Ce document est le résultat d’un travail de recherche effectué pendant près de quatre ans avec le concours de l’Agence du Développement du Nord du Mali (ADN) dont la mission principale est d’impulser le développement dans ses trois régions, qui sont Tombouctou, Gao et Kidal. Il est motivé par les résultats forts mitigés des politiques de développement menées ces dernières années dans les zones sahélo sahariennes. Il prend la forme d’une thèse de doctorat en Information Géographique, Méthodes et Applications dirigée depuis le laboratoire (ISTHME) (Image, Société, Territoire, Homme, Mémoire et Environnement), de l’école doctorale de l’Université Jean Monnet de SaintÉtienne (France), par le Professeur Thierry Joliveau, et codirigée par le Professeur Patrick D’Aquino du Centre International de Recherches Agronomiques pour le Développement (CIRAD) à Dakar (République du Sénégal). Mais, au-delà des préoccupations quotidiennes pour construire des plans de développement fiables et viables pour des zones arides ou semi-arides, cette thèse est le fruit d’une idée permanente qui a toujours habité le petit nomade Targui, que je suis, natif de la région de Tombouctou, où j’ai passé toute mon enfance. J’ai porté en effet très tôt un intérêt à la compréhension des liens entre les populations locales et leurs territoires d’une part, et leur connaissance et savoir- faire face à l’aménagement de ces territoires d’autre part. Parmi les causes profondes de cette motivation se trouvent certainement ces années de sécheresse de 1973 et 1984 au Sahel, durant lesquelles j’ai assisté impuissant à la désolation de toutes les communautés de la zone, suite à la mort quasi totale du cheptel. Ces événements douloureux ont galvanisé ma volonté à chercher et à trouver des méthodes appropriées d’occupation spatiale pour participer à la gestion territoriale et faire face aux effets néfastes des aléas climatiques, presque endémiques, qui habitent nos zones géographiques.
Essai de définitions sommaires des concepts-clés
La définition d’un concept n’est jamais chose aisée et cette difficulté est particulièrement grande quand il s’agit de notions dont certaines sont entrés dans le monde de la recherche il y a à peine trente ans. Il s’agit des Systèmes d’Information Géographiques (SIG) et particulièrement des SIG participatifs qui possèdent une multitude de définitions selon les différents contextes.
Système d’information géographique
En 1990 un économiste français, Michel Didier, définissait un SIG comme «un ensemble de données repérées dans l’espace structurées de façon à pouvoir faire des synthèses utiles à la décision ». C’est l’une des multitudes définitions de SIG, car on peut en trouver plusieurs assez différentes, mais ces divergences apparentes expriment juste une différence de point de vue due à la multiplicité des acteurs et des métiers, des utilisations et des contextes. On peut par exemple rappeler les définitions suivantes :
• K.J. Uecker: «Un SIG est le cas particulier d’une base de données contenant, outre des renseignements quantitatifs et qualitatifs, des informations sur la localisation spatiale de chaque observation».
• Burroughs: «Un SIG est un ensemble d’outils pour saisir, conserver, extraire, transformer et afficher les données spatiales décrivant le monde réel».
• De Blomac: «Un SIG est un ensemble organisé de matériel informatique de logiciels, de données géographiques et de personnels capables de saisir, stocker et mettre à jour, manipuler, analyser et présenter toutes formes d’informations géographiques référencées».
Bien que toutes les définitions ci-dessus soient satisfaisantes, nous retenons celle de Thierry Joliveau qui fait d’un SIG un triangle, dont les trois sommets sont respectivement ( homme , outils et procédure ) facilitant la décision. Il définit en outre un SIG comme étant « l’ensemble des structures, des méthodes, des outils, et des données numériques constituées pour rendre compte de phénomènes localisés et faciliter les décisions dans un espace donné ».
Les systèmes d’information géographique participatifs
Après le rappel des définitions des systèmes d’informations géographiques, nous tenterons de donner une définition des systèmes d’information géographiques participatifs, après un bref rappel de leurs historiques. En effet les systèmes d’informations géographiques participatifs, ou PPGIS (Public Participation Geographical Information Systems, en anglais) sont nés vraisemblablement dans le contexte géographique spécifique de l’Amérique du Nord des années 1990 .
Selon (Prévost, 2010), l’origine de cette naissance des PPGIS est en lien avec la montée des critiques à propos des SIG traditionnels dans les années 1990, considérés comme un domaine réservé aux «experts», à la disposition du pouvoir politique pour influencer les prises de décision. C’est au cours de l’atelier de Friday Harbor (USA) en 1993 que le concept de GIS2 est proposé qualifié de « Bottom-up Geographic Information System (GIS) » s’opposant ici à la notion de Top-down GIS. Il s’agit d’un modèle alternatif à la production, à l’accès et à l’usage de l’information géographique. Le concept est repris et précisé à l’occasion de l’atelier d’Orono (USA) en juillet 1996, et fait alors place à celui de « Public Participation GIS » (PPGIS) (Craig et al. 2002).
Depuis, les chercheurs se lancent dans la nouvelle génération de SIG. Ce qui amena (T.Joliveau, 2010) dans une perspective de recherche à partir du cas français sur les technologies géospatiales pour la participation territoriale, les GIS/2. 2 pouvant s’entendre comme two (deux) ou too (aussi), qui consistent à donner du pouvoir (« Empower ») aux groupes les moins privilégiés de la société, améliorer la transparence des décisions et influer sur les politiques gouvernementales. Après ce bref rappel historique des SIGP, nous proposons la définition donnée par (Giacomo Rambaldi, 2005) qui nous semble croiser les objectifs de notre recherche: « Les SIG participatifs sont en fait une approche née de la combinaison de méthodes participatives d’apprentissage, d’action et de SIG traditionnels accompagnant les projets de développement, de type PLA, PAR, PRA et autres MARPP . Ils s’appuient sur l’utilisation intégrée d’outils, de méthodes, de technologies et de systèmes allant de simples croquis de cartes à des modélisations tridimensionnelles participatives, à l’interprétation commune de photos aériennes et à l’utilisation de GPS et de diverses applications SIG ». Ainsi, selon Rambaldi, grâce aux SIG participatifs, les connaissances des populations locales sont utilisées comme instruments interactifs d’apprentissage géospatial, d’échanges d’informations, d’aide à la prise de décision, de planification de l’utilisation des ressources naturelles et de sensibilisation ou de défense de cause.
Notion de participation
Il existe plusieurs sens à la participation, en raison de la diversité des domaines dans lesquels elle est préconisée. La participation la plus fréquemment utilisée l’est dans les domaines de la gouvernance, de la démocratie et de l’environnement. La notion de participation s’applique aussi dans des domaines relevant de la gestion d’organisations, d’entreprises, d’associations ou de groupes de base. Commençons par la définition de Larousse (2004) citée par (Yoda Blaise, 2004) dans son mémoire qui définit «la participation comme étant le fait de prendre part, de contribuer et de collaborer». Dans le domaine du développement rural, qui nous intéresse le plus ici, on citera le FIDA (2001) , qui précise que « la participation est une perception partagée et un facteur de responsabilisation conduisant à la prise de décisions en commun. Elle commence par la concertation, passe par la négociation (des problèmes, solutions et approches) pour aboutir à la prise de décisions et à l’action». Depuis les années 60, la notion de participation fait partie du langage des acteurs au développement, notamment de ceux qui financent l’aide au développement dans les pays sous-développés. Aujourd’hui elle est vivement exigée dans tous les processus de planification des projets de développement ruraux en Afrique au sud du Sahara. En effet, selon (H. Y. YANSAMBOU, 2011) , suite à plusieurs résultats d’expérience visant un véritable impact sur la pauvreté rurale, les acteurs de développement sont arrivés à la conclusion qu’il faut faire participer les populations rurales directement à toutes les étapes de la gestion des projets de développement; décision, planification et exécution. Les approches participatives découlent ainsi des changements de la géopolitique intervenus dans le monde ces dernières années, qui ont bouleversé les rapports économiques, politiques et culturels. L’hégémonie de l’Etat dans la mise en œuvre du développement est mise totalement en cause. L’avènement de la décentralisation, les discours sur le renforcement des pouvoirs des acteurs locaux ou « l’Empowerment » militent en faveur de leur participation aux prises de décisions. C’est ce cadre de prise de décision territoriale qui a fait dire à (T. Joliveau, 2004) que « la question de la participation se pose quand on veut intégrer dans le processus de planification/gestion des acteurs (individus et/ou groupes) concernés, mais non officiellement en charge du pouvoir de décision, sur un système donné».
En effet, comment peut-on être au pouvoir, et le donner ou restituer une partie à un tiers pour également faire partie des décideurs? La participation reste alors le fruit de l’acceptation du partage du pouvoir. Or celui-ci est naturellement difficile dans pratiquement toutes les sociétés. On a souvent envie de collaborer sur le fonctionnement des choses ou des activités de production, mais généralement pas autour du pouvoir.
Le développement local
On parle souvent de développement local quand on évoque la notion de décentralisation, qui veut dire « confier des pouvoirs de décision » à diverses collectivités territoriales, selon Vincent Lemieux et Jean Turgeon (Université de Laval) . En effet le terme « développement local » est tellement utilisé et polysémique qu’il nous semble nécessaire de définir le sens que nous lui donnons. Selon (Intargalia et Corrèze, 2002), le développement local est entendu comme un processus par lequel les parties prenantes (populations locales, élus administrateurs, techniciens et partenaires techniques et financiers) donnent un ensemble d’institutions, de règles et procédures pour mettre en valeur, collectivement et individuellement, des ressources sur un territoire donné.
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Table des matières
A. INTRODUCTION
B. PLAN DE LA RECHERCHE
PREMIERE PARTIE: QUESTIONNEMENT A PARTIR DE LA ZONE D’ETUDE
CHAPITRE 1: Contextualisation, problématique
1.1 Essai de définitions sommaires des concepts-clés
1.2 Contexte général
1.3 Etat de l’art
1.4 Problématique
CHAPITRE 2: Les spécificités et contraintes des zones sahéliennes
2.1 Localisation du Sahel
2.2 Peuplement
2.3 Caractérisation des zones Sahéliennes
2.4 Les dispositions prises par les Etats du Sahel
CHAPITRE 3: Présentation générale de notre zone d’étude
3.1 Aperçu sur le Mali
3.2 Historique de la décentralisation et du développement local au Mali
3.3 Présentation des régions du Nord du Mali
3.4 Présentation de notre commune expérimentale: la commune rurale d’Alafia
DEUXIEME PARTIE: PARTICIPATION, INFORMATION GEOGRAPHIQUE ET DEVELOPPEMENT LOCAL AU NORD DU MALI
CHAPITRE 4: Approches participatives, systèmes d’information, espace et territoire
4.1 Les généralités sur les approches participatives et le processus de prise de décision
4.2 Théorie générale de mise en œuvre
4.3 Les approches participatives pour le développement
4.4 Le caractère ambigu de la cartographie à dires d’acteurs et des SIGP
CHAPITRE 5: Développement local et information géographique participative au Nord du Mali
5.1 Rappel des dispositions prises au Mali pour le développement local
5.2 Cas du Nord du Mali
5.3 Spatialisation des activités de développement local au Nord du Mali
CHAPITRE 6: L’organisation sociale et la situation économique de la commune rurale d’Alafia
6.1 La situation socio-économique de la commune rurale d’Alafia
6.2 Aperçu sur les organisations sociales et les savoirs locaux
TROISIEME PARTIE: CONSTRUCTION ET MISE EN PLACE DE L’INFORMATION GEOGRAPHIQUE PARTICIPATIVE POUR LE DEVELOPPEMENT LOCAL DE LA COMMUNE RURALE D’ALAFIA
CHAPITRE 7 : Une expérience de cartographie à dires d’acteurs dans la commune d’Alafia
7.1 Acquis des références théoriques de la cartographie participative
7.2 Les ateliers de réalisation des cartes à dires d’acteurs à Alafia
7.2.1 La réalisation des cartes à dires d’acteurs
7.2.2 La tenue des ateliers proprement dits
7.2.3 Exemple de l’atelier d’Iloa
7.3 Exemples de cartes à dires d’acteurs
7.3.1 Selon les logiques sédentaires
7.3.2 Selon les logiques nomades
7.4 Bilan des propositions issues des ateliers relatives à l’aménagement de la commune
7.4.1 Les scénarios du développement communal issus des ateliers
7.4.2 Les problèmes liés aux conflits entre agriculteurs et éleveurs
7.4.3. Les forces et les faiblesses établies au cours des ateliers
7.4.4 Récapitulatif des scénarios envisageables
7.5 Eléments de conclusion
C. CONCLUSION
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