L’idée de développement durable, telle que nous la connaissons aujourd’hui, apparaît en substance durant l’ère baroque allemande . Le contexte est alors celui d’une période de calme relatif, succédant à la guerre de Trente Ans qui a déchiré l’Europe de 1618 à 1648 . L’activité économique reprend peu à peu. En Saxe, dans la ville de Freiberg, dans l’est de l’Allemagne actuelle, c’est un gisement d’argent qui assure la prospérité des habitants. Mais l’extraction de ce métal a des conséquences économiques catastrophiques dans le sens où de cette dernière résultent d’énormes besoins en bois et les montagnes situées aux alentours se retrouvent défrichées. On doit s’éloigner de plus en plus afin de se procurer cette ressource. Le bois, également nécessaire à d’autres activités et à la vie quotidienne, devient non seulement une denrée de plus en plus rare mais également de plus en plus chère. Les enjeux économiques et sociaux d’une hausse des prix sont alors considérables. Face à cet état de fait, Hans Carl von Carlowitz, un noble forestier travaillant à Freiberg autour de 1710, réfléchit alors à une gestion des forêts qui permettrait de toujours avoir du bois en quantité suffisante et à un prix raisonnable. Il s’inspire alors de certains contemporains célèbres dont Jean-Baptiste Colbert et sa « grande réforme des forêts » .
En 1713, le fruit de ses réflexions donne lieu à un ouvrage en deux parties intitulé «Sylvicultura oeconomica oder haußwirthliche Nachricht und naturmäßige Anweisung zur Wilden Baum-Zucht » . Ce dernier forge alors le terme de « Nachhaltigkeit » que l’on pourrait traduire par « durabilité » . Conscient des conséquences d’un déboisement excessif, il critique le gaspillage et propose d’améliorer ce qu’on appellerait aujourd’hui « l’efficacité énergétique » des foyers et l’isolation des maisons . Il développe l’idée selon laquelle ménager la nature, en l’occurrence par la gestion des forêts, c’est servir l’économie qui, à son tour, assure le bien-être de la population. Il pose également le principe en vertu duquel « les générations présentes ont une responsabilité envers les générations futures qui leur interdit de les appauvrir par une surconsommation » . En effet, pour ce dernier, il faut veiller à ce que la ressource puisse être utilisée de façon continue . Hans Carl Von Carlowitz souligne enfin l’importance d’un partage des savoir-faire et des connaissances en la matière entre les nations et la nécessité d’une vision inscrite dans le long terme. La « Sylvicultura oeconomica » semble être acceptée comme étant le premier ouvrage scientifique en foresterie. L’œuvre de von Carlowitz a traversé les frontières et les siècles et son application a dépassé son cadre originel. Hans Carl von Carlowitz semble être le premier à avoir décrit théoriquement le terme de développement durable et lui avoir donné un nom .
LA SIGNIFICATION DU TERME « DEVELOPPEMENT »
Selon des auteurs : « L’idée de développement suppose l’existence d’un sens, d’une direction, d’un projet pour l’évolution de la société et la question du sens se pose tout particulièrement lorsque, dans leur cours historique, les sociétés sont confrontées à des situations insupportables pour elles-mêmes ou certaines catégories ». En sciences économiques, le développement désigne l’amélioration qualitative d’une économie et de son fonctionnement. Le mot est souvent associé à celui de croissance, bien qu’il faille l’en distinguer. En effet, l’économiste français François Perroux a opéré une distinction entre la « croissance » économique phénomène quantitatif et le « développement », phénomène qualitatif recouvrant l’ensemble des transformations économiques et sociales. Les termes de croissance et de développement sont souvent assimilés, il faut pourtant les différencier.
La croissance est définie comme l’augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues (chacune de ces périodes comprenant plusieurs cycles quasi décennaux) d’un indicateur de dimension : pour une nation, le produit global net en termes réels. Ce n’est pas l’augmentation du produit réel par habitant. Le concept présente également une autonomie dynamique. Car, sans épithète, la croissance est définie par l’accroissement durable d’une unité économique simple ou complexe, réalisé dans les changements de structure et éventuellement des systèmes, et accompagné de progrès économiques variables .
En opposition, le développement est défini comme étant la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître, cumulativement et durablement son produit réel global. Selon François Perroux, le développement soutient et englobe la croissance. En conclusion, le développement est une notion économique qui désigne des évolutions s’appréciant qualitativement. Le qualificatif de « durable » confère au terme de développement une dimension écologique et environnementale.
LA SIGNIFICATION DU TERME « DURABLE »
L’adjectif « durable », du latin durabilis désigne quelque chose capable de durer longtemps . Selon un auteur, tandis que le développement est perçu comme étant synonyme de croissance économique, (jugée jusque-là indispensable pour pouvoir permettre la satisfaction des besoins essentiels de chaque être humain), le développement durable introduit une nouvelle vision, écologiste et environnementaliste qui insiste sur le nécessaire respect des ressources limitées et non renouvelables de la planète. Le terme « planète » est, selon cet auteur, utilisé à dessein, car il insiste sur le fait que la terre est un système interdépendant et qu’il faut se préoccuper des effets à long terme des actions humaines car toute l’humanité est « embarquée sur le même bateau ». En conséquence, les agissements de chacun se répercutent sur les conditions de vie de tous.
Il faut cependant ajouter à cette définition le fait que si la durabilité s’analyse en une vision écologique et environnementale à long terme, tendant au respect des ressources de la planète, il est important d’identifier les « ressources » dont il est question. Le terme de « ressources » correspond à ce que les économistes qualifient de « capital ». Le « capital » dont disposent les sociétés humaines est l’ensemble des éléments naturels ou non, qui constituent le « système-terre ». En effet, ce dernier est composé de la lithosphère, de la biosphère, de la technosphère et de la sociosphère. La lithosphère est la sphère principale du substrat planétaire. C’est une couche minérale non renouvelable alimentant les sociétés en matières premières : énergie , métaux, engrais, matériaux de construction. La biosphère est la sphère du vivant. Sa base est principalement constituée par les sols qui sont la résultante de l’interaction entre le substrat (la lithosphère), le climat (l’atmosphère) et l’ensemble du vivant, (plantes, champignons, microbes, animaux). Elle peut donc être vue comme un tissu vivant planétaire. La sociosphère est l’ensemble des sociétés et la technosphère peut être définie comme un ensemble d’outils, de techniques et de machines, assurant la production, la reproduction et le maintien de l’organisme sociétal. C’est au fond l’ensemble des technologies qui prend place dans la chaîne qui lie les ressources du substrat et la consommation finale par les sociétés. Nous y incluons le capital physique des infrastructures et des biens produits. La technosphère repose sur la sphère de la connaissance, de la pensée, des idées, des concepts, de l’intelligence et des consciences. Ainsi, les ressources devant faire l’objet de la durabilité, sont nombreuses et diverses.
Au vu de ces divers éléments, nous pouvons affirmer que le qualificatif de « durable» renvoie plus largement à des préoccupations environnementales que strictement écologiques. Car « l’environnement n’est pas une abstraction mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de vie et leur santé, y compris pour les générations à venir » . De ce fait, la notion d’ « environnement » possède une portée plus large que celle d’ « écologie » ou encore de « nature». En effet, la référence à l’« environnement » comporte deux acceptions complémentaires. D’une part, elle désigne l’ensemble des éléments physiques, chimiques ou biologiques, naturels ou artificiels qui entourent un être humain . D’autre part, l’environnement est désigné comme l’ensemble des éléments objectifs et subjectifs qui constituent le cadre de vie d’un individu. Le terme « écologie » a une portée plus réduite dans le sens où il se définit en tant que science qui étudie les relations des êtres vivants avec leur milieu naturel. Alors que l’environnement désigne le milieu naturel et artificiel des êtres vivants en général, de l’homme en particulier, l’écologie a une portée scientifique et étudie les relations entretenues entre les êtres vivants et leur milieu naturel. La différence entre environnement et écologie ressort de façon générale et simplifiée des propos employés par le professeur Michel Prieur : « Alors que l’environnement prend en considération l’homme dans son milieu artificiel ou naturel, l’écologie ne s’intéresse qu’aux végétaux ou aux animaux » . En conclusion, lorsque nous nous référerons au qualificatif « environnemental », ce sera pour se référer à la notion d’environnement, telle que nous l’avons circonscrite. Le qualificatif « durable » renvoie à ces préoccupations environnementales, mais il sous-tend également une vision tournée vers le long terme.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Les fondements d’un droit du développement durable en matière de contrats d’Etat
TITRE 1 : Les origines des interactions entre contrats d’Etat et développement durable
CHAPITRE 1. Les germes de l’interaction entre contrats d’Etat et développement durable
CHAPITRE 2. L’évolution de l’interaction entre contrats d’Etat et développement durable
TITRE 2 : Les moyens des interactions entre contrats d’Etat et développement durable
CHAPITRE 1. L’existence d’un contexte normatif pluriel
CHAPITRE 2. La consécration du contrat d’Etat en tant qu’instrument normatif singulier
DEUXIEME PARTIE : Les jalons d’un droit du développement durable en matière de contrats d’Etat
TITRE 1 : La recherche d’un ensemble de principes
CHAPITRE 1. La recherche de principes généraux s’imposant à la volonté des parties
CHAPITRE 2. La recherche de principes d’ordre public
TITRE 2 : La recherche d’un ensemble de pratiques
CHAPITRE 1. Quelques éléments de pratique contractuelle
CHAPITRE 2. L’importance de la pratique contractuelle
Conclusion générale
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