En santé, la question de la sécurité du patient est une priorité depuis l’antiquité grecque, que l’on retrouve dans les textes d’Hippocrate avec le principe, traduit en latin, qui lui serait attribué : « primum non nocere » (« d’abord, ne pas nuire »). Cette sécurité est toujours un sujet d’actualité avec les concepts plus récents de soins de faible valeur (« low value of care ») qui représentent près de 30% des soins portés à la population. Des initiatives sont portées dans de nombreux pays pour limiter de tels soins inutiles, notamment par l’organisation « Choosing Wisely » (Verkerk et al. 2018). Ceci est à coupler avec l’augmentation de la durée de vie des patients, le nombre grandissant de pathologies, augmentant aussi le risque de prescriptions inadaptées. Afin de pallier à cette augmentation du risque de « mauvaises » prescriptions, plusieurs moyens ont été mis en place pour détecter, évaluer, comprendre et prévenir les effets indésirables. Les grandes agences de santé en ont fait aussi une de leur priorité, avec une volonté particulière de diminuer le nombre d’effets indésirables médicamenteux grâce à la mise en place de stratégies de prévention.
Les personnes âgées, qui consomment le plus de médicaments et qui ont un large panel de comorbidités, sont donc un enjeu clé pour la société et les professionnels de santé au regard de cette sécurité des prescriptions.
Les personnes âgées
Définition
La personne âgée est définie par l’OMS comme une personne ayant plus de 60 ans (OMS). Cette valeur peut varier en fonction des pays et des époques. L’augmentation de l’espérance de vie, les progrès médicaux et le mode de vie des personnes font que le seuil de 65 ans ne semble, aujourd’hui, plus adapté (HAS 2015). En Europe, et plus précisément en France, une personne est âgée lorsqu’elle a 75 ans ou plus, seuil d’âge qui sera utilisé dans nos études. L’âge n’est qu’un indicateur pour qualifier une personne comme âgée. Il existe différents sousgroupes de personnes âgées en fonction de leur autonomie, de leur vie sociale, de leur état de santé et de leurs activités de la vie quotidienne (HAS 2015). Au-delà de 85 ans, on nommera cette catégorie de « grand âge » car le risque de perte d’autonomie s’accroit fortement. L’état de santé d’une personne âgée est la résultante des effets du vieillissement et des effets des maladies passées (séquelles) ou actuelles, chronique(s) ou aiguë(s) (source de décompensation). Ainsi, le vieillissement est très hétérogène chez les personnes d’une même classe d’âge.
Epidémiologie
Le vieillissement de la population française s’accentue depuis quelques années. En France, au 1er janvier 2018, les personnes de plus de 65 ans représentaient 19,6% de la population contre 18,8% en 2016 (INSEE 2018). La hausse est la même pour les personnes âgées de 75 ans ou plus qui représentent aujourd’hui près d’une personne sur dix. Cette croissance s’accentuera dans les années à venir (Figure 1).
Selon les projections de la population, l’augmentation de la population âgée de 65 ans ou plus est portée par l’augmentation des patients de 75 ans et plus, qui représenteront, en 2040, environ 15% de la population. Cette augmentation est inévitable et correspond à l’arrivée de toutes les générations issues du baby-boom, c’est-à-dire à la période post-guerre de 1945 à 1975 (Figure 2). D’ici 2070, cette population représentera environ 18% de la population totale.
La poly-pathologie
Définition
L’OMS propose la définition suivante des maladies chroniques : « des problèmes de santé qui nécessitent des soins sur le long terme (pendant un certain nombre d’années ou de décennies) et qui comprennent par exemple : le diabète, les maladies cardio-vasculaires, l’asthme, la broncho-pneumopathie chronique obstructive, le cancer, le VIH, la dépression et les incapacités physiques. Il existe de multiples autres affections chroniques mais leur point commun est qu’elles retentissent systématiquement sur les dimensions sociales, psychologiques et économiques de la vie du malade » (Pruitt 2005). L’accumulation de maladies chroniques induit une poly-pathologie, dont la définition exacte est débattue. En pratique et dans la littérature, la poly-pathologie est le plus souvent définie comme la présence d’au moins deux maladies chroniques chez un patient (Marengoni et al. 2011; Fortin et al. 2012; Le Cossec et al. 2016). Le terme « poly pathologie » est donc employé lorsqu’un patient est atteint de plusieurs affections chroniques nécessitant des soins continus pour une durée supérieure à 6 mois.
Epidémiologie
D’après un document du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM), la poly-pathologie chez les personnes âgées (ayant 3 pathologies ou plus), concerne en 2010, environ 45% des sujets âgés de 75 ans ou plus (HCAAM 2015).
Dans la revue systématique de Fortin et al., le seuil retenu du nombre de pathologies pour parler de poly-pathologie oscille entre 2 et 3 (Fortin et al. 2012).
Problème soulevé par la poly-pathologie
Le problème de la poly-pathologie est plus complexe chez la personne âgée que chez le sujet jeune. En effet, différents facteurs sont à prendre en compte (HAS 2015) :
– Inhérents à la personne âgée : diminution de la réserve fonctionnelle des organes (rein, cœur, poumon…) et risque de décompensation de ces organes
– Inhérents à la prise en charge de la personne âgée :
o La prise en charge doit être globale : état psychologique, facteurs sociaux, dépendance
o La poly-pathologie ne peut pas se réduire simplement à une addition de monopathologie
o La présentation clinique des pathologies est différente
o Le nombre de maladies concomitantes est plus élevé (pathologies spécifiques, fréquence ou gravité augmentées)
o La poly-médication est fréquente
o Le nombre d’intervenants est plus élevé : il est important d’assurer une correcte continuité des soins .
La poly-pathologie est associée à une augmentation de la mortalité, une diminution de la capacité fonctionnelle, à la fragilité du patient, à une augmentation synergique des soins et à une baisse de la qualité de vie (Barnett et al. 2012; Gnjidic et al. 2012). La poly-pathologie est donc au cœur du sujet et est de plus en plus intégrée dans les recommandations, telles que les recommandations NICE. Il y a une volonté de dédier des fonds à ce problème pour avoir une prise en charge plus tournée vers le patient, avec des soins centrés sur le patient, le développement du parcours de soins, les processus de décision partagée. Chez les personnes âgées, la prise en charge sera surtout orientée sur la poly-médication, l’adhérence au traitement et les multiples comorbidités.
La poly-médication
Définition
La poly-médication est définie comme un nombre de médicaments, pris régulièrement, supérieur ou égal à 5 (Gnjidic et al. 2012; Morin et al. 2018). Cependant la poly-médication n’est pas forcément un problème. Le nombre de maladies (chroniques ou aiguës) peut parfois expliquer le nombre élevé et nécessaire de médicaments, sans pour autant que ce nombre soit excessif et inapproprié.
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Table des matières
Chapitre I Introduction
1. Contexte
1.1 Les personnes âgées
1.2 La poly-pathologie
1.3 La poly-médication
2. Iatrogénie médicamenteuse
2.1 Définition
2.2 Erreurs médicamenteuses (medication errors)
2.3 Problème lié aux médicaments (drug related problem)
2.4 Evènement indésirable lié aux médicaments (adverse drug event)
2.5 Effets indésirables médicamenteux (adverse drug reaction)
3. Prévention des effets indésirables des médicaments
3.1 Méthodes de prévention
3.2 Les prescriptions inappropriées
3.3 Systèmes Informatisés d’Aide à la Décision (SIAD)
4. Objectifs
Chapitre II Stratégie de prévention des hyperkaliémies hospitalières secondaires à des médicaments chez les personnes âgées
1. Contexte et motivation de l’étude
2. Article publié sur les hyperkaliémies
2.1 Introduction
2.2 Méthodes
2.3 Résultats
2.4 Discussion
2.5 Conclusion
3. Mise en perspective des résultats
Chapitre III Stratégies de prévention des insuffisances rénales aiguës communautaires secondaires à des médicaments chez les personnes âgées
1. Contexte et motivations de l’étude
2. Article sur l’IRA communautaire
2.1 Introduction
2.2 Méthodes
2.3 Résultats
2.4 Discussion
2.5 Conclusion
3. Mise en perspective des résultats
Chapitre IV Analyse et descriptions des prescriptions transitoirement inappropriées
1. Contexte et motivations de l’étude
2. Article sur l’identification de profils à risque
2.1 Introduction
2.2 Méthodologie
2.3 Résultats
2.4 Discussion
2.5 Conclusion
3. Mise en perspective des résultats
Chapitre V : Synthèse
1. Points forts et apports de ce travail
2. Limites de l’étude
3. Perspectives
Conclusion
Références
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