Construction du modèle de simulation numérique

La mécanique des fluides est une science complexe et riche qui repose sur les équations bien connues de Navier-Stokes. Malgré leur apparente simplicité, elles cachent, dans le terme non linéaire d’advection, des abîmes de complexité qui tourmentent encore le monde de la recherche aujourd’hui, plus d’un siècle après qu’elles ont été établies. Que de variété entre un filet d’eau qui coule au robinet, le sillage d’un navire sur la mer, les volutes d’une cigarette qui se consume, l’échappement des gaz d’un moteur, etc.

Afin de faciliter les études fondamentales, les écoulements sont usuellement classés en catégories « type » : les écoulements de jets et de sillages, les couches de mélange ou les couches limites par exemple. Les écoulements de jets qui font l’objet de la présente étude revêtent une grande importance dans l’industrie dans laquelle on en trouve de nombreux : dans les réacteurs chimiques, pour les moteurs à réaction, etc. Une bonne compréhension du phénomène du mélange reste par exemple un des nombreux problèmes cruciaux posés par les jets qui reste relativement ouvert à ce jour. Les applications dans le domaine de l’aérospatiale et de la combustion sont légion. L’écoulement de jet est également très étudié pour la compréhension de la transition entre un écoulement laminaire et un écoulement turbulent. L’étude de la stabilité d’un écoulement laminaire, c’est-à-dire des instabilités qui peuvent s’y développer constitue une étape centrale dans ce mécanisme.

L’étude des instabilités des écoulements est très ancienne. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, Helmholtz (1868), Kelvin (1871), puis Rayleigh (1880) et Reynolds (1883) s’intéressent aux écoulements dans les conduites en général et aux instabilités qui peuvent s’y développer en particulier. Les équations générales qui en résultent sont l’équation de Rayleigh dans le cas d’un fluide parfait et l’équation d’Orr-Sommerfeld (1908) pour un fluide newtonien dont on ne néglige pas la viscosité. Il n’existe pas, dans le cas général, de solution analytique pour ces équations.

Même dans la catégorie de l’écoulement de jet, il n’y a pas unicité du prototype à étudier : le jet « rond » qui s’appuie sur une buse circulaire présente des conditions de symétrie qui en font un objet d’étude différent du jet « rectangulaire ». Ces deux jets sont tridimensionnels. Les jets bidimensionnels correspondants sont le jet axisymétrique et le jet plan. De manière évidente, les jets bidimensionnels sont des objets d’étude plus simples ; ils ne sont la plupart du temps que des étapes pour mieux comprendre certains phénomènes qui régissent les écoulements de jet tridimensionnels. Ces derniers sont en effet plus compliqués et nécessitent, dans le cadre de simulations numériques une puissance de calcul bien supérieure.

Instabilités absolue et convective, modes globaux

Avant d’étudier les principaux résultats sur les instabilités des écoulements cisaillés libres, il convient de clarifier les notions, qui vont être très utilisées dans ce travail, telles que celles d’instabilité convective, absolue, de mode global amorti ou auto-entretenu.

Première approche

Les premiers travaux sur la notion d’instabilité absolue et convective sont de Twiss (1951) et de Landau & Lifshitz (1959). On montre dans ces études qu’une perturbation peut évoluer de deux manières différentes dans un milieu instable :
• La perturbation peut croître et se propager en aval de l’écoulement de telle sorte qu’en tout point de l’espace, la perturbation finit toujours par s’atténuer : c’est le cas d’une instabilité convective.
• la perturbation peut croître et contaminer tout l’écoulement : c’est le cas d’une instabilité absolue.

En régime linéaire, pour déterminer la nature de l’instabilité, il suffit de déterminer la fonction de Green ou réponse impulsionnelle (en temps et en espace) G(r, t) des équations linéarisées qui caractérise l’écoulement dans le milieu considéré (Delbende & Chomaz (1998)). Pour simplifier l’exposé, on considère un milieu unidimensionnel infini selon x.

Approche temporelle ou spatiale

Dans le cas général, on cherche à déterminer ω et k, tous les deux complexes a priori qui sont solution de

D(k, ω; α) = 0 (1.4)

Cette approche est très compliquée et on se limite le plus souvent à deux cas particuliers très importants :

l’approche temporelle : Dans ce cas, on se donne k réel et on détermine ω complexe. Le caractère stable ou instable de l’écoulement est alors déterminé par le signe de la partie imaginaire de ω (si ωi > 0, l’écoulement est instable).

l’approche spatiale : Dans ce cas, on se donne ω réel et on détermine k complexe. Là encore, c’est le signe de la partie imaginaire de k qui détermine si l’écoulement est stable (si ki > 0, l’écoulement est stable).

Dans la suite de cette partie, nous suivons principalement les notations des articles de Huerre & Monkewitz (1985, 1990).

Définitions, valeurs remarquables

Pour classer les écoulements selon leur stabilité et le caractère convectif ou absolu de leurs instabilités, nous définissons plusieurs valeurs particulières pour la pulsation ω et le nombre d’onde k. On note par des indices r et i les parties réelle et imaginaire respectivement. Si on se place dans une approche temporelle, il existe, dans les cas usuels, pour l’équation (1.4) une unique valeur de k, kmax, qui réalise le maximum du taux de croissance ωi(k). On note alors (ωi)max = ωi(kmax). Avec cette définition, on a un premier critère de classement des écoulements : si (ωi)max > 0, l’écoulement est instable tandis que si (ωi)max < 0, l’écoulement est linéairement stable.

Dans une approche spatiale, le nombre d’onde k0 correspondant au mode dont la vitesse de groupe est nulle joue un rôle particulier. On note ω0,r = ωr(k0) la fréquence absolue et ω0,i = ωi(k0) le taux de croissance absolu. Le nombre complexe ω0 correspond à une branche algébrique de k(ω) dans le plan complexe ω; k0 est un point selle de ω(k).

Le taux de croissance remarquable ω0,i ne doit pas être confondu avec (ωi)max. En effet, (ωi)max caractérise l’évolution du pic du paquet d’onde dans le temps alors que ω0,i caractérise l’évolution aux grands temps (t → +∞) du mode spécial k0 observé à une place fixe. En outre, puisque (ωi)max représente un maximum sur k, on a :

(ωi)max > ω0,i

Critère de Briggs

Le critère de Briggs permet de classer les écoulements selon la valeur de ω0. Si ω0 est dans le demi-plan complexe supérieur (ω0,i > 0), l’écoulement est absolument instable. Sinon, si (ωi)max > 0, l’écoulement est convectivement instable.

Critère de transition

Les deux branches spatiales, solutions de (1.4), peuvent se « rencontrer » dans le plan complexe ω provoquant un pinching. Lorsque cela se produit, le point de contact correspond au mode k0 : c’est ainsi que l’on peut détecter la transition entre une instabilité convective et absolue lorsque le pinching se produit sur l’axe ωi = 0. La valeur critique αca telle que Im (ω0(αca)) = 0 est alors la signature de la transition convective/absolue. Dans les notions abordées jusqu’à maintenant, la variation de l’écoulement moyen selon la direction x n’a jamais été prise en compte. En fait, tout ce qui précède s’applique pour une étude locale c’est-à-dire pour un domaine limité centré autour d’un point. Lorsque l’on s’intéresse à l’écoulement dans son ensemble, un autre type de modes peut apparaître.

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Table des matières

Introduction
1 Instabilités des écoulements cisaillés ; Cadre de l’étude
1.1 Instabilités absolue et convective, modes globaux
1.1.1 Première approche
1.1.2 Approche temporelle ou spatiale
1.1.3 Définitions, valeurs remarquables
1.1.4 Critère de Briggs
1.1.5 Critère de transition
1.1.6 Modes globaux
1.2 Stabilité des écoulements parallèles en densité uniforme
1.2.1 Théorie linéaire non visqueuse
1.2.2 Théorie linéaire visqueuse
1.3 Stabilité des écoulements parallèles à densité variable
1.3.1 Équation de Rayleigh généralisée
1.3.2 Cas limite : discontinuité de vitesse et de densité
1.3.3 Étude de la stabilité du jet à densité variable
a ) Analyse linéaire
b ) Études expérimentales
2 Construction du modèle de simulation numérique
2.1 Étude bibliographique
2.1.1 Les caractéristiques des écoulements simulés
a ) Couche de mélange
b ) Couche limite turbulente
c ) Écoulement de jet
2.1.2 Méthodes de discrétisation
a ) Choix du maillage
b ) Discrétisation temporelle
c ) Discrétisation spatiale
2.1.3 Conditions aux limites
a ) Les conditions usuelles
b ) Les conditions particulières
2.2 Formulation générale
2.2.1 Hypothèses de travail
2.2.2 Les équations continues
2.2.3 Adimensionnement
2.3 Méthodes numériques
2.3.1 Domaine de calcul
2.3.2 Schéma temporel
2.3.3 Dérivation spatiale
2.3.4 Méthode de projection : les équations numériques
2.3.5 Équation de pression
a ) Principe
b ) Méthode de relaxation de Gauss-Seidel
c ) Mise en œuvre pratique
2.3.6 Filtrages
a ) Filtrage spatial
b ) Filtrage non linéaire
2.4 Les conditions aux limites
2.4.1 Condition d’entrée (Γe)
2.4.2 Condition de sortie (Γs)
2.4.3 Conditions latérales (Γℓ)
2.4.4 Correction de flux
2.4.5 Conditions aux limites pour la densité
2.5 Les schémas et conditions aux limites « écartés »
2.5.1 Schémas temporels
2.5.2 Conditions aux limites
a ) Condition de sortie (Γs)
b ) Condition latérale (Γℓ)
2.6 Bilan : algorithme de résolution et organisation informatique
2.6.1 Algorithme de résolution
2.6.2 Organisation informatique
3 Étude linéaire et validation du code
3.1 Théorie linéaire du jet
3.1.1 Cadre de l’étude : problème de Rayleigh
3.1.2 Méthode de résolution
3.1.3 Résultats
3.2 Validation du code
3.2.1 Premiers éléments de validation
3.2.2 L’approximation linéaire
a ) Méthode
b ) Analyse de Fourier
c ) Taux de croissance temporel linéaire
Conclusion

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