La vision du monde proposée par la physique d’aujourd’hui est basée sur les modèles standards de la cosmologie et de la physique des particules qui permettent de rendre compte avec une étonnante précision des phénomènes observés dans la nature. Le modèle standard de la physique des particules décrit les constituants matériels de l’Univers les plus fondamentaux connus à ce jour ainsi que trois des quatres interactions fondamentales. Le modèle standard de la cosmologie décrit l’histoire de l’Univers déterminée par son contenu matériel et l’interaction gravitationnelle décrite par la Relativité Générale. Néanmoins, certains aspects de ces modèles sont encore mal compris. En particulier, le modèle standard de la cosmologie fait l’hypothèse de l’existence d’un secteur sombre composé de matière noire et d’énergie noire, qui représenteraient respectivement environ 25% et 70% du contenu de l’Univers. Ces constituants dont la nature est inconnue, mais dont l’existence est très bien motivée par les observations astrophysiques et cosmologiques, posent problème à la fois pour la cosmologie et la physique des particules. La matière noire est décrite en cosmologie comme un fluide de matière nonbaryonique et permet d’expliquer le comportement de certains objets sous l’influence de la gravitation (la rotation des galaxies par exemple [1, 2]). Cependant, de telles particules de matière non-baryonique sont absentes du modèle standard de la physique des particules. L’énergie noire permet, quant à elle, d’expliquer l’accélération de l’expansion de l’Univers découverte en 1998 [3, 4]. L’existence d’une constante cosmologique, supposée dans le modèle standard de la cosmologie, peut expliquer cette accélération mais soulève de nombreuses autres questions théoriques.
Pour résoudre les problèmes liés au secteur sombre, de nombreuses extensions des modèles standards ont été proposées. Une approche simple, naturelle et riche consiste à inclure l’effet d’un champ scalaire additionnel dans la théorie. Les modèles à champ scalaire sont très présents dans l’éventail des extensions existantes, à la fois pour la cosmologie (avec des champs classiques dans ce cas) et pour la physique des particules (avec des champs quantiques). Cette approche semble d’autant plus pertinente que l’existence d’une particule relique d’un champ scalaire, candidate au boson de Higgs prédit par le modèle standard de la physique des particules, a été découverte au Grand Collisionneur de Hadrons en 2012 [5, 6]. Cette thèse présente l’étude d’un modèle à champ scalaire en cosmologie pour expliquer l’accélération de l’expansion de l’Univers, le modèle du galileon [7], et d’un modèle à champ scalaire en physique des particules qui fournit un candidat à la matière noire, le modèle du branon [8, 9]. En plus de supposer tous deux l’existence d’un champ scalaire, ces deux modèles ont en commun de pouvoir trouver leurs origines dans les théories supposant l’existence de dimensions spatiales supplémentaires. Ces théories à dimensions supplémentaires ont été développées tout au long du XXe siècle et font récemment l’objet de recherches intenses du fait de leur richesse. Le cadre conceptuel de ces théories est, en effet, l’un des rares dont on dispose aujourd’hui capable d’expliquer la nature des deux constituants du secteur sombre.
Les modèles standards
La meilleure description scientifique que nous avons aujourd’hui de la réalité tient dans deux modèles : un modèle de l’infiniment grand (cosmologie) et un modèle de l’infiniment petit (physique des particules). L’accord impressionnant entre ces deux modèles et les observations en font des théories incontournables, si bien qu’on les appelle des modèles standards. Ces modèles standards reposent sur deux révolutions théoriques qui ont bouleversé notre compréhension du monde tout au long du XXe siècle : la relativité générale et la physique quantique. Dans ce chapitre, nous présenterons succintement la construction des modèles standards basée sur ces théories, en mettant l’accent sur le concept de symétries cher aux physiciens. Nous en profiterons pour pointer les quelques difficultés rencontrées par ces modèles, qui bien que standards, ne sont pas parfaits.
Le modèle standard de la cosmologie
La cosmologie, qui s’attaque à des questions qui ont intrigué les hommes aussi loin que les écrits remontent, est en fait un domaine récent de la physique puisqu’elle commence à se développer en tant que discipline scientifique au cours du XXe siècle. L’avancée ayant permis d’apporter une réponse scientifique à l’histoire de l’Univers est le développement d’une théorie dynamique de l’espace-temps dans laquelle ce dernier devient un acteur qui interagit avec son contenu materiel et évolue. En faisant des hypothèses supplémentaires de symétrie de cet espace temps et en peuplant celui-ci de matière, on obtient un modèle cosmologique. Nous allons présenter ici le modèle cosmologique moderne, que l’on appelle modèle standard ou modèle de concordance, de la cosmologie. Il est, cependant, important de noter que la cosmologie est une discipline scientifique un peu à part. En effet, nous n’observons qu’un unique Univers à partir d’une position unique de l’espace et du temps, qui plus est dans des conditions que nous ne maîtrisons pas. Il est donc difficile de se passer, en cosmologie, d’hypothèses invérifiables.
La relativité générale, une théorie de l’espace-temps
L’espace et le temps en mécanique newtonienne
Dans ses Principia Mathematica [1], Isaac Newton fut le premier à mathématiser l’espace et le temps. L’objectif était simplement de décrire le mouvement des points matériels. L’espace y est décrit mathématiquement comme un espace euclidien à trois dimensions. On peut construire un repère absolu à l’aide d’un point d’origine et de trois axes de référence. Le temps est lui aussi absolu, il est le même pour tout observateur et joue le rôle d’un paramètre externe. Ainsi, le caractère absolu du temps entraîne l’existence d’une notion de simultanéité. Pour deux évènements distincts, s’il est possible de voyager du premier au second, alors le premier est dans le passé du second (et inversement). Si c’est impossible, alors les deux évènements sont simultanés.
L’espace-temps de la relativité restreinte
Cependant, les lois de l’électromagnétisme de Maxwell ne sont pas invariantes lors d’une transformation du groupe de Galilée. Par exemple, une charge au repos dans un référentiel ne crée pas de force magnétique, mais en produit une dans un référentiel en mouvement inertiel par rapport au premier. De plus, les lois de Maxwell prédisent une vitesse de la lumière dans le vide indépendante du référentiel, ce que les interprétations des expériences de Michelson et Morley [3] ont confirmé. Ainsi, puisque la vitesse de la lumière dans le vide est la même dans tous les référentiels, les lois de la physique ne peuvent pas être invariantes selon les transformations du groupe de Galilée.
La force de gravitation apparaît similaire aux forces fictives que l’on introduit en mécanique newtonienne dans les référentiels accélérés telles que la force d’inertie et la force de Coriolis, puisque l’on peut s’en affranchir pourvu que l’on se place dans un référentiel en chute libre. Ce n’est possible que si le principe d’équivalence est vérifié, auquel cas on peut toujours trouver (localement) un référentiel dans lequel il n’y a pas de force de gravitation. Cependant, dans un espace-temps plat, il n’est possible d’annuler la gravitation que pour un seul corps, ce qui est en contradiction avec l’universalité de la chute libre qui découle du principe d’équivalence. Cette incohérence peut se résoudre en considérant un espace temps courbe, où la gravitation a disparu localement pour tous les corps. Tout référentiel, inertiel ou non, est alors équivalent, ce qui réconcilie la gravitation et la relativité restreinte dans un principe de relativité plus général. La gravitation s’y interprète comme la manifestation de la courbure de l’espace-temps, et le fait que l’on puisse toujours trouver un référentiel dans lequel la gravitation a disparu, c’est à-dire un référentiel localement inertiel, nous invite à utiliser le formalisme de la géométrie pseudo-riemanienne. Dans ce formalisme, on peut associer à l’espace temps un système de coordonnées locales pour décrire la variété de l’espace temps qui est localement minkowskien. Le principe de relativité générale stipule donc que les équations sont invariantes sous un changement général de coordonnées.
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Table des matières
Introduction
1 Les modèles standards
1.1 Le modèle standard de la cosmologie
1.1.1 La relativité générale, une théorie de l’espace-temps
1.1.2 L’Univers homogène et isotrope
1.1.3 Le modèle de concordance
1.2 Le modèle standard de la physique des particules
1.2.1 Un soupçon de théorie quantique des champs
1.2.2 Les théories de jauge
1.2.3 Le mécanisme de Brout-Englert-Higgs
1.2.4 Le modèle et ses limites
Bibliographie
2 Perturbations cosmologiques
2.1 La théorie des perturbations en cosmologie
2.1.1 Perturbations de la métrique
2.1.2 Le problème de la jauge
2.1.3 Perturbations du tenseur énergie-impulsion
2.1.4 Équations d’évolution perturbées
2.1.5 Le choix de la jauge
2.2 Le fond diffus cosmologique
2.2.1 La formule de Sachs-Wolfe
2.2.2 Interaction entre baryons et photons
2.2.3 Le spectre de puissance angulaire des anisotropies
2.2.4 Approche cinétique
Bibliographie
3 Le modèle du galileon
3.1 Vers un modèle de l’énergie noire
3.1.1 La constante cosmologique
3.1.2 À la recherche d’une autre approche
3.2 Principe de construction du modèle du galileon
3.2.1 Développement du modèle du galileon
3.2.2 L’effet Vainshtein
3.2.3 Le galileon comme limite d’autres modèles
3.3 Un Univers galileon homogène
3.3.1 Équations dans la métrique FLRW
3.3.2 Évolution de l’Univers
3.4 Les perturbations du galileon
3.4.1 Équations perturbées
3.4.2 Évolution des perturbations
3.4.3 Les spectres de puissance
3.4.4 Contraintes théoriques
Bibliographie
4 Contraintes expérimentales sur le modèle du galileon
4.1 Données utilisées
4.1.1 Supernovae de type Ia
4.1.2 Oscillations acoustiques de baryons
4.1.3 Fond diffus cosmologique
4.1.4 Observation de la fusion d’un système binaire d’étoiles à neutrons
4.2 Exploration de l’espace des paramètres
4.2.1 Méthode de Monte-Carlo par chaînes de Markov
4.2.2 Contraintes cosmologiques sur les paramètres des modèles de base
4.2.3 Extensions des modèles de base
4.2.4 Contraintes sur la vitesse des ondes gravitationnelles
4.3 Discussion
4.3.1 Tensions entre les différentes sondes
4.3.2 Les solutions trackers
4.3.3 Le statut du galileon
Bibliographie
5 Le modèle du branon
Conclusion