Constats d’une déresponsabilisation du manager

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La représentation chiffrée
Le concept de représentation
Définition
A partir de l’exemple des cartes géographiques, comme type de représentation, Gérard Fourez a établi une « définition » des représentations, que nous avons choisi de mobiliser dans notre thèse : « Le terme « représentation » est utilisé de trois façons au moins :
Certains voient la représentation comme un miroir de la réalité, la réalité en plus compact (c’est le sens le plus populaire et c’est l’idéologie de beaucoup de chercheurs qui véhiculent une idéologie positiviste empirique). Cette perspective situe à la source de la représentation le désir d’imiter le réel plus que de le re-présenter).
Certains voient la représentation comme l’opinion que les gens ont de la réalité, avant leur instruction (ce sont les préconceptions des didacticiens : les conceptions dites spontanées). Ils voient les représentations comme les idées que les gens ont d’une réalité, idées qui les conditionnent dans leurs actions : on n’agit pas en fonction de la réalité mais en fonction de l’image qu’on en a (Moscovici 1977).
Certains ensuite voient la représentation comme ce qui peut, dans un débat, tenir la place de la réalité… (le point de vue des mathématiciens, des sciences politiques, des épistémologues et sociologues des sciences, et le nôtre (ici les représentativités n’imitent pas le réel, elles sont un tiers objet (comme une carte routière). C’est le point de vue qui doit être développé… » (Fourez, 2004, p. 31) et que nous allons retenir, pour nous permettre de définir le concept de « représentation chiffré », constitutif de notre question.
La représentation n’est donc pas la réalité, mais ce qui en tient lieu, ce qui la re-présente : Ainsi contrairement à l’usage courant du langage, une représentation n’est pas une copie du « véritable réel ». (Fourez, 2008, p. 51). Elle ne peut donc être « vraie », « sa valeur n’est pas absolue », un exemple évoqué à ce titre par Rémi Jardat nous parait particulièrement convaincant : On ne peut plus, par exemple, se dissimuler le caractère équivoque et relatif de toute représentation une fois que l’ethnologie et les sciences du langage nous ont révélé qu’une chose aussi évidente que la catégorisation du spectre lumineux en couleurs varie radicalement selon les cultures… » (2011, p. 329).
La représentation est créée, dans un premier temps tout au moins, en fonction d’objectifs, elle ne peut que répondre à des attentes,
Dans tous ces cas, la question n’est pas de savoir si la représentation est « vraie », mais si elle est adéquate. Elle le sera dans la mesure où elle répondra à nos attentes. Par exemple, une carte routière sera adéquate si elle me permet de trouver mon chemin. », « Quand on construit la représentation, on sélectionne ce qu’on juge le plus important pour le projet que l’on a. Les représentations sont construites en fonction de finalités. » (Fourez, 2008, p. 44).
La représentation remplace le réel et, pour pouvoir être utilisée, « elle doit être suffisamment standardisée par rapport à une communauté d’usagers » (Fourez, 2004, p. 34). Laplantine complète dans une note de bas de page cette définition :
Ce que l’on appelle « représentation » puis « système de représentations » constitue une rationalisation, d’ailleurs historiquement tardive du regard, qui consiste chez les Occidentaux, et seulement chez les Occidentaux, à valoriser la conception et l’abstraction au détriment de la sensation, la raison (ou du moins une certaine conception de la raison) au détriment de la vision. Il n’empêche qu’à une époque où tout est qualifié de « représentations » – surtout dans les sciences sociales-, nous parlons encore de « visions du monde » » (Laplantine, 2012, p. 21 note 2).
Nous retiendrons de cette définition, dans un premier temps, que la représentation est donc une abstraction, qui n’est pas vraie mais qui se substitue au réel, et qui n’est pas neutre, puisqu’elle est construite en fonction d’objectifs ou d’attentes, qui correspond à une « vision du monde », elle est selon Fourez :
le résultat d’une construction, d’une inventivité, de négociations et d’une standardisation réalisée pour et par les humains, en fonction de leurs projets et donc de leurs intérêts (dans le sens le plus large du terme) ; elles (les représentations) ne sont pas neutres idéologiquement » (Fourez, 2004, p. 39).
Certaines représentations sont particulières, ce sont selon Fourez, celles qui utilisent les systèmes de signes, comme le langage, les mots, qui conclut à ce sujet :
On peut utiliser des mots pour dire ce que l’on veut dire. Cependant, il n’existe pas la réalité dont on veut parler » mais seulement les représentations qu’on se fait d’elle. Les mots ne parviennent jamais à dire les choses parfaitement. C’est toujours sur des représentations que l’on travaille. » (2008, p. 51).
D’autres mots sont d’après Fourez, à quelques nuances près « synonymes de « représentation ». Il s’agit des notions de modèle, récit, loi, théorie, hypothèse, conception, abstraction, explication, doctrine, concept, notion. Chacun de ces termes renvoie à des constructions, matérialisées en mots écrits ou parlés, ou en images mentales, en schémas, etc. » (Fourez, 2004, p. 36).
Il nous apparait important pour la suite de notre travail que soit précisé en particulier, le terme de modèle, en tant qu’éventuel synonyme de représentation, dans le sens où il est fréquemment utilisé, dans le domaine qui nous intéresse, à savoir les sciences de gestion et souvent associé au chiffre. Eric Fimbel propose trois définitions possibles du modèle, un modèle est d’abord une icône, ce sont toutefois la seconde et la troisième définition, qui nous paraissent toutes deux correspondre au synonyme de représentation, dans le sens qui nous intéresse, c’est-à-dire de représentation chiffrée : Le modèle peut être aussi la formalisation des facteurs qui structurent, organisent et améliorent la compréhension d’un phénomène, d’une situation voire d’une vision. Le terme dérivé de modélisation est la traduction de cette seconde acception du modèle. » et « Le modèle peut enfin être envisagé comme un support à un échange, un débat entre parties prenantes » (Fimbel « La question du modèle économique…en question », 2012).
Pour Lorino, le modèle est une représentation économique de référence. La création d’un modèle ne signifie pas une reconstitution objective, il s’agit bien d’une interprétation qui permet le dialogue, c’est donc un outil de communication qui doit être lisible par ceux qui l’utilisent et donc parler un langage universel (Lorino, 1989, p. 132). Fimbel , pour évoquer le modèle économique, utilise la traduction de « business model » et va plus loin, un modèle, en tant que support d’échange et de débat, ne doit pas seulement être lisible, et standardisé, il devrait être « partagé », et non pas « imposé » (Fimbel « La question du modèle économique…en question », 2012). Pour Ellul, Le modèle c’est « une représentation simplifiée, mais complète de l’évolution économique d’une société, par exemple une nation pendant une période donnée, sous son aspect chiffré » (Vincent). C’est par conséquent une reproduction en petit, et sous forme d’équation, d’un certain « ensemble » économique. Evidemment l’on ne peut pas faire entrer dans le modèle tous les phénomènes économiques. Il y aura donc lieu de choisir. » (1990, p. 154).
Si la notion de modèle est proche de la notion de représentation, dans le sens où il s’agit bien d’un substitut de la réalité qui n’est pas neutre, elle semble moins générique, nous allons donc lui préférer le terme de représentation.
Représentation et réalité
Une réalité interprétée
La représentation n’est donc pas la réalité, mais ce qui en tient lieu. En outre, nous l’avons vu, elle est le fruit d’une construction liée à des attentes, elle ne peut donc pas être neutre, elle se substitue au réel et c’est à partir de représentations, que les êtres humains, travaillent, réfléchissent et échangent… Toutefois, l’usage de représentations favorise une interprétation du réel ; Florence et Angélique Rodhain évoquent dans ce sens, la notion de filtres interprétatifs : « Ainsi, nos connaissances et représentations stockées dans notre cerveau brouillent les pistes en produisant un bruit constant. Ces filtres interprétatifs éloignent l’individu de la réalité qu’il cherche à observer. » (2012, p. 47). De même Fourez évoque l’interprétation qui peut être faite de représentations : « La manière de se représenter le monde n’est pas neutre par rapport au sens de la vie humaine. Elle peut contribuer ou non à développer un souffle dans l’existence ou, au contraire, produire un univers spirituellement plat. » (Fourez, 2004, p. 38). A ce titre, l’histoire racontée par Italo Calvino, à propos de l’exactitude, nous parait particulièrement intéressante, pour la suite de notre propos : A un certain moment, Kublai Khan incarne la tendance qu’a l’intellect à rationaliser, à géométriser, à algébriser, et il réduit la connaissance de son empire à une combinatoire de pièces sur un échiquier : les villes que Marco Polo lui décrit avec force détails, il les représente par telle ou telle disposition des tours, des fous, des cavaliers, du roi, de la reine, des pions, sur les cases blanches et noires. Au terme de l’opération, il lui faut conclure que l’objet de ses conquêtes n’est autre que le bout de bois sur lequel chaque pièce se pose : un emblème du rien…Mais alors se produit un coup de théâtre : Marco Polo invite le Grand Khan à mieux observer ce qui lui semble n’être rien :
… Le Grand Khan essayait de s’absorber dans le jeu : mais à présent, c’était le pourquoi du jeu qui lui échappait. Toute partie s’achevait sur un gain ou sur une perte : mais de quoi ? Quel était le véritable enjeu ? A l’échec et mat, sous les pieds du roi enlevé par la main du vainqueur, il reste le rien : un carré noir ou blanc. A force de désincarner ses conquêtes pour les réduire à l’essentiel, Kublai était parvenu à l’opération terminale : la conquête définitive, dont les trésors en tous genres de l’empire n’étaient qu’enveloppes illusoires, se réduisait à un morceau de bois raboté.
Alors Marco Polo prit la parole :- Ton échiquier sire, est une incrustation de deux bois : ébène et érable. Le morceau de bois sur lequel se fixe ton regard illuminé a été taillé dans un anneau du tronc qui s’était développé une année de sécheresse : vois- tu comment sont disposées les fibres ? On aperçoit ici un nœud à peine marqué : un bourgeon a tenté de sortir un jour de printemps précoce, mais la gelée nocturne l’a contraint à renoncer. Le Grand Khan ne s’était jusqu’alors pas rendu compte que l’étranger savait s’exprimer couramment dans sa langue, mais ce n’est pas de là que venait son étonnement. Voici un pore plus gros : peut-être a-t-il été le nid d’une larve ; non pas d’un ver, qui à peine né aurait continué de creuser, mais d’une chenille qui a rongé les feuilles, et été cause qu’on a choisi cet arbre pour l’abattre…Ce bord-ci a été incisé par l’ébéniste avec une gorge, de manière à adhérer au carré voisin, plus saillant… La quantité de choses que l’on pouvait lire dans un petit morceau de bois lisse et vide submergeait Kublai ; déjà Polo en était venu à parler des forêts d’ébène, des trains de bois qui descendent au fil des rivières, des accostages, des femmes aux fenêtres…
En écrivant cette page, j’ai clairement compris que ma recherche de l’exactitude s’orientait dans deux directions. D’un côté, la réduction des évènements contingents des schémas abstraits, permettant le calcul et la démonstration de théorèmes ; de l’autre, l’emploi de mots qui rendent compte avec la plus grande précision possible de l’aspect sensible des choses ». (Histoire du Grand Khan, extrait de « Les villes invisibles » d’Italo Calvino, 2001, p. 119).
Les représentations donnent donc accès à des interprétations tout à fait différentes de la réalité, et peuvent faire écran ; le récit de Calvino éclaire par ailleurs, de par l’attitude du grand Khan, la définition de Laplantine, quant à la rationalisation chère aux occidentaux, que nous développerons ultérieurement.
Une réalité construite
Par ailleurs, selon les sociologues Berger et Luckman, la réalité est socialement définie. Mais les définitions sont toujours incarnées, c’est-à-dire que des individus concrets et des groupes d’individus servent à définir cette réalité. Pour comprendre l’état de l’univers socialement construit à un moment donné, ou sa transformation dans le temps, on doit comprendre l’organisation sociale qui permet aux définisseurs d’établir leurs définitions. Pour le dire plus simplement, il est essentiel de continuer à poser des questions au sujet des conceptualisations historiquement disponibles de la réalité » (1966, p. 204-205) et « Toute société a ses moyens spécifiques de percevoir et de définir la réalité : son monde, son univers, son organisation agencée de symboles. », (1966, p. 309).
Les auteurs prennent notamment l’exemple du langage, de nos schémas de « typifications » (1966, p. 73 et 85) et de l’ensemble de notre système de représentations, qui mettent en ordre nos expériences de la réalité, jusqu’à ce que nos représentations finissent par se confondre avec la réalité et soient considérées « comme le monde tout court, le seul monde que les hommes normaux puissent concevoir. » (1966, p. 309). Les représentations participent donc à la création de notre réalité. Cette notion de réalité construite est reprise par Ian hacking qui l’applique notamment à l’économie : Tous les jours, nous prenons connaissance des hauts et des bas de l’économie et nous sommes censés y réagir par la crainte ou l’euphorie. Et pourtant cette idole splendide qu’est l’économie était difficilement repérable à la une des journaux d’il y a à peine quarante ans. Pourquoi sommes-nous si peu curieux de cette idée elle-même, l’économie ? On pourrait prétendre que l’idée, en tant qu’outil analytique, en tant que manière de penser la vie industrielle, ressemble fort à une construction. » (2008, p. 29).
De même il évoque avec beaucoup d’ironie et dans le même sens, le déficit. Pour Hacking, ce qui amène à envisager une construction sociale de X, c’est le fait que « dans l’état actuel des choses, X est tenu pour acquis ; X apparait inévitable. » (2008, p. 28). Si nous reprenons l’exemple actuel du déficit, le déficit est tenu à ce jour pour acquis, il apparait inévitable, et pourtant cette idée a été construite selon Hacking (2008, p. 30), elle relève de choix, elle pouvait ne pas être, et pourrait donc être uniquement issue de nos représentations, dans le sens où ces dernières influent sur, voire créent, notre vision du monde.
Le rôle de la représentation
La représentation a donc en premier lieu, pour rôle, de permettre d’évoquer la réalité, dans le cadre d’un objectif précis ou d’une attente, et est support de la réflexion et de l’échange. C’est en ce dernier sens un outil de communication ; c’est ce que nous retrouvons dans les précédentes définitions et qui est précisé, par Fourez, à savoir « Que la fonction des représentations, c’est de tenir dans des conversations, la place du réel complexe, comme une carte tient lieu du territoire. (…) » (2004, p. 39), et par Boltanski « La standardisation des représentations permet la communication. Pour représenter, on sélectionne » (Boltanski, 2008, p. 144). L’évocation de la réalité dans le cadre d’une représentation, implique, nous l’avons vu, une standardisation ou à minima des choix, ainsi que le souligne Boltanski, mais aussi une simplification de la réalité :
En soulignant le caractère représentatif de certains savoirs, on met en valeur la puissance des représentations : elles permettent de remplacer du complexe par du simple (ou ce qui est supposé comme tel). Elles rendent « traitables des phénomènes, des contextes, des situations. (Fourez, 2004, p. 32), la simplification, à l’image de l’échiquier du « Grand Khan », ayant pour objectif de permettre la perception de la réalité, par rapport à une attente.
Toutefois, force est de constater que lorsqu’un être humain souhaite échanger ou réfléchir, ce n’est pas à la réalité qu’il se réfère, mais à la représentation qu’il s’en fait : c’est ce que souligne Fourez : « les êtres humains quand ils réfléchissent, se réfèrent aux représentations qu’ils ont de leur situation et non à la situation elle-même » (Fourez, 2004, p. 39), et ces représentations sont amenées à être confondues avec la réalité elle-même, qu’elles contribuent dans ce sens à créer, pouvant devenir, de l’avis de plusieurs auteurs, un système de domination. Ainsi Boltanski affirme à ce propos : Ceux qui gouvernent ainsi, en prenant appui sur les représentations qu’ils donnent d’un avenir non encore réalisé et pourtant fatal, sont bien pourtant des réalistes parce qu’ils ont le pouvoir de faire advenir ce qu’ils prédisent, non seulement du fait qu’ils le prédisent mais aussi parce qu’ils disposent d’un haut niveau d’information et de moyens élevés d’action sur la réalité. » (Boltanski, 2008, p. 144).
De même, Viveret explique :
Le propre des systèmes de domination est de présenter comme des évidences ce qui relève de constructions et de choix. On finit par adopter comme une loi naturelle que ce sont les entreprises qui produisent de la richesse, tandis que les services publics et sociaux la prélèvent ; que des activités à l’évidence destructrices donnent droit à gagner de l’argent tandis que d’autres, vitales pour la collectivité humaine comme donner la vie, éduquer, préserver l’environnement, ne le permettent pas ; que certains puissent disposer de quantités considérables de monnaies sans rapport avec leur effort ou mérite tandis que d’autres se retrouvent, au cœur de l’abondance, dans des situations de misère ou de grande pauvreté. La liste serait longue de toutes ces évidences » qui ne sont que l’effet de constructions ou de choix opérés sans réel débat démocratique. ». (Viveret, 2010, p. 74).
Il nous semble que nous pourrions ajouter à cette liste, l’idée du déficit qui parait inévitable, selon Hacking (2008, p.30). Pour lutter contre ce que Viveret et Boltanski définissent comme un système de domination, Viveret estime « qu’il est essentiel de rouvrir un débat public sur nos modes de représentation et de circulation de la richesse pour redonner aux citoyens compréhension et maîtrise sur ces choix majeurs… ». (Viveret, 2010, p. 74), ce qui rejoint ce qu’écrit Yvon Pesqueux, à propos du domaine plus restreint des organisations : Et la stratégie recherchée par le recours à ces représentations dans le cadre de l’organisation n’est-elle pas la recherche de la production d’effets ? Ne s’agit-il pas d’induire des actions, d’élaborer des décisions plutôt que de se confronter au thème de la vérité ? » (Pesqueux, 2005, p. 28),
qui conclut, comme Viveret, qu’il est indispensable pour comprendre de « dépasser les représentations », car celles-ci font écran par rapport au réel (2005, p. 29), voire le désincarnent, ainsi que l’évoque Calvino lorsqu’il raconte l’anecdote du Grand Khan (Calvino, 2001).
Synthèse sur le concept de représentation
Les représentations se substituent au réel, pour le représenter. Elles sont construites en fonction de finalités ou d’attentes, leur construction nécessite donc que des choix soient faits, elles ne sont pas neutres et ne peuvent être qualifiées de vrais, bien qu’elles soient confondues parfois avec le réel. Elles sont d’autre part destinées à être utilisées par différents utilisateurs et doivent donc, pour être lisibles, être standardisées. Elles sont le support des échanges et des débats, ce sont des outils de communication et elles servent de base à la réflexion, l’être humain travaille à partir de représentations de la réalité, que d’autres humains ou que lui-même ont créées. Elles contribuent selon certains auteurs à véhiculer une vision du monde, voire à construire la réalité et peuvent être dans ce sens considérés parfois comme des outils de domination, d’où l’idée, qui nous parait essentielle, selon laquelle il apparait indispensable que nous, êtres humains, interrogions nos représentations.
La représentation chiffrée
Définition
La représentation chiffrée est une représentation de la réalité, présentée sous forme de chiffres, ou de tableaux de chiffres, à l’image par exemple, en entreprise, du bilan, qui est une  représentation du patrimoine d’une entreprise, sous la forme d’un tableau de chiffres, ou encore de statistiques de ventes, qui sont une représentation de l’activité, ou d’une partie de l’activité d’une entreprise, sous la forme de chiffres ou de données chiffrées, mais aussi du compte de résultat, de ratios, de tableaux de bord, de budgets, d’indicateurs, de prévisions, de données statistiques, de notes…, cette liste n’étant pas exhaustive. Les chiffres ou représentations chiffrées peuvent être nommés aussi parfois dans la littérature : « instruments de gestion », comme le confirme cette phrase de Berry (1983, p. 5) :
La conduite des organisations publiques ou privées mobilise des instruments de gestion. Ce peut-être des outils matériels, comme un ordinateur par exemple ; des outils conceptuels comme un taux d’actualisation pour étudier l’intérêt d’un investissement ; des outils d’aide à la décision complexes, comme un modèle de marketing pour étudier le marché potentiel d’un nouveau produit ; des dispositifs aux ramifications nombreuses, comme un système de contrôle de gestion; des procédures instituant des cheminements obligatoires pour des dossiers, imposant des règles sur leur mode d’élaboration, etc.. ».
Selon cette dernière définition toutefois, « un instrument de gestion » peut être un chiffre ou une représentation chiffrée, à l’image du taux d’actualisation ou du modèle marketing, mais pas uniquement… Jardat, dans un article plus particulièrement lié à l’entreprise, évoque dans un sens également assez large la notion de « matériau de gestion ». (Jardat, 2011, p. 324). La notion d’ « instrument » se retrouve par ailleurs chez Ellul, qui évoque les « instruments des techniques » et distingue « les techniques économiques », à propos desquelles il écrit :
Les principaux instruments développés sont : la statistique, la comptabilité, l’application des mathématiques à l’économie, la méthode des modèles et les techniques d’opinion publique. Il est aisé de voir que ces éléments se conditionnent les uns les autres. A la base se trouve évidemment la statistique qui est l’instrument brut de constatation des faits économiques. « (Ellul, 1990, p. 150), et les techniques comptables » : « Beaucoup plus classique, mais appartenant à un autre ordre, est l’ensemble des techniques comptables qui, elles aussi, se sont considérablement modifiées et appartiennent non plus seulement au domaine de l’entreprise, mais à celui de l’économie. » (Ellul, 1990, p. 153).
Les instruments des techniques économiques et comptables d’Ellul ne sont donc pas des représentations chiffrées, mais des méthodes permettant de les construire. Pour éviter toute confusion, nous utiliserons dans la suite de notre thèse, uniquement les termes de représentation chiffrée » et de « chiffre », l’un pouvant être utilisé indifféremment à la place de l’autre.
Dans le sens où il s’agit de représentations, nous devrions pouvoir attribuer aux représentations chiffrées, l’ensemble des caractéristiques attribuées aux représentations dans le précédent paragraphe, ce que nous étudierons dans la suite de notre propos, en tenant compte de ce qui fait leur spécificité, à savoir qu’elles sont chiffrées.
Les spécificités du chiffre
  Il existe une multitude de systèmes du chiffre. On peut cependant les regrouper en deux grands types, selon que le modèle mathématique qu’ils utilisent a, pour reprendre une distinction établie par Giorgio Israël [1999] (in « la mathématisation du réel », Paris, Edition du seuil), une visée descriptive ou une visée de contrôle. Dans le premier cas (c’est typiquement celui de l’activité scientifique), les modèles mathématiques cherchent à rendre compte de manière objective des faits ou des phénomènes pour en expliquer l’existence et en prédire les effets. Dans le second cas (c’est typiquement celui de l’activité de production industrielle ou administrative), « le but principal de ces modèles n’est pas de décrire la réalité, mais de déterminer un ensemble de règles qu’il faut imposer à la réalité pour la façonner. » (2010, p. 25).
Nous retrouvons dans cette définition, la notion de construction de la réalité, liée aux représentations, mais aussi un autre aspect particulier à la notion de chiffre, la notion d’objectivité. Cette notion est soulignée également, de manière ironique toutefois, par Saulnier, qui met en avant, ce qui semble être un des paradoxes propre au chiffre :
Avoir le bon chiffre (celui du prix de la baguette, du nombre de sous-marins ou du pourcentage du nucléaire), c’est faire preuve de sa compétence, de sa connaissance du terrain, de son sérieux. Les chiffres ne mentent pas, dit-on. Cette croyance dans la vérité absolue des chiffres et des nombres vient du sémantisme du cardinal : il est monosémique, son sens est transparent, il est objectif –comme l’écrit Frege (1884), si une fleur a quatre feuilles, elle n’en a pas cinq ; il relève ainsi d’une logique du vrai/faux. Cependant, si le cardinal appartient au système (univoque) des mathématiques, il appartient aussi au système complexe du discours porté par la subjectivité d’un individu. » (Saulnier, 2012, p. 15).
Ce paradoxe du chiffre, en tant que représentation objective, est parfaitement résumé par Berland et al. « Le chiffre implacable surpasse la rhétorique » (2008, p. 160), qui met en avant le pouvoir du chiffre sur les individus, du fait notamment de la croyance en leur vérité, ce que nous allons appeler le mythe de son objectivité, dans le sens où, nous l’avons vu, une représentation n’est ni vraie, ni neutre, elle est nécessairement construite en fonction d’objectifs ou de besoins et liée au sujet, qui la construit et qui l’utilise. Ce mythe de l’objectivité du chiffre semble être par ailleurs, un mythe relativement récent. En effet, Desrosières explique dans un article sur « l’histoire de la raison statistique » que dans les années 1930, les chiffres ne suscitaient pas la confiance, comme le montre le scepticisme de Keynes, par rapport aussi bien aux évaluations de Colin Clark qu’aux modèles de Tinbergen. Selon les témoins du temps, Keynes faisait plus confiance à son intuition qu’aux chiffres fournis par les statisticiens. Si le chiffre ne lui convenait pas, il le modifiait, et si, par hasard, il en était satisfait, il s’émerveillait : « Tiens, vous avez trouvé le bon chiffre ! » (Témoignage de Tinbergen, rapporté par Patinkin) » (Desrosières, 2010, p. 387).
De même, Ellul raconte qu’« il fut un temps où l’on se moquait des statistiques parce qu’elles étaient fausses. » et il attribue le changement vers une confiance envers les statistiques, au fait que les statisticiens « sont plongés dans une « atmosphère statistique » et obéissent à l’habitude de numération du monde moderne. » (Ellul, 1990, p. 150).
Ellul établit par ailleurs un lien entre ce qu’il appelle « le développement des techniques »  et l’absorption par l’économique de toutes les activités sociales. » (1990, p. 146), que nous avons évoquée dans un paragraphe précédent, ainsi que le développement d’une « tournure d’esprit scientifique », qui a contribué à valoriser le chiffre et le mythe de son objectivité :
Il est d’ailleurs un autre élément de cette attitude scientifique : ne peut être connu que ce qui  est  chiffré, ou  tout au  moins chiffrable.  Pour  sortir  des soi-disant arbitraire et subjectivité », pour échapper au jugement éthique ou littéraire, qui sont, comme chacun le sait, négligeables et sans fondement, il faut ramener au chiffre. Que voulez-vous tirer de l’affirmation que l’ouvrier est fatigué ? Au contraire, lorsque la biochimie permet l’étude chiffrée de la fatigabilité, on peut enfin tenir compte de cette fatigue, il y a un espoir de réalité et de solution. » (1990, p. 15).
Il résume ainsi ce nouvel état d’esprit :
En somme, ce qui pouvait être saisi dans l’opinion, par un bon observateur, ou par un reporter, va maintenant être chiffré et scientifiquement suivi dans toute son évolution. C’est là la grande transformation qui permet d’intégrer l’opinion dans le monde technique et particulièrement dans la technique économique. » (1990, p. 155).
Ce nouvel état d’esprit correspond sans doute à ce que Ogien nomme un « mouvement de rationalisation qui assure le progrès des pays développés » (2010, p. 35). De même, Hibou évoque un « processus de rationalisation », dans les sociétés modernes, qui serait en lien avec la montée du calcul et de l’évaluation, donc de l’usage des chiffres. (Hibou, 2012, p. 21). Par ailleurs, cette auteur souligne une autre particularité de la représentation chiffrée, elle correspond, selon elle, à une abstraction, certes nécessaire à la pensée, mais, dit-elle, il faut avoir conscience du fait, que : Les chiffres constituent des indices appauvrissants du réel dans la mesure où ils sont issus d’un travail d’agrégation (des milliers de mots, de relations, de langages, sont traduits en quelques mots et en quelques catégories d’une nomenclature) qui est simultanément une opération de réduction. Les informations qui sont « derrière » ces chiffres sont beaucoup plus riches, foisonnantes, disparates et non homogènes. Dans ces conditions, employer des chiffres, des indices, est nécessairement une perte d’information. Ce qui ne veut pas dire qu’on peut faire sans ces chiffres et indices, mais qu’il faut être conscient de ce qui est construit (la régularité, l’unicité, la certitude) et de ce qui est ainsi perdu (la diversité, la pluralité, l’ambivalence et l’incertitude) et tenter d’appréhender ce hors champ par d’autres moyens. » (Hibou, 2012, p. 40).
On peut statistiquement « décrire » le niveau d’un étudiant, par une dimension : ses notes à l’examen. Or, la réalité est bien plus complexe : un étudiant ne peut pas être résumé par une note, ou par un ensemble de notes ; il est bien autre chose (heureusement).On dit qu’il ne peut pas être « réduit « à une dimension. Son profil est plus large : il est « pluri » ou multidimensionnel. Ce qui est vrai pour l’étudiant est vrai pour bien des choses que l’on observe dans la réalité. » (Py, 2010, p. 93).
Pour conclure, la représentation chiffrée est une représentation, mais elle présente, d’après les auteurs mobilisés dans ce paragraphe, des caractéristiques qui lui sont propres, à savoir le mythe de l’objectivité, une survalorisation récente, (en lien avec le développement d’une tournure d’esprit scientifique et d’un mouvement de rationalisation) et une abstraction plus poussée que d’autres représentations, notamment le langage, allant dans le sens d’une simplification voire d’un appauvrissement du réel.
Un usage étendu à tous les domaines et allant jusqu’au fétichisme
Dans le champ des organisations
Rappel historique
Berland et al effectuent dans un article de 2008, un rappel historique, concernant l’importance croissante prise par les chiffres dans les organisations, et établissent un lien entre l’évolution de la science, et l’évolution de ce qu’ils nomment la « gestion », notamment via les progrès : peu à peu, les « gestionnaires » vont chercher à exprimer en chiffres, ce dont ils parlent, à l’image des scientifiques. Ce n’est pas récent mais la place occupée aujourd’hui dans la conduite des organisations par la mesure, (dans un premier temps), vient selon les auteurs du développement de l’organisation scientifique du travail au XIXe siècle avec l’utilisation nouvelle des unités de temps (de travail) et des unités monétaires (2008, p.162). Ils rejoignent sur ce point, la pensée de Michel Foucault, notamment quant à l’évolution de la science, qui constate au début du XIXe siècle, la survenue d’un : « Évènement qui place la formalisation ou la mathématisation, au cœur de tout projet scientifique moderne » (Foucault, 1966, p. 259), « un évènement qui concerne, non pas les objets visés, analysés et expliqués dans la connaissance, non pas même la manière de les connaitre ou de les rationaliser, mais le rapport de la représentation à ce qui est donné en elle. ». Selon Foucault : Les conséquences les plus lointaines, et pour nous les plus difficiles à contourner, de l’évènement fondamental qui est survenu à l’épistémè occidentale vers la fin du XVIIIe siècle, peuvent se résumer ainsi : négativement, le domaine des formes pures de la connaissance s’isole, prenant à la fois autonomie et souveraineté par rapport à tout savoir empirique, faisant naître et renaître indéfiniment le projet de formaliser le concret et de constituer envers et contre tout des sciences pures ; positivement, les domaines empiriques se lient à des réflexions sur la subjectivité, l’être humain et la finitude, prenant valeur et fonction de philosophie, aussi bien que de réduction de la philosophie ou de contre-philosophie. » (1966, p. 261).
Ce projet de formaliser le concret, ou de le mathématiser, se trouve au cœur du savoir scientifique depuis cette date, et semble correspondre au développement d’ « une société du rationnel » et des « techniques » selon les mots d’Ellul (1988, p. 303), qui évoque l’existence d’une « tournure d’esprit scientifique » ou « attitude scientifique », selon laquelle « ne peut être connu que ce qui est chiffré, ou tout au moins chiffrable » (1990, p. 15). Dans le champ des organisations, les outils développés au XIXe siècle, se sont ensuite perfectionnés au début du XXe siècle, face à la croissance en taille et en complexité des entreprises américaines : c’est à cette époque qu’est né notamment le contrôle de gestion « qui met la mesure au cœur de la conduite des organisations » (Berland et al., 2008, p. 162). Puis de nouveaux métiers sont apparus : « Financiers, comptables, contrôleurs de gestion par leur maîtrise de chiffres comptables, devenus le langage dominant et unificateur des grandes organisations, sont ainsi parvenus, notamment dans les pays anglo-saxons, à la tête des grandes entreprises ». (Berland et al. 2008, p. 163).
L’importance prise par l’usage des chiffres, dans les organisations, est donc un phénomène historiquement daté, associé à la notion de sciences et de progrès (Bessire, 2005, p. 3), et caractéristique des sociétés occidentales.
Etat des lieux
A ce jour, de nombreux auteurs mentionnent un usage prépondérant des chiffres dans les organisations. Lorino constate qu’en contrôle de gestion notamment, depuis les années 2000, c’est la conception du contrôleur expert et garant du chiffrage financier qui domine, qu’il nomme du reste : « le contrôleur du chiffre » (Lorino, 2009, p. 31). De même Faber constate :
Ouvrons les pages roses de n’importe quel quotidien : des noms d’entreprises, puis à droite des colonnes remplies de chiffres. Allumons un écran de Reuters ou Bloomberg : même chose, que des chiffres ! Les esprits cartésiens, raisonnables et pragmatiques objecteront tout de suite que « c’est comme ça » », (Faber, 2011, p. 87), ajoutant ainsi à l’idée d’usage prépondérant, l’idée que l’usage des chiffres semble être considéré, tout au moins par certains, comme étant dans l’ordre des choses. Morel le confirme, lorsqu’évoquant l’existence éventuelle de processus efficaces de contrôle de la conformité des actions à leurs objectifs, en entreprise, il constate qu’il existe quelques exemples de méthodes qualitatives efficaces mais, « ces méthodes d’analyse qualitatives sont couteuses, notamment en temps, et ne trouvent pas grâce aux yeux de la culture dominante des indicateurs quantitatifs. » (Morel, 2002, p. 317). De même, Bibard fait le constat d’une « montée en puissance majeure des indicateurs » dans les organisations, afin de garantir la couverture de risque dans un monde à l’évolution chaotique ». Il évoque entre autres, la « multiplication des processus de contrôle et de « reporting » au sein des entreprises », les « agences de notations et notations des institutions, etc. » … (Bibard, 2012, p. 103).
Béatrice Hibou qualifie le pouvoir des managers dans l’entreprise de la seconde moitié du XXe siècle, de « pouvoir bureaucratique » et lui associe d’une part : une prééminence des données financières et des indicateurs comptables financiers qui se concrétise par une conception financière du contrôle. » qui « se traduit par une intense activité bureaucratique faite de calculs de ratios et d’indicateurs, de prévisions sans cesse réactualisées, de reportings perpétuels, d’écriture de rapports, de validation de règles, de respect de normes, de réalisation d’évaluations et d’audits », et, d’autre part : la gestion par les chiffres ou par les nombres (« management by numbers »), autrement dit la montée en puissance d’une économie du calcul et de l’appréciation. L’évaluation des performances est plus que jamais réalisée à travers la quantification, voire la mathématisation. » (Hibou, 2012, p. 29).
L’usage privilégié des chiffres en entreprise est donc confirmé par ces différents auteurs. D’autres auteurs, non seulement le confirment, mais semblent le déplorer, et utilisent pour évoquer l’importance du chiffre dans les organisations, des mots extrêmement forts : Bessire évoque, dans le cadre d’un article sur la responsabilité sociale de l’entreprise », dans unparagraphe traitant de la mesure comptable : « nos sociétés fascinées par le calcul et les chiffres » (Bessire, 2005, p. 3). Faber mentionne la nécessité de « quitter la dictature du chiffre et son emprise sur l’espace et le temps » » (2011, p. 32). Mintzberg parle d’obsession : Les entreprises d’aujourd’hui sont obsédées par les chiffres. » (Mintzberg, 2011, p. 207) ou encore « l’obsession pour le « bas du tableau » (les résultats financiers) et la « valeur actionnariale », qui encouragent tous deux un exercice du management « déconnecté », passant essentiellement par la gestion de l’information. » (Mintzberg, 2011, p. 65). Enfin, le Professeur Christensen évoque même, dans le cadre de propos rapportés par Philippe Escande dans un article du journal « Le Monde » de juillet 2013, une véritable « religion » avec des ratios pour « commandement » : « Mais la machine s’est enrayée, soutient M Christensen, car la religion de la finance s’est imposée dans le monde des entreprises, avec comme commandement les ratios de mesure de la productivité et, notamment, le fameux retour sur capitaux investis. »
Dictature, commandement, obsession, fascination : ce sont les termes utilisés pour évoquer les chiffres ou certains chiffres, dans les organisations. Nous pouvons donc sans conteste, à la suite des différents auteurs mobilisés, évoquer un usage, non seulement privilégié mais incontournable, voire excessif, qui correspond à une véritable invasion des chiffres dans les entreprises, cette invasion n’étant pas nécessairement perçue de manière positive par les auteurs mobilisés. Il n’y a qu’un pas de la fascination « attirance qui subjugue », au fétichisme, dans le sens de « attachement ou respect exagéré pour quelqu’un ou quelque chose. », (définitions du TLFI du CNRTL en ligne), si ce n’est que le quelqu’un ou quelque chose, s’agissant du chiffre ou de la représentation chiffrée, est dématérialisé. Ce qui d’après Zizek, correspond à une « spectralisation du fétiche », évolution qu’il considère comme caractéristique de « notre âge postmoderne », sa dématérialisation ne faisant que renforcer son emprise, le transformant ainsi en « un cadre spectral invisible, et de ce fait tout puissant, qui domine nos vies. ». D’après l’auteur, « le paradoxe réside dans le fait qu’avec cette spectralisation du fétiche, avec la désintégration progressive de sa matérialité positive, sa présence n’en devient que plus oppressante et diffuse, comme s’il n’y avait, pour le sujet, aucun moyen d’échapper à son emprise. ». (Slavoj Zizek, 2003, p. 101). Il estime par ailleurs que : « Nous sommes victimes de l’illusion fétichiste quand nous percevons en tant que propriété immédiate « naturelle », de l’objet fétiche ce qui est conféré à cet objet au sein de la structure. » (2003, p. 101).
Dans la société
L’usage prioritaire des chiffres et représentations chiffrées semble avoir envahi non seulement les  organisations, mais la société dans son ensemble, la littérature nous le confirme et nous en fournit un certain nombre d’exemples.
Tout d’abord cette idée phare est soulignée et expliquée par Anne Maurand-Vallet, à partir des propos d’Edgard Morin :
Edgard Morin indique ainsi (198626) : « lorsque la pensée devient abstraite ou technique, le pouvoir des mots domine, et il refoule, contrôle, atrophie leurs potentialités symboliques ; l’extrême abstraction efface même les mots au profit des symboles mathématiques, qui ne sont en fait que des signes à l’état pur » (p. 157). Cette constatation explique la place prise par les chiffres dans nos sociétés modernes, fondées sur les valeurs liées à la technique et à la science. Dans cet effort d’abstraction valorisé par nos sociétés, les chiffres, en tant que purs symboles, sont une convention sans rapport de proximité physique et sans rapport de ressemblance avec leur objet » (Maurand-Valet, 2011, p. 295).
L’auteur ajoute toutefois que le fait que les hommes cherchent à résumer le monde qui les entoure, en s’appuyant sur les nombres, n’est pas un fait nouveau, elle donne notamment l’exemple de Galilée qui estime que le monde est écrit dans la langue mathématique, ou celui de Platon qui avait dit à peu près la même chose quelques siècles auparavant, ou encore celui de Descartes qui qualifie la mathématique de « la science admirable ». (Maurand-Valet, 2011, p. 295). Toutefois, elle conclut que si, comme le souligne Morin, deux modes de pensée s’opposent :
L’un est basé sur les nombres. Il est celui de la pensée « empirique, technique et rationnelle ». Il est un mode instrumental de connaissance s’exerçant sur les objets du monde extérieur » et « L’autre est basé sur la pensée « symbolique, mythologique et magique » », (Maurand-Vallet, 2011, p. 295), « C’est le premier mode de pensée qui prédomine dans nos sociétés en raison de la place prise par les sciences » (Maurand-Vallet, 2011, p. 296).

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Table des matières

Introduction
Première partie Revue de littérature
1. Définition des concepts constitutifs de notre question
1.1 La déresponsabilisation du manager
1.1.1 Le concept de responsabilité
1.1.2 Le manager responsable
1.1.3 Constats d’une déresponsabilisation du manager
1.2 La représentation chiffrée
1.2.1 Le concept de représentation
1.2.2 La représentation chiffrée
1.3 Conclusion du premier chapitre
2. Comment le concept d’usage privilégié de la représentation chiffrée est-t-il éclairé et justifié par la littérature ?
2.1. Dans quel contexte, cet usage privilégié s’est-il développé ?
2.1.1. Un usage étendu à tous les domaines et allant jusqu’au fétichisme
2.1.2 Un usage issu du monde de l’entreprise vers la société dans son ensemble
2.1.3 Synthèse sur le contexte
2.2 Quelles raisons justifient cet usage privilégié, voire excessif ?
2.2.1 Les propriétés attribuées au chiffre ou les mythes du chiffre
2.2.2 Les usages justifiant la priorité au chiffre
2.2.3 Synthèse sur les raisons justifiant cet usage privilégié du chiffre
2.3 Cet usage privilégié de la représentation chiffrée donne-t-il lieu à une réflexion sur sa construction ?
2.3.1 Une absence de réflexion constatée
2.3.2 Quels facteurs favorisent cette absence de réflexion ?
2.3.3 Synthèse sur un usage privilégié mais sans questionnement quant à sa construction
2.4 Conclusion du second chapitre
3. Justification et clarification de la problématique
3.1 Justification de la problématique
3.1.1 Clarification de la problématique
3.1.2 Que dit la littérature sur cet éventuel lien ?
3.2 Quelles variables explicatives ou éclairages, de ce lien découlent de la revue de littérature
3.2.1 Premier éclairage : l’usage privilégié de la représentation chiffrée légitime UNE représentation de la réalité
3.2.2 Second éclairage : l’usage privilégié de la représentation chiffrée par le manager, l’isole des conséquences de ses actes
3.2.3 Troisième éclairage : L’usage privilégié de la représentation chiffrée par le manager, limite le recours à son propre jugement.
3.2.4 Quatrième éclairage : L’usage privilégié de la représentation chiffrée est susceptible d’instrumentaliser le manager
3.2.5 Cinquième éclairage : L’usage privilégié de la représentation chiffrée a transformé le lien social en entreprise
3.3 Conclusion du troisième chapitre Synthèse de la première partie
Deuxième partie Investigation empirique
4. Design de la recherche et cadrage épistémologique
4.1 De l’identification des variables explicatives au dispositif d’investigation empirique
4.1.1 Objectif de notre recherche
4.1.2 Quelle mise à l’épreuve des éclairages sur le terrain ?
4.2 Démarche de la recherche et positionnement épistémologique
4.2.1 La nature et le recueil des données
4.2.2 Positionnement épistémologique
4.3 Elaboration du dispositif d’investigation empirique
4.3.1 Elaboration du guide d’entretien
4.3.2 Résultats attendus
4.4 Conclusion du quatrième chapitre
5. Mise en œuvre, outils et déploiement de l’investigation empirique
5.1 Déploiement du dispositif
5.1.1 La collecte des données
5.1.2 La retranscription des données
5.2 Méthode d’analyse qualitative des entretiens
5.2.1 Choix de la méthode et des outils
5.2.2 Mise en œuvre de la méthode d’analyse, par ordre chronologique
5.3 Premiers résultats bruts
5.4 Conclusion du cinquième chapitre
6. Analyse des résultats
6.1 Résultats liés à l’analyse de contenu
6.1.1 Source et mode de production de ces résultats
6.1.2 Analyse de contenu par éclairage « toile de fond »
6.1.3 Analyse de contenu par variable explicative
6.1.4 Quel(s) autre(s) éclairage(s) ou variable(s) explicative(s) émergent de l’analyse de contenu ?
6.2 Résultats liés au tableau d’occurrences établi sur Excel
6.2.1 Quelles occurrences ?
6.2.2 Absences de réponses et/ou réponses à côté et/ou ne sait pas
6.2.3 Réactions et attitude face aux questions posées
6.2.4 Synthèse sur le tableau d’occurrences
6.3 Conclusion du sixième chapitre
7. Discussion
7.1 Résultats de l’analyse de contenu liée aux éclairages « toile de fond »
7.1.1 Premier éclairage : le manager utilise la représentation chiffrée sans questionnement sur sa construction.
7.1.2 Second éclairage : l’usage de la représentation chiffrée (sans questionnement) est légitimé par la formation au management.
7.1.3 Eclairages issus du terrain
7.1.4 Synthèse
7.2 Résultats de l’analyse de contenu liée aux cinq variables explicatives issues de nos lectures
7.2.1 Première variable explicative (VE1) : l’usage privilégié de la représentation chiffrée légitime UNE représentation de la réalité
7.2.2 Seconde variable explicative (VE2) : l’usage privilégié de la représentation chiffrée par le manager, l’isole des conséquences de ses actes
7.2.3 Troisième variable explicative (VE3) : L’usage privilégié de la représentation chiffrée par le manager, limite le recours à son propre jugement.
7.2.4 Quatrième variable explicative (VE4) : L’usage privilégié de la représentation chiffrée est susceptible d’instrumentaliser le manager
7.2.5 Cinquième variable explicative (VE5) : l’usage privilégié de la représentation chiffrée a transformé le lien social en entreprise
7.2.6 Synthèse
7.3 Autres résultats et apports
7.3.1 Deux nouvelles variables explicatives
7.3.2 Synthèse sur le ressenti et une prise de distance éventuelle des managers interrogés quant à l’usage privilégié des chiffres dans les organisations
7.3.3 Synthèse
7.4 Conclusion du septième chapitre
Synthèse de la seconde partie et conclusion quant aux résultats de nos travaux
Conclusion
Bibliographie

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