Conservation et restauration du patrimoine culturel
Depuis le Moyen-รขge, le fer et lโacier sont employรฉs massivement dans la construction de monuments, et notamment pour renforcer la structure de cathรฉdrales gothiques telles que celles de Beauvais, dโAmiens, de Bourges ou encore de Metz [10-12].
La prรฉsence du fer dans les monuments de lโรฉpoque mรฉdiรฉvale, et en particulier dans les รฉglises gothiques, a longtemps รฉtรฉ dรฉnigrรฉe ou ignorรฉe [13]. Au 19รจme siรจcle cependant, Viollet-le-Duc aborde la question de lโutilisation du fer pour la construction de ces รฉdifices [14], ร partir de ses observations sur nombre de monuments historiques, notamment sur les chantiers de restaurations quโil dirige (Sainte-Chapelle, cathรฉdrale Notre-Dame de Paris). Il รฉtablit un lien entre lโavรจnement de la pรฉriode gothique et lโessor des fers de construction ร la mรชme รฉpoque, et il insiste sur leurs deux usages principaux : le maintien en place des vitraux et le renfort de la maรงonnerie.
Du petit crochet au gros tirant de fer, en passant par les armatures des vitraux, plusieurs dizaines dโutilisations distinctes dโalliages ferreux dans les plus grandes รฉglises et cathรฉdrales de la pรฉriode gothique sont mises en รฉvidence dรจs les annรฉes 1980 [10]. Ces objets reprรฉsentent des quantitรฉs estimรฉes ร plusieurs dizaines de tonnes [15].
Un grand nombre de renforts en fer ou en acier sont aujourdโhui encore en place dans les monuments de lโรฉpoque mรฉdiรฉvale. Ils sont donc soumis ร la corrosion atmosphรฉrique depuis plusieurs siรจcles, et leur corrosion peut menacer la stabilitรฉ des รฉdifices. En ce qui concerne la rรฉsistance ร la corrosion atmosphรฉrique des alliages ferreux anciens, de nombreuses thรฉories et opinions existent, de la mythique rรฉsistance de matรฉriaux ยซย ultra-pursย ยป du Moyen-รขge ร la rรฉputation mรฉdiocre des fers de lโรฉpoque moderne et du 19รจme siรจcle [11]. La corrosion met en jeu ร la fois un environnement et un matรฉriau qui forment un systรจme complexe caractรฉrisรฉ par de nombreux paramรจtres. Cโest donc le comportement de lโensemble des รฉlรฉments de ce systรจme qui est ร prendre en compte, et il faut garder ร lโesprit que les variations des diffรฉrents paramรจtres, tout comme leurs effets sur la corrosion dโun objet donnรฉ, sont bien souvent interconnectรฉs. De plus, le ยซย paramรจtre tempsย ยป, souvent oubliรฉ dans les raisonnements des observateurs, intervient รฉgalement dans la rรฉsistance ร la corrosion [11]. Ainsi, un matรฉriau sur lequel se sera dรฉveloppรฉe une couche de produits de corrosion dense et protectrice sur une durรฉe multisรฉculaire sera plus rรฉsistant ร la corrosion que ce mรชme matรฉriau dans les premiers stades de corrosion .
La conservation et la restauration des alliages ferreux anciens demandent donc une bonne comprรฉhension des phรฉnomรจnes de corrosion, ceci afin dโรฉtablir des diagnostics fiables de lโรฉtat et de lโรฉvolution des matรฉriaux, et de dรฉfinir des stratรฉgies adaptรฉes pour les conserver ou les restaurer [2, 3]. De plus, la mise au point de traitements anticorrosion efficaces et rรฉversibles, dans le respect des normes en vigueur pour les mรฉtaux du patrimoine, exige รฉgalement de bien comprendre les phรฉnomรจnes physico-chimiques mis en jeu dans les processus de corrosion. Ainsi, lโamรฉlioration de la comprรฉhension de ces phรฉnomรจnes complexes est lโun des objectifs de cette thรจse.
Entreposage de dรฉchets de lโindustrie nuclรฉaire
Afin de mettre en place une solution pour la gestion ร trรจs long terme des dรฉchets radioactifs ร haute activitรฉ et ร vie longue en France, la loi ยซย Batailleย ยป, votรฉe le 30 dรฉcembre 1991 et reconduite en 2006, a initiรฉ un vaste programme de recherches basรฉ sur trois axes complรฉmentaires :
โค ย Lโaxe 1 prรฉconise ยซย la recherche de solutions permettant la sรฉparation et la transmutation des รฉlรฉments radioactifs ร vie longue prรฉsents dans ces dรฉchetsย ยป ;
โค ย Lโaxe 2 prรฉvoit ยซย l’รฉtude des possibilitรฉs de stockage rรฉversible ou irrรฉversible dans les formations gรฉologiques profondes, notamment grรขce ร la rรฉalisation de laboratoires souterrainsย ยป ;
โค ย Lโaxe 3 concerne ยซย l’รฉtude des procรฉdรฉs de conditionnement et d’entreposage de longue durรฉe en surface de ces dรฉchetsย ยป.
Dans le cadre du troisiรจme axe, un concept de protection multi-barriรจres a รฉtรฉ adoptรฉ. Ainsi, en France, les dรฉchets produits par lโindustrie nuclรฉaire sont vitrifiรฉs puis conditionnรฉs dans des conteneurs en acier inox, eux-mรชmes insรฉrรฉs dans des sur-conteneurs en acier doux (teneur en carbone infรฉrieure ร 0,02 %). Ces colis de dรฉchets pourraient รชtre entreposรฉs, avant enfouissement pour un stockage profond, dans des installations de surface. Durant cet entreposage ร lโair, les surfaces extรฉrieures des sur-conteneurs sont exposรฉes ร la corrosion atmosphรฉrique. Il est donc nรฉcessaire, afin de pouvoir prรฉvoir la durรฉe de vie de ces sur-conteneurs, de modรฉliser leur dรฉgradation sur des durรฉes multisรฉculaires.
Ceci nรฉcessite donc de modรฉliser le comportement en corrosion des aciers doux sur ces durรฉes [4]. Dans les programmes de recherche franรงais โ menรฉs notamment par lโANDRA et le CEA โ, les objets archรฉologiques corrodรฉs dans des conditions comparables sont รฉtudiรฉs ร titre dโanalogues, en complรฉment des รฉtudes de laboratoire [4, 5]. Deux approches ont ainsi รฉtรฉ dรฉveloppรฉes par le CEA.
La premiรจre approche, appelรฉe ยซย approche macroscopiqueย ยป, repose sur lโemploi des normes de classification des atmosphรจres et sur des rรฉsultats expรฉrimentaux de corrosion accรฉlรฉrรฉe. Elle se base sur une description mathรฉmatique simplifiรฉe du comportement des aciers doux en fonction du temps, ce qui permet de prรฉdire, avec une erreur plus ou moins grande, lโรฉpaisseur endommagรฉe par les processus de corrosion au long terme. Les รฉchantillons anciens sont donc utilisรฉs comme analogues archรฉologiques. Leur รฉtude permet dโapporter des points expรฉrimentaux pour la modรฉlisation de la corrosion atmosphรฉrique multisรฉculaire. Cette approche a cependant des limites, comme la prรฉvision des effets de possibles ruptures de cinรฉtique, dues par exemples ร des modifications des conditions environnementales. Dโautre part, lโenvironnement dans lequel les analogues utilisรฉs ont รฉtรฉ corrodรฉs est en gรฉnรฉral peu connu. Ceci implique une certaine imprรฉcision sur les points expรฉrimentaux [16].
La seconde approche, ร caractรจre plus fondamental, vise ร comprendre et ร dรฉcrire, ร lโรฉchelle microscopique, les phรฉnomรจnes chimiques, รฉlectrochimiques et physiques mis en jeu au cours des processus de corrosion atmosphรฉrique ร trรจs long terme. Les modรจles physico-chimiques proposรฉs se fondent ร la fois sur les donnรฉes de la littรฉrature, sur une caractรฉrisation fine des couches de corrosion dรฉveloppรฉes sur des รฉchantillons anciens, et sur des tests de corrosion accรฉlรฉrรฉe en laboratoire. Cโest aussi dans ce cadre que se situe ce travail de thรจse.
Corrosivitรฉ des atmosphรจresย
Types dโatmosphรจres
La vitesse de corrosion dรฉpend de lโatmosphรจre dโexposition des objets รฉtudiรฉs. On constate gรฉnรฉralement que les objets exposรฉs en milieu industriel se corrodent beaucoup plus rapidement que ceux situรฉs en milieu urbain, ceux-ci รฉtant eux mรชmes plus altรฉrรฉs que des objets exposรฉs en milieu rural (figure 3). Ces variations sont dues aux polluants atmosphรฉriques prรฉsents en plus ou moins grandes quantitรฉs dans les diffรฉrents milieux [33, 35-37]. Quatre grands types dโatmosphรจres sont gรฉnรฉralement distinguรฉs :
โค ย Les atmosphรจres rurales ne contiennent pas ou peu de polluants gazeux ou dissouts, mais plutรดt des particules dโorigine vรฉgรฉtale ou minรฉrale. Lโoxygรจne dissout dans lโeau est en gรฉnรฉral le principal agent de corrosion ;
โค ย Les atmosphรจres urbaines caractรฉrisent des zones prรฉsentant peu dโactivitรฉs industrielles. Par rapport aux atmosphรจres rurales, de faibles quantitรฉs de SO2 ainsi que des oxydes dโazote sont prรฉsents ;
โค ย Les atmosphรจres industrielles se rencontrent dans des zones ร forte activitรฉ industrielle et prรฉsentent de fortes teneurs en SO2, en chlorures (chlorures de mรฉthyle, chlorofluorocarbones CFC, acide chlorhydrique, etc.), ou encore particules de mรฉtaux lourds ;
โค ย Les atmosphรจres marines sont caractรฉrisรฉes par des particules de chlorures solides .
Graedel et Frankenthal [34] ne dรฉnombrent pas moins de 14 polluants impliquรฉs dans les processus de corrosion atmosphรฉrique de divers mรฉtaux, soit par un processus de dissolution dans lโeau, soit par adsorption ou dรฉpรดt ร la surface des objets.
Influence des espรจces corrosives
Constituants solides
Les constituants solides prรฉsents dans lโatmosphรจre sont dโorigines diverses . Particules minรฉrales :
โ poussiรจres provenant de lโรฉrosion des roches et poussiรจres dรฉsertiques (essentiellement ร base de quartz SiO2 et dโaluminates) ;
โ particules vรฉgรฉtales contenant de la silice (pollens par exemple) ;
โ poussiรจres provenant des pierres et bรฉtons des bรขtiments (majoritairement ร base de calcite CaCO3, de quartz SiO2 et dโaluminates) ;
โ particules dโoxydes minรฉraux rejetรฉes par les activitรฉs industrielles ;
โ aรฉrosols chlorurรฉs des embruns marins, ร base de sels ;
โ etc.
Particules organiques :
โ particules vรฉgรฉtales (pollens par exemple) ;
โ rรฉsidus dโexcrรฉments animaux (volatiles et rongeurs notamment) โ riches en composรฉs azotรฉs et phosphoreux (environ 5 ร 7 wt% dโazote et 5 ร 7 wt% de phosphore) [40-43].
โ aรฉrosols de carbone suie naturels (feux de biomasse, รฉruptions volcaniques) ;
โ aรฉrosols de carbone suie anthropogรฉniques (automobiles, chauffages domestiques, combustions industrielles) ;
โ particules dโusure de pneus (particules carbonรฉes) ;
โ etc.
Lorsque ces particules et aรฉrosols se dรฉposent ร la surface des objets, et quโils prรฉsentent en outre un caractรจre hygroscopique, ils facilitent les phรฉnomรจnes de condensation [39, 44, 45]. Cโest notamment le cas pour un certain nombre de chlorures comme par exemple CaCl2 [18].
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Table des matiรจres
Remerciements
Liste des abrรฉviations et sigles utilisรฉs
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : รTUDE BIBLIOGRAPHIQUE
A. Contextes de lโรฉtude
1. Conservation et restauration du patrimoine culturel
2. Entreposage de dรฉchets de lโindustrie nuclรฉaire
B. Conditions de corrosion atmosphรฉrique des alliages ferreux
1. Dรฉfinition gรฉnรฉrale de la corrosion atmosphรฉrique
2. Cycles humidification-sรฉchage
3. Corrosivitรฉ des atmosphรจres
a. Types dโatmosphรจres
b. Influence des espรจces corrosives
i. Constituants solides
ii. Constituants dissouts
c. Effets des prรฉcipitations
4. Influence de la composition chimique du substrat mรฉtallique
C. Produits de corrosion du fer : structure et propriรฉtรฉs
1. Prรฉsentation
2. Formules et structures
a. Oxydes
b. Oxyhydroxydes
c. Hydroxydes
3. Formation et stabilitรฉ thermodynamique
a. Corrosion en milieu aqueux ร tempรฉrature ambiante
b. Corrosion sรจche ร haute tempรฉrature
4. Surface spรฉcifique et porositรฉ
5. รtat de surface et adsorption
a. รtat de surface
b. Adsorption
6. Conductivitรฉ
7. Rรฉactivitรฉ en rรฉduction
8. Solubilitรฉ et propriรฉtรฉs de dissolution
D. Couches de corrosion atmosphรฉrique au long terme : structure, composition et rรฉactivitรฉ
1. Structure et composition des alliages ferreux anciens
2. Caractรฉrisation : structure et composition
a. รpaisseur
b. Porositรฉ
c. Hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉs locales
d. Phases constitutives
i. Identifications
ii. Structuration en sous-couches
iii. Phases et structures des CPC multisรฉculaires
e. Composition chimique
3. Propriรฉtรฉs physico-chimiques
a. Propriรฉtรฉs de transport
b. Rรฉactivitรฉ รฉlectrochimique globale des CPC
c. Sites de rรฉduction du dioxygรจne
d. Influence du phosphore sur la rรฉactivitรฉ
E. Mรฉcanismes de corrosion atmosphรฉrique
1. Cycle de corrosion atmosphรฉrique
2. Mรฉcanismes de corrosion au long terme
a. Prรฉsence dโune marbrure de phase rรฉductible connectรฉe au mรฉtal
b. Autres configurations
F. Problรฉmatique
CHAPITRE 2 : CORPUS, METHODES ET TECHNIQUES EXPERIMENTALES
A. Corpus expรฉrimental
1. Description du corpus
2. Donnรฉes climatiques et environnementales du site de provenance
B. Dรฉmarche analytique et expรฉrimentale
C. Mรฉthodes de caractรฉrisation des couches de produits de corrosion
1. Prรฉparation des sections polies
2. Mรฉtallographie
3. Microscopie optique (MO)
4. Caractรฉrisation chimique รฉlรฉmentaire par microscopie รฉlectronique ร balayage couplรฉe ร la spectroscopie en dispersion dโรฉnergie (MEB-EDS)
5. Caractรฉrisation structurale
a. Micro-diffraction de rayons X (ยตDRX)
b. Micro-spectroscopie Raman (ยตSR)
i. Analyses
ii. Traitement semi-quantitatif des cartographies
D. รtudes in situ des propriรฉtรฉs des couches de produits de corrosion
1. Cellules expรฉrimentales
2. รtude du transport dans les couches de produits de corrosion
3. รtude de la rรฉactivitรฉ en rรฉduction de la couche de produits de corrosion
E. รtude des sites de rรฉduction du dioxygรจne
1. Remise en corrosion accรฉlรฉrรฉe avec marquage
2. Localisation des produits de corrosion formรฉs par la dรฉtection de lโoxygรจne 18 par rรฉaction nuclรฉaire
a. Dispositif expรฉrimental
b. Traitement des rรฉsultats
CHAPITRE 3 : RESULTATS EXPERIMENTAUX : REACTIVITE ET PROPRIETES DE TRANSPORT DES COUCHES DE PRODUITS DE CORROSION ARCHEOLOGIQUES
A. Caractรฉrisation du substrat mรฉtallique
1. Composition de la matrice mรฉtallique
2. Composition des inclusions
B. Caractรฉrisation des couches de produits de corrosion (CPC)
1. Morphologie des CPC
a. รpaisseur
b. Porositรฉ et fissures
c. Structuration en deux sous-couches
d. Hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉs locales
2. Compositions structurale et รฉlรฉmentaire des hรฉtรฉrogรฉnรฉitรฉs locales
3. Composition chimique des CPC
a. Diffรฉrenciation chimique รฉlรฉmentaire des sous-couches interne et externe
b. Rรฉpartition des รฉlรฉments mineurs
4. Phases constitutives des produits de corrosion
a. Identification
b. Diffรฉrenciation structurale des sous-couches interne et externe
5. Comparaison des rรฉpartitions du phosphore et des phases
6. Synthรจse
C. Propriรฉtรฉs de transport des couches de produits de corrosion
1. Courbes de suivi du transport dโespรจces dissoutes
2. Comportement en transport
a. Phase de remplissage
b. Phase de vidage
D. Rรฉactivitรฉ chimique des couches de produits de corrosion
1. รtude du comportement des CPC en rรฉduction in situ
2. รtude de la rรฉduction du dioxygรจne dans les CPC
CHAPITRE 4 : DISCUSSION
A. Systรจme de corrosion atmosphรฉrique au long terme
1. Environnement
2. Morphologie et composition des CPC
a. รpaisseur des couches
b. Phases constitutives des couches
c. Structuration en deux sous-couches
d. Prรฉsence et distribution du phosphore
3. Phases rรฉactives
B. Transport dโespรจces en solution
1. Transport par diffusion
2. Cinรฉtique du transport et cycle de corrosion
C. Rรฉduction de la ferrihydrite
1. Espรจces rรฉduites
2. Influence du phosphore
D. Rรฉduction du dioxygรจne dissout
E. Migration de la zone de rรฉaction fer(II)/dioxygรจne
1. Cas de la rรฉduction de la ferrihydrite en ions Fe2+(aq)
2. Cas de la rรฉduction de la ferrihydrite en une phase rรฉduite solide
3. Bilan
F. Mรฉcanismes de corrosion atmosphรฉrique
CONCLUSION
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