Conservation / restauration des matériaux du patrimoine
L’étude des mécanismes d’altération des objets archéologiques intéresse conservateurs et restaurateurs à plusieurs niveaux : pour les premiers elle rentre dans le cadre de la conservation des objets après leur mise au jour ou de leur préservation in situ, pour les deuxièmes elle revêt une importance particulière en ce qui concerne le concept de surface originelle.
La mise au jour d’un objet ancien s’accompagne d’un changement des conditions environnementales qui peut parfois conduire à une dégradation accélérée de cet objet. La connaissance du système de corrosion, sa formation aussi bien que son évolution, est déterminante dans le choix des techniques de conservation mises en œuvre pour le protéger des agents corrosifs de son nouvel environnement [1]. C’est le cas, par exemple, des différentes méthodes qui concernent la déchloruration des objets [2]. Quant à la conservation in situ du matériel archéologique, la plus grande partie des travaux concerne la corrosion en milieu marin [3]. Cependant il existe des cas où des conservateurs, confrontés à des découvertes d’envergure, ont engagé des études sur la détérioration engendrée par l’exhumation de matériel enfoui dans le sol, en examinant l’éventualité de conserver le matériel enfoui dans des conditions qui le maintiendraient dans un état où la détérioration est limitée par les conditions d’équilibre [4]. La caractérisation du système de corrosion, et notamment des phases qui le composent, ainsi que la compréhension des mécanismes de formation, est primordiale pour révéler les interactions qui existent entre les paramètres du milieu d’enfouissement et l’évolution de la corrosion.
Enfin, les restaurateurs accordent une attention particulière à la surface originelle des objets corrodés, puisque cette notion permet de retrouver les caractéristiques de l’ancienne surface (forme, décors…) [5, 6]. Sa localisation, en vue d’un nettoyage, s’appuie sur une observation précise, mais aussi sur la compréhension de la corrosion et la connaissance des mécanismes de corrosion contribue à rendre plus rigoureuse cette localisation.
Ces quelques exemples illustrent de quelle manière le domaine de la conservation/restauration tire profit d’une meilleure connaissance du processus de corrosion qui concerne les objet ferreux enfouis dans les sols depuis plusieurs siècles, et en particulier de la compréhension des mécanismes mis en jeu dans cette détérioration.
Gestion des déchets issus de l’industrie nucléaire
Le réseau nucléaire en France est constitué de 58 réacteurs commerciaux. L’exploitation de ce réseau est à l’origine d’une production de déchets industriels, dont une partie sont des déchets radioactifs de haute activité à vie longue [7]. Le volume de production de ces derniers est estimé à 200 tonnes chaque année [8]. La gestion des déchets radioactifs tient donc une place déterminante dans l’avenir de cette industrie, puisqu’elle concerne en premier lieu l’environnement et la santé. Cette gestion est l’objet de la loi n°91-1381 promulguée le 30 décembre 1991 (loi Bataille) qui accorde au Gouvernement une période de 15 ans, au terme de laquelle il devra adresser au Parlement un rapport global d’évaluation accompagné d’un projet de loi autorisant, le cas échéant, la création d’un centre de stockage [9]. Trois axes de recherche ont été définis :
– Etude de la séparation-transmutation des éléments radioactifs dans une perspective de réduction de leur masse ainsi que de leur toxicité.
– Etude de faisabilité, en terme de sûreté, d’un stockage en formation géologique profonde.
– Etude du conditionnement et de l’entreposage de longue durée en surface.
Notre travail s’inscrit dans la problématique associée au deuxième axe, par ailleurs confiée à l’ANDRA , autour du concept de stockage multi-barrières. Celui ci consiste à interposer des barrières de protection successives entre les déchets et l’environnement. Dans ce concept, le colis sous forme vitrifiée est disposé à l’intérieur d’un conteneur, lui-même placé dans un surconteneur qu’englobe une barrière ouvragée en argile gonflante, puis le sol géologique. A ce jour, plusieurs familles de matériaux métalliques sont envisagées pour constituer les conteneurs. La famille des aciers non ou faiblement aliés est l’une des deux familles retenues par l’ANDRA dans les concepts préliminaires. C’est principalement la corrosion qui conduit à la détérioration des matériaux métalliques dans le contexte de stockage à très long terme. Dans ce contexte, l’étude de la dégradation d’objets archéologiques ferreux, enfouis pendant plusieurs siècles, fournie un retour d’expérience de première importance pour les modélisations du comportement à très long terme de ces matériaux [10]. Remarquons cependant que si dans certains cas les conditions d’enfouissement des objets archéologiques (milieux aérés peu profonds), ainsi que la spécificité que leur confère leur ancienneté (composition et structure très hétérogènes en regard des matériaux contemporains), semblent constituer une limite à la comparabilité des systèmes, l’emploi des analogues archéologiques est le seul moyen d’étudier les mécanismes d’altération sur des périodes de temps très étendues.
Pour finir, nous pouvons mentionner le domaine du génie civil qui comporte aussi des problématiques liées à la corrosion à très long terme, concernant par exemple la prévision de la dégradation des conduites métalliques enterrées.
Dans la suite, nous abordons dans une première partie la corrosion du fer en milieu aqueux en présentant quelques généralités liées aux aspects phénoménologique et thermodynamique de la corrosion du fer. Puis nous détaillerons les études qui traitent de la solubilité des composés issus de cette corrosion. La deuxième partie correspond à la corrosion du fer à très long terme. Nous évoquerons les terminologies employées dans la littérature pour décrire les produits de corrosion, les faciès observés ainsi que les mécanismes associés qui ont fait l’objet d’hypothèses. Enfin, nous recenserons les évaluations des cinétiques de corrosion qui résultent des différentes études.
LA CORROSION DU FER EN MILIEU AQUEUX
Généralités : phénoménologie et aspect thermodynamique
La définition de la corrosion établie par la norme internationale ISO 8044 du 15 août 1999 montre explicitement qu’il s’agit d’un processus résultant de l’interaction physico-chimique entre un matériau et un milieu environnant « entraînant des modifications dans les propriétés du métal et pouvant conduire à une dégradation significative de la fonction du métal, du milieu environnant ou du système technique dont ils font partie » [11]. La corrosion généralisée, c’est-à-dire « progressant sur l’ensemble de la surface du métal exposée au milieu corrosif », est aussi uniforme si elle progresse « approximativement à la même vitesse sur l’ensemble de la surface ». En revanche, la corrosion est localisée lorsqu’elle se concentre « préférentiellement sur des sites discrets de la surface d’un métal exposé à un milieu corrosif » [11].
En présence d’un électrolyte tel que l’eau (corrosion aqueuse), le processus de corrosion est dominé par la nature électrochimique des réactions mises en jeu. Ces dernières sont de deux types : anodique et cathodique. La réaction anodique correspond à une oxydation d’un élément du matériau métallique, tandis que la réaction cathodique correspond à une réduction d’un oxydant du milieu environnant. La combinaison de ces réactions constitue une réaction d’oxydo-réduction.
Les produits de corrosion peuvent exister sous forme dissoute (cas des ions Fe2+), ou sous forme solide (cas de la précipitation en oxydes). L’approche thermodynamique permet de décrire les relations d’équilibre entre ces deux formes d’espèces chimiques issues de la corrosion, la phase métallique et l’eau. Cette description s’appuie sur les réactions d’oxydo-réduction, qui ont été mentionnées précédemment, et sur les réactions d’acide-base. Celles-ci concernent les transferts de protons, tandis que les premières concernent les transferts d’électrons. Les deux grandeurs caractéristiques utilisées sont le pH (cologarithme décimal de la concentration en protons) et le potentiel (E) .
Recensement des composés dans les premiers stades de la corrosion
Les expériences menées par Misawa et al. [18], ayant pour objet la formation des principaux composés issus de l’oxydation du fer, ont permit la mise en place d’un certain nombre de schémas réactionnels régissant l’apparition et l’évolution des espèces en solution aqueuse . Ainsi, les auteurs ont montré qu’à partir de l’hydroxyde ferreux Fe(OH)2(s), les rouilles vertes et les complexes intermédiaires (appelés verts) sont les premiers à se former dans une solution à pH neutre. Ces espèces contiennent le fer à l’état Fe (II) et Fe (III).
Une oxydation aérée lente des complexes verts est vraisemblablement la réaction qui conduit de manière la plus efficiente à la formation de la magnétite (Fe3O4) par précipitation. La lépidocrocite (γ-FeOOH) est quant à elle le fruit d’une réaction similaire, ou d’une oxydation à l’état solide des rouilles vertes dans des conditions aérées violentes. Cette phase peut aussi être obtenue directement à partir de solutions de fer (II).
La formation de la goethite (α-FeOOH) relève de deux cas différents, selon que la solution est alcaline ou acide. En milieu alcalin et à température ambiante, l’espèce Fe(OH)3aq apparaît à partir des espèces dissoutes de Fe (II). Il s’ensuit une transformation en hydroxyde ferrique amorphe, puis finalement en goethite. En milieu acide, l’hydroxyde ferrique amorphe est issu des complexes verts ou des espèces dissoutes Fe (II) et Fe (III). Sa transformation en goethite est commandée par une cinétique beaucoup plus lente qu’en milieu alcalin.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : BIBLIOGRAPHIE
1. CONTEXTE DE L’ETUDE
1.1. Conservation / restauration des matériaux du patrimoine
1.2. Gestion des déchets issus de l’industrie nucléaire
2. LA CORROSION DU FER EN MILIEU AQUEUX
2.1. Généralités : phénoménologie et aspect thermodynamique
2.2. Recensement des composés dans les premiers stades de la corrosion
2.3. Solubilité des phases issues de la corrosion du fer
3. LA CORROSION DANS LES SOLS A TRES LONG TERME
3.1. Les terminologies employées
3.2. Les faciès de corrosion observés
3.3. Les mécanismes de formation des oxydes de fer à très long terme
3.3.1 Le système goethite/magnétite
3.3.2 Le cas particulier de la sidérite
3.4. Cinétique de la corrosion sur les objets archéologiques
4. BILAN ET PROBLEMATIQUE
Références
CHAPITRE II : TECHNIQUES EXPERIMENTALES
1. METHODOLOGIE
1.1. Description du système de corrosion
1.1.1. L’objet et son altération
1.1.2. Les sols
1.2. Etude du transport dans les couches de corrosion
1.2.1. Coefficients de diffusion apparents dans les couches archéologiques
1.2.2. Contrôle des cinétiques de corrosion
2. PROTOCOLE EXPERIMENTAL
3. LES TECHNIQUES EXPERIMENTALES POUR LA CARACTERISATION DU SYSTEME DE CORROSION
3.1. Analyses des sols
3.2. Les méthodes d’observations et d’analyses classiques appliquées au corpus
3.2.1. La microscopie optique
3.2.2. Les méthodes d’observation et de caractérisation élémentaire par sondes électroniques
3.2.2.1. Le microscope électronique à balayage (MEB) couplé à la spectrométrie par dispersion d’énergie (EDS)
3.2.2.2. La microsonde de Castaing (EPMA)
3.3. Deux moyens complémentaires de caractérisation structurale : la microdiffraction sous rayonnement synchrotron et la microspectroscopie Raman
3.3.1. La microdiffraction sous rayonnement synchrotron (µXRD)
3.3.1.1. Principe
3.3.1.2. Utilisation de la ligne de microdiffraction au LURE
3.3.1.3. Précision, limites et avantages
3.3.2. Les analyses par microspectroscopie Raman (µRaman)
3.3.2.1. Principe
3.3.2.2. Description de l’appareillage
3.3.2.3. Application à l’étude des couches de corrosion archéologiques
4. ETUDE DU TRANSPORT DANS LES COUCHES DE CORROSION
4.1. Etude du système poreux par porosimétrie mercure
4.2. Utilisation de traceurs pour observer les transports à l’intérieur des couches d’oxydes
4.2.1. Les immersions dans les solutions aqueuses saturées en NaI
4.2.1.1. Mode opératoire
4.2.1.2. Obtention des profils de concentrations par cartographie spectrale en EDSMEB
4.2.2. Les immersions dans les solutions aqueuses saturées en oxygène-18
4.2.2.1. Mode opératoire
4.2.2.2. Investigation de l’élément oxygène-18 avec la microsonde nucléaire
i) Principe et appareillage
ii) Stratégie et conditions expérimentales
CHAPITRE III : RESULTATS
PARTIE 1 : CARACTERISATION DU SYSTEME DE CORROSION
1. Le site archéologique de Glinet : caractéristiques du milieu
1.1. Données générales sur le sol : textures et analyses des eaux
1.2. Analyses des milieux de prélèvement
1.2.a. Zones du massif du haut-fourneau et de la soufflerie
1.2.b. Zone de la roue hydraulique
2. Description du corpus
3. Les substrats métalliques
3.1. Les fontes
3.2. Les fers et les aciers
4. Typologie des systèmes de corrosion
4.1. Description générale
4.2. Les épaisseurs des produits de corrosion
4.3. Aspects de la corrosion à l’interface M/CPD : la corrosion préférentielle
4.3.a. Les fontes
4.3.b. Les fers et les aciers
4.3.c. Eléments endogènes autres que le fer
4.3.d. Bilan
4.4. Les couches de produits denses (CPD)
4.4.a. Les faciès constitués de goethite, de magnétite et de maghémite
4.4.b. Les faciès constitués de sidérite, de goethite et de magnétitees
4.4.c. Le cas du soufre
4.4.d. Synthèse des morphologies rencontrées
4.5. Etude du milieu transformé (MT)
4.5.a. Les phases denses dans le MT
4.5.b. Les phases denses en forme de liseré
4.5.c. Bilan
PARTIE 2 : ETUDE DES PHENOMENES DE TRANSPORT DANS LES COUCHES DE CORROSION
1. Localisation des réactions de corrosion
1.1. Le système de corrosion soumis à l’étude
1.2. Analyse préliminaire
1.3. Les expériences d’immersion
1.3.a. Immersion pendant 4 semaines
1.3.b. Immersion pendant 11 semaines
1.3.c. Immersion pendant 19 semaines
1.4. Synthèse
2. Etude du système poreux
2.1. La porosimétrie mercure
2.2. Saturation des couches par des traceurs
2.3. Conclusion
3. Coefficient de diffusion apparent et phénomènes de transport
3.1. Calcul à partir de la tortuosité
3.2. Profils de pénétration des traceurs
3.2.a. Principe, reproductibilité et limites
3.2.b. Evolution des profils et calculs de coefficients de diffusion apparents
3.3. Conclusion
CHAPITRE IV : DISCUSSION
PARTIE 1 : ETUDE DES PHENOMENES DE TRANSPORTS DANS LES COUCHES
1. Localisation des réactions de corrosion
2. Aspect cinétique du transport
2.1. Les coefficients de diffusion apparents
2.2. Comparaison des vitesses instantanées
2.3. Exploitation des vitesses moyennes issues des mesures d’épaisseurs
3. Bilan sur les transports
PARTIE 2 : FACIES DE CORROSION ET MECANISMES DE FORMATION
1. Influence du substrat métallique dans la corrosion à très long terme
2. Influence de la chimie du milieu d’enfouissement sur les phases constitutives des produits de corrosion
2.1. Caractéristiques du sol
2.2 Influence sur les phases qui composent les CPD
3. Mécanismes de formation des oxydes
3.1 Les CPD formées de goethite et de magnétite et/ou maghémite
3.2 Le cas de la sidérite
3.3 Le cas du soufre
3.4 Le milieu transformé
CONCLUSION