Conservation et transmission des archives familiales
Définition des archives familiales
Nous pouvons donc déduire de ces définitions que les archives familiales, qui sont des documents produits ou reçus par une famille, n’entrent pas dans le champ des archives publiques et sont donc des archives privées. Les archives privées regroupent : les archives personnelles, les archives d’écrivains, les archives d’érudits – d’historiens et de géographes, les archives d’artistes, les archives d’architectes, les archives scientifiques, les archives familiales, les archives domaniales et seigneuriales, les archives d’entreprises, les archives de presse, les archives d’associations, les archives de syndicats et partis politiques ainsi que les archives cultuelles depuis 19053. Ce qui fait des archives familiales une sous-catégories des archives privées. Que sont donc précisément les archives familiales ? Nous pouvons commencer par affirmer que les archives familiales sont des documents produits ou reçus par les membres d’une même famille dans le cadre de leurs activités ou non et c’est ici que se pose le principal problème de définition. En effet, si un document est produit ou reçu par un individu en dehors de son activité principale (professionnelle donc), prenons comme exemple une lettre d’ordre privée, alors ce document peut être considéré comme appartenant à la catégorie des archives personnelles définie comme regroupant les papiers personnels, les documents relatifs aux biens de la personne et les papiers de fonctions4.
Ces « papiers personnels » sont décrits comme étant l’ensemble des documents qui « jalonnent la vie d’un individu, tels que papiers d’identité, actes intéressant la filiation, livrets militaires, cahiers scolaires, diplômes, […] »5. Donc nous pouvons trouver dans les archives familiales des archives personnelles des membres de ladite famille. C’est en effet ce que souligne Christine Nougaret : « À côté de ces papiers conservés par les individus pour la justification de leurs droits et la bonne gestion de leurs affaires, sont parfois conservées des archives plus intimes telles que correspondances familiale ou amicale, livres de raison ou journaux personnels »6. Pourquoi peut-on alors qualifier certaines archives personnelles d’archives familiales ? Ce qui fera pour nous la différence dans cette étude sera le fait que la personne qui a produit ces archives dites personnelles n’est plus en vie, les documents ont alors été transmis aux générations postérieures ou aux branches latérales. Les archives familiales seraient donc à la fois l’accumulation de titres et documents concernant toute la famille et son histoire en général, mais aussi l’accumulation d’un ou plusieurs fonds d’archives personnels transmis de génération en génération, devenant alors une sorte de « patrimoine familial » qui constitue « les souvenirs de la famille »7 d’où leur qualification et rattachement aux archives familiales.
Conservation et transmission des archives familiales
Il ne va pourtant pas de soi de conserver des documents familiaux. Bien souvent les archives familiales sont soumises à des « tris » lors de la transmission des « papiers » le plus souvent à la suite d’un décès où en préparation d’un déménagement puisque « les archives contrairement à l’idée reçue ne demeurent pas dans un lieu unique, elles voyagent, elles circulent »8. Dans son introduction au livre Histoire de la vie privée, t. IV, De la Révolution à la Grande Guerre dirigé par Philippe Ariès et Georges Duby, Michelle Perrot expose la conservation « hasardeuse » de ce type d’archives : « les archives privées, sont cependant socialement dissymétriques et d’un accès aléatoire. Leur conservation est aussi hasardeuse que leur consultation. Il y faut l’abri d’un lieu stable, une piété filiale soucieuse de mémoire, la notoriété qui transforme les papiers en reliques ou la curiosité de descendants épris d’histoire ou de généalogie ».9 On peut donc affirmer qu’il y a une conservation aléatoire des archives familiales par les familles, et si conservation il y a puisqu’une « première étape dans la constitution des papiers en archives consiste en la décision de garder »10, elle peut parfois être problématique sous plusieurs aspects.
Le premier étant que bien évidemment les individus ne gardent pas tous les documents produits par leurs ancêtres et exercent un tri, dont les critères restent à définir parmi les documents, conservant ceux auxquels ils sont le plus attachés sentimentalement et/ou ceux qui leur semblent les plus importants et précieux ou encore ceux qui conservent encore une valeur probatoire : « chaque génération produit, garde, jette, trie et classe »11. Les documents familiaux font souvent « l’objet d’une inattention suivie sur plusieurs générations »12 permettant dans un bon nombre de cas leur conservation, mais il semble aussi que le facteur émotionnel des archives joue un rôle essentiel dans la conservation d’archives familiales. Marine Vautier conclut son mémoire dont le sujet porte sur les archives personnelles en écrivant ceci : « Quand ces archives et « objets-souvenirs » viennent en outre de générations antérieures, leur valeur est multipliée et l’émotion prend le dessus sur toutes les raisons de conservation »13. Il y aurait donc deux justifications à la conservation des papiers : « objectivité (statutaire et utilitaire) et subjectivité (affectif) se combinent pour affirmer et justifier la présence pour tels ou tels documents »14.
Par ailleurs, les archives familiales constituent l’une des catégories de papiers gardés par les individus (les autres étant les documents administratifs, professionnels et d’information)15 et « remplissent […] cette fonction de trace identitaire. De peu d’utilité pratique, ils [les documents privés, familiaux ou intimes] sont conservés comme témoins de l’histoire familiale et affective de la personne […] Au sein de ces papiers, les photographies, comme représentations visuelles des événements qui ont ponctué l’histoire de l’individu, occupent une place spécifique et importante »16. Ces archives « incarnent une mémoire « chaude », plus émotive »17, ces documents constituent la mémoire familiale et sont qualifiés par Anne Monjaret de papiers « mémoriels » qui renvoient à des souvenirs heureux ou douloureux pour les personnes qui les conservent18. Cependant les critères de tri dans ces archives sont encore mal connus puisqu’ils « relèvent du domaine de l’intime »19 et sont donc peu communiqués.
Le second problème rencontré peut être le mode de conservation. Il est en effet difficile d’imaginer des particuliers conserver avec autant de précautions que les professionnels leurs archives, des documents parfois intéressants peuvent donc se trouver altérés et/ou inexploitables à cause d’une mauvaise conservation. La conservation des documents est soumise au classement ou manque de classement dont ils font l’objet le plus souvent dans des « boîte[s] en carton, boîte[s] en fer, classeur[s] métallique[s], classeur[s], chemise[s], sous-chemise[s] »20. Ce classement répond à la logique pratique du propriétaire permettant à ce dernier de retrouver ses papiers21. « Ce sont toujours les mêmes lieux qui accueillent les mêmes papiers […] les papiers occupent des espaces qui sont en harmonie symbolique avec la mémoire qui leur est confiée »22 même si les contraintes (lumière, humidité, etc.) liées à la conservation de ces documents jouent également un rôle sur les emplacements de conservation. Plus les documents sont jugés importants, mieux ils sont conservés et plus le détenteur en prend soin, c’est notamment le cas pour les actes notariés puisqu’ils ont une valeur probatoire concernant la patrimoine foncier de la famille permettant de retracer facilement l’histoire familiale au travers des mariages, héritages, achats, etc.23. Concernant les documents familiaux les plus anciens, ceux qui relèvent des membres de la famille ayant vécu il y a au moins deux ou trois générations, Valérie Feschet remarque qu’ils ne concernent pas que la lignée directe du propriétaire de ces archives mais également des branches collatérales de la famille24.
Typologies
Pour rédiger cette sous-partie, nous nous appuyons essentiellement sur le Guide des sources conservées par le Service historique de la Défense relatives à la Première Guerre mondiale25 et sur le livre Archives de la Grande Guerre Des sources pour l’histoire dirigé par Philippe Nivet, Coraline Coutan- Daydé et Mathieu Stoll26. Il s’agit ici de faire un état des lieux des différentes typologies documentaires que l’on peut trouver dans les fonds privés et familiaux relatifs à la première guerre mondiale. Dans le guide des sources du Service historique de la Défense, il est question non pas d’archives familiales mais de « fonds personnels ». Ces différents fonds privés ont été acquis par le Service historique de la Défense grâce à des saisies, mais également par des dons et dépôts massifs après la seconde guerre mondiale et dès 1960. Les saisies concernaient surtout les archives publiques, c’est-à-dire les documents produits dans le cadre de l’activité militaire des personnes concernées. Mais bien souvent, s’ajoutaient à ces documents des archives privées comme par exemple de la correspondance personnelle échangée dans le contexte de ce conflit. Environ six cent fonds privés conservés au Service historique de la Défense concernent la première guerre mondiale, certains concernant des personnes célèbres (Foch, Joffre, Castelnau, etc.) d’autres des personnes du commun. En plus des fonds conservés par le Service historique de la Défense, on peut trouver des archives de la première guerre mondiale produites par des soldats et leurs proches soit directement dans les familles ou dans les archives départementales27. Ces documents sont pour certains également disponibles sur le site Europeana 1914-1918, les archives dont l’intitulé commence par « FRAD » ont été numérisées et mises en ligne par des services départementaux français28.
Le don : définitions, théorie et paradoxe
C’est le principal théoricien du don, Marcel Mauss (1872-1950), sociologue français, neveu et successeur de Durkheim à l’École sociologique française, qui en relevant le paradigme du don a fait une découverte qualifiée « d’universel sociologique et anthropologique d’une importance capitale »43 par le sociologue Alain Caillé. Toujours d’après ce sociologue, un paradigme est : « dans les sciences du social historique une manière massivement et plus ou moins inconsciemment partagée d’interroger normativement la réalité sociale historique et d’imaginer à ces questions des réponses positivement et normativement significatives »44. Le don peut quant à lui se définir par : « une prestation, qui s’effectue sous la forme d’une circulation de richesse ou de service d’un individu ou d’un groupe vers un autre, et dont la caractéristique fondamentale, tout au moins dans le moment où cette prestation a lieu, est de ne pouvoir se réaliser que dans un seul sens ».45 Le don est défini par Mauss comme étant un « fait social total » c’est-à-dire que : « le don peut être identifié comme un fait social total au sens où il indique le point où se noue l’ensemble des rapports qu’une société est à même de tisser entre les individus et les sous-groupes qui la composent ».46
Le don dont Marcel Mauss fait l’étude est un acte qui : « est plein d’intérêts (force, domination, prestige, séduction, rivalité et surtout socialité), irréductibles à l’intérêt marchand, et il doit paraître gratuit et spontané, alors qu’il est aussi obligatoire et à charge de revanche, mais différée, à terme »47, ce qui soulève alors tout le paradoxe de ce paradigme puisque le don « s’affirme au premier abord bien plus comme l’opposé de l’échange que comme l’une de ses modalités »48. Le don est donc d’après la théorie de Marcel Mauss intéressé. Cet argumentaire est repris par Alain Caillé qui écrit à propos des donateurs : « L’entrepreneur du don, le chef sauvage assoiffé de prestige ou l’honnête qui refuse de trahir sont-ils « réellement désintéressés » ? Ne doit-on pas d’autant plus mettre en doute ce désintéressement que parfois, souvent ou presque toujours […] ils y gagnent ? »49.
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Table des matières
INTRODUCTION
1.Archives familiales et services d’archives
1.1. Les archives familiales
1.1.1. Les archives familiales : des archives privées particulières
a) Définition des archives familiales
b) Conservation et transmission des archives familiales
1.1.2. Les archives familiales de la première guerre mondiale
a) Typologies
b) Les particularités liées au contexte de production
1.2. L’entrée par le don des archives familiales dans les services
1.2.1. Généralités sur le don
a) Le don : définitions, théorie et paradoxe
b) « La triple obligation de donner, de recevoir et de rendre »
1.2.2. Faire un don d’archives
a) Le don d’archives
b) Le prêt pour reproduction : une alternative au don
1.3. Les archives familiales dans les services : intérêts et utilisations
1.3.1. Des archives convoitées par les services
a) L’évolution de l’intérêt des historiens pour les archives privées
b) L’évolution de la collecte d’archives privées dans les services d’archives territoriaux
c) La justification de la collecte d’archives privées par les services publics de nos jours
1.3.2. « Les différents usages des archives » par les services d’archives
a) Les différents types de valorisation mis en place pour les archives familiales
b) Les services d’archives et les commémorations nationales du centenaire de la première guerre mondiale
BIBLIOGRAPHIE
ÉTAT DES SOURCES
2.« La Grande Collecte » aux archives départementales de Maine-et-Loire (2013-2014)
2.1. « La Grande Collecte » : un événement inédit
2.1.1. « La Grande Collecte » : une action nationale
a) Les origines de « La Grande Collecte »
b) La mise en place de « La Grande Collecte »
c) L’appel au public
2.1.2. L’organisation de « La Grande Collecte » aux archives départementales de Maine-et-Loire
a) La participation du service
b) L’organisation pratique du service
2.1.3. La collecte d’archives familiales de la première guerre mondiale par les archives départementales de Maine-et-Loire
a) La participation à « La Grande Collecte » aux archives départementales de Maine-et-Loire
b) La collecte des archives familiales de la première guerre mondiale
2.2. Une réponse massive du public à cet appel au « don » : éléments d’explication
2.2.1. Participer à « La Grande Collecte, une démarche aux objectifs multiples
a) Entretenir la mémoire des soldats de la première guerre mondiale
b) Mieux connaître une parcelle mystérieuse de l’histoire familiale
c) Sauver et partager ses archives
2.2.2. La relation des contributeurs avec le service
a) Une relation de confiance avec l’archiviste indispensable
b) Découverte de l’intérêt historique de leurs archives
c) Attentes et retours
2.3. La valorisation des archives familiales collectées par le service
2.3.1. La valorisation par Internet
a) Europeana 1914-1918
b) La Grande Guerre en Anjou
c) Le ressenti des contributeurs concernant la mise en ligne de leurs archives
2.3.2. La publication du livre 1914-1918, l’Anjou dans la Grande Guerre
a) Présentation du livre
b) Les récits de guerre et parcours de combattants
c) Le ressenti des contributeurs concernant la publication de ce livre2.3.3. L’exposition 1914, L’Anjou de la paix à la guerre
a) Présentation de l’exposition
b) La participation des contributeurs à l’exposition
CONCLUSION
ANNEXES
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES ILLUSTRATIONS
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Bonjour, J’ai réuni 4 à 5 mètres linéaires de documents familiaux, historiques, généalogiques et de nombreux originaux et photos… sur une période de près de 4 siècles*. Tout ce travail sera probablement oublié … sachant que mes nombreux enfants et descendants un jour les perdront peut-être !
Quelles Archives pourraient les recevoir ? J’en ferai don sans hésiter.
Avec mes remerciements anticipés,
*Dont j’ai édité un livre destiné à mes poches.