Construire la politique foncière en Provence-Alpes-Côte d’Azur (1974-2014)

Travailler sur une politique foncière, c’est partir d’un paradoxe apparent, celui d’une compétence foncière introuvable dans un contexte d’institutionnalisation accrue. Ce paradoxe constitue cependant la politique foncière en terrain d’analyse fécond pour appréhender les processus d’institutionnalisation d’une action publique territoriale au-delà des compétences décentralisées.

De fait, si jusqu’au milieu des années 1970, l’Etat intervenait localement à travers des politiques de maîtrise foncière pour l’aménagement de zones d’urbanisation ou la réalisation de grands équipements civils ou militaires, à partir des années 1980, les politiques foncières se localisent . Cette situation est principalement le résultat de la décentralisation des politiques d’urbanisme et d’habitat au niveau municipal, remontée partiellement ensuite au niveau intercommunal. Souvent confondue avec l’urbanisme, la compétence apparaît aujourd’hui liée au bloc communal où se concentre l’essentiel des professionnels des politiques foncières. Ce monopole semble à peine contredit par l’existence de services fonciers départementaux spécialisés dans la gestion du patrimoine départemental, la protection des terres agricoles, ou bien la préservation des espaces naturels sensibles.

Dans ce panorama institutionnel, la Région semble donc briller par son absence. S’intéresser à une politique foncière régionale peut dès lors sembler étonnant. C’est pourtant le parti pris de cette thèse qui s’intéresse aux modalités d’institutionnalisation d’une politique foncière régionale volontariste en Provence-Alpes-Côte d’Azur au-delà du bloc de compétences transférées à la Région en 1983. De fait, la trajectoire de cette catégorie d’action régionale s’inscrit dans une histoire plus ancienne que celle des lois de décentralisation portées par Gaston Defferre. Elle s’ancre dans l’héritage d’une régionalisation des politiques d’aménagement du territoire visant à promouvoir « l’expansion économique et sociale » par la création de « régions de programmes » (décret-loi du 30 juin 1955). Ce « régionalisme fonctionnel » est le creuset d’un nouveau modèle d’administration du foncier expérimenté en région parisienne et promu en Provence-Alpes-Côte d’Azur par des réformateurs du Ministère de l’Equipement. C’est dans ce contexte que se cristallise en 1974 la formation d’une politique foncière régionale alternative sous l’impulsion d’une équipe de jeunes techniciens de l’Etablissement Public Régional. Le problème foncier se trouve ainsi inscrit dès l’origine à l’agenda du Conseil régional et de ses relations avec l’Etat.

Comment étudier une politique foncière régionale ? 

En faisant de l’institutionnalisation d’un domaine d’action régional notre objet de recherche, nous nous inscrivons de facto dans l’analyse d’une politique sectorielle au prisme des théories de la régionalisation et de l’institutionnalisme historique. On présentera ainsi succinctement les travaux réalisés en sciences sociales sur le foncier (1) avant d’aborder les grilles d’analyse mobilisées pour conceptualiser la régionalisation (2) et enfin, les sources d’inspiration que nous sommes allés chercher parmi les travaux de la sociologie des institutions pour appréhender plus finement la trajectoire institutionnelle de cette politique (3).

Le foncier, un domaine d’action peu investigué par la science politique

Objets de nombreux ouvrages en sciences sociales, produits à l’origine essentiellement par des économistes, le foncier et ses institutions n’ont pas été au cœur des travaux des politistes qui les ont abordés essentiellement au travers du prisme des politiques urbaines.

Le foncier, un objet économique ?

Bien qu’il s’agisse aujourd’hui d’un objet relativement délaissé par les économistes, leurs travaux ont structuré le champ de la recherche en sciences sociales sur le foncier. En effet, comme le rappelle l’état des lieux de la recherche sur le foncier réalisé par Clotilde Buhot , la recherche sur le foncier peut être catégorisée autour de trois principaux champs de recherche fondamentaux souvent à la croisée de l’économie, du droit et des géographes: la rente foncière, la fiscalité foncière et la propriété foncière. Selon l’économiste Jean-Louis Guigou auteur d’un ouvrage de référence sur le sujet, la Science Economique moderne « est née et a forgé ses principaux concepts à partir de l’analyse du foncier » en raison de la plus-value générée par le foncier qualifiée de rente foncière : « c’est le revenu du propriétaire foncier, en même temps que le prix payé par le locataire pour avoir le droit d’utiliser les facultés productives du sol » . L’analyse de cette plus-value est au 18e siècle à la base des travaux de l’école physiocratique dominée par François Quesnais qui entreprend en 1757 une des premières descriptions macro-économiques de la richesse faisant de l’exploitation agricole du sol la source exclusive de la productivité. Cette analyse est remise en cause au 19e siècle par les économistes classiques comme David Ricardo et John Stuart Mill qui contestent le bien-fondé d’un « enrichissement qui tend à augmenter d’une manière constante, sans aucun effort et sans aucun sacrifice de la part des propriétés » . Cette condamnation est reprise par Karl Marx puis, à la fin du siècle par des économistes socialistes autant que modérés. Jean-Pierre Gaudin rappelle ainsi que vers 1880 de nombreuses ligues se fondent en Angleterre, en Australie et aux Etats-Unis pour exiger une confiscation systématique de la rente foncière dont le maintien est considéré comme la « source fondamentale des conflits sociaux qui se multiplient » dans un contexte de croissance exponentielle du capitalisme immobilier. Ce courant de recherche critique sur la rente foncière s’est approfondi et renouvelé au 20e siècle dans le contexte de croissance urbaine des Trente Glorieuses avec les travaux d’Alain Lipietz, de Jean Louis Guigou ou encore de Christian Topalov à l’articulation de l’économie, de la sociologie et de l’aménagement. Si cette perspective a été prolongée par les travaux américains de Neil Smith sur la rent gap hypothesis, elle a été toutefois écartée par un ensemble de travaux d’inspiration néo-classique qui mettent en avant la notion de prix du sol et non de rente, mobilisant une approche économétrique raisonnant en termes de préférences individuelles et reposant sur la méthode dite des « prix hédoniques ». Toutefois, la hausse générale des prix fonciers et immobiliers au début des années 2000 suivie de la crise de 2008 ont amené un retour important des travaux sur la rente que ce soit sur la rente d’anticipation en milieu périurbain ou sur la hausse du prix des logements. En premier lieu, la dimension économique de l’étalement urbain a été analysée soit à partir d’un cadre d’analyse néo-marxiste de la rente foncière afin de discriminer la pluralité des marchés qui structurent ces espaces périurbains ou encore de souligner le coût des politiques de densité, soit à partir d’une grille de lecture marquée par l’économie standard et l’individualisme méthodologique autour de l’approche dite « hédoniste » permettant d’affiner le modèle centre-périphérie de répartition des prix à partir d’autres facteurs tels que les aménités paysagères ou la proximité du littoral. En second lieu, la hausse des marchés fonciers depuis la fin des années 1990 a été analysée au prisme de la financiarisation de l’immobilier. Celleci est analysée comme une évolution fondamentale dans le calcul de la valeur autrefois estimé en comparaison avec des transactions passées et aujourd’hui fondé sur une valeur future actualisée. Ce changement dû à la connexion croissante des marchés immobiliers avec les marchés financiers via l’acquisition de titres dans différents véhicules d’investissements, déconnecte des investisseurs du bien qu’ils ne connaissent plus et soumet les marchés immobiliers à l’instabilité structurelle des marchés financiers. Toutefois, si le logement semble relativement épargné par cette évolution, c’est l’immobilier d’entreprise (bureaux, entrepôts, commerces…) qui est le plus impacté, cette  financiarisation provoquant la formation de bulles spéculatives, concentrant les investissements dans les grandes villes et compliquant la régulation de ce marché spéculatif, peu compatible avec l’horizon de long terme des politiques urbaines.

La plus-value générée par la rente foncière est ainsi directement à l’origine de la réflexion d’un ensemble d’auteurs autour de la fiscalité foncière, envisagée comme un moyen de réguler le marché foncier et de redistribuer cette rente. Si l’utilisation du sol comme base fiscale est antérieure à la révolution industrielle, c’est cependant les réflexions autour de la rente menées par les économistes qui vont cristalliser la controverse entre partisans de la légitimité de la rente des propriétaires et adversaires qui l’assimilent à un enrichissement sans cause. Si après les physiocrates, Adam Smith défend le rôle d’un impôt foncier c’est John Stuart Mill qui développe cette idée en se positionnant en faveur d’une captation de la rente par l’Etat. En France, comme le souligne Jean-Pierre Gaudin, les dénonciations des revenus abusifs des propriétaires fonciers « émanent des milieux proches des industriels soucieux des conditions de reproduction de la force travail comme des socialistes ». Les premiers puisent leur inspiration chez Léon Walras qui préconise l’acquisition publique des terrains tandis que les seconds s’intéressent aux études de Maurice Halbwachs proposant un droit de préemption municipal généralisé afin de réguler la valeur marchande des terrains, valeur d’opinion qu’il oppose à sa valeur d’usage liée à son utilité sociale. Toutefois, les principales réflexions proviennent des Etats-Unis où domine la propriété privée et où les travaux d’Henri Georges à la fin du 19e siècle ont inspiré tout un champ de recherche. Pour cet économiste et philosophe social, les fruits du progrès technologiques sont captés par la rente foncière qu’il est donc nécessaire de récupérer par voie fiscale : la single tax, impôt unique sur la valeur des terrains ayant pour vocation de se substituer à terme à l’ensemble des impôts. Si l’impact théorique de ces travaux a été important chez des économistes tels que Milton Friedmann, ou Maurice Allais, c’est sur le plan des politiques fiscales américaines que son héritage perdure le plus, puisque la fiscalité foncière, la property tax constitue toujours une ressource fondamentale pour les collectivités locales . En revanche, comme le soulignent Joseph Comby et Vincent Renard, en France, comme en Europe occidentale, cet impôt a perdu de son importance, devenant une question technique liée à un triple enjeu en termes : de finances publiques, d’équité verticale (entre propriétaires fonciers) et horizontale (entre communes) et d’aménagement (financement des coûts de l’urbanisation et lutte contre la rétention foncière). Enfin, soulignons que cette problématique de fiscalité foncière est également investie aujourd’hui par des chercheurs travaillant sur la fiscalité environnementale, préconisant des dispositifs d’incitation fiscale, ou d’éco fiscalité, afin de préserver les milieux naturels .

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Table des matières

Introduction générale
Partie 1. L’action foncière, une ressource de légitimation militante a l’épreuve du gouvernement régional (1958-1998)
Chapitre 1. La genèse de l’action foncière régionale en Provence-Alpes-Côte d’Azur (1958-1974)
Section 1. Politique foncière et régionalisation : un nouveau contexte d’action publique
Section 2. L’émergence du foncier comme problème public régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur
Section 3. Travailler à la Région : une stratégie de reconversion militante
Chapitre 2. Une ressource pour construire l’institution régionale : l’action sur le « terrain » (1974- 1986)
Section 1. La construction d’une action foncière rurale de proximité
Section 2. L’action foncière comme ressource de promotion et de légitimation de nouvelles élites politiques locales : l’exemple de deux maires du Haut et du Moyen Var
Section 3. Une action foncière de type néo-clientélaire
Chapitre 3. L’action foncière confrontée aux ajustements du gouvernement régional (1986-1998)
Section 1. L’action foncière à l’épreuve de majorités politiques fragiles
Section 2. La rationalisation gestionnaire : vers un marginalisation de l’action foncière ?
Partie 2. L’institutionnalisation d’une action foncière multiniveaux (1998-2015)
Chapitre 4 La contractualisation de l’action foncière régionale (1998-2004)
Section 1. Des professionnels de l’aménagement en reconversion militante et professionnelle
Section 2. La négociation d’une action foncière régionale contractuelle
Section 3. L’action foncière : un enjeu de pouvoir entre Région et départements urbains
Chapitre 5. Autonomisation bureaucratique et mise en forme savante du foncier (2005-2014)
Section 1. La mise en administration du foncier : l’établissement public foncier PACA, une agence régionalisée ?
Section 2 L’investissement savant et politique des acteurs régionaux : vers un nouveau mode de gouvernement régional ?
Chapitre 6. Les régimes d’action foncière : un cadre intermédiaire de négociations politiques
Section 1. Régime d’action foncière dépolitisant et régulation multiniveaux : l’exemple de la Communauté d’Agglomération de Sophia Antipolis (CASA)
Section 2. Régime d’action foncière néo-clientélaire et pouvoir notabiliaire : l’exemple du Val de Durance
Section 3. Régime d’action foncière environnemental et mobilisation riveraine : l’exemple d’un site littoral de la presqu’île de Saint-Tropez
Conclusion générale

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