Consommation chronique des Benzodiazepines

Historique

   Les benzodiazépines, celles que l’on a nommées « le plus grand succès commercial de l’histoire de l’industrie pharmaceutique » (1) sont des médicaments, certes illustres, mais pas si anciens dans l’histoire de la médecine. Leur naissance remonte aux années 50, dans le laboratoire du pharmacien hongro-polonais Léo Henryck Sternbach, le « père du Valium® ». Après une enfance à flâner dans l’officine paternelle, il réalise ses études de pharmacie à Cracovie d’où il ressort avec un diplôme de pharmacien en 1929 ainsi qu’un doctorat en chimie organique en 1931. Il y poursuivra ses travaux quelques années, notamment sur les dérivés tricycliques à propriétés colorantes. Avec la poussée du nazisme, il s’exile en Suisse où il devient assistant de recherche chez Hoffmann-Laroche puis aux Etats Unis dans le New Jersey en 1941, où se trouvent les laboratoires de son employeur. A cette époque, c’est l’euphorie autour de la recherche de médicaments à effets tranquillisants avec notamment la découverte des effets antipsychotiques de la chlorpromazine (Largactil®) que l’on a surnommée la « camisole » ou « lobotomie » chimique. Cette découverte capitale a ouvert la voie à de nombreuses équipes pharmaceutiques, dont l’équipe de Léo Sternbach, qui se lancèrent alors dans la recherche de ces effets thérapeutiques. (2) Cedernier choisit de synthétiser une nouvelle molécule sans se baser sur un médicament existant. Il se fixe des propriétés physicochimiques nécessaires à priori, à partir des travaux qu’il avait effectués à Cracovie sur les teintures. L’équipe de Hoffmann Laroche synthétisa alors un grand nombre de molécules malheureusement sans grands effets pharmaceutiques. En 1957, lors d’une remise en ordre du laboratoire, un collaborateur de Sternbach remarqua la formation fortuite d’un nouveau composé : la première benzodiazépine, le Librium®, était née. Les pharmacologues s’efforcèrent ensuite d’optimiser cette molécule et sélectionnèrent un principe plus actif : le diazepam (Valium®). Le Valium® (du mot latin valeo qui signifie vigoureux) commercialisé en 1963 est un immense succès, c’est le médicament le plus vendu aux Etats Unis entre 1969 et 1982. Le Valium® devient alors un véritable phénomène de société à la mode et les stars de cinéma telle Elizabeth Taylor se targuent d’en consommer. La productrice de télévision Barbara Gordonécrit dans ses mémoires être dépendante à la « pilule du bien-être ». Le Valium® apparait même dans une chanson des Rolling Stones : « Mother’s Little Helper » « Kids are different today, I hear every mother say Mother needs something today to calm her down And though she’s not really ill, there’s a little yellow pill She goes running for the shelter of her mother’s little helper And it helps her on her way, gets her through her busy day » Léo Sternbach entre dans le classement des 25 personnalités les plus influentes du XXe siècle selon l’US World and New Report. Il a lui-même déclaré ne pas en consommer mais l’avoir expérimenté pour ses recherches. « Ma femme me l’interdit. De toute façon, je préfère le scotch » selon ses propres mots dans cette amusante analogie à l’alcool.

Pharmacocinétique

   Les benzodiazépines sont le plus communément administrées per os en médecine générale avec une excellente résorption digestive (bonne biodisponibilité per os). La vitesse de résorption est variable selon la galénique utilisée (solution buvable > comprimés). La voie intra musculaire n’est pas pourvoyeuse d’un effet plus rapide et sa biodisponibilité est irrégulière, elle est donc réservée aux cas où le patient est peu observant ou participatif. La voie intra rectale est utilisée en cas de convulsions chez l’enfant. La voie intra-veineuse est utilisée en cas de crise d’épilepsie ou dans le cadre hospitalier en réanimation pour ses effets sédatifs. (6) Les benzodiazépines sont des molécules liposolubles et se distribuent rapidement au niveau de leur site d’action, le système nerveux central, en passant la barrière hématoencéphalique. Les benzodiazépines subissent donc inévitablement une biotransformation hépatique. Un certain nombre des métabolites créés sont pharmacologiquement aussi actifs que le médicament. Il faut donc être particulièrement vigilant aux contre-indications en lien avec l’insuffisance hépatique mais aussi aux interactions médicamenteuses. Certains métabolites sont parfois deux fois plus lents à éliminer que la molécule mère, c’est le cas du desmethyldiazepam résultant de la biotransformation hépatique du diazepam dont la demi-vie peut aller jusqu’à 150 heures. (7) Enfin, l’élimination des benzodiazépines se fait essentiellement par voie urinaire. En ce qui concerne la pharmacocinétique des benzodiazépines chez les sujets âgés, on observe selon la Société Française de Médecine d’Urgence une modification de la résorption des benzodiazépines avec une diminution de la sécrétion acide gastrique et une diminution de la vitesse de vidange gastrique à l’origine d’un pic plasmatique retardé, diminué mais très prolongé dans le temps. (5) De plus à l’étage digestif, selon le Collège National de Pharmacologie Médicale (8), on observe une diminution de la motilité et de la perfusion intestinale à l’origine d’un temps de résorption augmenté. Mieux vaut donc éviter les formes à libération prolongée chez les patients âgés. En ce qui concerne le volume de distribution, on observe chez les sujets âgés une modification de la structure corporelle avec une diminution de l’eau, de la masse hépatique et de la masse rénale au profit d’une augmentation de la masse lipidique. Les médicaments liposolubles tels que les benzodiazépines seront donc davantage stockés dans le tissu adipeux puis relargués dans la circulation de façon plus prolongée. Par exemple la demi-vie du diazépam est multipliée par trois chez le sujet âgé. (5) Ces conséquences sont majorées chez les sujets obèses. Par ailleurs les benzodiazépines, dont le diazépam (98% de fixation), sont fortement liées aux protéines plasmatiques et peuvent, chez les sujets âgés ayant souvent une baisse de l’albuminémie, augmenter la fraction libre d’autres médicaments et majorer le risque de toxicité ou d’effets indésirables par interaction médicamenteuse pharmacocinétique. La diminution de la masse et de la perfusion hépatique ralentit la formation des métabolites et diminue voire annule le cycle entérohépatique. Il faut donc veiller chez les sujets âgés à adapter les doses des médicaments ayant une forte biotransformation hépatique pour éviter d’atteindre une dose toxique. Enfin, chez les patients âgés la masse rénale et le débit de filtration glomérulaire diminuent. Le principal risque lié à cette altération de la clairance est une accumulation, d’autant plus si la marge thérapeutique est étroite.

Troubles du sommeil

   Chez l’adulte, le sommeil survient la nuit et dure en moyenne 7 à 8h avec des variations individuelles selon l’âge, le sexe et le sujet lui-même (« gros dormeurs » et « courts dormeurs »). L’alternance de la veille et du sommeil est gérée par :
• le processus homéostatique (« je dors car je suis fatigué ») régi par l’accumulation progressive de la fatigue qui diminue ensuite au cours de la nuit
• le processus circadien (« je dors car c’est l’heure de dormir ») qui résulte de l’horloge biologique située dans les noyaux suprachiasmatiques du cerveau, qui modulent l’état de vigilance mais aussi les sécrétions hormonales, la température interne, l’humeur et les cycles de division cellulaire. Le sommeil est divisé en cycles, eux même divisés en phases :
• le sommeil lent (léger puis profond)
• le sommeil paradoxal
Ces cycles durent environ 90 minutes et reposent sur l’alternance de phases de sommeil lent puis paradoxal et constituent le rythme ultradien du sommeil. Ces cycles se succèdent avec une architecture qui varie au cours de la nuit. Au début le sommeil lent (surtout profond) occupe la majeure partie des cycles puis a tendance à diminuer au profit du sommeil paradoxal. On peut visualiser l’architecture des cycles du sommeil grâce à un hypnogramme. La plainte « insomnie » est très fréquente en population générale, exprimée par 30% des patients dont 10% de manière chronique. Son diagnostic est clinique et caractérisé par :
• des difficultés d’endormissement
• et/ou des réveils nocturnes avec difficulté à se rendormir
• et/ou des réveils matinaux précoces avec incapacité à se rendormir.
L’insomnie peut avoir un important retentissement sur la qualité de vie avec des troubles de l’humeur, fatigue, chute de libido, troubles cognitifs, céphalées, irritabilité et troubles gastro-intestinaux. Les troubles chroniques du sommeil touchent plus les femmes, les personnes plus âgées, et les patients aux antécédents psychiatriques et de maladie chronique. De façon physiologique avec le vieillissement, on observe une modification de l’homéostasie du sommeil avec l’apparition de phases d’éveil interrompant les cycles de sommeil (37). Deux éléments semblent en être la cause : un vieillissement de l’horloge biologique endogène et une diminution de l’influence des facteurs exogènes tels que la lumière ou l’activité physique. (38) On observe donc une modification qualitative (altération de l’architecture avec augmentation de la latence du sommeil et diminution des phases de sommeil lent profond) et quantitative (diminution du temps de sommeil) du sommeil. A ces éléments s’ajoutent des modifications environnementales ; le sujet âgé se couche tôt et se lève tôt. Les sujets âgés déments peuvent aussi présenter une désorganisation des phases sommeil – réveil. Une étude rétrospective menée entre 2009 et 2015 à la Pitié Salpêtrière sur les habitudes de vie de 162 patients âgés de plus de 70 ans consultant pour insomnie chronique ont révélé les résultats suivants : 72% d’entre eux présentaient des difficultés d’endormissement, 83% des réveils nocturnes et 37% des réveils précoces sans réendormissement. 49% des sujets avaient une vision négative de leur coucher. L’heure moyenne du coucher était à 22h et 54% concédaient s’endormir avant l’heure du coucher avec une heure moyenne de réveil autour de 7,8h. En moyenne, les sujets de cette étude estimaient dormir 4,6 heures en moyenne mais souhaitaient dormir au moins 7h. Cette étude a révélé qu’un certain nombre d’habitudes notamment concernant l’hygiène du sommeil pouvaient être améliorées chez cette population. De façon globale on observe chez les sujets âgés une augmentation de la fréquence de la plainte « sommeil » qui toucherait 57% des plus de 65 ans (41). Les principales plaintes des personnes âgées sont l’insomnie (qu’elle soit initiale, moyenne, ou terminale), et une mauvaise qualité de sommeil avec somnolence diurne. (39) En effet le sommeil semble être un axe fondamental de santé publique en ce qui concerne la réussite du vieillissement. Une thèse réalisée en 2017 à l’université de Saint Étienne a révélé que la qualité subjective perçue du sommeil jouait un rôle dans la perception qu’avaient les individus de plus de 65 ans de leur état de santé et de leur qualité de vie.

Consommation des benzodiazépines en France et dans le monde

En France Les Français sont de grands consommateurs de benzodiazépines et d’hypnotiques. Ils se situent à la 2ème place des plus gros consommateurs en Europe, autant pour les benzodiazépines anxiolytiques avec 50 DDJ (doses définies journalières pour 1000 habitants par jour) que pour les benzodiazépines hypnotiques avec 35 DDJ. (53) Un rapport de l’ANSM fin 2013, basé sur des données de remboursement de l’assurance maladie et non actualisé depuis, retrouvait que 11.5 millions de français avaient consommé au moins une fois une benzodiazépine dans l’année 2012, parmi lesquels 7 millions une benzodiazépine anxiolytique et plus de 4 millions une benzodiazépine hypnotique. (9) Les molécules les plus utilisées en 2012 étaient, par ordre décroissant d’unités standard, l’alprazolam, le bromazepam, le zolpidem, le lorazepam, l’oxazépam et le zopiclone. La première place était occupée jusqu’en 2011 par le tetrazepam avec plus de 4 millions d’utilisateurs annuels, avant d’être retiré du marché. (9) On observait au début des années 2000 une baisse de la consommation des benzodiazépines et apparentés dans leur globalité (de 90 à 81,2 DDJ/1000 habitants de 2000 à 2008), laquelle a été suivie d’une stagnation autour de 2010, avec une tendance à la reprise de la consommation entre 2010 et 2012 (82,9 DDJ/1000 habitants en 2012). Une stabilité dans la consommation de la classe des benzodiazépines hypnotiques et apparentés est à noter, expliquée en partie par une augmentation de la part des hypnotiques apparentés aux benzodiazépines (zopiclone et zolpidem). (9) La polymédication est relativement fréquente, avec une association à une autre benzodiazépine dans 21% des cas, à un antidépresseur dans 21% des cas, et à un antipsychotique dans 5% des cas. (53) Les consommateurs de benzodiazépines sont des femmes à 64,2%. Ils bénéficient d’une ALD30 pour un quart d’entre eux (contre une prévalence nationale à environ 18%). (9) Les benzodiazépines et apparentés sont initialement prescrits par des médecins libéraux à 88%, principalement par des médecins généralistes puis des psychiatres et enfin des rhumatologues. (53)

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Table des matières

I. Sommaire
II. Introduction
A. Les benzodiazépines et apparentés
1. Historique
2. Pharmacodynamie
3. Pharmacocinétique
4. Le cas des hypnotiques apparentés
5. Effets indésirables
B. Indications des benzodiazépines et apparentés chez le sujet âgé en médecine générale
1. Troubles du sommeil
2. Troubles anxieux
3. Autres
C. Epidémiologie
1. Vieillissement de la population
2. Etat des lieux de la consommation des benzodiazépines et apparentés
3. Lutte contre la prescription de médicaments inappropriés
D. Soulèvement de la question de recherche
III. Matériel et méthodes
A. Choix de la méthode
B. Type d’étude et recueil de données
C. Populations de l’étude et méthodes de recrutement
D. Mode d’analyse des données
E. Considérations éthiques
IV. Résultats
A. Introduction des résultats et variabilité des deux échantillons
B. La relation médecin patient
1. L’introduction
2. L’absence de relation
3. Le patient dans une démarche offensive
4. Le médecin empathique
5. Une alliance thérapeutique cruciale
6. Usage détourné de la relation par le médecin
C. La primo prescription
1. Le candidat idéal
2. Un contexte favorable
3. Des motifs polymorphes
4. Un traitement de seconde intention
D. Les mécanismes de la chronicisation
1. Absence de chronicisation
2. Facteurs divers liés à la chronicisation
3. Autres médecins intervenants dans la prescription
4. Profil du patient chronique
5. Place du médecin traitant dans la chronicisation
6. Atténuation du risque perçu
E. Le sevrage
1. La phase de pré-intentio
2. L’intention de changer
3. Le passage à l’action
4. Réussite
5. Echec
6. Rechute
V. Discussion
A. Forces et limites
1. Les forces de notre étude
2. Les limites et biais
B. Nos résultats et la littérature
1. Le profil du consommateur chronique
2. Une consommation addictive
3. L’introduction
4. Le cas particulier des patients déments et dépendants
5. La motivation du patient à changer de comportement
6. Perceptions des patients consommateurs chroniques
7. Les représentations des médecins
C. Vers un bon usage des benzodiazépines
1. Les benzodiazépines : des médicaments efficaces mais à risque
2. Vers de meilleures pratiques
3. Des espoirs d’évolution
VI. Conclusion
VII. Bibliographie
VIII. Annexes

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