Pour travailler sur la compréhension en didactique
Des travaux dans d’autres champs que celui de la didactique, notamment en psychologie de l’éducation, permettent d’interroger cette notion d’apprentissage sous des angles divers, par exemple, les travaux de Jean Piaget (1974) ou de Michel Brossard (1985, 1994) sur la compréhension. Piaget (1974) définit la compréhension, en relation au savoir-faire, de la manière suivante : « Réussir, c’est comprendre en action une situation donnée à un degré suffisant pour atteindre les buts proposés ; comprendre, c’est réussir à dominer en pensée les mêmes situations, jusqu’à pouvoir résoudre les problèmes qu’elles posent quant au pourquoi et au comment des liaisons constatées et par ailleurs utilisées dans les actions » (p. 237). En psycholinguistique, comprendre un texte est construire sa signification selon Guy Denhière et Serge Baudet (1990). En linguistique, Fatima Carvalho-Lopes (1991) identifie la compréhension comme étant un processus et un état. Un processus qui se situe dans l’espacetemps et est relatif à l’activité du sujet, il n’est donc pas stable. Les élèves traitent les informations qui leur semblent pertinentes en en court-circuitant d’autres, cela fait de la compréhension un processus générateur de différences. Il peut s’agir d’un état, car la compréhension constitue le résultat d’un système d’opérations. Ses analyses montrent que la compréhension que plusieurs élèves ont d’un même énoncé peut donc varier, et pose la question de la validation de la compréhension : comment être sûr que « ce que l’on comprend et que l’on croit partagé par d’autres, l’est réellement ? » p. 334. Dans la représentation mentale du processus de compréhension, elle distingue trois caractéristiques de la structure cognitive : un système de catégories concepts, des règles destinées à situer l’objet dans une catégorie et un réseau de relations entre chaque catégorie.
Les travaux de Michel Brossard (1985) et notamment l’article Qu’est-ce que comprendre une leçon ? ont grandement nourri ma réflexion. Ce dernier m’a permis d’identifier avec clarté une partie de l’objet que je souhaitais interroger : le processus de production de sens, « l’enfant doit être capable de reconstruire, à partir du discours scolaire les informations centrales ainsi que leurs relations » p. 733, les opérations nécessaires à celui-ci (de cadrage, d’anticipation et de sélection) ainsi que les difficultés inhérentes au processus de compréhension dans une situation didactique.
Je me situe dans le champ des didactiques, ce qui m’intéresse ici ce n’est pas de formaliser le processus de compréhension mais d’étudier la manière dont les élèves conçoivent la compréhension de contenus déterminés. Dans la mesure où je compare un objet dans diverses disciplines, je me situe aussi dans la didactique comparée. Une première recherche documentaire, m’a permis de saisir plus clairement les sens du terme à interroger. En didactique, de nombreux travaux se sont intéressés aux différents modes de compréhension. Une relation entre la compréhension et les connaissances est mentionnée par Anna Sierpinska (1995) : « Tout acte de compréhension qui amène une personne à modifier les connaissances, pensée ou croyance, est précédé d’une question. » p. 64-65. La compréhension, autrement dit l’acte de construction de sens, est explorée dans de nombreux domaines. Elle est notamment étudiée en lecture , dans des disciplines en particulier ou des sous-domaines d’une discipline . Ces études me permettent de saisir plus clairement ce qui est engagé par l’élève dans ce processus. Des facteurs relatifs à la compréhension sont étudiés tels l’intentionnalité, le recours aux produits d’une précédente compréhension et le caractère processuel de la compréhension (Maier, 1998). Par le processus d’intentionnalité, l’élève répond aux consignes de l’enseignant en entamant une activité avec « l’intention de structurer intellectuellement ce qu’il a perçu et de lui donner un sens » p. 33. Le recours aux produits d’une précédente compréhension, permet à l’élève de faire appel à des structures conceptuelles idiosyncratiques et de pouvoir les modifier à chaque renouvellement du processus de la compréhension pour une nouvelle situation. Quant au caractère processuel de la compréhension, l’auteur souligne que celle-ci est stimulée par un mélange de facteurs rationnels et affectifs étroitement liés, les attentes, craintes ou angoisses formant des processus émotionnels qui accompagnent les processus cognitifs. Ces derniers m’intéressent tout particulièrement dans le cadre de cette recherche.
Les relations entre la compréhension et les représentations sont tout aussi importantes. Des études relèvent des formes de représentation différentes qui peuvent par exemple « faire apparaître des mondes mathématico – algorithmiques différents chez l’élève ». (CohorsFresenborg, 1998, p.231). Quand on propose un problème algorithmique à un élève, c’est la forme de représentation extérieure qui importe en premier lieu.
Pour travailler sur les représentations des élèves
La notion de représentation en didactiques définit « les systèmes de connaissances qu’un sujet mobilise face à une question ou une thématique, que celle-ci ait fait l’objet d’un enseignement ou pas » (Cohen-Azria, 2013b). Elle est parfois désignée sous le terme conception. Les représentations ont un caractère empirique, des études auprès des élèves sont nécessaires pour pouvoir les approcher. La connaissance de celles-ci peut permettre une anticipation des obstacles que les élèves risquent de rencontrer dans une situation d’enseignementapprentissage (Astolfi, 2002). La question des représentations et le poids de celles-ci dans les apprentissages intéressent vivement les didacticiens. C’est un élément travaillé par exemple par Jacinthe Guiguère (2002), qui souligne les liens significatifs entre les représentations des élèves et leurs performances en lecture et en écriture. C’est également le cas de Gérard de Vecchi, (2003) qui présente des obstacles possibles liés aux conceptions des apprenants. Quelques travaux soulignent la place des représentations dans la construction par les élèves du processus de compréhension, du cheminement intellectuel qui les amène à saisir le sens d’un contenu, sens attendu par les enseignants. Selon Klaus Hasemann (1988), les différences dans la pensée mathématique des élèves proviennent, selon toute apparence, des variations dans la représentation interne de ce qu’ils savent de certains concepts et méthodes. L’auteur avance que les concepts mathématiques élaborés mentalement par une personne sont des interprétations individuelles et personnelles qui peuvent fortement s’écarter des concepts établis. Les conceptions peuvent être différentes ainsi que les formes du processus de représentation qui les enregistre dans la mémoire de l’individu. Parmi les recherches dans les différentes didactiques disciplinaires sur la compréhension et l’appréhension d’un contenu, plusieurs travaux expliquent l’importance des représentations dans les processus d’enseignement /d’apprentissage. Elisabeth Nonnon (1989), dans une étude sur les aides à la compréhension par l’enseignant, souligne la nécessité de prendre en compte « la pluralité des démarches et des objets de connaissance, la variété des opérations et des niveaux de traitement, qui entrent dans ce qu’on peut appeler la compréhension» p. 28. L’appropriation d’un savoir n’est pas linéaire, l’apprentissage et la compréhension peuvent se dérouler en même temps et sur différents plans, ce qui produit des anticipations, des régressions, des réorganisations et des décalages. Parfois l’interférence entre plusieurs niveaux de compréhension peut permettre d’intégrer, rétrospectivement, des acquis antérieurs. Ce concept de représentation est repensé dans des recherches sur la conscience disciplinaire , un concept spécifiquement didactique qui spécifie « l’actualisation (postulée) de la discipline en tant que configuration dans l’esprit des apprenants » p.13. Un point central dans mon questionnement est la reconstruction par l’élève de ce qui doit être fait dans une discipline.
Pour travailler sur la compréhension par le prisme de la conscience disciplinaire
Il y a, selon moi, différents intérêts à travailler la question de la compréhension selon les élèves : premièrement, apporter un complément d’informations qui permet d’étayer ou de nuancer des résultats de recherches sur la conscience disciplinaire des élèves; deuxièmement, signaler les contenus ou fonctionnements indiqués de manière récurrente par les élèves comme étant faciles ou difficiles à comprendre ; troisièmement, enrichir le champ de la didactique comparée en confrontant les modalités de compréhension des élèves dans les différentes disciplines et ouvrir des pistes d’intervention possibles. L’étude que j’ai entreprise vise à combler un manque en analysant au sein de l’espace des reconstructions ce que les élèves entendent par comprendre. Il ne s’agit pas de vérifier ce qui est vrai ou supposé, ni de tenter de vérifier si un apprentissage est effectif, ni de savoir s’ils comprennent selon les prescriptions institutionnelles. Il s’agit plutôt d’interroger leurs activités cognitives liées à l’apprentissage d’un contenu, les facilités ou les difficultés ressenties et liées à une discipline, à un contenu ou à une situation d’apprentissage. Ce travail permet notamment de préciser le point de vue des élèves, rarement interrogés sur ce processus de compréhension, d’éclairer des difficultés ou des malentendus voire des obstacles possibles dans les apprentissages disciplinaires en milieu scolaire. C’est cette entrée qui constitue la spécificité de mon travail. Pour ce faire, quelques concepts en didactique m’ont permis d’organiser la pensée, ils ont constitué des prismes me permettant de saisir, de dire et de comprendre des éléments apparaissant aux différents moments de la recherche.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Construction de l’objet d’étude : la compréhension vue par les élèves
1. Pour travailler sur la compréhension en didactique
2. Pour travailler sur les représentations des élèves
3. Pour travailler sur la compréhension par le prisme de la conscience disciplinaire
4. Le cadre didactique
5. L’ouverture de la recherche en Master
6. Quelques questions qui émergent
Chapitre 2 Compléments théoriques et décisions méthodologiques
1. Un nouveau concept : le vécu disciplinaire
2. Un choix méthodologique : des déclarations sollicitées
3. Présentation des corpus
4. Les obstacles rencontrés
5. Présentation des différents critères d’analyse
Chapitre 3 Les variations de la définition de « comprendre » selon les disciplines, pour les élèves
1. La définition de la compréhension par les élèves
2. La définition de « comprendre » pour les élèves et ses variations intra disciplinaires
3. Les relations apprendre / comprendre
Synthèse
Chapitre 4 Aides et obstacles à la compréhension selon les élèves
1. Les aides à la compréhension
2. Les réponses indéterminées
3. Les obstacles à la compréhension
4. Comparaison disciplinaire
5. Modifications possibles de la compréhension
Synthèse
Chapitre 5 Les démarches pour comprendre selon les disciplines
1. Comment font les élèves pour comprendre quelle que soit la matière ?
2. Les élèves différencient-ils les démarches pour comprendre selon les disciplines ?
3. Comment s’y prendre quand on n’a pas compris ? Les démarches mises en œuvre pour comprendre malgré les difficultés rencontrées
4. Catégorisation des disciplines par les élèves selon le besoin ou non de comprendre pour maîtriser un contenu
Synthèse
Chapitre 6 La notion de « logique » selon les disciplines
1. Les disciplines dans lesquelles les élèves de troisième déclarent comprendre parce que c’est logique
2. Que signifie pour les élèves, le terme « logique » ?
Synthèse
Chapitre 7 Les critères de compréhension selon les élèves
1. Comprendre ou non dans toutes les disciplines : réponses communes
2. Les critères spécifiques à chaque discipline
3. Des réponses indéterminées
4. Comparaison disciplinaire
Synthèse
Chapitre 8 Le vécu de la compréhension chez les élèves, entre tension et soulagement
1. Présentation de la recherche sur le « vécu disciplinaire »
2. L’importance de la compréhension dans le vécu disciplinaire
3. La dualité tension/soulagement dans chaque discipline
4. Les effets de l’incompréhension
Synthèse
Chapitre 9 Que signifie comprendre dans les programmes, les manuels et les discours des enseignants ?
1. La compréhension selon les enseignants
2. Confronter le discours des élèves et les autres discours étudiés
Synthèse
Conclusion
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