La santé, un champ interrogeable par tous ? Du pluri à l’interdisciplinaire.
La première étape pour l’analyse d’un concept complexe réside en l’étude de son cadre théorique. Commencer une recherche sur l’étude des déterminants de la santé implique de se confronter à un cadre riche et multidisciplinaire, c’est à dire qui concerne de façon disjointe de nombreuses disciplines (Souris, 2019). La santé et ses déterminants relèvent indépendamment et autant d’études en épidémiologie (au sein du même on distinguera épidémiologie sociale et classique), en biologie, en médecine, en sociologie, en économie, et pourquoi pas et enfin en géographie comme science des différenciations de l’espace. Les disciplines peuvent aussi se rencontrer autour du thème de la santé dans une approche pluridisciplinaire. Notons que dans ce cadre pluridisciplinaire chacune de ces disciplines apporte sa propre lecture sans permettre cette « synthèse » décrite par (Resweber, 1981), où : « La réflexion pluridisciplinaire éclaire un même objet sous divers aspects, mais elle ne se soucie pas d’harmoniser ceux-ci entre eux » (Resweber, 1981). En 2006, Jauffret-Roustide montrait l’intérêt de s’appuyer sur les travaux de plusieurs disciplines et de plusieurs méthodologies, dans le but de multiplier les moyens de compréhension et d’investigation des études en santé. Dans son étude des déterminants « des pratiques à risque des usagers de drogues vis-à-vis de la transmission du VIH et du VHC », l’auteur insiste sur l’atout de lier épidémiologie et sciences sociales pour tendre vers une meilleure compréhension des mécanismes humains, en passant par la « triangulation des données , la complémentarité des approches et non la suprématie d’une technique plutôt qu’une autre » (Jauffret-Roustide, 2006). Les vastes catégories de déterminants qui composent la santé rassemblent aussi des disciplines autour d’outils communs permettant une complémentarité dans l’analyse. C’est le cas de la prise en compte de l’espace dans l’analyse des phénomènes de santé (Souris, 2019) rapprochant l’épidémiologie et la géographie. C’est aussi le cas par exemple dans l’étude de l’influence de facteurs sociaux (exemple de la précarité) rapprochant l’épidémiologie et la sociologie. L’engouement pour les déterminants de la santé et particulièrement leur composante sociale – avec la création d’institutions telle que la Commission des Déterminants Sociaux de la Santé (2005-2008)- n’est pas nouveau. L’intérêt pour les déterminants sociaux liait déjà les disciplines des sciences sociales avec l’épidémiologie au 19ème siècle (Raphael, 2006).
L’intérêt de l’échelon local dans les politiques publiques de santé
Puisque nous cherchons ici à caractériser les déterminants de la santé à l’échelle d’un territoire, il nous semble important de replacer les enjeux autour de la relation entre déterminants de la santé et échelle locale. En effet, cette thèse explore le territoire régional des Pays de la Loire et particulièrement ses territoires inter-régionaux (nouveaux Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) 2018) (voir Partie 2 Chapitre 2). Plusieurs critères motivent cette considération pour le territoire infra et illustrent deux principaux mouvements (fleuret 2016) :
– Le premier consiste en la territorialisation active des politiques de santé ces dernières décennies (Amat-Roze, 2011b ; Eliot, Lucas-gabrielli, Mangeney, 2017 ; Muller-Quoy, 2009). En France, le processus à l’œuvre en matière de santé publique consiste en une territorialisation de la santé dans une logique de déconcentration des politiques de santé vers la région et les Agences Régionales de Santé (ARS). Il s’agit donc de reconnaître que ce qui fait la santé sur le territoire national n’est pas uniforme et que des déterminants pluriels et différenciés sont à l’œuvre dans l’état de santé de la population. Cette territorialisation apporte aussi un renforcement dans le rôle des collectivités territoriales (EPCI, Communes, Quartier…etc.) dans une démarche décentralisée des politiques (Ateliers santé-ville, Contrats locaux de santé), pour créer des actions coordonnées et adaptées en santé sur les territoires infra.
– Le second affirme que les déterminants de la santé jouent à différents niveaux et notamment dans les territoires de vie du quotidien. En choisissant de rendre compte des particularités des territoires infra on peut mettre la lumière sur des déterminants spécifiques. La santé est au cœur d’un processus ou les déterminants agissent simultanément sur un individu, et ce, à plusieurs niveaux : de sa propre enveloppe corporelle à son environnement de vie quotidien jusqu’à des déterminants bien plus « lointains » qui conditionnent notre santé (Chapitre 2). Il s’agit bien à travers la connaissance des déterminants de la santé de pouvoir agir (et mieux agir) (Jobin, Pigeon, Anctil, 2012) et de cibler davantage sur ce qui peut favoriser la santé des individus. Ce pouvoir d’agir doit nous amener à mobiliser toutes les ressources de la santé publique, mais aussi de toute autre ressource en lien avec la santé (le logement, l’emploi, la politique, l’environnement…). Il s’agit en choisissant ce territoire régional de rendre compte de ces deux phénomènes parallèles qui sont à l’œuvre en matière de santé en France. Les deux mouvements sont liés : reconnaître la territorialité d’un déterminant doit permettre de mieux le prendre en compte dans les actions et agir de façon localisée doit permettre une action intersectorielle en facilitant les échanges autour des enjeux pluriels en santé. Amat rose concluait en (2001) que le fait de traduire les problématiques de santé dans les projets de territoires locaux est moteur d’intersectorialité et doit « […] conduire les acteurs de l’aménagement – au sens large : logement, transports, action sociale …- à décloisonner les regards, à s’associer, à partager les connaissances, à se coordonner… ». La santé est réfléchie dans une optique de développement des territoires, impliquant l’ensemble des acteurs de l’aménagement à travailler dans cette intersectorialité, cette cohérence collective et ce décloisonnement des regards. Cette action intersectorielle qui valorise l’échelle locale, est un enjeu fort tant elle doit faire face à des problématiques diverses : millefeuille territorial, rigidité des secteurs et formes de corporatisme, forme de cloisonnement (médico-social notamment) ; autant de problématiques qui doivent être dépassées pour envisager une action coordonnée et une efficacité réelle des parcours de soins et parcours de santé des individus. Ce sont ces mêmes conclusions que nous défendons également et qui doivent permettre de prendre conscience du lien étroit entre déterminants de la santé et territoire et des enjeux de la planification territoriale dans leur prise en compte.
Modèles de déterminants de la santé : composantes et évolution
« La valeur de ce modèle dépend de sa capacité à fournir des catégories pertinentes dans lesquelles insérer les diverses données et résultats de recherche concernant les déterminants de la santé qui émergent actuellement et de sa capacité à fournir une définition de la santé suffisamment large pour intégrer toutes les dimensions qu’on considère – que les fournisseurs de soins, décideurs politiques et surtout les individus ordinaires eux-mêmes considèrent – comme importantes » (Evans, Stoddart, Marmor, 1996). Tels sont les enjeux que nous partageons dans le rôle d’un modèle de déterminants de la santé pour notre recherche. Si le cadre conceptuel des déterminants de la santé fait souvent appel à une représentation illustrée, ce n’est pas systématiquement le cas : par exemple les rapports (Mikkonen, Raphael, 2010) pour le canada et (Wilkinson, R., Marmot, 2004) pour l’OMS, portent plutôt sur des listes de déterminants clés dressées afin comprendre l’existence et la persistance des inégalités sociales de santé. L’exploration et le recensement de modèles représentatifs des déterminants de la santé ne sont pas un fait nouveau, mais qui prennent aujourd’hui de l’ampleur. En 2015, le Conseil Canadien sur les Déterminants sociaux de la santé (Conseil canadien sur les déterminants sociaux de la santé., 2015) dans son analyse des cadres relatifs aux déterminants de la santé, recensait 36 cadres élaborés dans le monde regroupés en 3 grandes catégories : Explicatifs, interactifs et/ou axés sur l’action (Figure 10). À l’instar de Shokouh et al (2017), qui ont effectué une étude narrative des modèles conceptuels des déterminants sociaux de la santé, nous nous intéressons ici à la caractérisation des modèles de déterminants de la santé en retraçant leur évolution et leur complexification progressive depuis les années 1970. Depuis bientôt 50 ans les modèles conceptuels et les schémas associés se succèdent. Deux entrées principales les motivent : la reconnaissance d’une vision globale de la santé et la certitude que la réduction des écarts de santé passe par une connaissance et une analyse des déterminants qui font notre santé (Aïach, Fassin, 2004 ; Leclerc, Fassin, Grandjean, Monique, Lang, 2000). Sous l’impulsion notable de travaux canadiens, nous assistons au développement de différents modèles pour représenter ces déterminants qui impactent la santé. Motivés par des courants disciplinaires multiples, par des objectifs scientifiques, politiques et économiques (Hancock, 2011) ; la multitude de ces modèles nous renseigne de la complexité qui existe à caractériser les déterminants de la santé et à nous rendre compte que : s’il est possible d’explorer les déterminants un a un, qu’en est-il d’une approche globale ? En partant d’un premier modèle proposé en (1974) dans le rapport Lalonde, l’objectif est de faire apparaître différents apports (concepts, notions, représentations) qui ont complexifié les modèles, et ont permis aux modèles récents de tendre vers une représentation au plus proche d’une définition de la santé dans toutes ses dimensions. L’ensemble de ces travaux montre un aperçu des formes que peut prendre le concept de déterminant de la santé lorsqu’on cherche à l’illustrer. Dépendamment de l’objectif ou de la fonction à remplir, ces modèles renvoient à l’étape deux de Goertz (Introduction). Pour lui, un concept est construit selon trois niveaux : nominatif, constitutif, et opérationnel. Le niveau constitutif doit permettre la description du concept par ses constituants ; fonction que remplit très bien chacun de ces modèles. Cette démarche doit nous servir à identifier les critères du modèle dont nous aurons besoin par la suite, les fameuses dimensions que nous devons prendre en compte. Le propos qui suit repose sur un corpus de données bibliographiques issu de différents supports (ouvrages de références, rapports d’étude ou d’institution, documents d’orientation politique, articles scientifiques) dont les références sont françaises et anglophones sur les principales ressources suivantes ;
Les bases de données telles que PubMed, Scopus, Sudoc, Google Scholar, Isidore
Bases bibliographiques thématiques : les inégalités sociales de santé par l’IRDES, Bibliographies de la Banque de Données en Santé Publique
Revues en ligne : Géocarrefour, Cybergéo, Echogéo, Social Science and Medicine,
Plateformes d’édition : Cairn, Persée, Erudit
Réseau social : ResearchGate
Recherche dans les bibliographies d’articles et d’ouvrages pour retracer les sources
La constitution de ce corpus a été réalisée à partir des mots-clés suivants : déterminants sociaux de la santé, associés aux termes de : territoire, inégalités, indicateurs, géographie, effets de lieux, contexte, individu, santé globale. Les mêmes termes ont été utilisés pour une recherche dans la bibliographie anglophone. En se basant sur ces références (certes non exhaustives), il s’agit d’interroger les cadres et la façon de classifier les déterminants, en se concentrant sur des modèles traitant de problématiques de santé globale avec en arrièreplan un objectif de réduction des inégalités. En effet, les modèles peuvent viser des objectifs différents (par exemple le modèle de l’OMS pour la santé des enfants, « WHO Commission : Early Child Development model », (Siddiqi et al. 2007)).
Réduction de la base de données initiale par ACP sur chaque champ de déterminants de la santé
Nous avons attribué précédemment (Partie 2 – Chapitre 3) à l’ensemble de nos déterminants de la santé plusieurs indicateurs (2 à 3 variables à chaque fois). L’objectif était de ne pas se restreindre sur le choix des indicateurs pour illustrer les catégories de déterminants afin de rendre compte de la richesse des catégories. Une fois la base complétée, corrigée et les données analysées nous avons souhaité la réduire. Nous avons effectué cette réduction de la base de données initiale en effectuant des analyses par champs de déterminants (Caractéristiques Individuelles, Milieux de Vie, Systèmes et Contexte Global). Pour réduire cette base nous avons utilisé le logiciel R et la fonction de l’Analyse en Composantes Principales (ACP). L’objectif était de supprimer les données redondantes pour affiner la base et concentrer l’information principale dans l’idée de créer un indice composite. Ces analyses ont été effectuées via le logiciel R et son environnement R Studio en répétant le même procédé pour chaque champ de déterminants, comme présenté par le script cidessous(Figure 64). Les analyses ACP ont été faites grâce à l’utilisation du Plugin FactoMineR de l’environnement R Commander. Les packages FactoShiny et FactoInvsetigate ont permis respectivement l’exploration graphique et l’aide à l’interprétation. Le choix de supprimer des variables s’est fait principalement en explorant la corrélation des variables, et la contribution des variables à la construction des axes factoriels. Par exemple, nous avons pu faire le choix de supprimer une variable parce qu’elle était trop peu contributive et corrélée avec une autre variables (soit de la même catégorie de déterminants soit d’une autre catégorie : rappelons que les catégories de notre modèle (Figure 27) sont perméables). Cet exercice a consisté en trois étapes principales :
– Etudier les corrélations des variables pour la base entière et champ par champ en retenant les coefficients se rapprochant de 1 ou -1 pour déterminer l’intensité de la corrélation. Cette fonction s’exécute par RCommander en utilisant le coefficient de Pearson. (Voir tableau des corrélations principales en Annexe 3 où nous avons conservé toutes les corrélations entre variables supérieures à 0.60).
– Interpréter les résultats des individus et des variables. Etudier les contributions des variables aux axes de l’ACP. « Les contributions permettent de hiérarchiser l’importance des variables les unes par rapport aux autres à l’information portée par l’axe. Contribution des variables : se lit axe par axe, part (contribution relative) = de chaque variable à l’information portée par l’axe ».
– Effectuer des suppressions de variables trop peu contributives ou trop peu discriminantes en veillant à ne pas déstabiliser la base.
Ce processus a nécessité de faire des allers-retours en testant la suppression de certaines variables et ce que cela impliquait sur les résultats. Les résultats qui suivent sont issus des 4 ACP différentes, effectuées par champ de déterminants. Ils comportent un résumé des sorties statistiques effectuées sous R.
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Table des matières
Introduction générale
Partie I : Les déterminants de la santé : Des théories et des modèles de représentation
Chapitre 1 – Contexte de recherche en géographie de la santé
1-1-1- Géographie de la santé et de ses déterminants
1-1-2- Les déterminants à l’échelle locale
Chapitre 2 – Cadre théorique : Cerner les déterminants de la santé
1-2-1 Éléments de définitions
1-2-2 Modèles de déterminants de la santé : composantes et évolution
Chapitre 3 – Le choix du modèle pour explorer les déterminants de la santé
1-3-1 Rendre un modèle opérationnel, quelles dimensions retenir ?
1-3-2 Dans le cas de l’étude : quel modèle retenir ?
Partie 2 : Des données et des territoires : opérationnaliser le modèle par le choix d’indicateurs pertinents
Chapitre 1 – Quels indicateurs pour quels déterminants ?
2-1-1 Qu’est-ce qu’un indicateur ?
2-1-2 Combiner plusieurs indicateurs
Chapitre 2 – Observation et observatoire des territoires
2-2-1 L’observation des territoires et le rôle clé des observatoires de santé
2-2-2 Evolution d’un parcours de recherche de données applicables aux déterminants de la santé sur la région Pays de la Loire
Chapitre 3 – Les indicateurs statistiques retenus pour l’étude
2-3-1 Les caractéristiques individuelles
2-3-2 Milieux de vie
2-3-3 Systèmes
2-3-4 Contexte global
2-3-5 Des variables intéressantes pour les catégories, mais non retenues
Partie 3 : Quelle synthèse pour les déterminants de la santé en Pays de la Loire ?
Chapitre 1 : Exploration et réduction de la base de données sur les déterminants de la santé en Pays de la Loire
3-1-1 Préparation de la base de données
3-1-2 Réduction de la base de données initiale par ACP sur chaque champ de déterminants de la santé
Chapitre 2 : Propositions d’opérationnalisations du modèle de déterminants de la santé
3-2-1 Proposition de typologie 1 – Première proposition de typologie des territoires par Classification Hiérarchique sur Composantes Principales
3-2-2 Proposition de typologie 2 : Méthode de Scoring par EPCI sur les variables de la base
Chapitre 3 : Propositions de pondération des déterminants de la santé
3-3-1 Méthodologie d’une approche qualitative pour la création de pondération des déterminants de la santé
3-3-2 Nouvelle cartographie des données sur les indices pondérés
Discussion et Conclusion Générale
Bibliographie
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