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Mode de vie – Habitats
En même temps que l’implantation des différents services administratifs, le bourg de Camopi a vu arriver petit à petit l’eau courante, l’électricité, ainsi que internet et la téléphonie plus récemment. Les frêles constructions d’autrefois sont devenues plus solides avec la sédentarisation. Cependant il reste encore de nombreux endroits dépourvus d’eau et d’électricité à cause de l’isolement et de l’absence de raccordement au réseau.
Dans certains kampoes, l’alimentation en eau « potable » se fait par des bornes fontaines où les usagers viennent se servir. L’eau émanant de ces sources fait régulièrement l’objet de contrôle par la DSDS (Direction de la Santé et du Développement Social), branche appartenant à la veille sanitaire de l’ARS qui émet des bulletins annuels sur la qualité de cette eau (13). Il a été constaté que ces résultats signalent parfois une non conformité bactériologique, comme c’est le cas sur le rapport fait à Canari Macaque du 26 mai 2015 (14).
Les habitants vivant dans ces parties plus reculées ont conservé un mode de vie traditionnel. Certains portent toujours le Kalimbe, leur habit coutumier. Ils vivent dans des constructions en bois qui se font près des cours d’eau. La rivière est bien sûr un lieu de baignade mais sert aussi à laver les vêtements et la vaisselle, à la toilette et aux besoins. L’eau de pluie peut parfois être recueillie pour être consommée. Sous un grand carbet ouvert, la cuisine se fait au feu de bois dans de grandes marmites. Une agriculture de subsistance est pratiquée, elle est seulement destinée à nourrir la famille. Elle se fait sur brûlis, après abattage des arbres. Si les hommes ont en charge la construction de l’abattis (champs défrichés par le feu), ce sont les femmes qui y passent le plus de temps, elles s’occupent de la plantation, de l’entretien et des récoltes. Le manioc est la plante la plus cultivée, elle sert à faire le couac mais aussi le cachïri, alcool traditionnel local servi dans toutes les occasions festives. Le moment venu de se reposer, chacun regagne son hamac, le mode de couchage habituel. Les Amérindiens ont conservé une capacité de mobilité développée, héritage de leur passé nomade. L’usage généralisé de la pirogue relativise les distances et favorise les déplacements. Malgré les différents programmes politiques mis en place et la permanence des administrations, des écoles et des postes de santé, peu d’entre eux arrivent à se sédentariser sur le long terme. Le respect des traditions et moeurs familiales reste très fort. En effet, en fonction des nouveaux liens qui se tissent, les familles déménagent sans cesse. Les habitats sont éclatés le long du fleuve. Ces mouvements s’expliquent par les règles de rapprochement familial de type patrilocal pour les Wayapi et de type matrilocal pour les Teko (5).
Contexte et problématiques frontalières
Depuis les années 1980, la région souffre de la ruée vers l’or. En effet, la commune de Camopi est une zone aurifère très prisée par les orpailleurs illégaux. Leur espoir de fortune a été motivé par la modernisation du matériel, facilitant l’extraction du précieux métal et les études géologiques des ressources minières par le BRGM (Bureau de Recherche Géologique et Minière). Au début, des pompes à alluvions installées sur des radeaux sont apparues sur le fleuve, au pied des sauts. Puis avec l’épuisement des sables aurifères, les orpailleurs ont poursuivi la prospection dans des zones jusque là inaccessibles ou inexploitées. Illustration 5: Commune de Camopi et lieux de vie actuels (Source: revue Confins)
Ces chercheurs d’or sont surtout de nationalité brésilienne. Ils sont appelés garimpeiros et traversent fréquemment la frontière pour se rendre sur les sites d’orpaillage. Même si nombre d’entre eux ne font généralement que passer près des zones habitées, leur activité se répercute cependant sur l’environnement et la vie des Amérindiens : présence de mercure dans les poissons carnivores, augmentation de la turbidité de l’eau perturbant la faune et la flore, déforestation (15). Villa Brasil est un village juste en face du bourg de Camopi. En 2002, avec la création du Parc National brésilien Tumuc Humac qui interdit toute présence humaine sur l’aire délimitée, ce village était considéré comme illégal. Mais fin 2011, il a été reconnu comme district de la commune d’Oiapoque et sorti de la zone du Parc. Il semblerait que les autorités brésiliennes souhaitent en faire une porte d’entrée pour l’écotourisme et renforcer le contrôle des frontières avec une base militaire (5). Les garimpeiros y viennent souvent se ravitailler en nourriture et matériels après de longues semaines passées sur les sites. C’est aussi pour eux l’occasion de se relâcher, ainsi de nombreux lieux de divertissement ont ouvert et avec eux des trafics en tous genres ont vu le jour. La vie nocturne agitée du hameau voisin associée aux vols de pirogues à moteur est source de friction de voisinage.
Un peu plus au nord, toujours sur le fleuve Oiapoque, on trouve un second hameau appelé Ilha Bela. Ce village tout à fait illégal est une base arrière pour les camps d’orpaillage. La population présente est composée pour moitié de chercheurs d’or clandestins en transit dormant sous des carbets-bâches et pour autre moitié de résidents offrant des services tels que hébergement, restaurant, dancing, prostitution. En plus de polluer l’environnement, leur présence empêche les Amérindiens de pratiquer leur activité de subsistance que sont la pêche, l’agriculture et la chasse. Enfin, ce contexte frontalier tendu est renforcé par des contrôles de la police militaire brésilienne intensifiés. Ces derniers interdisent aux Teko et Wayapi de nationalité française de construire leur abattis sur les rives brésiliennes. Certains conflits directs et intimidations auraient même été rapportés (5).
Santé à Camopi
Indicateurs épidémiologiques de santé
Comme il a été vu précédemment la population de Camopi est en plein boom démographique et comptait 1719 habitants en 2013 (4). Cette augmentation démographique est l’un des reflets du taux de natalité bien plus élevé que la moyenne générale avec 36,4 ‰ (2). Ce taux est de seulement 12,3‰ en métropole (donnée de juin 2012) (16). Par comparaison, les mères amérindiennes ont donc 3 fois plus d’enfants.
En Guyane, la périnatalité et la grossesse sont des véritables enjeux de santé publique. Trente-huit pour cent des femmes enceintes ont eu moins de quatre consultations prénatales, ou une première consultation tardive (à partir du second trimestre) et/ou moins de deux échographies. Les grossesses sont donc peu suivies, notamment à cause du manque de structures et du coût des moyens de transport. En 2009, d’après le registre d’issue de grossesse, 6,4% des femmes enceintes avaient présenté des complications à cause d’une hypertension gravidique et 1,3% à cause d’un diabète gestationnel (17). Le taux de prématurité est de 14% (18) alors qu’en métropole il était de 7,4% en 2010 (19).
Toujours à l’échelle départementale, le taux de mortalité infantile est élevé à hauteur de 11,8‰ (17), soit presque 4 fois plus que le niveau national (3,3‰ en 2013) (20).
A l’échelle de la commune de Camopi, peu de données existent dans la littérature. En 2008, une étude a été réalisée par le Dr Marie Boisvert sur le suivi médical et le niveau de santé des enfants amérindiens de Camopi âgés de 0 à 5 ans (21). Sur la cohorte étudiée de 279 enfants, le taux de mortalité infantile (rapport du nombre d’enfants décédés à moins d’un an sur l’ensemble des enfants nés vivants) était de 0,72% . Le taux de mortalité juvénile (mortalité des enfants âgés de 1 à 5 ans) était de 3,2% avec en première cause de décès, la noyade, mise en relation avec la proximité du fleuve et l’usage régulier des pirogues. Le taux de prématurité était de 9%.
Toujours dans cette même étude, un constat a aussi été fait sur la mauvaise couverture vaccinale des enfants de Camopi : 59% des enfants n’étaient pas vaccinés par le BCG alors que la tuberculose est toujours présente sur le territoire, 11,9% n’étaient pas vaccinés pour la diphtérie, le tétanos, et la polio alors que ce vaccin est obligatoire. Trente pour cent n’avaient reçu aucune vaccination pour rougeole-oreillons-rubéole. Trente deux pour cent n’étaient pas vaccinés contre la fièvre jaune alors que cette vaccination est également obligatoire en raison de la présence d’un réservoir vivant sur le territoire guyanais. Bien souvent, les enfants entament un rattrapage vaccinal à partir de l’âge de 4 ans lorsqu’ils entrent à l’école où un certificat de vaccination est demandé. Au final, seuls 30% d’entre eux avaient reçu toutes les injections prévues par le calendrier vaccinal. Cette tendance de couverture vaccinale insuffisante des enfants est le reflet de ce qui a déjà été constaté au niveau de tout le département (22).
Les pathologies du fleuve
Sur les fleuves de Guyane qui délimitent le territoire à l’est et à l’ouest, on rencontre des pathologies particulières liées aux spécificités déjà décrites.
Sur le Haut-Maroni et sur le haut Oyapock, un taux de mercure anormalement élevé a été retrouvé chez les populations amérindiennes consommant des poissons fortement imprégnés par cet élément. En fait, le mercure est l’un des polluants rejeté dans les cours d’eau guyanais par les activités d’orpaillage illégal et de déforestation. Il s’accumule sous sa forme réduite dans certains poissons consommés par l’homme qui se retrouve à son tour intoxiqué. C’est un neurotoxique qui peut entraîner des retards psychomoteurs et staturo-pondéraux chez l’enfant mais aussi provoquer des lésions du système nerveux chez le foetus (23). Or sur l’Oyapock, parmi les femmes enquêtées en âge d’avoir des enfants, le pourcentage ayant une concentration de mercure supérieure à la valeur seuil fixée par l’OMS de10 μg/g de cheveux est de 0% au bourg de Camopi, 8,3% dans les écarts de Camopi et de 21,7% à Trois-Sauts. Chez les enfants âgés de moins de 7 ans ces pourcentages sont de 10% dans le bourg de Camopi, 41,7% dans les écarts de Camopi, et 11,8% à Trois-Sauts (24). Dernièrement sur le Haut–Maroni, une recrudescence de cas de cryptosporidiose a fait l’objet d’une étude par le Dr N.Martin : 14 cas ont été diagnostiqués chez des enfants de moins de 4 ans en l’espace de 4 mois entre septembre 2014 et janvier 2015. Il a été observé que le défaut de traitement des eaux, le mode de vie des habitants du fleuve et les conditions climatiques particulières pouvaient favoriser la survenue de ce type de maladie hydrique. Une transmission interhumaine était possible tout comme l’exposition à une source commune (25). Cette recrudescence des cas de cryptosporidiose est survenue dans un contexte de forte augmentation des cas de diarrhées. Dans la même étude, une collecte des cas de diarrhées toutes causes confondues dans la région du Haut- Maroni et de l’Oyapock (depuis Ouanary jusqu’à Trois-Sauts), a été réalisée à partir du codage CIM 10 des CDPS. Un comparatif entre les régions des deux fleuves a même été fait (Illustration 6). Il montrait que l’Oyapock avait également subi une forte augmentation des cas de diarrhées mais 5 mois après celle du Maroni. Cependant, il n’y avait aucun cas de cryptosporidiose diagnostiqué de ce côté est de la Guyane.
Déjà dans le mémoire du Dr Boisvert (21), le constat avait été fait : seulement 23 enfants sur les 243 de la cohorte n’avaient jamais consulté pour un épisode de Illustration 6: Courbes comparatives des cas de diarrhées chez les moins de 4 ans pour le Haut-Maroni et l’Oyapock. De janvier 2014 à juin 2015. (Source: thèse Dr N.Martin) Illustration 7: Estimation de la population sur site ayant contracté une diarrhée (% de cas/pop sur site en rouge) (source CDPS) diarrhée. Lors d’une mission menée par le CIC en juillet 2015, les professionnels de santé ont exprimé leurs difficultés à faire le diagnostic étiologique de cette maladie, du fait de la difficulté de récupérer des selles auprès de la population amérindienne.
La prévalence du parasitage digestif semble très importante. En 2002, à Trois-Sauts, l’équipe du Dr Carmes révèle que le pourcentage global des parasités est de 95%, 85% en tenant compte du seul examen direct (27). Puis en 2013, à Camopi, le Dr Stefani évoque un taux de parasitose digestive de 80% chez les enfants de moins de 7 ans (données non publiées, (25)).
Le paludisme fait aussi l’objet d’une attention particulière. Le Haut-Oyapock est une zone endémique avec des incidences parmi les plus élevées du territoire guyanais. Une cohorte de surveillance a été constituée à Camopi et a permis la réalisation de diverses études et publications (28,29). Entre 2005 et 2013, le nombre de cas de paludisme déclarés en Guyane a diminué de plus de 80% grâce notamment, à la généralisation des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine et à la distribution massive de moustiquaires (30).
Les pathologies dermatologiques ne manquent pas à l’appel : leishmaniose, dermatophytie, eczema, urticaire et impetigo, seraient un motif fréquent de consultation selon les professionnels de santé locaux, en raison d’un environnement propice.
Au sujet des infections par le VIH, aucun cas n’a été recensé dans la population amérindienne de l’Oyapock, mais la vigilance reste de mise en raison de la prostitution existante proche des sites d’orpaillage (31).
Fonctionnement du système de soins – CDPS
Dans la commune de Camopi, il existe deux structures de santé, l’une d’entre elles au bourg de Camopi, et l’autre dans le village de Trois-Sauts. Elles se nomment CDPS : Centre Délocalisé de Prévention et de Soins. Autrefois sous la tutelle du Conseil Général, ces centres ont été rattachés au Centre Hospitalier André Rosemon à Cayenne le 1er janvier 2000 et dépendent désormais directement d’une cellule de gestion et de coordination de santé créée a posteriori en 2002. Ils ont une double vocation, à la fois préventive et curative. Il n’y a pas de centre de Prévention Maternelle et Infantile contrairement à d’autres villages isolés sur le Maroni.
Le centre de Trois-Sauts est le plus isolé du département. Il est médicalisé seulement depuis juin 2011, un médecin et un infirmier y exercent.
Le centre de santé de Camopi existe lui depuis bien plus longtemps (1950). Il emploie 2 médecins (depuis 2004), 2 infirmiers, ainsi qu’une secrétaire et une agent des services hospitaliers (ASH). Ces 2 dernières personnes ont en plus de leur fonctions habituelles, la tâche d’accueillir les patients, d’archiver les dossiers médicaux,et de faire la médiation culturelle auprès des personnes ne parlant pas français.
Les médecins et infirmiers se succèdent dans les postes de santé, le turnover est important, rares sont ceux qui prennent des postes pendant plus d’un an. L’activité du centre ne ralentit pas, près de 14 297 consultations ont été dénombrées en 2015 dont 29,2 % sont consacrées aux enfants de moins de 6 ans (26).
Le pôle des CDPS est entièrement financé par des missions d’intérêt général et des fonds d’investissement régional. Les consultations au dispensaire sont gratuites pour les patients. Cependant, ces patients doivent souvent faire face à une limitation de leur accès aux soins à cause, entre autres, de leurs papiers de sécurité sociale non à jour. Sans eux, les examens ou consultations spécialisées deviennent à leur charge, en plus du déplacement jusqu’au littoral. En fait, seules les évacuations sanitaires urgentes les dispensent d’avance des frais.
En raison des conditions d’isolement, le dispensaire dispose d’équipements pour parer à diverses situations. La pièce principale du bâtiment est la salle de soins et d’accueil. Les patients y débutent leur prise en charge, on y sort leur dossier médical et on y prend leurs constantes. Le malade va ensuite voir l’un des médecins dans le bureau médical. Deux pièces servent aux consultations médicales et dans l’une d’entre elles, on retrouve 2 lits d’observation pour les patients nécessitant une surveillance rapprochée, potentiellement à risque de décompensation. La dernière pièce est la pharmacie où sont entreposés près de 250 médicaments différents. Elle est approvisionnée tous les mois au gré des pirogues et navettes hebdomadaires depuis Cayenne en passant par Saint-Georges. Les dotations sont revues si besoin par un médecin tous les 6 mois. Cette pharmacie est la seule du village, elle fournit donc gratuitement les remèdes nécessaires aux patients venant consulter au dispensaire.
Au point de vue du matériel, le personnel de santé dispose d’une couveuse, d’un stérilisateur, d’ un échographe, d’un appareil à ECG, d’un scope, de pousses seringues électriques, d’un défibrillateur, et d’un chariot d’urgence contenant le nécessaire pour intuber et ventiler un malade. Autrefois les frottis/goutte épaisse et les examens directs des selles étaient faits à l’aide d’un microscope par un infirmier formé. Désormais, ce sont les tests rapides qui sont utilisés. Ils aident au diagnostic du paludisme, du VIH, et de l’angine à streptocoque. Lorsqu’il est nécessaire de faire des bilans sanguins ou autres prélèvements plus spécifiques, les tubes sont acheminés par le fleure voire par hélicoptère quand l’occasion se présente jusqu’au laboratoire du CHAR pour analyse. Mais les résultats sont souvent soumis aux aléas du transport. Les prélèvements peuvent, en effet, se détériorer à cause des changements de température, des conditions climatiques ou du fracas des colis.
Les moyens de communication se développent de plus en plus, le réseau internet fonctionne à bon débit, et depuis juillet 2015, la couverture du réseau téléphonique guyanais est arrivé jusqu’à Camopi. Les centres de santé sont équipés comme des stations de télémédecine. Ils disposent un enregistreur d’électrocardiogramme numérique, d’un appareil photographique numérique pouvant s’adapter sur un microscope pour un télédiagnostic en biologie, d’ un téléphone satellitaire et un ordinateur portable. Grâce à cette technologie, le personnel sur site envoie les informations médicales objectivées pour avis diagnostic et aides thérapeutiques. Le meilleur exemple d’utilisation de cette technologie est le logiciel Lotus. Il permet d’avoir un avis dermatologique en quelques heures après transmission de photos et du contexte clinique. L’interprétation d’ECG par un cardiologue est également possible grâce à ce logiciel, mais les délais de réponse peuvent être plus longs.
Pour lutter contre l’enclavement et l’accès restreint aux consultations spécialisées, les spécialistes eux-mêmes se déplacent lors de missions dédiées. Elles restent cependant encore peu nombreuses. C’est la pédiatre qui vient de façon plus régulière tous les 4 à 5 mois. Les infectiologues viennent une fois par an. Cette année, Camopi a eu la chance de voir un ophtalmologue venir bénévolement faire des consultations tout comme un rhumatologue l’avait déjà fait 2 ans auparavant. En 2014 et 2015, les dentistes avait également pu dispenser leurs soins une fois dans l’année.
Les gynécologues ne pouvant se déplacer que deux fois par an, le suivi de grossesse peut poser problème. Une sage femme vient une demi- journée par mois, et les médecins du centre de santé font les consultations mensuelles obstétricales. Dès que les femmes approchent les 36 SA, elles sont évacuées par pirogue puis ambulance jusqu’à Cayenne pour un « Accouchement en Milieu Hospitalier » (AMH). Seulement, la date du début de grossesse est souvent imprécise en raison du manque d’échographie de datation. Il arrive donc de façon inopinée que les femmes accouchent plus tôt. Dans le meilleur des cas, elles sont alors évacuées en urgence par hélicoptère. A défaut, l’accouchement a lieu au dispensaire voire à domicile si le temps est trop court.
L’EVASAN (EVAcuation SANitaire) reste une solution de recours fréquente pour les pathologies lourdes. Les patients sont dirigés sur Cayenne, qui présente le plateau technique le plus équipé du département. Ils y réalisent des bilans et examens complémentaires lors d’hospitalisations programmées.
Mais en cas d’urgences, c’est l’équipe du SAMU qui se rend disponible pour une évacuation héliportée vers le CHAR.
Place des Médecines Traditionnelles
Les médecines traditionnelles sont encore très présentes dans les cultures amérindiennes. Le recours à celles-ci dépend avant tout du patient et de ses croyances. Elles ont une place prépondérante dans le parcours de soins, et bien souvent elle peuvent coexister avec la médecine occidentale.
Pour les amérindiens, la maladie relèverait le plus souvent du surnaturel. Elle serait provoquée par les esprits pour deux raisons distinctes : soit par une action purement malveillante de l’esprit soit par vengeance, suite à une offense faite à l’encontre de ceux-ci. La société a donc mis en place des interdits portant sur la chasse, l’alimentation ou les comportements pour éviter de contrarier ces esprits et s’attirer leurs foudres.
Au niveau curatif, on distingue deux types de soins : ceux prodigués par la famille ou les proches du malade et ceux prodigués par un Chaman.
Le Chaman intervient souvent en deuxième recours lorsque les premiers soins s’avèrent inefficaces. C’est celui qui communique avec les esprits, c’est une personne centrale dans la société. Son importance réside en sa capacité à faire alliance avec les esprits. Sa technique repose plutôt sur des rites et des incantations. Il se sert d’instrument médiateur comme un hochet. Il n’utilise pas de plantes hormis celles pour entrer en transe ainsi que le tabac.
Les phytothérapies pratiquées par la famille font partie du savoir collectif, elles ont pour but de repousser l’esprit malveillant. Les traitements reposent sur l’association empirique des effets et des causes. Les remèdes sont généralement confectionnés à partir d’écorce, de sève, de feuilles ou racines provenant de diverses espèces de plantes. Les principes de décoction et de macération sont fréquemment utilisées. D’autre procédés thérapeutiques existent. Par exemple, les Wayapi se servent de la vapeur d’eau pour casser la fièvre, ou encore de tête de certaines fourmis pour suturer les plaies résultant de morsures d’animal. Les cataplasmes sont aussi très employés (32). Les pharmacopées traditionnelles doivent être considérées comme le reflet d’une conception du corps et de la santé dans les cultures concernées. Il paraît donc nécessaire de les prendre en compte lors de la prise en charge de ces patients.
Objectifs de l’étude
Les premières années de vie de l’enfant représentent la période durant laquelle la santé de l’enfant est la plus fragile, le temps qu’il constitue son immunité. Dans la littérature peu de données existent sur la morbidité des enfants dans le contexte particulier de Camopi. L’objectif principal de notre travail était de décrire la morbidité des enfants de 0 à 5 ans à Camopi. Les objectifs secondaires étaient de mesurer l’incidence des principales pathologies touchant ces enfants, de déterminer la part des pathologies responsables d’affection grave et entraînant une hospitalisation, de décrire le contexte périnatal ainsi que le statut vaccinal des enfants à l’âge de 5 ans.
Population
La population étudiée est celle des enfants de 0 et 5 ans vivant à Camopi à partir du 1er janvier 2009.
Les critères d’inclusion dans l’étude étaient les suivants :
– être domicilié sur la commune de Camopi,
– être né entre le 01/01/2009 et le 01/01/2014,
– être inscrit sur le registre du centre de santé de Camopi.
Les critères de non inclusion étaient :
– avoir déménagé et être domicilié hors de Camopi,
– l’absence de carnet de santé au CPDS de Camopi,
– le refus des parents de participer à l’étude,
– le décès de l’enfant qui entraîne la restitution du carnet dans les mains de la famille.
Sortie de cohorte :
Les enfants sortaient de l’étude lorsqu’ils avaient atteint l’âge de 5 ans.
Échantillonnage :
L’échantillonnage est exhaustif.
Choix de la population d’étude :
La tranche d’âge des 0 – 5 ans a été choisie car c’est celle habituellement utilisée en épidémiologie et dans la littérature, qui permettra ainsi des comparaisons.
Type d’étude
L’étude est une enquête longitudinale rétrospective descriptive monocentrique.
Déroulement de l’étude
Les informations étaient recueillies à partir des carnets de santé. Pour chaque enfant de moins de 5 ans, étaient retracés le contexte périnatal, le statut vaccinal et l’historique de ses consultations depuis sa naissance.
Tous les patients consultant au centre de santé, sont inscrits dans le registre du CDPS où sont consignés le nom, la date de naissance, le lieu de vie et le numéro de dossier. La première étape fut d’établir à l’aide de ce registre la liste de tous les enfants présentant les critères pour entrer dans l’étude.
Ensuite, grâce au numéro de correspondance du dossier, le carnet de santé de l’enfant était retrouvé parmi les archives du centre. En effet, spécifiquement à Camopi, les carnets de santé sont conservés au centre de santé même. Ils sont utilisés comme dossier patient. Toute consultation y est donc inscrite et détaillée en plus des informations habituelles. Les parents consentent à ce que ces carnets y soient conservés, en les laissant lors de la première consultation post natale. Ils les récupèrent lorsqu’il quittent la commune de Camopi.
Les professionnels de santé du CDPS de Camopi ont été informés en amont de ce travail. Un message à la fois oral et écrit, par l’intermédiaire d’une affiche placardée à l’entrée du dispensaire, a été diffusé aux parents pour qu’ils aient la possibilité de s’opposer à ce que les données de leur enfant soient recueillies. Leur consentement était donc obtenu par non opposition.
A la fin de l’étude, un signalement a été fait aux médecins du centre de santé sur les enfants présentant un retard vaccinal ainsi que ceux qui ont été affectés par le paludisme. En effet, dans le cadre des cas de reviviscence du paludisme à Plasmodium vivax, un traitement par primaquine pourrait leur être administré, en l’absence de déficit en G6PD.
Considérations éthiques et réglementaires
L’étude a fait l’objet d’une déclaration à la CNIL et avait été soumise à l’avis du Comité Local d’Ethique du Centre Hospitalier de Cayenne – Andrée Rosemon qui a donné un avis favorable et a demandé que les enfants non à jour de leurs vaccins soient signalés au médecin du CDPS.
Recueil des données
Le recueil de données s’est effectué sur une durée totale de 19 jours, en 2 étapes, du 1er au 8 février 2016 puis du 25 avril au 1er mai. Il s’est déroulé au sein même du centre de santé. Les informations tirées des carnets de santé étaient anonymisées et directement inscrites sur un fichier excel. Le numéro d’anonymat était attribué en fonction de l’ordre de saisie des données. Une fiche de concordance sécurisée par un code notifiait le nom, la date de naissance, et le numéro de dossier correspondant au numéro d’anonymat. Cette possibilité de concordance a été conservée dans l’éventualité de la réalisation d »une étude complémentaire à celle-ci mettant en rapport les causes de morbidité avec l’environnement.
Les informations collectées comportaient :
Des données socio-démographiques :
– la date de naissance de l’enfant
– le lieu de domiciliation inscrit dans le registre du CDPS
– la langue maternelle était donnée par la secrétaire, ou l’agent de santé présente à Camopi depuis plus de 20 ans
– le sexe
Des données de naissance :
– le lieu de naissance
– le terme en semaine d’aménorrhée (SA), un bébé né avant le terme de 37 SA définissait la prématurité conformément à la définition OMS.
– le poids de naissance
– le type d’accouchement
– l’allaitement à la naissance
– l’hospitalisation périnatale, et si oui pour quel motif
Des données de vaccination :
– le statut vaccinal BCG, DTP, ROR, VHB, pneumocoque au moment de la sortie de l’étude. Etaient considérés à jour les enfants ayant reçu les doses de vaccin recommandées par le dernier calendrier vaccinal 2016.
Des données de suivi médical :
– les dates de consultation
– le diagnostic retenu par le médecin faisant la consultation et inscrit dans le carnet de santé. Dans un souci d’uniformisation, un ensemble de symptômes pouvait être regroupé sous un même diagnostic. Les cas de diarrhée sanglante étaient appelés syndrome dysentérique afin de les différencier des gastroentérites aiguës. Le diagnostic de parasitose digestive était noté si l’enfant recevait un traitement antiparasitaire qu’il soit symptomatique ou non, et si un examen des selles revenait positif à un parasite.
– le type d’allaitement lors de la consultation
– l’âge de début de diversification alimentaire
– la prescription d’une antibiothérapie, et si oui laquelle. Le traitement antibiotique ne pouvait correspondre qu’à une seule pathologie à la fois. Lorsque 2 diagnostics différents étaient notés lors d’une même consultation la prescription était attribuée à la pathologie qui nécessite théoriquement un traitement antibiotique.
– la réalisation de prélèvements, si oui, lesquels et leurs résultats. Lorsque l’examen parasitologique des selles était notifié, il s’agissait d’un prélèvement envoyé pour analyse au laboratoire du CHAR à Cayenne.
– le devenir du patient: hospitalisation – retour à domicile – surveillance au centre de santé
– l’existence d’une affection congénitale ou chronique de l’enfant, définie comme toute maladie entraînant un suivi médical régulier, ou contraignant à plus de 3 consultations pour accès aigu. L’objectif étant d’étudier la morbidité à Camopi et de calculer l’incidence des maladies, nous avons fait le choix de ne pas recueillir les consultations faites en dehors du CDPS (reconnaissables par le tampon du médecin), celles motivées par un même motif en moins de 48h d’intervalle et celles pour contrôle clinique. De même les consultations pour vaccin, certificat de santé et soins infirmiers ne nécessitant pas de consultation médicale, n’étaient pas recueillies.
Analyse statistique
Les données ont été saisies sur le logiciel Microsoft® Office Excel® (Société Microsoft Corporation©), grâce auquel les calculs de moyennes, médianes, pourcentages, intervalles interquartiles ont été effectués pour l’analyse descriptive. Les données qualitatives ont été comparées par Test du Chi 2 ou test exact de Fisher lorsque les effectifs correspondants étaient inférieurs à 5. Les calculs ont été réalisés grâce au site internet tgvstat.com.
Caractéristiques de la population étudiée
Entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2013, 231 enfants nés étaient inscrits sur le registre du CDPS. Parmi eux 37 ont été exclus du fait de leur domiciliation en dehors de la commune de Camopi et 45 autres du fait de l’absence du carnet de santé dans les archives du dispensaire. La principale cause d’exclusion liée à l’absence du carnet de santé était le déménagement. Deux enfants qui auraient pu être inclus dans l’étude, sont décédés brutalement : l’un suite à un accident par arme à feu et l’autre suite à une noyade. Leurs carnets de santé n’étaient plus accessibles car ils avaient été rendus aux familles. L’ensemble de l’effectif étudié comptait donc 149 enfants qui avait consulté au total 5915 fois au CDPS. La flow chart est présentée en illustration 8.
Morbidité
Les 5916 consultations répertoriées sur l’ensemble de la population étudiée ont permis le diagnostic de 6228 maladies. En effet, lors de 313 consultations, 2 pathologies étaient diagnostiquées lors de la même consultation.
Le nombre de consultations au cours de la période de suivi par enfant variait de 6 à 103 en 5 ans. Pour mettre en relation le nombre de consultations avec la durée de suivi, nous avions calculé le nombre de consultations-année pour chacun des enfants.
La médiane pour tout âge confondu était à 8,6 consultations–année [intervalle interquartile : 6-11]. La moyenne de consultations-année par enfant était de 9,0 (min-max 1,2-20,6). Ce nombre de consultations-année moyen était plus élevé chez les enfants âgés entre 0 et 1 an. Puis diminuait avec l’âge. Ainsi, pour les enfants entre 0 et 1 an, le nombre moyen de consultations–année était de 13,0 puis de 10,2 pour les 1-2 ans, 7,5 pour les 2-3 ans, 6,6 pour les 3-4 ans et 5,9 pour les 4 – 5ans. Au total, 104 diagnostics différents ont été posés par les médecins du centre de santé. Le diagnostic « inconnu » a été associé à 20 consultations. L’investigateur n’avait pu déterminer un diagnostic du fait d’un manque d’information ou de la non lisibilité des indications inscrites sur le carnet de santé. Le calcul de densité d’incidence avait nécessité de déterminer, à l’aide de l’âge de sortie d’étude de l’enfant, le total de personnes-année. Ce total correspondait en fait à la somme de toutes les périodes de suivi de chacun des enfants. La densité d’incidence était égale au nombre de nouveaux cas divisé par le nombre de personnes – année. L’incidence cumulée représentait le nombre total de nouveaux cas pendant la période étudiée sur la population à risque durant cette même période.
Devenir du malade après consultation
Dans 98,1% des cas, les enfants retournaient à leur domicile à l’issue de la consultation. Cependant, 0,7% des consultations, soit 37 cas, aboutissaient à une hospitalisation. La principale cause était la détresse respiratoire aiguë avec 37,9% des cas d’hospitalisation. Venaient ensuite, la déshydratation et les pathologies infectieuses non compliquées de détresse respiratoire ou de déshydratation avec chacun 18,9% des cas d’hospitalisation. Dans 1,3% des consultations, soit 78 cas, l’état de santé de l’enfant nécessitait une surveillance au CDPS. La cause principale de cette mise en surveillance était l’état de déshydratation sévère sur affection digestive avec 55,3%, suivent ensuite les détresses respiratoires avec 28,2% et les autres pathologies infectieuses avec 10,2%.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : CONTEXTE DE L’ETUDE
1Présentation générale de Camopi
1.1 Géographie
1.2 Histoire
1.3 Mode de vie – Habitats
1.4 Contexte et problématiques frontalières
2Santé à Camopi
2.1 Indicateurs épidémiologiques de santé
2.2 Les pathologies du fleuve
2.3 Fonctionnement du système de soins – CDPS
2.4 Place des Médecines Traditionnelles
DEUXIEME PARTIE : MATERIEL ET METHODES
1 Objectifs de l’étude
2 Population
3 Type d’étude
3.1 Déroulement de l’étude
3.2 Considérations éthiques et réglementaires
3.3 Recueil des données
3.4 Analyse statistique
TROISIEME PARTIE : RESULTATS
1 Caractéristiques de la population étudiée
2 Contexte Périnatal
3 Morbidité
4 Affections chroniques
5 Devenir du malade après consultation
6 Facteurs pouvant influencer la morbidité
7 Antibiothérapie
8 Examens para-cliniques
QUATRIEME PARTIE : DISCUSSION
1 Principaux résultats
2 Vaccination
3 Périnatalité
4 Morbidité
5 Antibiothérapie
6 Examens para-cliniques
7 Limites de l’étude
8 Forces de l’étude
9 Perspectives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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