La fièvre est un motif de consultation fréquent en pédiatrie [1-2]. En 2016, 5516 enfants ont consulté aux urgences pédiatriques de la Timone à Marseille pour fièvre, soit 14,2% du nombre total des consultations [données ORUPACA]. Des recommandations concernant la prise en charge de la fièvre chez l’enfant sont régulièrement mises à jour pour les praticiens [1,3,4] ainsi que pour les parents [5]. Bertille et al. avaient montré en 2013, que les parents administraient un antipyrétique avant le premier contact médical dans 91% des cas [6]. Ils donnaient en majorité du paracétamol (85%), puis des Anti-inflammatoires Non Stéroïdiens (AINS), l’ibuprofène (13%) et l’aspirine (1%) [6]. En 2016, la même équipe mettait en évidence que les parents administraient des AINS dans 32% des cas, notamment dans les situations à risque (varicelle, déshydratation…) [7]. Les professionnels de santé (pharmaciens, pédiatres, médecins généralistes) quant à eux, délivraient ou prescrivaient des AINS dans 16% des cas [7]. L’innocuité et l’utilisation des AINS au cours des épisodes fébriles ont fait l’objet de controverses : Lesko et al. en 1999 étudiaient 27 065 enfants fébriles recevant soit du Paracétamol (12mg/kg) soit de l’ibuprofène (5 ou 10 mg/kg). Ce travail retrouvait une très bonne tolérance des deux produits sans supériorité de l’un par rapport à l’autre chez les enfants de moins de 2 ans [8]. Cependant plusieurs études montraient une relation entre l’utilisation d’ibuprofène chez l’enfant fébrile et l’apparition d’effets indésirables ou de complications rares mais graves [9-17]. L’objectif de notre étude était d’évaluer le profil de consommation des AINS chez l’enfant de 3 mois à 16 ans se présentant pour fièvre aux Urgences Pédiatriques. Dans un second temps, nous avons évalué le devenir de ces patients, au décours de l’épisode infectieux aigu.
Matériel et méthode
L’enquête
Nous avons mené une étude observationnelle aux urgences pédiatriques du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de la Timone à Marseille, sur une période de 6 mois (octobre 2016 à mars 2017). Cette période correspondait au pic d’épidémie des principales viroses hivernales de l’année précédente [données INVS]. Le recueil de données était réalisé les lundis et les mercredis de 8h30 à 18h30. Nous avons inclus les enfants de 3 mois à 16 ans se présentant aux urgences pour une fièvre > 38°C objectivée par les parents à domicile ou retrouvée dans notre service, isolée ou accompagnée d’autres symptômes. Les données du dossier médical étaient colligées dans un questionnaire en collaboration avec le médecin prenant en charge l’enfant. Elles comprenaient la date d’entrée, des variables démographiques (âge, sexe), le poids de l’enfant, son état clinique à l’arrivée (fièvre isolée ou associées à d’autres symptômes, présence de critères de gravité tels que la tachycardie, les marbrures, la cyanose, l’hypotension et les troubles de la conscience), des variables relatives à l’exposition à l’ibuprofène en cas de prise (date de prise, posologie, durée) et aux autres médicaments (antibiotiques, aspirine, corticoïdes, paracétamol), la prise en charge diagnostique (réalisation d’examens complémentaires) et thérapeutique de l’enfant (traitement, prise en charge ambulatoire, consultation post urgences, hospitalisation). Un rappel était réalisé entre J7 et J10 après la consultation aux urgences. Ce second questionnaire portait sur la durée totale de la fièvre, la nécessité de reconsulter un médecin, l’évolution des symptômes, la survenue d’effets indésirables. Conformément à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée en 2004, une mention légale de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) relative au traitement des données était présente pour chaque questionnaire. Par ailleurs, le Comité de Protection des Personnes Sud Méditerranée avait délivré un avis favorable en juillet 2016. Une fiche d’information était systématiquement remise aux parents.
Analyse des données
Les analyses statistiques ont été réalisées en partenariat avec le Centre Régional de pharmacovigilance de Marseille. Les données ont été saisies et analysées grâce au Logiciel SPSS 20. Les variables qualitatives étaient exprimées en effectifs et pourcentages ; les variables quantitatives en moyenne +/- déviation standard ou en médiane, interquartiles et valeurs extrêmes.
Résultats
Caractéristiques des patients
Cent soixante-deux enfants (95 garçons et 67 filles) ont été inclus. Ils étaient âgés de 3 à 190 mois avec un âge médian de 24 mois. Près de 2/3 des patients avaient un âge inférieur ou égal à 36 mois (95 soit 58,6%). Trente-sept enfants (22,8%) consultaient pour fièvre isolée, 125 (77,2%) pour une fièvre associée à d’autres symptômes. Les enfants étaient adressés aux urgences pédiatriques par un médecin dans 17,3% des cas.
Prise d’AINS
Sur 162 enfants, 31 (19,1 %) étaient exposés aux AINS au cours de cet épisode fébrile. Il s’agissait d’automédication dans 11 cas (soit 35,6%), d’une prescription médicale dans 18 cas (soit 58,1%) et d’une délivrance par un pharmacien dans 2 cas (soit 6,3%). L’ibuprofène était l’AINS le plus administré (n=24 soit 77,4%), l’acide niflumique (Nifluril®) ne représentait que 22,6% des cas (n=7). Chez 27 enfants (87%), ce traitement était administré à visée antipyrétique et pour 3 d’entre eux à visée antalgique. Vingt enfants (soit 64 %) ayant été exposé aux AINS avaient reçu un autre antipyrétique en association. La posologie administrée était toujours adaptée au poids et à l’âge de l’enfant. Les effets secondaires des AINS n’étaient jamais connus des parents.
Diagnostic et prise en charge
Sur les 162 enfants fébriles, il s’agissait :
– dans 71 % des cas (soit 115 enfants) d’une infection ORL ou respiratoire regroupant les diagnostics suivants : otite, angine, gastro entérite, laryngite aiguë, bronchiolite, bronchite, grippe, sinusite, rhino-pharyngite, crise d’asthme, pneumonie.
– dans 9,3 % des cas (soit 15 enfants) d’une pathologie bactérienne regroupant les diagnostics suivants : pyélonéphrite aiguë, arthrite septique, appendicite aiguë, bactériémie, septicémie, infection sur voie centrale.
– dans 5,6 % des cas (soit 9 enfants) d’une pathologie cutanée infectieuse regroupant les diagnostics suivants : éruptions cutanées fébriles, varicelle, abcès cutané, surinfection post circoncision, abcès dentaire, panaris.
– dans 8 % des cas (soit 13 enfants) il s’agissait d’un diagnostic autre qui regroupait les diagnostics suivants : crise vaso occlusive, adénite mésentérique, adénopathies cervicales, impétigo bulleux, crise convulsive fébrile, colique hépatique.
Peu d’enfants (n=11 soit 6,8%) présentaient un critère de gravité à l’arrivée aux urgences. Les 2 critères de gravité les plus souvent retrouvés étaient la tachycardie (6 cas) et la cyanose (4 cas). Des examens complémentaires ont été réalisés dans 50% cas (soit chez 81 patients). Il s’agissait de bilan sanguin dans 31% des cas, d’hémocultures dans 21%, de radiographie thoracique dans 17,9% des cas, de bandelettes urinaires avec ECBU dans 29,6% des cas. Le taux d’hospitalisation des enfants inclus était de 19,1% (n=31 enfants). Parmi les 162 patients ayant consultés aux urgences pédiatriques, 53 soit 32,7% ont reconsulté un deuxième médecin dans les 10 jours qui suivaient la consultation aux urgences pédiatriques.
Sujets exposés ou non exposés aux AINS
Nous avons étudié, parmi ces 162 enfants, les caractéristiques des enfants exposés aux AINS et ceux non exposés. Les enfants de moins de 12 mois semblaient être minoritaires chez les enfants ayant reçu des AINS (6,50% vs 23,70% avec p = 0,2). La durée de la fièvre était significativement plus longue chez les patients exposés aux AINS : 43,3% avaient une fièvre d’une durée supérieure ou égale à 5 jours contre 20,5% dans le groupe non exposés (p=0,024). La réalisation d’hémocultures était significativement plus importante dans le groupe avec AINS, que dans l’autre groupe (35,5% vs 17,6% avec p = 0,03). Cinq cas de complications infectieuses ont été retrouvés au cours de cette étude (soit 3,1%). On observait une différence significative concernant la survenue de complications infectieuses : 9,7% (3/31) chez ceux ayant reçu des AINS contre 1,5% (2/131) dans l’autre groupe (p = 0,049). Il s’agissait de deux pleuro-pneumopathies (soit 1,2%), d’une cellulite faciale (soit 0,6%), d’un phlegmon péri-amygdalien (soit 0,6%) et d’une arthrite septique (soit 0,6%). Parmi les patients ayant présentés une complication infectieuse, 3 d’entre eux (60%) avaient initialement une infection hivernale virale, ce qui est assez comparable au groupe sans complication infectieuse (71,5%) (p=0,43). Chez les 3 patients ayant reçu des AINS et présenté une complication infectieuse, le nombre de prises d’AINS était plus important que chez l’ensemble des patients ayant reçu des AINS. La médiane se situe à 12 prises dans le groupe AINS avec complication infectieuse, tandis que la médiane se situe à 2 prises dans le groupe AINS sans complication infectieuse (p = 0,022).
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Table des matières
1 – Introduction
2- Matériel et méthode
1- L’enquête
2- Analyse des données
3- Résultats
1- Caractéristiques des patients
2- Prise d’AINS
3- Diagnostic et prise en charge
4- Sujets exposés et non exposés aux AINS
4- Discussion
5- Conclusion
6- Références
7- Abréviations