Contrat de « franchise », de « franchisage », voire de « franchising » : la première difficulté de cette étude se situe au stade même de la sémantique, si bien qu’avant même d’aborder le traditionnel problème de la définition des termes du sujet, s’ajoute ici celui – plus inédit – de leur dénomination. Le contrat de franchise a ceci de particulier que l’on ne peut le nommer sans susciter immédiatement le débat et la controverse. Les plus anglophiles pourraient choisir l’appellation de « franchising », substantif issu du participe présent du verbe to franchise. Ce qui pourrait de prime abord ressembler à un anglicisme n’en a d’ailleurs que l’apparence, car, à y regarder de plus près, le verbe anglais to franchise a été créé à la fin du XIVe siècle à partir du vieux français franchis, participe passé de « franchir » qui, au XIIe siècle, signifiait libérer. Outre cette origine ancienne et son aspect cosmopolite, le terme de « franchising » est également investi d’une dimension historique.
Naissance en Amérique. Il est en effet de tradition d’enseigner que le concept fut créé outre Atlantique dans les années 1850, par Isaac M. Singer, inventeur de la machine à coudre moderne. Ce dernier souhaitait améliorer la diffusion de son invention, mais manquait de fonds pour développer sa production. Il était également conscient qu’il serait difficile de vendre ses machines sans proposer à ses clients une formation initiale et une forme de « service après-vente », bien que le terme sonne comme un anachronisme. Incapable d’assumer seul une telle tâche sur l’ensemble du territoire américain, Singer conféra à certains revendeurs le droit de distribuer ses machines sur un territoire donné en contrepartie du paiement d’une redevance, qui lui servit à améliorer sa propre chaîne de production. Les revendeurs étaient formés afin de pouvoir répondre aux attentes et interrogations de leurs clients. Le succès d’Isaac M. Singer peut être considéré comme la pierre fondatrice du processus économique de « franchising ».
Dans sa dimension historique, le terme de « franchising » est encore associé au nom de Ray Kroc qui, s’il est inconnu du grand public, n’en a pas moins façonné et transformé le mode de vie occidental de la fin du XXe siècle. Vendeur de mixeurs, destinés à la fabrication de milk-shakes, Ray Kroc fut surpris, en 1954, par une commande anormalement importante de huit de ses mixeurs par un restaurant de San Bernardino, en Californie. Se rendant sur place, Ray Kroc découvrit un petit restaurant dont les gérants avaient développé une méthode particulièrement efficace pour la préparation de frites et de hamburgers. Les deux frères, propriétaires de l’établissement, qui rencontrait un franc succès, se nommaient Richard et Maurice McDonald. Kroc racheta sans tarder les droits relatifs à l’appellation McDonald’s, avec l’ambition de développer des restaurants identiques à celui des frères McDonald de l’Alaska jusqu’à l’Alabama. Le leitmotiv de Kroc pour séduire ses partenaires se déclinait à la manière d’un slogan : « In buisness for yourself, but not by yourself » : entreprenez pour vous-même, mais pas par vous-même. L’idée rencontra le succès que chacun connaît.
Lainière de Roubaix. Fort, entre autres, de ces deux hauts patronages, le terme et le concept de « franchising » furent importés en France et en Europe dans les décennies qui suivirent. Les années 1970 connurent l’explosion du nombre de réseaux de franchise, tandis que le terme de « franchising » semble utilisé pour la première fois dans la doctrine juridique française en 1970 . Cependant, si l’histoire de la franchise est intimement liée à celle des États-Unis, on ne peut présenter le concept comme la simple importation d’une création exclusivement américaine. Outre la Californie, l’histoire de la franchise commerciale se noue également à Roubaix, sous l’égide de Jean Prouvost, directeur de la filature de la ville. Ce dernier chargea, dans les années 1930, un jeune polytechnicien de développer un réseau de distributeurs qui seront liés à la Lainière de Roubaix par un contrat leur garantissant l’exclusivité des produits dans un secteur géographique donné. À quelques années d’écart, l’idée n’était pas différente de celle qui avait inspiré Isaac M. Singer. On peut dès lors comprendre les réticences à l’usage du terme de « franchising » qui, sans faire preuve d’un chauvinisme exacerbé, traduit il est vrai fort mal les origines roubaisiennes du concept. Au-delà de l’argument historico-géographique, l’abandon du terme de « franchising » est également commandé par des considérations d’ordre linguistiques, voire légales.
Arrêté du 29 novembre 1973. On pourrait en effet soutenir, avec un brin de provocation, que l’emploi du terme « franchising » est devenu illégal depuis l’adoption d’un arrêté du 29 novembre 1973 , relatif à la terminologie économique et financière. Le texte, par renvoi à un décret du 7 janvier 1972 relatif à l’enrichissement de la langue française , impose que seul le terme de « franchisage » soit utilisé en lieu et place de « franchising » dans les divers actes réglementaires, les documents émanant des administrations ou établissements publics ou les marchés et contrats auxquels ils sont parties, ainsi que « dans les ouvrages d’enseignement, de formation ou de recherche utilisés dans les établissements, institutions ou organismes dépendant de l’État, placés sous son autorité ou soumis à son contrôle ou bénéficiant de son concours financier à quelque titre que ce soit » . La position adoptée par le pouvoir réglementaire bénéficie en outre de la caution morale de l’Académie française, consultée pour l’occasion ainsi que de celle du Haut comité pour la défense et l’expansion de la langue française et de la Commission de terminologie du ministère de l’Économie et des finances. Gageons toutefois que notre lecteur nous pardonnera de l’avoir rendu complice de la violation, répétée, de cet acte réglementaire dans les pages précédentes. Le « franchising » ainsi banni, le « franchisage » a séduit parmi les plumes les plus autorisées de la doctrine juridique. Le Professeur Philippe Le Tourneau est ainsi un des plus fidèles défenseurs de l’appellation officielle et regrette que celle-ci ne soit pas davantage usitée, dénonçant au passage de la part de ceux qui la délaissent « une manière d’agir […] particulièrement fâcheuse quand elle est le fait d’universitaires » . Pour regrettable qu’elle puisse être, la pratique consistant à délaisser le terme de franchisage est toutefois très largement généralisée, y compris dans la communauté universitaire. Ainsi, si l’on se réfère aux titres des principaux ouvrages sur le sujet, le terme de franchisage n’est que très marginalement usité.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I. L’ENCADREMENT VIGILANT DES RELATIONS ENTRE LES PARTIES AU CONTRAT DE FRANCHISE
TITRE I. LE MAINTIEN D’UNE CONCURRENCE EFFECTIVE PENDANT L’EXÉCUTION DU CONTRAT
Chapitre 1. Le contrôle de la liberté du franchisé par le droit de la concurrence
Chapitre 2. Le contrôle de l’équilibre du contrat de franchise par le droit de la concurrence
TITRE II. LE MAINTIEN D’UNE CONCURRENCE LOYALE À L’ISSUE DES RELATIONS CONTRACTUELLES
Chapitre 1. Le contrôle des stipulations contractuelles relatives à l’après-contrat
Chapitre 2. Le contrôle du comportement des parties à l’issue du contrat
PARTIE II. LA RÉGULATION LACUNAIRE DES RELATIONS AVEC LES TIERS AU CONTRAT DE FRANCHISE
TITRE I. LA SANCTION DES COMPORTEMENTS DÉLOYAUX DES TIERS PRÉJUDICIABLES AU RÉSEAU
Chapitre 1. La protection lacunaire du réseau contre la revente parallèle
Chapitre 2. La protection classique du réseau contre l’abus de concurrence des tiers
TITRE II. LA SANCTION DES COMPORTEMENTS ABUSIFS DU RÉSEAU PRÉJUDICIABLES AUX TIERS
Chapitre 1. Les abus de domination commis par le réseau au préjudice des tiers
Chapitre 2. Les abus de dépendance commis par le réseau au préjudice des tiers
CONCLUSION
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