sur la biologie de deux Epinephelidae des côtes de l’Est de l’Algérie: Epinephelus costae et Mycteroperca rubra, des espèces rares et peu connues dans l’ensemble du bassin de la Méditerranée. A partir de prises commerciales (petits métiers) et de quelques pêches expérimentales réalisées durant un cycle annuel (mars 2011 et février 2012) dans le golfe d’Annaba, nous avons inventorié un total de 2927 individus rattachés à deux genres différents (Epinephelus et Mycteroperca) et 5 espèces (E. marginatus, E. costae, E. aeneus, E. caninus et M. rubra). Le genre Epinephelus domine largement avec 99% des mérous présents sur les étals. L’espèce E. marginatus est la plus abondante (1830 individus, soit une dominance de 62,52%), suivie d’E. costae (1065 individus, soit une dominance de 36,39%). Par contre, les prises d’E. caninus et d’E. aeneus sont insignifiantes durant toute la période de l’enquête que nous avons mené (1 et 2 individus, respectivement). Quand à l’espèce M. rubra, 29 individus (0,96%) ont été inventoriés. Durant la période d’échantillonnage, il est important de signaler la présence de certains individus d’E. costae qui ont été affectés par des bioagresseurs viraux, en particulier par le bétanodavirus. Ce virus a causé durant l’automne de l’année 2011 des mortalités massives d’E. costae et d’E. marginatus dans le secteur est du golfe d’Annaba. Ces mortalités inexpliquées qui pourraient éventuellement affectées d’autres espèces méritent une attention toute particulière par la communauté scientifique. Les différences de la richesse spécifique ou des abondances d’une zone à une autre sont attribuées à de nombreux facteurs, comme la stratégie et l’effort d’échantillonnage (méthodes d’inventaires destructives et non destructives) et les spécificités environnementales locales entre les rives nord et sud de la Méditerranée (différences biogéographiques). Comparé à d’autres espèces du genre Epinephelus, la présence de la badéche E. costae, une espèce ‘‘Data Deficient’’ selon l’UICN, mérite une attention toute particulière dans la zone d’étude. Sur la base de critères morphométriques et méristiques, nous avons caractérisé les populations d’E. costae et de M. rubra des côtes est de l’Algérie. Les valeurs numériques obtenues sont proches ou égales de celles rapportées par la littérature. La comparaison statistique des caractères numériques entre les deux sexes (femelles et mâles) et entre les individus matures et immatures chez E. costae a montré l’inexistence de différences morphologiques. Chez le mérou royal M. rubra, cette comparaison n’a pas pu être effectuée faute d’insuffisance d’individus échantillonnés. La croissance des différentes parties du corps d’E. costae et de M. rubra n’est pas toujours isométrique par rapport à la longueur totale ou céphalique. Les régressions des différents paramètres mesurés en fonction de la longueur totale ou la longueur céphalique ont été définies afin d’évaluer leur constance d’allométrie. L’âge d’E. costae et de M. rubra a été déterminé par la scalimétrie. L’otolithométrie s’est avérée inefficace en raison de l’opacité des sagittae et l’impossibilité de lecture des stries de croissance. Cette méthode scalimétrique nous a donné des résultats satisfaisants et un taux de réussite élevés (94,5%). La longueur totale (Lt) varie entre 20,5 et 84,6 cm pour la badéche et entre 21,1 et 29,7 cm pour le mérou royal. L’âge déterminé pour ces deux espèces est de 12 ans pour E. costae et de 2 ans pour M. rubra. Par le suivi de l’accroissement marginal des écailles pendant un cycle annuel, nous avons pu démontrer la discontinuité de la croissance d’E. costae des côtes est de l’Algérie où s’individualise un seul anneau d’arrêt de croissance par an qui s’inscrit au début du printemps (mars). Ce suivi n’a pas pu être effectué chez M. rubra en raison de l’absence de l’espèce durant la totalité du cycle d’échantillonnage. Une étroite relation entre la longueur totale du poisson et le rayon de son écaille a été mise en évidence, ce qui nous a permis d’effectuer un rétrocalcul des tailles du poisson aux différents âges. La taille à l’apparition des premières écailles des alevins correspond à 0,34 cm et 0,85 cm pour la badéche E. costae et M. rubra, respectivement
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Table des matières
İNTRODUCTİON GÉNÉRALE
CHAPITRE I: İNVENTAİRE DES EPİNEPHELİNAE
1. INTRODUCTION
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Analyse qualitative
2.2. Analyse quantitative
3. RESULTATS
3.1. Diversité
3.2. Abondance et dominance spécifiques
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
CHAPİTRE II: SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE SUR LES ESPECES ETUDIEES: CAS D’Epinephelus costae et de Mycteroperca rubra
1. Systématique
2. Synonymes et appellations vernaculaires
3. Critères de diagnose
4. Distribution géographique et habitat
5. Alimentation
6. Croissance
7. Reproduction
8. Statut écologique et vulnérabilité
9. Intérêt économique
CHAPİTRE III : MORPHOMETRIE
1. INTRODUCTION
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Provenance des échantillons
2.2. Critères numériques
2.3. Caractères métriques
2.4. Analyses statistiques
2.5. Dimorphisme sexuel
3. RÉSULTATS
3.1. Caractères numériques
3.2. Caractères métriques
3.3. Dimorphisme sexuel
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
CHAPİTRE IV: ÂGE ET CROİSSANCE
1. INTRODUCTION
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Prélèvement, préparation et observation des écailles
2.2. Lecture d’âge
2.3. Relation entre la longueur du poisson et le rayon de l’écaille
2.4. Périodicité de la formation de l’anneau d’arrêt de croissance ou dépôt des anneaux et croissance marginale
2.5. Croissance rétrospective (rétrocalcul)
2.6. Modélisation de la croissance
2.6.1. Croissance linéaire absolue
2.6.2. Croissance relative ou relation taille-poids
2.6.3. Croissance pondérale absolue
3. RESULTATS
3.1. Âge
3.1.1. Périodicité de la formation de l’anneau d’arrêt de croissance
3.1.2. Relation entre la longueur totale du poisson et le rayon de l’écaille
3.1.3. Calcul des tailles moyennes aux différents âges (rétrocalcul)
3.2. Croissance
3.2.1. Croissance linéaire absolue
3.2.2. Croissance relative
3.2.3. Croissance pondérale absolue
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
CHAPİTRE V: REPRODUCTİON
1. INTRODUCTION
2. MATERIEL ET METHODES
2.1. Sex-ratio
2.2. Examen macroscopique des gonades
2.3. Rapport gonado-somatique
2.4. Rapport hépato-somatique
2.5. Adiposité
2.6. Taille à la première maturité sexuelle
2.7. Coefficient de condition où indice pondéral
2.8. Analyse statistique
3. RESULTATS
3.1. Sex-ratio
3.2. Stades de maturation
3.3. Rapport gonado-somatique
3.4. Rapport hépato-somatique
3.5. Adiposité
3.6. Taille à la première maturité sexuelle
3.7. Coefficient de condition ou indice pondéral
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
CHAPİTRE VI: RÉGİME ALİMENTAİRE
1. INTRODUCTION
2. MATÉRIEL ET MÉTHODES
2.1. Echantillonnage
2.2. Méthodes analytiques
2.2.1. Prélèvement et conservation des tubes digestifs
2.2.2. Analyse qualitative
2.2.3. Analyse quantitative et classement des proies
2.2.4. Analyse statistique
3. RÉSULTATS
3.1. Vacuité digestive
3.2. Diversité des proies ingérées
3.3. Classement global des proies
3.4. Variations ontogénétiques
3.5. Variations du régime alimentaire en fonction du sexe
3.6. Variation du régime alimentaire entre les immatures et les matures
3.7. Variations saisonnières
4. DISCUSSION
5. CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉSUMÉS
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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