Contexte culturel le culte funéraire et la vie dans l’Au-delà

Visibilité de la collection

Exposition permanente

Un certain nombre des stèles de notre corpus sont exposées de manière permanente dans les salles du Louvre. Elles sont incluses dans le circuit thématique du rez-de-chaussée et le circuit chronologique de l’étage selon des modalités diverses :
Deux stèles de donations (C 261 et C 298) sont exposées au rez-de-chaussée, salle 4 (vitrine 8), en tant qu’illustrations du monde agricole. Elles se trouvent dans une galerie latérale relativement étroite, qui est toutefois un passage très emprunté à cause de l’aménagement des salles : la plupart des visiteurs qui traversent le Département y passe – mais l’affluence gêne également pour s’y attarder ou même prendre le temps d’observer les stèles. Leurs cartels comportent une explication iconographique et quelques mots sur l’opération foncière concernée.
La stèle du harpiste Djedkhonsouioufânkh (N 3657) est quant à elle exposée dans la salle de la musique et des divertissements. Elle se trouve salle 10 (vitrine 5), au fond d’une alcôve qui s’ouvre derrière la vitrine des instruments de musique. C’est une position stratégique ; il s’agit également d’un passage très emprunté par les visiteurs, et le renfoncement du mur permet au public de pouvoir l’apprécier dans un calme relatif. Avec la stèle de Tapéret (E 52), il s’agit de la stèle la plus largement reproduite à travers les guides et les ouvrages de vulgarisation.
Deux stèles funéraires en bois (N 4024 et N 3387) sont présentées dans les escaliers qui remontent de la crypte (salle 13, vitrine 11), avec deux autres stèles de l’époque ptolémaïque. Cette position n’est pas anodine : la crypte est la première salle de la section funéraire au sein du parcours thématique, et évoque inévitablement un caveau. Cette salle souterraine s’organise en effet autour du sarcophage monumental de Ramsès III et expose des objets qui illustrent le mobilier funéraire d’une tombe égyptienne. La position de ces stèles funéraires, à mi-parcours de l’escalier qui permet de quitter la crypte, est particulièrement opportune, puisque l’emplacement original de ces stèles fait encore débat et que l’on ignore si elles étaient déposées dans le caveau, dans l’infrastructure ou, en surface, dans la chapelle de la tombe. Les cartels de ces stèles portent la traduction complète de la stèle N 4024 et l’identification des personnages qui apparaissent sur la stèle N 3387.
Enfin, la majorité des stèles de notre corpus exposées se trouve dans la salle 29 (« De l’an mille à la première domination perse, vers 1069 – 404 avant J.-C. »), regroupées au coin sud-est, en deux vitrines murales et une vitrine isolée pour la stèle de Tapéret (E 52). S’il est possible de tourner autour de cette dernière et que son cartel permet d’identifier les différentes figures qui y apparaissent, les autres ne sont accompagnées que d’un cartel limité aux informations habituelles (désignation, provenance, datation, matériau et numéro d’inventaire). Toutes ces stèles ne sont par ailleurs exploitées ni par les grands panneaux de contextualisation historique de la salle, ni par les feuillets pédagogiques plastifiés à la disposition des visiteurs (qui portent sur la statuette de Karomama et la ville de Tanis).
La stèle C 112, quant à elle, est exposée dans la vitrine 7 (« Stèles ») de la salle 30 « Des derniers pharaons égyptiens à Cléopâtre, 404 – 30 avant J.-C ». Son cartel – qui n’indique d’ailleurs pas son
numéro d’inventaire – la date du début de la période ptolémaïque. Aucune autre information n’est
disposée à proximité.
L’utilisation « muséographique » de nos stèles est donc relativement limitée, bien qu’elles soient mises à contribution pour illustrer divers thèmes au cours du parcours du visiteur (agriculture, musique, mobilier funéraire). Une proportion assez faible est exposée (17 stèles au total, soit presque un quart) ; parmi elles, les deux tiers se trouvent dans le parcours historique, accompagnés de très peu d’informations.
En revanche, les informations mises à disposition du visiteur dans le parcours thématique sont relativement riches, même pour des objets aussi méconnus que les stèles de donation.

Stèles en dépôt

Une partie des collections du Département se trouve en dépôt en province ou à l’étranger. Huit stèles de notre corpus se trouvent dans cette situation.36 Elles se trouvent au musée-bibliothèque d’Avranches (E 13097), au musée des Beaux-Arts de Dijon (E 13096 et N 3786), au musée Champollion de Figeac (C 113), au musée du Gâtinais de Montargis (N 3983), au musée départemental Thomas-Dobrée de Nantes (N 2691 et E 13095), au musée des Beaux-Arts de Rennes (E 13091 et E 13092) et au musée national de Varsovie (E 9947).
Nous avons choisi d’inclure les stèles en dépôt à notre corpus ; en effet, bien que leur publication soit à la charge des institutions affectataires37, il nous a semblé qu’il serait bénéfique de les étudier au sein d’un corpus comparable, d’autant plus qu’elles pourraient facilement être oubliées du fait de leur éloignement géographique du reste de la collection.
Malheureusement, nous n’avons pas reçu de réponse du musée de Montargis ; la stèle N 3983 est donc exclue de notre corpus.

Expositions temporaires

Les expositions temporaires sont un autre moyen pour le Département de donner de la visibilité à ses collections. Elles nécessitent des recherches, qui sont autant d’opportunités de mieux connaître la collection, et s’accompagnent fréquemment de publications qui participent aussi à la diffusion des objets.
À partir de ces considérations, on s’attendrait à ce qu’un musée cherche à intégrer dans des expositions temporaires autant d’objets que possible parmi ceux qui ne bénéficient pas d’une exposition permanente. Cet effort, exercé de manière équilibrée pour qu’il profite de manière égale à toute la collection, permettrait à l’ensemble de la collection d’être connu. Ainsi, le but d’une exposition étant de présenter au public des objets et des informations autour d’un thème donné, le Département peut y superposer son propre objectif de faire connaître une partie de sa collection.
La quantité de stèles acquises après 1923 (première externalisation répertoriée) étant minime, nous n’avons pas rajouté l’évolution de la proportion que représentait cette quantité par rapport au nombre de stèles.
Au vu de ces données, on ne peut pourtant pas parler de stratégie équilibrée d’exposition : seules  stèles ont été exposées hors du Louvre, dans le cadre d’une exposition temporaire ou d’un dépôt, c’est-à-dire moins du tiers de notre ensemble, et ce malgré une augmentation du nombre de prêts.
De nombreux paramètres interviennent cependant dans le choix des objets exposés. Premièrement, lorsqu’une exposition est organisée par une autre institution que le Louvre, le commissaire qui formule une demande de prêt n’a pas forcément connaissance de l’ensemble de la collection. Il est donc naturel qu’il demande une oeuvre déjà connue ou publiée, à moins de vouloir illustrer un point précis de son discours par un objet en particulier. On peut toutefois espérer que les négociations menées entre le commissaire externe et le Département (qu’il s’agisse du responsable de la section concernée ou de l’ensemble des conservateurs) équilibre ce biais.
Les spécificités des objets jouent également : les stèles les plus imposantes, en pierre, sont à la fois plus résistantes mais aussi plus difficile à déplacer que les petites stèles de bois, manipulables mais fragiles. Il faut bien avouer également que les objets endommagés ou fragmentaires présentent un intérêt muséographique moindre : n’étant pas forcément lisibles, ils nécessitent pour être compris davantage d’explications, ce qui n’est pas toujours matériellement réalisable. C’est d’ailleurs un cercle vicieux, puisque ce sont parfois les expositions, temporaires ou permanentes, qui justifient les campagnes de restauration des objets.
Il ne faudrait pas généraliser les observations suivantes à l’échelle des collections du Département tout entier sans avoir examiné d’autres échantillons, mais malgré tous les paramètres et les restrictions à garder en tête face aux données que nous avons extraites, quelques remarques peuvent être formulées. Tout d’abord, aucune exposition n’est enregistrée avant 1977 ; cela est peut-être dû à une absence d’enregistrement avant ces années. Pour les cinquante dernières années, hormis la stèle E 9947 déposée à Varsovie, tous les objets exposés à l’étranger l’avaient déjà été en France (aucun prêt de stèle tardive n’est d’ailleurs enregistré pour une exposition à l’étranger avant 2000). Ainsi, les expositions ne servent pas à diffuser l’ensemble de la collection mais concernent un nombre relativement restreint de pièces (peut-être aussi afin de limiter le nombre d’objets exposés au risque d’un déplacement ?).
De la même manière, enfin, les objets exposés de manière permanente représentent la majorité de ceux qui sont choisis pour les expositions temporaires : celles-ci ne sont donc pas utilisées pour équilibrer la connaissance du public mais accentuent les disparités. Cela s’explique aisément, comme nous l’avons vu : les stèles déjà exposées sont à la fois les mieux connues des chercheurs, les plus publiées et les plus « présentables ». Il est donc compréhensible qu’une minorité d’objets concentrent les prêts pour exposition.

Visibilité de la collection

État de publication

Une autre forme de diffusion de la collection est sa publication. Nous avons dressé un récapitulatif des étapes de publication de la collection. La colonne « publication » correspond au premier article, catalogue ou monographie qui donnerait le cartel de la stèle et ses caractéristiques principales et pourrait servir de publication de référence. Pour retrouver les ouvrages en question, cf. les fiches individuelles des annexes.
Les simples mentions n’ont pas fait l’objet d’une recherche exhaustive, qui serait bien délicate. Nous avons toutefois essayé de relever les mentions bibliographiques que nous avions pu repérer ; quand elles sont indiquées, rien ne prouve qu’il s’agisse vraiment de la première. Ce sont toutefois des données qui peuvent être intéressantes en considérant l’ensemble du corpus, afin de se représenter la « fortune bibliographique » de nos stèles et le rythme irrégulier des publications : on s’attendrait à un cursus régulier, qui verrait une stèle, après son entrée au Louvre (ou dans un musée public, quel qu’il soit), peut-être mentionnée au hasard d’un article ou d’une monographie, avant d’être publiée de manière stricte et enfin de recevoir les honneurs d’une reproduction publiée. Ce schéma idéal serait représentatif de l’avancée des recherches sur les collections, chaque étape préparant la suivante.
Notre tableau donne toutefois une image plus contrastée : si la stèle C 298 semble avoir été traitée selon le modèle idéal, tout comme la N 3662, bien qu’à un rythme moins régulier (elle apparaît – brièvement – dès la Notice descriptive de Champollion de 1827, un an après son acquisition par le musée ; il faut pourtant attendre 1979 pour qu’elle soit publiée en bonne et due forme, et 2009 pour qu’une image en soit publiée). Mais les étapes de publications se succèdent en fait à un rythme aléatoire : la stèle E 17227, acquise en 1947, est publiée (avec photographie) l’année suivante.
Voici l’évolution du nombre de stèle du corpus publiée et de la proportion qu’elle représente au fil de son accroissement dans les collections publiques.
Il est notable que toutes les stèles de donation du Département aient fait l’objet d’une publication complète relevant leurs cartel et permettant de les identifier, tandis que les stèles funéraires, plus abordables car plus communes, présentent un « taux de publication » nettement inférieur. Ce constat nous permet toutefois de prendre du recul face à ce genre de généralisation. Un certain nombre de stèles funéraires présentent des formules stéréotypées et peu originales, et sont en outre dans un état qui rend leur lecture délicate ; cela explique qu’une quantité notable (20 %) n’ait pas encore été publiée. À l’inverse, les stèles de donation sont des documents rares et ont bénéficié de la publication (avec relevé et traduction) de Révillout et de l’article de Dimitri Meeks qui les répertorie de manière exhaustive en réunissant pour chacune une bibliographie rétrospective et les principales informations de leur inscription.

La collection à travers les guides du Département

La présence de nos stèles dans les salles d’exposition signifie qu’elle font partie du discours muséographique. Elles sont intégrées à un parcours, et censées apporter des informations aux visiteurs. Il peut s’agir d’un simple répertoire d’image et de formes, dans le cadre d’une sorte d’éducation visuelle. À l’aide de compléments adaptés (guides du visiteur, cartels, etc.) elles peuvent enfin servir de support à la transmission de connaissances spécifiques : historiques, mythologiques, archéologiques, sociales, techniques, scientifiques, etc.
Il est donc possible qu’un examen des publications proposées aux visiteurs depuis l’ouverture du Musée Charles-X par Champollion nous permette de mieux apprécier comment les stèles tardives furent successivement considérées. À quelles informations servaient-elles de support ? Étaient-elles seulement appréhendées comme un ensemble cohérent ? publication d’un véritable corpus détaillé de stèles qui recoupe le nôtre.
Champollion publia dès 1827 une Notice descriptive des monumens (sic) égyptiens du musée Charles X. Le Louvre avait alors déjà obtenu les collection Salt (1826) et Drovetti (1827), qui représentent les deux plus importants lots de stèles tardives acquises simultanément par achat (5 dans chaque collection).
Les stèles funéraires sont d’ailleurs abordées dans le parcours : les stèles N 3795, N 3657, N 3794, N 3662 et N 365945 bénéficient d’une notice dans la section A « Images de divinités égyptiennes » ; les stèles N 3387, N 2693, N 3786, C 118, C 115, C 110 et N 2721 dans la section V « Tableaux funéraires »46 avec des stèles ptolémaïques, tandis que la section X « Stèles funéraires » ne contient que des stèles plus anciennes qui portent des représentations du culte funéraire. Ces notices comportent une description et une explication iconographique (essentiellement l’identification personnages, des divinités et des symboles qui peuvent apparaître sous forme d’idéogrammes – signes du ciel, sceptres, …). Il n’y est pas question de datation (l’égyptologie en est encore à ses débuts).
Successeur de Champollion à la tête du Département, le vicomte de Rougé publia une Notice des monuments exposés dans la galerie d’antiquités égyptiennes (salles du rez-de-chaussée) au musée du Louvre ainsi qu’une Notice sommaire des monuments égyptiens exposés dans les galeries du musée du Louvre, toutes deux tirées à de nombreuses reprises pendant trente ans. La Notice est la première à employer les numéros en C, correspondant à sa section « Stèles et inscriptions », organisée de manière chronologique après un commentaire sur les stèles égyptiennes. Sont présentées les stèles C 92 à C 124, dans une division à la définition large qui exprime bien les difficultés à dater ces objets : « stèles de la XIXe dynastie aux Ptolémées ». Les commentaires expliquent l’iconographie en précisant le nom des personnages et des divinités. La Notice sommaire, qui porte bien son nom, est quant à elle organisée par salle, et ne contient qu’un choix limité de notices détaillées. Quelques stèles (hors de notre période) sont évoquées lors du commentaire de la « Salle des grands monuments » (actuelle salle du temple)51 ; mais au fil de la description des salles du musée Charles X, les vitrines sont décrites globalement, sans que soit précisé numéro d’inventaire ou iconographie précise. Nous ne pouvons donc pas y retrouver nos objets. En revanche, il est à noter que si la classification des objets par typologie et par datation (seule méthode pour isoler notre corpus et en trouver un commentaire global) est mise en oeuvre dans la Notice, la Notice sommaire suit les principes de muséographie adoptés par le musée, dont les salles sont organisées de manière thématiques. Il est d’ailleurs révélateur que dans un texte commentant la réorganisation des salles, Rougé n’utilise pas une seule fois le mot « stèle » (même en évoquant les objets reçus des fouilles de Mariette au Sérapéum : il mentionne simplement des « inscriptions »).
Bien plus tard, dans les années 30, Charles Boreux publia un guide des salles en deux volumes. Le premier mentionne, sans le moindre détail, une stèle de l’an I de Psammétique et une autre de l’an I d’Amasis ; le second, en revanche, donne la description, dans la « salle funéraire », de trois stèles « d’époque thébaine », soit la Troisième Période intermédiaire (N 3657, N 3662 et N 4024)56 et, sur un autre rayon, deux « d’époques présaïtes et saïtes » (N 3787 et N 3659).57 Nos stèles servent donc ici à illustrer le mobilier funéraire. Leur utilisation est thématique58, et se double d’un classement chronologique.

Composition et représentativité

Positionner la collection du Louvre par rapport à celles des autres grands musées égyptologiques nous permettra d’en mieux apprécier la portée informative. Les éléments de comparaison manquent cependant. Les collections du musée égyptien du Caire ne sont malheureusement pas accessibles par internet et leur publication, débutée au début du XXe siècle, n’est que très partielle ; de la même manière, la plupart des musées de quelque importance ne publie qu’une sélection de leurs collections, ce qui fausserait notre relevé. Le British Museum, en revanche, a publié en ligne une base de donnée exhaustivede ses collections.
Cette comparaison permet d’évaluer l’importance relative des collections de stèles tardives (selon les restrictions, discutables, que nous avons défini dans notre introduction) de deux musées majeurs de l’égyptologie, bénéficiant de moyens considérables et s’étant positionnés (de manière concurrente, évidemment) comme institutions motrices de cette jeune science dès le début du XIXe siècle. Nous joignons également les quantités relevées par les corpus de référence, c’est-à-dire la publication de Munro sur les stèles funéraires et les articles de Meeks sur les stèles de donation.
Cette comparaison superficielle permet au moins de prendre la mesure de l’importance des collections du Louvre et de Londres. Leurs deux collections réunies représenteraient l’équivalent du quart des stèles funéraires publiées par Munro et presque un dixième des stèles de donation de Meeks. Il ne faut donc pas minimiser leur représentativité sur l’ensemble de la documentation parvenue jusqu’à nous. En l’absence de recherche approfondie pour sonder les intentions des responsables, il semble probable que les différences de composition des collections entre les deux institutions sont sans doute liées aux aléas du marché et des affectations de crédit.
Ces données permettent de vérifier que la disproportion quantitative entre les stèles funéraires et les stèles de donation est principalement causée par un moins grand nombre de stèles de donation connues.
Dans ces deux typologies, la collection seule du Louvre représente une quantité conséquente, 10 % des stèles funéraires et 7 % des stèles de donation (compte tenu de la dispersion de la plupart des stèles de donation dans de nombreuses collections privées, il est probable que la collection du Louvre soit la deuxième au monde après celle du Caire, et la seule exploitable actuellement).

Définition et usage

Contexte culturel : le culte funéraire et la vie dans l’Au-delà

La réversion d’offrande

La religion égyptienne n’a pas de dogme ni de canon ; elle fonctionne sur un ensemble de rites essentiellement destinés à maintenir l’intéressement réciproque des dieux et des mortels. En effet, l’acte crucial du culte divin est de présenter des victuailles au dieu. La nourriture, ainsi que les libations et l’encens sont censés alimenter les dieux (plus précisément leurs kaou) et s’assurer de leur soutien. De la même manière, un mort doit être « entretenu » par un culte qui assure sa survie au moyens d’offrandes alimentaires, de libations et de fumigations d’encens.

Importance de l’image

La culture égyptienne accorde un statut particulièrement important à l’image (hiéroglyphes compris), que l’on peut qualifier de performative : une image fait advenir à l’existence ce qu’elle représente.
Cela explique toutes les précautions prises vis à vis des images potentiellement dangereuses, représentant des opposants d’ordres divers (ennemis, étrangers, animaux féroces, démons, …).
Chaque élément représenté sur une stèle, en image comme en hiéroglyphes (ce qui revient au même), est ainsi évoqué, voire invoqué, pour participer à l’alimentation et à la commémoration du défunt.
Face à un tel enjeu, peu de place est laissée au hasard et le moindre élément est susceptible de revêtir une importance considérable.

Définition du groupe

Nous avons défini cette typologie par l’absence de toute indication chronologique ou géographique
doublée de la présence simultanée d’une image mettant en relation un particulier et (au moins) une divinité et un texte établissant un lien entre ce particulier et (au moins) une divinité. Ce texte peut être une formule d’offrande demandant au dieu d’invoquer tels bienfaits pour le défunt, ou un hymne adressé par le défunt au dieu.
Soulignons toutefois que si cette typologie forme un groupe assez caractéristique pour être distingué au premier coup d’oeil et que plusieurs catégories stylistiques ont été dégagées (cf. infra), il existe une grande diversité de structures, d’iconographies et de variations de l’inscription. Il peut arriver que des divinités différentes soient invoquées dans l’image et la formule, ou au contraire qu’elles correspondent rigoureusement. De même pour le texte et les détails iconographiques, que nous aborderons de manière plus détaillée plus bas.
Si ces stèles font partie des objets les plus communs qui peuvent se rencontrer dans les musées égyptologiques à travers le monde, peu de publication les ont envisagées de manière extensive avant la somme de Peter Munro Die spätägyptischen Totenstelen73, augmentée douze ans plus tard par d’autres chercheurs d’un volume d’addenda74. Citons également (avec des bornes chronologiques et des optiques diverses) les travaux de David Aston75 et Heidi Saleh76. Camille De Visscher a récemment soutenu une thèse de doctorat sur le sujet77 ; elle projette de la publier prochainement et de rendre disponible sur Internet une base de données de plus de 2000 stèles.

Les typologies de Munro

Peter Munro a élaboré un certain nombre de typologies formelles caractérisées par un lieu et un numéro. Il s’est appuyé pour cela sur des généalogies qu’il était possible de reconstituer à l’aide de plusieurs stèles d’une même famille, complétées d’autres pièces par affinité stylistique, afin d’établir une chronologie relative de différents types.
Les critères de Munro sont donc essentiellement formels, et il n’a pas eu recours aux textes (qui sont relativement uniformes) ni a fortiori à la paléographie. Il aboutit ainsi à une image cohérente et complexe de l’évolution stylistique des stèles funéraires issues de plusieurs foyers de production contemporains. Ces typologies, par la quantité de documents qu’elles embrassent, sont une base précieuse pour catégoriser nos stèles, même si elles ne s’accompagnent pas d’une grille d’analyse qui permettrait, à partir de paramètres précis, d’attribuer directement une stèle à une catégorie ou à une autre. De nombreuses caractéristiques sont communes à plusieurs catégories, et aucune n’est systématique (ce qui n’a rien d’étonnant : il ne s’agit pas d’une production en série ni standardisée, tout au plus peut-on rechercher des habitudes récurrentes). Les rapprochements restent donc hypothétiques et dépendent largement des références accessibles…
Les attributions de Munro ont parfois été rectifiées dans certains détails, mais leur principe reste valable et n’a pas été critiqué. Il s’agit en effet, plutôt que d’un cadre typologique rigide, d’un répertoire de référence qui enregistre et centralise généalogies et affinités stylistiques pour aboutir à des groupes cohérents et situés chronologiquement les uns par rapport aux autres. Il est toutefois nécessaire d’être beaucoup plus prudent face à toute tentative de datation absolue, et de garder en tête que les attributions proposées n’ont de valeur que par rapport aux points de comparaison exploités.
En outre, d’autres typologies ont été élaborées. Ainsi, à partir des stèles appartenant à des individus dont il était possible de dater la tombe, David Aston a proposé de situer les stèles thébaines selon le modèle suivant :

Le cadre formel

Chaque élément de la stèle est susceptible de présenter, dans un cadre relativement conventionnel, des variations plus ou moins significatives. Nous allons donc examiner ces paramètres les uns après les autres.

Dimensions, formes et matériaux

Les stèles funéraires sont de dimensions modestes par rapport aux stèles officielles. Pour une écrasante majorité, elles mesurent entre 20 cm et 60 cm de haut pour une vingtaine de centimètres de large et quelques centimètres d’épaisseur.
Comme au cours de toute l’histoire égyptienne, ces stèles sont de forme cintrées : un rectangle plus haut que large (la plupart du temps en tout cas, spécialement quand l’inscription est d’une certaine longueur), dont l’arête supérieure est arrondie. Aucune évolution générale des proportions ne se dégage néanmoins : au début de la Troisième Période intermédiaire comme à l’époque saïte coexistent des stèles plus larges que hautes87 et plus hautes que larges88 ; de même pour l’arrondi du cintre, tantôt très aplati89 et tantôt circulaire90. Ces variations ne correspondent pas non plus aux lieux de production des stèles. Cette diversité de format fait écho à la variété iconographique et épigraphique : le support s’adapte assez librement selon que la scène d’offrande est plus ou moins développée et multiplie ou non les divinités, et selon que la formule d’offrande ou l’hymne est prolixe ou laconique.
L’usage du bois, stuqué et peint, est propre à Thèbes (mais non systématique)91 ; toutes les autres stèles sont en pierre. À l’exception d’une stèle en basalte (C 113), les autres sont présumées en calcaire.
Tout le décor se concentre sur une face de la stèle ; la stèle E 52 a la particularité d’être décorée sur deux faces et sur la tranche. Il n’est pas exclu que ce soit le cas de plusieurs autres stèles de bois, aujourd’hui conditionnées dans des vitrines en plexiglas dont nous n’avons pas pu les sortir (c’est toutefois douteux ; un tel montage, qui empêche d’observer une face de la stèle, serait peu judicieux pour des objets décorés des deux côtés).

Structure

La manière dont la stèle est structurée en différentes parties dévolues, l’une à l’inscription principale, l’autre à la scène d’offrande, parfois une troisième réservée en partie supérieure, est l’une des évolutions les plus visibles des stèles funéraires au cours du temps. En effet, au début de la Troisième Période intermédiaire, la scène d’offrande et l’inscription sont intégrées au même champ ; le texte figure en colonnes de taille variable au-dessus des personnages, comme c’est le cas pour les célèbres stèles de Tapéret (E 52) et de Djedkhonsouioufânkh (N 3657). Sur les stèles plus récentes, en revanche, la surface peut être très strictement divisée en deux parties ou plus par des frises égyptiennes qui encadrent la formule principale et la zone figurative ; elles isolent parfois aussi le cintre de la scène d’offrande. Cette division peut même être encore accentuée par l’ajout de registres intermédiaires de motifs de khékérou et de signes du ciel qui s’additionnent au-dessus du cintre et de la scène d’offrande.

Iconographie

Scène d’offrande

La plupart des stèles funéraires comportent une scène d’offrande dans laquelle le défunt est placé devant une divinité, derrière un certain nombre d’offrandes. De manière presque systématique, la figure divine se trouve dans le sens naturel de lecture des hiéroglyphes et des images, c’est-à-dire le regard tourné vers la gauche de la stèle : c’est par rapport à elle que se développe la scène.
Deux divinités sont représentées très fréquemment, Rê-Horakhty et Osiris. Chacun évoque le sort du défunt : Rê-Horakhty est le soleil qui meurt et renaît chaque jour, tandis qu’Osiris a été magiquement ressuscité par Isis après sa mort et règne sur l’au-delà. Comme certaines iconographies que nous aborderons bientôt le montrent explicitement, tous deux peuvent être considérés comme une même entité. Rê est caractérisé par sa tête de faucon et le disque solaire qui le couronne. Il peut apparaître simultanément sous la double forme de Rê-Horakhty (à tête de faucon, représentant le soleil dans sa course diurne) et Atoum (anthropomorphe, représentant le soleil couchant et nocturne)99. La stèle E 18924 figure à la fois Atoum et Rê-Horakhty, ce dernier sous la forme originale d’un babouin.
Osiris, quant à lui, est représenté comme un roi mort enveloppé dans son linceul, coiffé le plus souvent de la couronne atef . Il est fréquemment accompagné par les personnages qui lui sont liés : sa soeur et épouse Isis qui a permis sa résurrection, ainsi parfois que son fils Horus, plus fréquemment les fils de celui-ci, protecteurs des viscères du mort ; apparaissent aussi son autre soeur Nephthys et le dieu Anubis qui l’a embaumé. Toutes ces divinités sont liées à Osiris, la plupart étant ses parents, intervenant dans le mythe osirien ou associées à la préservation des corps (Isis et Nephthys sont fréquemment représentés à la tête et aux pieds des cercueils et les fils d’Horus sur les vases canopes). Aucune périodisation ne se dégage face à un relevé des différentes associations de divinités (présence d’Isis, de Nephthys, des fils d’Horus, couple seul, triade osirienne, etc.), si ce n’est que les fils d’Horus apparaissent à partir de la fin de la XXVe dynastie, plutôt, semble-t-il, seuls avec Osiris, et associés à Osiris et Isis ensemble à partir du VIe siècle.

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Table des matières

Introduction
1. Les stèles égyptiennes
2. La « période tardive »
3. Notre corpus
A. Critères de sélection
B. Liste définitive des stèles traitées
C. Précisions sur l’utilisation des numéros d’inventaires
4. Axes de travail
I. La collection du Louvre
1. Constitution de la collection
2. Visibilité de la collection
A. Exposition permanente
B. Stèles en dépôt
C. Expositions temporaires
D. Visibilité de la collection
a) État de publication
b) La collection à travers les guides du Département
3. Composition et représentativité
II. Les stèles funéraires
1. Définition et usage
A. Contexte culturel : le culte funéraire et la vie dans l’Au-delà
a) La réversion d’offrande
b) Importance de l’image
B. Définition du groupe
C. Les typologies de Munro
2. Le cadre formel
A. Dimensions, formes et matériaux
B. Structure
C. Iconographie
a) Scène d’offrande
b) Autres scènes
D. La formule d’offrande
E. Autres textes
3. Comment se présente un Égyptien du Ier millénaire ?
A. En image
a) Attitudes, vêtements et attributs
b) Parenté
C. Inscription
a) Noms
b) Titres et épithètes
c) Généalogie
III. Les stèles de donation
1. Une typologie particulière
A. Définition
B. Répartition chronologique et géographique
C. Fonctions
D. Représentativité du corpus
E. Méconnaissance du contexte d’exécution
2. Les stèles du Louvre
A. Traductions commentées
a) C 261 (22.2.0)
b) E 20905 (22.8.18)
c) E 10571 (25.4.2)
d) C 297 (26.1.18)
e) E 22036 (26.2.1a)
f ) E 26833 (26.2.1b)
g) [ED0055] (26.4.14)
h) E 10573 (26.5.00)
i) C 298 (26.5.1d)
B. Synthèse
3. La dimension économique
A. L’économie du temple
a) Le système de redistribution
b) La gestion des terres du temple
B. Le produit des terres
a) Destination de la terre : offrande, subsistance et « donations de lampe »
b) Caractéristiques des parcelles
C. Origine et motivation des donations
a) Le donateur
b) Donations privées
c) Donations royales
4. Le cadre juridique
A. Nature des droits cédés sur la parcelle
B. Les acteurs de l’opération : le cintre
a) La source de l’autorité
b) La question de l’intermédiaire
C. Quelles modalités d’exploitation ?
Conclusion
Bibliographie générale
Ressources en ligne
1. Collections
2. Dictionnaires
Chronologie
Index : citation des stèles du corpus
Abréviations et conventions
1. Abréviations employées
2. Conventions de translittération, de transcription et de traduction
A. Translittération
B. Choix de traduction
Table des matières

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