Construction de problèmes et obstacles épistémologiques à propos du concept de fossile

Apprendre, enseigner et former en Sciences de la Terre requiert, comme toute relation au savoir, la prise en compte de stratégies individuelles d’apprentissages, la considération d’un certain art du pédagogue et l’expertise d’un cheminement didactique pour « rendre le savoir transparent et accessible » (Meirieu, 1993, p. 80). Plus particulièrement, cette recherche en didactique des sciences tend à préciser les spécificités de l’apprentissage et de l’enseignement de la paléontologie à travers son histoire et quelques situations de classe du primaire et du secondaire. Une authenticité dans les processus de cet apprentissage et de cet enseignement sera décryptée à travers certains fondements de la construction de la connaissance paléontologique : la mise en débat des idées, l’émergence de problèmes scientifiques et d’obstacles épistémologiques, l’argumentation naviguant entre théorie et pratique, entre modèles explicatifs et observations empiriques de terrain, si chers aux naturalistes.

Choix d’une pratique langagière et d’une épistémologie associée : débat et problématisation en sciences 

L’évolution des instructions officielles des programmes en Sciences de la vie et de la Terre manifeste une volonté de libérer la parole des élèves, tant à l’école primaire qu’au collège . De la classe dialoguée, menée par l’enseignant, au débat interne entre élèves, les différentes prescriptions ministérielles préconisent aux enseignants de prendre en compte l’hétérogénéité de leur classe et de la mobiliser dans une construction collective des savoirs. Les situations d’enseignement sous formes dialoguées sont des artifices pédagogiques qui ont été très tôt utilisés. Ainsi, au Ve siècle avant J-C, les dialogues platoniciens ont contribué à valoriser l’éducation philosophique des jeunes athéniens, dispensée par Socrate. Son art de la maïeutique devait faire accoucher les jeunes esprits des pensées plus ou moins conscientes, en menant une réflexion dialectique soutenue par une mise en questionnement. Elle avait comme but la recherche de la vérité sur la nature humaine. Cette stratégie a été une source d’inspiration par de nombreux scientifiques, dont un des dialogues les plus renommés est celui écrit par Galilée , au XVIIe siècle. Il fut suivi par des académiciens français, en particulier Fontenelle, qui imagine un dialogue entre un savant et une marquise, jeux discursifs entre un discours savant et un discours galant, entre la raison de l’astronomie cartésienne et l’imaginaire de mondes habitées sur d’autres planètes que la Terre (1687/1998). Quant à la « fiction éducative » de Rousseau, auprès de l’élève Emile, prônée au XVIIIe siècle (Fabre, 1999b), elle est aussi basée sur la participation active de l’élève à son propre apprentissage. Ces tendances pédagogiques anciennes s’inscrivent tout à fait en parallèle des fondements didactiques actuels, c’est à dire une co construction par les élèves du savoir à partir de leurs propres connaissances mobilisées dans un cheminement intellectuel de recherche et de redécouverte.

Cerner l’apprentissage et l’enseignement des sciences revient à orienter notre réflexion dans un premier temps sur l’étroite relation entre débat et problème, permettant de mettre à jour la logique de la connaissance scientifique. Ceux-ci sont dépendants l’un de l’autre, dans la mesure où un problème scientifique véritable –c’est-à-dire compréhensible, avec un certain degré de complétude et d’ouverture, dont la ou les solutions ne sont pas connues d’avance – peut animer une communauté et l’engager dans une discussion, plus ou mois polémique, en vue d’une démonstration ou d’une réfutation. Une définition du problème met en valeur cette interaction dévoilant l’idée d’un discours argumentatif à développer : « ce qui est jeté dans la discussion et qui devient objet de débat » (Fabre, 1993, p. 73). Ces confrontations critiques et heuristiques sont révélatrices de l’authenticité de toute démarche scientifique. En l’occurrence, les débats historiques sont de véritables objets d’études épistémologiques dans la mesure où ils expriment, grâce à la « puissance polémique originelle », un autre esprit scientifique, des obstacles et des ruptures épistémologiques, une histoire d’une science périmée ou sanctionnée (Canguilhem,1988/2000, p. 20). Aussi, problème et débat nous apparaissent constituer un « noyau » (Meirieu, 1989, 1993, p. 119-120) fédérateur en didactique des sciences à la fois, aux niveaux des apprentissages des élèves, de certaines pratiques enseignantes et, d’éclairages historiques possibles. En conséquence, ils nous donnent l’espoir d’une étude comparative féconde, en vue de faire émerger des repères didactiques pour la formation des enseignants. A partir du XXe siècle, l’importance des rencontres entre scientifiques, lors des conférences ou des congrès, est reconnue comme indéniable pour la construction des concepts . De même, le développement en Europe des « cafés scientifiques » permet divers débats, entre experts et novices dans un espace public, sur des problèmes actuels de recherches ou des questions socialement vives. Ce n’est pas sans rappeler les conférences publiques données par Bernard Palissy au XVIe siècle (Raichvarg, 1991, p. 54).

Choix d’un objet d’étude, les fossiles en débat et la naissance d’une discipline, la paléontologie 

Cette pratique des situations de débats dans l’enseignement peut renvoyer, comme nous venons de le rappeler, à des pratiques sociales de référence (Martinand, 1985) autour de controverses scientifiques célèbres. Les plus étudiées dans le domaine des Sciences de la vie sont : celle résolue sur la génération spontanée microbienne entre Pouchet et Pasteur au XIXe siècle ; celle sur l’évolution des vivants, initiée au début du XIXe siècle par un courant transformiste lamarckien puis, démontrée en 1859 par l’ouvrage sur la sélection naturelle de Darwin et pourtant encore remise en cause aujourd’hui par des courants néocréationnistes ; et celle sur l’origine de la vie ayant commencé au début du XXe siècle et non encore consensuelle, parfois déclinée comme « l’enfer des origines ».

Des travaux de recherche historique mettent en valeur des courants d’idées multiples sur la naissance du concept de fossile, de l’antiquité jusqu’au début du XIXe siècle. Cette divergence d’idées -essentiellement sur leur origine puis sur leur signification- à propos des objets récoltés, de tout temps, est étonnante par son foisonnement. Certaines récurrences ont donné lieu aux premiers « procès » des fossiles, signalés dès la Renaissance et récidivant jusqu’au siècle des Lumières (Ellenberger, 1988, 1994). Des jeux de hasard, préconisant une formation terrestre in situ voire sous l’influence d’une force céleste, aux anciens restes d’êtres vivants parfois disparus et indicateurs d’anciennes mers, en passant par les pierres figurées, les fossiles ont eu de multiples interprétations traduites par cette polysémie (Bouillet & Gaudant, 2000). Aujourd’hui, la communauté paléontologique s’entend principalement sur la définition suivante, « reste, trace ou moulage naturel d’organisme conservé dans des sédiments » (Foucault & Raoult, 2005, p.142). Mais cette définition, d’apparence univoque, masque la recherche, encore d’actualité, du domaine de compréhension et d’extension du concept de fossile. La conceptualisation est soumise à l’épreuve permanente de divers objets prélevés : que ce soient les mammouths gelés et leurs fragments d’ADN, les moulages artificiels d’Homo sapiens dans les cendres de Pompéi ou encore des fossiles d’échinodermes appelés longtemps « fossiles vivants » car l’espèce paléontologique paraît semblable à l’espèce zoologique actuelle (Lecointre & Le Guyader, 2001). Que d’aventures intellectuelles humaines pour comprendre la signification des fossiles au sens actuel, depuis le premier usage de ce terme dans la langue française par Richard Le Blanc en 1556 et ses dénominations multiples successives (Gaudant, 1999, p. 430) ! Quels cheminements ont été parcourus, entre une approche initiale minéralogique « Fossiles sont les matières minérales, pour lesquelles recouvrer, faut creuser la terre » (Palissy, 1580/2004, p. 321), et l’émergence de la première définition de fossile par Lamarck en 1801 « Je donne le nom de fossile aux dépouilles des corps vivans, altérés par leur long séjour dans la terre ou sous les eaux, mais dont la forme et l’organisation sont encore reconnaissable » (p. 403). Quelle richesse épistémologique requiert la naissance de la paléontologie, définie pour la première fois par H. de Blainville en 1834 (Piveteau, 1985) et institutionnalisée par la chaire de paléontologie du Museum national d’histoire naturelle de Paris en 1853, dont Alcide d’Orbigny fut le premier titulaire. Nos bornes d’étude historique en paléontologie seront ainsi justifiées et placées du milieu du XVIe siècle où la minéralogie était encore prédominante, jusqu’au milieu du XIXe siècle où le relais conceptuel sera pris ensuite par le transformisme.

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Table des matières

INTRODUCTION
1. Choix d’une pratique langagière et d’une épistémologie associée : débat et problématisation en sciences
2. Choix d’un objet d’étude, les fossiles en débat et la naissance d’une discipline, la paléontologie
CHAPITRE 1 : DES IDÉES PLURIELLES GÉNÉRATRICES DE DÉBATS A PROPOS DES FOSSILES EN HISTOIRE DES SCIENCES : PREMIERS REPERES DE PROBLÉMATISATION ET D’OBSTACLE ÉPISTEMOLOGIQUE
1. 1 Une histoire d’objets paléontologiques, une histoire d’archives d’os et de coquilles
1. 2 Une histoire complexe d’idées foisonnantes et récurrentes à propos des fossiles
1. 3 Vers une histoire des débats, la controverse repérée Buffon-Voltaire
1. 4 Vers une histoire des grandes questions paléontologiques déclinées en problèmes et obstacles
1. 5 Des réflexions épistémologiques en paléontologie aux questions didactiques
Conclusion Chapitre 1 : des dialectiques envisagées pour la construction de la connaissance paléontologique
CHAPITRE 2 : REVUE DE SYNTHÈSE DES RECHERCHES EN DIDACTIQUE LIÉES A L’ENSEIGNEMENT ET AUX APPRENTISSAGES DE LA PALÉONTOLOGIE
2. 1 Les conceptions initiales des élèves en paléontologie
2. 1.1 Première approche, catégorielle : la diversité des conceptions et leur écart au savoir savant, repérage d’obstacles en sciences paléontologiques
2. 1.2 Deuxième approche, systémique : des systèmes explicatifs, des nœuds d’obstacles et des rapports aux savoirs
2. 1.3 Vers problématisation et débat, versus conflit socio-cognitif
2. 2 Spécificité d’une science historique à enseigner
2. 2.1 La place épistémologique de la paléontologie au regard d’autres disciplines sur le problème de l’origine de la vie, une science naturaliste
2. 2.2 La place épistémologique de la paléontologie dans la problématisation de l’origine de la vie, une science des modèles
Conclusion Chapitre 2 : Des paradoxes envisagés pour la construction de la connaissance paléontologique
CHAPITRE 3 : UNE PROBLÉMATIQUE EN ÉPISTEMOLOGIE COMMUNE A LA DIDACTIQUE ET A L’HISTOIRE DES SCIENCES
3. 1 Des modèles préscientifiques convergents
3. 2 Une posture d’enseignement orienté vers la conquête du sens d’un savoir construit et provisoire
3. 3 Une progression logique des problématiques libérant la critique et le questionnement
3. 4 L’histoire des sciences, laboratoire de l’épistémologie et référent didactique des pratiques
Conclusion Chapitre 3 : Vers une problématique de transposition didactique autour des objets fossiles
CHAPITRE 4 : UNE MÉTHODOLOGIE ADAPTÉE D’ÉTUDES DE CAS SCOLAIRES ET HISTORIQUES
4. 1 Méthodologie en histoire des sciences, des archives réduites
4. 1.1 La nécessité du retour aux sources historiques, l’espoir de textes inédits
4. 1.2 L’intérêt épistémologique de l’erreur, version rétrospective du progrès
4. 1.3 L’Histoire des sciences et sa relation aux savoirs actuels, seconde version du progrès
4. 2 Méthodologie en didactique, un potentiel important
4. 2.1 Garantie du débat argumentatif dans le système éducatif
4. 2.2 Débat argumentatif et temps de problématisation
4. 2.3 Partir des objets fossiles familiers de l’élève
4. 2.4 La conception du questionnement initial de l’enseignant pour la genèse d’un débat en classe
4. 2.5 L’analyse des productions d’élèves par l’enseignant et la conduite d’un débat
4. 3 La rencontre des études de cas historiques et scolaires
4. 3.1 Choix et intérêts des études de cas convergentes
4. 3.2 Une méthodologie commune d’analyse des corpus historique et scolaire dans le cadre théorique de la problématisation
4. 3.3 Une méthodologie commune d’analyse des corpus historique et scolaire dans le cadre théorique de l’argumentation
4. 3.4 Une méthodologie commune d’analyse des corpus historique et scolaire dans le cadre théorique du problématique et du questionnement
4. 3.5 La logique de l’erreur, l’obstacle et la problématisation
Conclusion Chapitre 4 Des choix méthodologiques orientant la recherche ciblée sur la problématisation
CONCLUSION 

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