Constituer un territoire de gouvernement pour la finance : enquête sur l’expertise de supervision au sein de l’Union bancaire européenne

Les 28 et 29 juin 2012, dans une période de crise économique historique, les responsables de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne, Mario Draghi et José Manuel Barroso, conjointement avec les représentants des États membres réunis en Conseil européen, pointent la nécessité d’un renforcement institutionnel de l’Union européenne afin de doter celle-ci de moyens lui permettant de faire face aux instabilités financières connues depuis la crise financière de 2007. Quelques mois plus tard, la Commission européenne présente en ce sens un projet d’Union bancaire en trois volets : les transferts des pouvoirs de supervision des 130 banques les plus importantes de la zone euro des autorités nationales compétentes à la Banque centrale européenne (BCE) ; un mécanisme de résolution unique (MRU) des banques en situation de faillite ; la mise en place d’un fonds de garantie des dépôts des citoyens dans toute la zone euro. Cette thèse prend pour objet l’Union bancaire européenne au prisme du problème suivant : comment l’Union européenne prend-t-elle en charge techniquement le gouvernement des banques de la zone euro? Cette question soulève un problème de science politique relatif aux transformations de l’entité politique Union européenne suite à cette réforme (à savoir comment s’invente une nouvelle forme d’action publique européenne relevant au préalable des seules compétences des États membres ?) ; et de sociologie de la finance concernée par les problèmes de contrôle des établissements financiers (comment les instruments mis en place au titre de l’Union bancaire transforment-ils la conduite des assujettis, à savoir les banques elles-mêmes ?).

L’Union bancaire, principale réponse européenne à la crise financière de 2008 

Un projet d’européanisation de la politique bancaire des États membres porté par le Conseil européen 

L’Union bancaire européenne constitue la principale solution institutionnelle portée par les chefs d’États et de gouvernement en 2012, en réponse à la crise financière ayant touché la zone euro à partir de 2008 à la suite de la faillite de la banque Lehman Brothers aux États-Unis.

Ce projet, de sa conception à sa mise en place, est un exemple d’hybridation des réflexions entre économistes académiques et responsables étatiques ou européens, le produit d’amendements et de compromis successifs au sein desquels les différents acteurs de la négociation ont essayé de faire tenir ensemble ce qu’ils estimaient devoir être l’avenir de la zone euro, les sensibilités nationales des différents pays, et la sécurité des secteurs bancaires nationaux. Au cœur des discussions résidaient la question du risque bancaire et du risque de dissolution de la construction européenne. En 2009 en Europe, un problème pratique et une question constitutionnelle vertigineuse se posaient aux différents acteurs impliqués dans la résolution de la crise financière et politique débutée en 2008 : comment trouver les moyens institutionnels de prise en charge du risque bancaire au niveau européen, tout en ménageant les sensibilités européennes et nationales potentiellement divergentes ? Le projet d’Union bancaire européenne en fut une réponse conçue comme une nécessité de supplément d’Europe, pour sauver l’Europe. Il consiste à la fois en une transformation des institutions européennes existantes, et une redéfinition de la manière d’envisager la gestion du risque bancaire par l’introduction de nouveaux instruments européens de contrôle. Afin de comprendre le caractère inattendu de ce moment européen en pleine crise des dettes souveraines, un bref retour sur le récit journalistique de la crise financière s’impose.

Le 15 octobre 2009 le récent premier ministre grec Giorgos Papandréou, fraichement nommé à la suite de la victoire de son parti le Pasok aux élections législatives, fait une déclaration publique consistant en une annonce de la falsification des comptes de son pays par le gouvernement précédent, et d’une réappréciation du niveau de déficit de son pays . Dès cette annonce, les agences de notation financière scrutant de manière accrue l’évolution de la situation des finances publiques des États européens depuis la chute de Lehman Brothers, et la rétractation des capacités de crédit des banques,  dégradèrent la note de la Grèce , la signalant alors comme potentielle débitrice à risque. De cet épisode, la situation financière et politique de la zone euro s’embrasa. Pour faire face à ses obligations financières à la suite de la rectification des comptes par la Commission européenne, Papandréou obtint à la fin de l’année 2010 le soutien du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne (les trois formant un trio souvent appelé « Troïka »), sous la forme d’un prêt de 110 milliards d’euros sur trois ans. Pour faire face aux nouvelles exigences des créanciers soucieux de récupérer leur argent, le gouvernement débuta l’organisation d’une série de plans d’austérité consistant en des coupes drastiques dans les finances publiques. Face à l’apathie des institutions européennes et de leurs dirigeants vis-à-vis de la dégradation de la situation grecque, le doute commença à poindre chez les investisseurs en bonds souverains : la Grèce, membre de la zone euro pourrait-elle faire défaut sur sa dette? Les États et institutions européennes laisseraient-elles donc faire ? Rapidement des écarts de taux sur les titres souverains des pays membres de la zone euro commencèrent à s’observer. Progressivement la Grèce est perçue comme un potentiel mauvais payeur et voit des investisseurs parier sur son défaut en achetant massivement des produits dérivés assurantiels (appelés « credit default swaps ») pour se prémunir d’un risque de défaut . Les doutes à l’égard de la Grèce ne s’arrêtèrent pas là, et finirent par toucher d’autres pays membres de la zone euro. Le Portugal, puis l’Espagne ne tardèrent pas à connaître également une augmentation de leur taux d’intérêt concernant leur refinancement sur les marchés. L’Europe s’enfonce progressivement dans une crise des dettes souveraines. La  métaphore alors fréquemment employée pour parler du phénomène observé, tant chez des économistes que dans des discours officiels d’institution comme la Commission européenne, est celle de l’apparition d’un phénomène de « cercle vicieux », pour caractériser le lien entre l’aggravation du niveau d’endettement des États avec la dépréciation financière de leurs banques privées .

Un produit de compromis de différentes sensibilités nationales 

L’idée d’une Union bancaire n’est pas apparue avec la crise financière et politique de 2011 en Europe. L’historien de l’Union européenne Emmanuel Mourlon Druol a déjà eu l’opportunité d’identifier trois séquences historiques au sein desquelles la création d’une Union bancaire (prenant la forme d’un projet d’harmonisation du droit bancaire et de coordination des banques centrales en matière de supervision) fut proposée par des équipes de la Commission européenne, mais refusée par les États membres. Dans les années 1960, des équipes de la jeune Commission soumirent un projet aux États sous l’angle d’une harmonisation du droit bancaire pour permettre une meilleure circulation des capitaux. En 1974-75, lors de la crise bancaire qui conduisit notamment à la faillite de la banque Bankhaus Herstat, la commission proposa un second projet, cette fois-ci sous l’angle de l’amélioration de sécurité financière entre les pays, en avançant l’idée d’une stabilité financière, pour éviter des effets de faillites en cascade. Finalement, la création du système monétaire européen en 1979 constitua la dernière tentative importante de la part de la Commission européenne d’obtenir la création d’une Union bancaire. Portée par le commissaire britannique Christopher Tugendhat, la justification du projet se fit au nom  de l’idée d’harmoniser les droits bancaires pour avancer vers une politique monétaire et bancaire commune. Ces trois projets, nous explique l’historien, ne connurent pas grand succès auprès des États membres et du syndicat des banques européennes, au motif notamment d’une volonté de maintien des droits nationaux, faisant place aux spécificités bancaires nationales sans conséquences majeures pour la possibilité de commercer entre différents territoires.

L’Union bancaire comme nouveau problème pour les critiques du fonctionnement de l’Union européenne 

La crise financière de 2007/2008 a provoqué une reformulation et une accentuation des réflexions critiques autour du fonctionnement des institutions européennes, sur lesquelles il est important de revenir afin de spécifier les questions politiques importantes que l’Union bancaire permet de soulever. J’aimerais présenter trois axes de critiques du fonctionnement de l’Union européenne que la crise financière a suscité dans la littérature en sociologie et en économie. Le premier axe de critique s’articule autour de l’idée que la crise financière aurait révélé une malfaçon radicale de la construction européenne en raison de son inspiration allemande ordolibérale, empêchant en conséquence toute politique alternative en Europe. Le second axe commente la crise financière comme un moment schmittien de confiscation de la démocratie dans les États du sud de l’Europe au nom de la préservation de l’économie européenne. Ces deux axes, complémentaires et congruents, se positionnent sur une critique radicale prônant une sortie des traités européens, afin de permettre la restauration de souverainetés nationales, seules garantes, selon ces auteurs, de possibilités de débats démocratiques au sujet des orientations économiques. Le troisième axe de critique, plus réformiste, décèle dans la crisefinancière  l’opportunité d’une transformation des institutions de l’Union européenne. Nous verrons alors comment et pourquoi l’Union bancaire est un point d’entrée intéressant pour poser de nouvelles questions à l’égard de la construction de l’Union européenne. Deux raisons seront notamment avancées. Premièrement, inattendue et inenvisageable pour les chefs d’État et de gouvernement avant la crise financière, l’Union bancaire se donne pour objectif de « dénationaliser » les politiques bancaires des États de la zone euro. Deuxièmement, l’Union bancaire est un projet de normalisation du gouvernement de l’économie européenne, en la faisant sortir d’un état d’exception.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
SECTION 1 : L’UNION BANCAIRE, PRINCIPALE REPONSE EUROPEENNE A LA CRISE FINANCIERE DE 2008
1/ Un projet d’européanisation de la politique bancaire des États membres porté par le Conseil européen
2/ Un produit de compromis de différentes sensibilités nationales
SECTION 2 : L’UNION BANCAIRE COMME NOUVEAU PROBLEME POUR LES CRITIQUES DU FONCTIONNEMENT DE L’UNION EUROPEENNE
1/ L’Union européenne comme obstacle à l’exercice de la souveraineté des États membres
2/ L’Union bancaire comme promesse de réforme européenne
SECTION 3 : UNE SOCIOLOGIE DE L’EXPERTISE DU RISQUE FINANCIER ET DE SON GOUVERNEMENT
1/ Une reprise du problème du gouvernement de l’économie selon Michel Foucault
2/ Une sociologie de l’expertise de supervision en discussion avec une sociologie de la finance
3/ Une sociologie de l’expertise de supervision en discussion avec une sociologie politique de l’action européenne
SECTION 4 : L’ENQUETE
1/ Projet de l’enquête
2/ Terrain réalisé
SECTION 5 : ARGUMENT PAR CHAPITRE
1/ Premier chapitre : Produire une représentation crédible des risques bancaires
2/ Deuxième chapitre : Certifier la bonne mesure des risques : Les moyens de supervision controversés du territoire de gouvernement
3/ Troisième chapitre : Constituer un regard européen de supervision par la standardisation des pratiques de vérification des autorités nationales
4/ Quatrième chapitre : La production de la supervision européenne par la négociation des intérêts souverains
5/ Conclusion de la thèse
CHAPITRE 1. PRODUIRE UNE REPRESENTATION CREDIBLE DES RISQUES BANCAIRES
INTRODUCTION
PARTIE 1 : L’EMERGENCE DU PROBLEME DE LA CONFIANCE PERDUE DES INVESTISSEURS
1/ « Rassurer les investisseurs », en « chassant les banques zombies » : le répertoire d’action des acteurs de la supervision européenne
2/ Le problème de la « confiance des investisseurs », héritage d’un art de gouverner instauré par les accords de Bâle
3/ Les accords Bâlois, sources d’incertitudes sur la probité des banques européennes pour la BCE
PARTIE 2 : LE COMPREHENSIVE ASSESSMENT, INSTRUMENT DE CONSTITUTION DU ROLE DE PORTE-PAROLE DE LA BANQUE CENTRALE EUROPEENNE
1/ Une épreuve de véridiction pour la Banque centrale européenne
2/ Une épreuve ouvertement inspirée du stress test américain de 2009
3/ Une épreuve façonnée par l’échec des pratiques de stress testing en Europe depuis 2009
PARTIE 3 : DIRE LA REALITE DU SECTEUR BANCAIRE EUROPEEN PAR L’AUDIT
1/ Attacher sa crédibilité à celle des autres
2/ Prendre connaissance du passé des activités bancaires par le recours à un asset quality review
3/ Questionner le futur bancaire de la zone euro par le recours à un stress test
CONCLUSION
CHAPITRE 2. CERTIFIER LA BONNE MESURE DES RISQUES : LES MOYENS DE SUPERVISION CONTROVERSES DU TERRITOIRE DE GOUVERNEMENT
INTRODUCTION
PARTIE 1 : ENJEU DE VALORISATION ET LE PROBLEME DE LA DELIMITATION DE L’ESPACE D’ACTION DES BANQUES
1/ Rencontre entre banquiers et économistes pour débattre du risque bancaire et de sa supervision
2/ La contestation académique du mode de valorisation du stress test reposant sur les modèles internes des banques
3/ Les superviseurs opposés à un mode de valorisation reposant sur les données de marché des banques
PARTIE 2 : LA SUPERVISION EUROPEENNE FACE A LA GEOPOLITIQUE DE L’USAGE DES MODELES INTERNES ET DE LEUR CONTROLE AU COMITE DE BALE
1/ Plus de supervision des modèles internes : la réponse de la BCE à la controverse par son programme TRIM
2/ Le Comité de Bâle comme lieu d’enquête et de tension géopolitique au sujet de l’usage des modèles internes
3/ L’extinction progressive des débats autour des modèles internes
CONCLUSION
CHAPITRE 3. CONSTITUER UN REGARD EUROPEEN DE SUPERVISION PAR LA STANDARDISATION DES PRATIQUES DE VERIFICATION DES AUTORITES NATIONALES
INTRODUCTION
PARTIE 1 : LES SAVOIR-FAIRE DISCRETIONNAIRES DE LA SUPERVISION BANCAIRE FRANÇAISE AVANT LA MISE EN PLACE DU MECANISME DE SUPERVISION UNIQUE
1/ L’ACPR, une organisation bureaucratique en charge de la supervision des banques françaises
2/ L’expertise de l’ACPR tournée vers un travail de description et de contrôle de quatre catégories de risque
PARTIE 2 : L’INSTAURATION D’UNE OBJECTIVITE MECANIQUE DE SUPERVISION DES BANQUES A LA SUITE DU MECANISME DE SUPERVISION UNIQUE
1/ Le SREP : la mise en place d’une méthodologie européenne commune d’évaluation des risques des banques
2/ Les Joint Supervisory Team (JST) : un corps d’experts européens limitant l’appréciation discrétionnaire des autorités nationales
3/ La transformation du travail de vérification des risques des agents de l’ACPR
CONCLUSION GENERALE

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