Croyances relatives à l’existence de la maladie
La croyance à l’existence du Sida et la croyance au test de dépistage sont de manière générale citées par les travailleurs interrogés et cela dans tous les secteurs d’activité. Les proportions de réponses sont de 9 travailleurs sur 10, sauf dans la zone industrielle et portuaire dont la proportion est de 8 travailleurs sur 10. Par ailleurs, la croyance au test comme étant le moyen de connaître si la personne a le sida, les proportions de réponses baissent à ce niveau dans tous les secteurs dont les taux les plus élevés sont de 8 travailleurs sur 10 ,et les moins élevés retrouvent dans le secteur de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche soit 5 travailleurs sur 10. Selon le sexe et concernant cette même question, c’est-à-dire le test de dépistage comme moyen de révéler si une personne a le sida, les réponses révèlent des différences de proportions assez intéressantes. On remarque le plus d’écart de pourcentage dans le secteur de l’agriculture, de l’élevage et de pêche ; notamment, ce sont les femmes qui représentent le plus fort pourcentage, soit 62,8% contre 37,8% pour les hommes. Dans la recherche par secteur d’activité, on retrouve 5,9% de travailleurs qui ne croient pas à l’existence du sida dans le secteur de l’informel. Cette non croyance, on la retrouve plus fréquemment dans le secteur privé formel (4,8%) que dans la fonction publique (2,4%). Pour ce qui concerne à la croyance de l’existence du Sida, il n’y a pas de différence entre les hommes et femmes, selon le test statistique. Les pourcentages tournent aux environs de plus de 90% pour les deux sexes. Par contre, s’agissant de ces croyances et du niveau d’instruction des travailleurs, il y a des différences, même si elles sont moindres. Selon les données du tableau (10), la croyance à l’existence du Sida s’élève avec l’augmentation du niveau d’instruction. Les travailleurs n’ayant jamais été à l’école et ceux qui ont été à l’école coranique enregistrent les pourcentages les plus bas. Quant aux travailleurs du niveau de secondaire et du supérieur, ils ont les pourcentages les plus élevés et les travailleurs du niveau primaire enregistrent les pourcentages intermédiaires. En ce qui concerne la situation matrimoniale, on ne remarque pas d’association entre les différents statuts matrimoniaux et les croyances à l’existence du Sida. Quel que soit le statut de célibataire, marié, divorcé, les pourcentages ne varient pas (environ 95%), sauf un léger taux chez les veufs (92,3%). Par rapport aussi aux données du même tableau, l’âge est très important dans la manière de croire à l’existence du Sida, si l’on compare l’âge des hommes et celui des femmes. Le constat est double : chez les hommes, de moyenne d’âge 31,9 ans qui croient que le sida existe, et ceux de moyenne d’age 32,4 ans qui croient que le sida n’existe pas, il y’a une différence significative ; par contre, il n’y a pas de différence statistiquement significative entre la moyenne d’âge des femmes, soit (34,4), qui disent croire que le sida existe par rapport à celle, soit (35,4), qui disent que le sida n’existe pas. Pour déduire que si l’âge est un indicateur assez important dans la façon de croire ou pas à l’existence du Sida chez les hommes, chez les femmes ce critère d’âge n’a aucune incidence sur cette croyance. La proportion de travailleurs de la moyenne d’âge (33,6) qui croient que le sida existe est de 95%, c’est-à-dire, plus de 9 travailleurs sur 10 croient que le sida existe. Pourtant, un pourcentage de (5%) de travailleurs répondent ne pas croire à l’existence du Sida. A cela, il faut également ajouter les travailleurs qui n’ont pas voulu répondre à cette question. A ce propos, notons qu’on retrouve cette non croyance chez les travailleurs d’une moyenne d’âge plus élevée, soit 32,4 chez les hommes et 35,4 chez les femmes. En somme, les travailleurs et travailleuses les plus âgés croient moins à l’existence du Sida. Cette tendance ne varie pas dans la population générale des travailleurs ; comme le montre le tableau (11), les personnes âgées d’environ 35 ans croient moins que le Sida existe que les personnes âgées d’environ 33 ans. Si on approfondit avec un test statistique, cette différence est significative. Au vu de ces données, une autre lecture s’explique par le fait que le problème viendrait probablement du niveau et de la manière dont est effectuée la communication sur le Sida. Selon beaucoup d’explication, les messages comme la communication sur la maladie ne correspondent pas souvent au modèle de communication sociale entre personnes d’âges différents, et dans un des focus groupe dans le secteur de la pêche avec, les hommes, un pêcheur âgé : « la sensibilisation doit suivre une norme, quand il s’agit d’hommes qui partagent la même génération, il y aura pas de tabou entre eux. Parce que par exemple si on parle de problème de sida, c’est qu’on s’adresse à des adultes. Parce que la communication est une chose qui est à la fois difficile et facile. Que signifie cela ? C’est l’ensemble émetteur, canal, récepteur. Il y a une façon de parler à chaque génération en matière de sexualité. Parce que s’il s’agissait pour moi de faire passer une sensibilisation, je pourrais parler aux vieux, et aux adultes de plusieurs manières différentes. Si je le dis c’est à cause de mon âge. J’ai 56 ans. Si mes collègues m’appellent doyen, c’est que j’ai longtemps servi en matière de sensibilisation. Pour parler aux vieux et qu’il comprennent il y a une façon de s’ y prendre. Donc à chacun sa manière pour pouvoir les convaincre. Pour les vieux, il faut leur parler avec des formules discrètes pour pouvoir les sauver du sida ». Cet extrait soulève des questions liées aux messages de sensibilisation et aux différentes façons de communiquer en tenant compte de catégorie comme l’âge des interlocuteurs. Ce constat se confirme dans le graphique (1) qui montre la croyance à l’existence du Sida selon l’âge et selon le sexe. L’évolution du graphique montre des tendances assez différentes. On remarque que, avec l’avancement de l’âge, les proportions baissent, et les plus grands pourcentages se retrouvent dans les classes intermédiaires, en l’occurrence les groupes de (31- 35 ans) et ceux de 36- 40 ans) et dans chaque groupe les pourcentages des hommes sont plus élevés que ceux femmes en ce qui concerne la croyance à l’existence du Sida. C’est uniquement dans le groupe d’âge 26- 30 ans que les femmes enregistrent une légère proportion comparée à celle des hommes. Les plus faibles proportions de réponse sont au niveau des groupes d’âge les plus âgés,notamment les groupes de 46-50 ans et ceux de 51- 55 ans. Concernant ce dernier groupe, l’écart entre les hommes et les femmes est très important. Il faut noter qu’il y a une relative persistance des croyances et considérations qui contestent l’existence du Sida : en effet, quoique moindre, une relative proportion des enquêtés croit à ces opinions. Ces dernières restent très liées à une forme de représentation que les travailleurs enquêtés ont en général de l’épidémie du Sida. Pourtant, à travers les entretiens semi-structurés, il est évident que cette non croyance à l’existence du sida s’explique en grande partie par le tabou qui entoure les personnes vivant avec le VIH ; « Je ne prenais pas au sérieux tout ce qui se disait sur le sida, pour moi, cette maladie n’existait pas mais si tu vois une personne en stade final, tu comprendras que le sida est une maladie «bu bon », très dangereuse ». Cet extrait illustre ce tabou qui fait que les gens ne sont pas convaincus lorsqu’ils n’ont jamais vu de personnes vivant avec le VIH, il n’y a pas encore une levée du voile des personnes infectées. Ces opinions traduisent une maladie abstraite, une absence de face à face avec une personne souffrant de Sida, qui en grande partie réconforte ces opinions. Alors que, pour ceux qui se sont approchés de la réalité de la maladie ou de la personne vivant avec le VIH, les différences d’opinion sont grandes. Selon un participant à un focus-groupe effectué au niveau d’une gare routière, qui est en même temps dans le comité d’organisation de la gare, il trouve le problème du sida tellement vaste qu’il le résume en ces termes « yàpp bopp ku ni amul da nga lambul sam kaaŋ »82 ; l’avis de ce travailleur montre le décalage entre les opinions. Ce travailleur est dans le comité de lutte contre le Sida dans son milieu de travail ; en travaillant avec les personnes avec les personnes vivant avec le VIH, il arrive à voir les aspects liés aux réalités de la maladie.
Les tests: entre significations et représentations
Comprendre les attitudes des personnes par rapport aux tests de dépistage du VIH, c’est aussi comprendre la relation entre la population et les questions de santé, de bien-être de manière générale, et particulièrement dans le contexte sénégalais. Les sociologues, les chercheurs en sciences sociales en particulier lorsqu’ils traitent des questions de santé, ont montré que les définitions sociales de la santé dépassent l’ordre biologique. La santé ne peut être appréhendée comme une simple mesure objective, mais une référence au contexte culturel et social ainsi qu’au contexte de vie des individus. Les conclusions des tableaux précédents sur les différents comportements et attitudes par rapport aux tests, montrent que l’activité n’est pas vraiment déterminante. Le désir de comprendre nous amène à effectuer une lecture plus large, en approfondissant notre réflexion à travers les entretiens semi-structurés avec les travailleurs. Le fait de faire le test est souvent incompatible avec la définition que les personnes se font de la santé. Dans plusieurs entretiens, l’explication pour justifier le fait de ne pas avoir fait les tests est assujettie à l’absence de maladie, lorsque la personne ne souffre d’aucune maladie, ne ressent rien, le besoin de faire un test de dépistage ne se justifie pas et selon une femme interviewée: « bëgg feebar tolu wul ne dem seet sa yaram te dara metti wula » 86. Dans le cadre de la prévention cette manière de pensée ou plutôt cette attitude est une donnée réelle et assez significative: selon l’extrait d’entretien avec un jeune travailleur des banques « je ne fais pas le test parce que je ne souffre de rien », c’est comme si le test comme décision personnelle et responsable devient un sacrilège, un défi inutile, une façon d’invoquer le malheur, la maladie. Ainsi cette conception de la santé au-delà de l’aspect de la connaissance repose sur un arrière fond culturel. L’assimilation de l’état d’une bonne santé pour d’autres est liée au fait de ne pas connaître l’existence de la maladie du moment qu’on ne souffre pas d’une quelconque maladie, selon l’entretien avec un marchand au niveau de la gare « Ne pas connaître sa maladie, permet à la personne de vivre mieux parce qu’il na va pas penser à la maladie. Mais imagine que le test révèle que vous êtes séropositifs, immédiatement vous allez tomber malade et faible et ceci jusqu’à la mort ». En d’autres termes, les conséquences du test posent problème surtout quand le résultat est positif. C’est ainsi que, selon un vieux marchand interrogé, « test wóorul»87 et si le résultat devenait positif… ? » Comprendre ces attitudes, c’est aussi faire une analyse des représentations de la santé dans un contexte social et culturel plus global au Sénégal. Dans une des recherches menées au Sénégal dans ce domaine, un auteur montre que « Le terme utilisé pour traduire l’idée de santé est celui de « wér ». Ce concept a plutôt une connotation individuelle, il concerne la personne ou un de ses organes ou de ses fonctions biologiques. Le terme « wér » renvoie à l’idée de guérison, c’est le même terme qui désigne à la fois le fait d’être guéri et celui de ne souffrir d’aucune maladie ou infirmité. Une seconde connotation duterme « wér » renvoie à l’idée d’invulnérabilité (« Dara xosi wuko»). Il donne l’idée d’un « blindage » ( wér pëη ). Il s’agit là de chercher à renforcer les capacités individuelles pour accumuler une puissance qui réduise la vulnérabilité »88.
Opinions et Attitudes de stigmatisation
Les opinions portent essentiellement sur les conceptions populaires, aux modalités de penser un fait ou un objet. Afin de voir les autres formes de stigmatisation en ce qui concerne d’autres pathologies ou autres faits, nous avons posé des questions sur certaines maladies ou sur des personnes victimes de stigmatisation. Les opinions recueillies sur certaines maladies comme la lèpre, la tuberculose ou certaines personnes désignées « Dëmm »116 ou les handicapés montrent à chaque fois des différences de tolérance et d’acceptation mais on note que les opinions ont tous des fondements culturels et sociaux désignés. En effet, l’opinion d’un homme sur les femmes qui ont perdu des maris se résume en ces termes nous raconte un vieux traditionnel rencontré à la gare ferroviaire de Dakar « Tu sais dans notre culture avant d’épouser une femme tu dois « listixaar ko »117 pour savoir si elle n’est pas une femme « bu aay gaaf»118, il faut aussi « nga setlu ko 119 » parce qu’il y’a des signes qui font que la femme est « aay gaaf », le fait de toucher a chaque moment sa tête, quand elle marche sur la pointe des pieds « samp tànk »120 . Tous ces exemples cités sont des prémisses d’une mauvaise femme et d’une femme qui va perdre plusieurs maris ». Cette citation d’une part montre déjà un fondement de la stigmatisation à base de croyances ou d’opinions bien élaborées et partagées au sein du groupe. D’autre part, elle nous mène à l’explication de certains comportements des personnes. Dans le cadre du VIH, les opinions se définissent en fonction d’un discours populaire et autour de croyances qui se rattachent à la maladie. Ainsi, pour capter cette complexité, nous avons introduit des questions en imaginant des situations et avons demandé les avis des travailleurs sur celles-ci. Trois variables du questionnaire ont permis de saisir les idées que se font les travailleurs sur l’opinion des gens dans leur milieu de travail en cas d’atteinte du Sida. Cette perspective permet à la fois de saisir l’opinion des travailleurs et les attitudes devant ses pairs vivant avec le Sida et, indirectement, le degré de stigmatisation envers les personnes vivant avec le VIH dans leur milieu de travail. Il s’agissait de savoir, au niveau du travailleur, une éventuelle attitude envers des collègues vivant avec le VIH sous ces formes : « les gens le fuient », qu’il fasse « l’objet de commérages », ou lui faire « perdre son travail ». Sur la possibilité ou le risque (présumé) que les gens vont fuir la personne atteinte du Sida, 42,2% partagent le sentiment contre plus de 45% qui considèrent ce risque peu probable (28,5%) ou pas du tout probable (19,6%) au sein de leur milieu de travail. Le fait de faire l’«objet de commérages» de la part des autres travailleurs est le risque le plus vraisemblable, étant le plus évoqué par les enquêtés (57,9%) même si 28,9% disent que c’est peu probable et d’autres plus catégorique selon un non risque 18,9% qui disent que c’est pas du tout probable. Quant à la possibilité que la réaction des autres travailleurs ou des collègues dans le milieu de travail entraîne une perte de l’emploi pour le travailleur atteint du Sida, plus de 4 enquêtés sur 10 soit (40,3%) expriment cette crainte. Pourtant, environ 30% sont moins pessimistes, et pour eux, c’est peu probable. Pour d’autres, notamment 18,9%, sont convaincus que les personnes vivant avec le VIH ne vont pas perdre leur emploi. Quant au risque de perdre la confiance pour des postes de responsabilité, les réponses sont plus mitigées que la perte d’emploi. 46,6% disent que c’est très probable, moins de 30% c’est peu probable, et 14,4% pensent que ce n’est pas du tout probable
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Table des matières
INTRODUCTION
A. Première partie : Cadre général, méthodologique et contexte de l’étude
Chapitre 1 : Cadre général
1.2. Problématique
1.1. Revue de la littérature
1.3. Objectifs de recherche
1.3.1 Objectif général
1.3.2 Objectifs spécifiques
1.4. Hypothèses
1.4.1 Hypothèse principale
1.4.2 Hypothèses spécifiques
1.5. Définition des concepts
1.6. Modèle théorique
Chapitre 2 : L’approche méthodologie
2.1 Recherche qualitative
2.1.1 Etude ethnographique
2.1.2.1 Monographies
2.1.3.2 Entretiens non structurés ou libres
2.1.3.3 Focus groupes
2.1.3.4 Entretiens semi structurés
2.1.2 Confection du livret de codes
2.1.3 Analyse des données
2.2 Enquête par questionnaire
2.2.1 Le questionnaire
2.2.2 Méthode d’échantillonnage
2.2.3 Analyse des données
2.3 Difficultés du terrain
Chapitre 3 : Contexte de l’étude
3.1 Sites et population
3.2 Caractéristiques socio-démographiques de l’échantillon
B. Deuxième partie : Construction sociale de la maladie
Chapitre 1 : Existence et Manifestions de la maladie
1.1 Les croyances relatives à l’existence de la maladie
1.2 Les manifestations de la maladie
1.3 Les fausses croyances
Chapitre 2: Représentations relatives aux modes de connaissance et de protection
2.1 Les modes de connaissance
2.2 Les représentations relatives à la protection
2.1 Test : entre significations et représentations
Chapitre 3 : Contextes de vulnérabilité
3.1 Présentation des monographies
3.2 Caractéristiques socio-économiques
C. Troisième partie : Réponses sociales
Chapitre 1 : Stigmatisation et VIH
1.1 Opinions Attitudes de stigmatisation
1.2 Gestion de la stigmatisation et l’auto stigmatisation
1.5 Relation de partage du statut de séropositivité
Chapitre 2 : Le test de dépistage
2.1 Réalisation des tests en milieux de travail
2.2 Les obstacles au test dans les lieux de travail
2.3 Test et changement de comportement
Chapitre 3 : Changement de comportement sexuel
3.1 Changements de comportements sexuels à risque
3.2 Connaissance et changement de comportements
3.3 Les pratiques du changement de comportement
CONCLUSION
Bibliographie
Annexes
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