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Le Poids Ajusté
Le Poids Ajusté (PA) ou Adjusted Body Weight (ABW ou AdjBW) a été le premier indicateur de poids développé pour les études pharmacocinétiques (35). C’est un compromis entre le poids total et le poids idéal. Il prend en compte la diffusion variable des molécules au sein de la masse superflue. En effet, est intégré dans la formule un facteur de correction (Fc) ou DWCF (Dosing Weight correcting Factor) qui va varier suivant la capacité de diffusion des molécules au sein de l’excès de masse (27,35). Il prend en compte le sexe, le poids total et la taille.
Il s’exprime de la façon suivante : PA (kg) = PI + Fc x (PT-PI) (35)
Le pourcentage du Poids Idéal
Le pourcentage du Poids Idéal (%PI ou %IBW), correspond au rapport du poids total (PT) sur le poids idéal (PI) ou au ratio de la différence entre le poids total et le poids idéal sur le poids idéal (35).
Tout comme l’IMC, il permet de définir l’obésité. En effet, un patient est obèse lorsque son %PI est supérieur à 120% ou bien lorsque l’excès de poids total par rapport au poids idéal est de plus de 20%. Ce paramètre n’est cependant plus utilisé pour définir l’obésité et a été remplacé par l’IMC (37) .
Il peut s’exprimer de deux façons : %PI : (PT/PI) x 100 ou [(PT-PI) /PI] x 100 (35)
Le Poids Normal Prédit
Le Poids Normal Prédit (PNP) ou Predicted Normal Weight (PNWT), représente le poids normal attendu d’un individu obèse comme la somme de sa masse maigre et de la masse grasse « normale » attendue (en excluant l’excès de masse grasse) (30,35).
Il a été développé spécifiquement pour les études pharmacocinétiques des médicaments (35).
Il est peu fiable pour les valeurs extrêmes de taille et de poids (30).
Il s’exprime comme suit :
Pour les hommes, PNP (kg) = 1,57 x PT – 0,0183 x IMC x PT – 10,5 (30)
Pour les femmes, PNP (kg) = 1,75 x PT – 0,0242 x IMC x PT – 12,6 (30)
Comment estimer la fonction rénale chez le patient obèse ?
En pratique courante, sont utilisées, pour l’estimation du débit de filtration glomérulaire, les formules suivantes : le Cockcroft et Gault (CG), le MDRD (Modification of Diet in Renal Disease) et le CKD-EPI (Chronic Kidney Disease – EPIdemiology Collaboration).
Cependant, comme abordé dans le point 4.3.2, ces formules utilisées pour estimer la clairance de la créatinine (CLCr) ne peuvent pas prédire de façon précise la clairance rénale chez les obèses. En effet, ces différentes équations peuvent surestimer ou sous-estimer le DFG chez les patients obèses (27).
La méthode la plus juste pour estimer la clairance de la créatinine (CLCr) chez le patient obèse, est la méthode d’évaluation par le recueil des urines sur 24h (25,27). Son utilisation est cependant trop complexe en pratique clinique.
A ce jour, il n’existe pas de consensus pour l’évaluation de la fonction rénale chez les patients obèses car les études n’aboutissent pas toutes à la même conclusion.
Dans l’étude de Demirovic et coll., publiée en 2009, qui a comparé la mesure de la clairance de la créatinine par la méthode de recueil des urines de 24h, à l’utilisation : du MDRD, des équations de Corcoran-Salazar et de Cockcroft et Gault, chez 54 patients, il a été rapporté que le MDRD et l’utilisation du poids idéal (PI) dans la formule de Cockcroft et Gault sous estimaient la CLCr tandis que la formule de Corcoran-Salazar et l’utilisation du poids total ou du poids ajusté dans l’équation de Cockcroft et Gault surestimaient la CLCr (38). En revanche, ils concluent que l’utilisation du poids de masse maigre ou de la masse non graisseuse dans la formule de Cockcroft et Gault permet d’estimer plus précisément la CLCr (38).
Dans l’étude de Winter et coll., publiée en 2012, et ayant inclus 3678 patients, la conclusion est différente. En effet, il a été montré dans cette étude que l’utilisation du poids ajusté avec un facteur de correction de 0,4 dans la formule de Cockcroft et Gault était plus appropriée pour déterminer précisément la CLCr comparé au poids total, au poids de masse maigre, au poids idéal et au poids ajusté avec un facteur de correction de 0,3 (39).
Règles de l’adaptation posologique
Chez le patient obèse, le Vd permet de proposer une dose initiale de médicament.
La compréhension de la manière dont le Vd d’un médicament change chez l’individu obèse est donc cruciale.
Dans les études pharmacocinétiques, le Vd est souvent exprimé comme le Vd absolu (non corrigé au poids total) mais il peut être normalisé au poids (Vd/PTou Vd/PI).
La comparaison des estimations de Vd normalisés au poids, entre sujets obèses et non obèses permet de fournir des informations sur la manière dont un médicament se distribue au sein de l’excès de masse corporelle (30).
Ainsi, si l’estimation du rapport Vd /PT est similaire entre obèses et non-obèses le médicament se distribue fortement dans le tissu adipeux. Dans ce cas, la dose de charge doit donc se baser sur le poids total (30,40). A l’inverse, un rapport Vd /PT inférieur chez les individus obèses par rapport aux sujets non-obèses, associé à un Vd supérieur en valeur absolue par rapport aux sujets non-obèses, indique une distribution incomplète du médicament dans l’excès de poids corporel total au-delà du poids corporel idéal (30,40). Cela indique que les médicaments ne diffusent pas ou très peu dans le tissu gras. La dose de charge devra donc plutôt prendre en compte le poids idéal (en cas de non diffusion dans l’excès de masse grasse), le poids de masse maigre (en cas de non diffusion dans l’excès de masse grasse) ou le poids ajusté (en cas de faible diffusion dans l’excès de masse grasse) (30,40).
En ce qui concerne la détermination de la dose d’entretien, elle doit prendre en compte la clairance car elle est inversement corrélée à la concentration plasmatique à l’état d’équilibre. Cette clairance est la somme de la clairance rénale et de la clairance hépatique.
Adaptation de la posologie des antibiotiques chez le patient obèse
Notions de pharmacodynamie
En guise de préambule à cette partie, faisons un rappel sur certains concepts :
! La pharmacodynamie décrit les effets d’un principe actif produits sur l’organisme (29).
! La concentration minimale inhibitrice (CMI) est la plus faible concentration d’antibiotique qui inhibe toute culture visible de souche bactérienne après un temps d’incubation de 18h à 37°C. Elle est spécifique à chaque antibiotique pour une souche bactérienne donnée. Elle permet de mesurer l’activité d’un antibiotique sur une bactérie (29).
! L’association PK/PD (pharmacocinétique/pharmacodynamie) décrit la relation entre la dose et l’effet (29).
Les schémas d’adaptation posologique des antibiotiques sont étroitement liés à des paramètres PK/PD, tels que le pourcentage de temps pendant lequel les concentrations plasmatiques de l’antibiotiques se maintiennent au-dessus de la CMI (T > CMI), le rapport de la concentration maximale plasmatique en antibiotique sur la concentration minimale inhibitrice (Cmax/CMI) et le rapport de l’aire sous la courbe (ASC) ou Area Under Curve (AUC) sur la concentration minimale inhibitrice (ASC/CMI) (Figure 9). Ces indices permettent de prédire l’activité in-vivo des antibiotiques (27).
AUC = Area Under Curve (aire sous la courbe) ; Cmax = concentration maximale ; MIC = Minimum Inhibitory Concentration (CMI = concentration minimale inhibitrice) ; T= temps
Il existe trois groupes différents d’antibiotiques selon leur mode d’action : les antibiotiques temps-dépendants, les antibiotiques concentration-dépendants et les antibiotiques aux propriétés mixtes.
! Les antibiotiques temps-dépendants (les antibiotiques de la famille des bêtalactamines, la vancomycine, les antibiotiques de la famille des macrolides et la clindamycine) ont leur efficacité corrélée au paramètre T > CMI (25). L’effet bactéricide dépend du temps d’exposition mais pas de la concentration. Ce rapport peut être optimisé de plusieurs manières: par un accroissement de la dose ou de la fréquence d’administration, par un allongement de la durée de perfusion ou par une perfusion continue (27).
! Les antibiotiques concentration-dépendants (les antibiotiques de la famille des aminosides et fluoroquinolones) ont leur efficacité corrélée au rapport Cmax/CMI (25). L’activité bactéricide augmente avec la concentration en antibiotique. Plus ce ratio est élevé et plus grandes sont les chances d’éradiquer la bactérie.
! Les antibiotiques ayant des propriétés mixtes (la vancomycine, l’azithromycine, les antibiotiques de la famille des fluoroquinolones et des aminosides, la tigécycline et le linézolide) ont leur efficacité corrélée au rapport ASC/CMI (25). Ce rapport peut être optimisé par l’augmentation de la dose en antibiotique (27).
L’obésité est susceptible d’altérer ces différents paramètres PK/PD des antibiotiques par modification du Vd et de la clairance.
Influence du caractère hydrophile ou lipophile des antibiotiques sur l’adaptation posologique
Comme abordé précédemment dans le point 4.2.1, la diffusion des molécules au sein du tissu adipeux est en partie conditionnée par leur caractère hydrophile ou lipophile (Tableau 2). Malgré le fait que les antibiotiques hydrophiles ne diffusent pas dans le tissu adipeux leur volume de distribution peut être augmenté en cas d’obésité car le tissu adipeux est composé d’environ 30% d’eau et les patients obèses ont tendance à avoir un poids maigre plus élevé que les sujets de poids normal (31).
En ce qui concerne les antibiotiques lipophiles, leur volume de distribution est généralement augmenté chez les sujets obèses, en raison de leur affinité pour le tissu adipeux. Toutefois, il existe des exceptions, car la diffusion des molécules lipophiles au sein du tissu adipeux dépend également d’autres facteurs (31).
En théorie, d’après ces considérations, l’adaptation de la posologie des antibiotiques hydrophiles devrait plutôt se baser sur le PI ou le PA alors que pour les antibiotiques lipophiles elle devrait plutôt prendre en compte le PT (41). Il sera cependant vu par la suite, que cette théorie n’est pas respectée pour toutes les classes d’antibiotiques et que l’adaptation posologique des antibiotiques chez le patient obèse est plus complexe.
Enfin, la fonction rénale sera à prendre en compte lors de l’adaptation posologique des antibiotiques hydrophiles du fait de leur élimination en majorité rénale. Quant aux antibiotiques lipophiles, c’est la fonction hépatique qui entrera en jeu dans l’adaptation posologique.
Adaptation posologique des antibiotiques : revue de la littérature
Méthodologie de la recherche bibliographique
Comme abordé précédemment, l’obésité est associée à un risque accru d’infections. Cette vulnérabilité rend l’optimisation posologique des antibiotiques chez cette population indispensable.
Néanmoins, les autorités de santé telles que l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) ou la FDA (Food and Drug Administration) n’imposent pas aux firmes pharmaceutiques de conduire des études spécifiques chez cette population.
L’absence de données chez cette population est soulignée par les résultats de l’étude britannique de Boyd et coll. En effet, ces derniers ont analysé les résumés des caractéristiques des produits (RCP), à la recherche d’une éventuelle information sur une adaptation posologique chez les patients obèses, des 42 antibiotiques ayant un impact clinique majeur ou les plus fréquemment prescrits au Royaume-Uni. Leur travail a révélé que pour 83% (n = 35) de ces molécules, aucune information sur une adaptation posologique chez les obèses, ne figurait dans le RCP (43).
Devant l’absence de consensus émanant de sociétés savantes, une recherche bibliographique a été menée du 1er mars 2018 au 23 juillet 2018, à partir de la base de données Pubmed, sur 36 molécules.
Les mots clés utilisés étaient les termes anglais : « obese » ou « obesity » associés à chaque molécule (en anglais) ci-dessous :
! Bêtalactamines : amoxicillin, piperacillin, ticarcillin, cloxacillin, ceftriaxone, cefazoline, cefepime, cefotaxime, cefuroxime, ceftaroline, cefixime, ceftazidime, imipenem, meropenem, ertapenem.
! Oxazolidinones : linezolid, tedizolid
! Lipopeptides : daptomycin
! Glycopeptides : vancomycin, teicoplanin
! Fluoroquinolones : ofloxacin, ciprofloxacin, levofloxacin, moxifloxacin
! Aminosides : amikacin, gentamicin, tobramycin
! Macrolides : clarythromycin, spiramycin, azithromycin, roxithromycin
! Autres molécules : metronidazole, pristinamycin, thrimethoprim-sulfamethoxazole, rifampicin, clindamycin
Les articles sélectionnés dans cette revue étaient les études incluant dans leur effectif des sujets obèses et apportant des informations sur : la pharmacocinétique, la pharmacodynamie, l’efficacité clinique d’une posologie donnée, la tolérance clinique ou biologique d’un schéma posologique donné, une surveillance biologique ou pharmacologique à associer à l’administration d’un ATB chez cette population. Ont été inclues tous les types d’études sans exclusion basée sur la date de la publication, y compris les cas cliniques, malgré leur faible niveau de preuve. Ont été exclues, les études conduites : en pédiatrie, chez l’animal, sur l’antibioprophylaxie chirurgicale et les revues de la littérature.
Pour chaque article retenu, plusieurs éléments ont été recueillis dans un tableau récapitulatif, à savoir : la conception de l’étude (rétrospectif, prospectif, case report ou autre), le nombre de patients inclus dans l’étude, les paramètres de définition de l’obésité tels que l’IMC ou le % PI, les caractéristiques des sujets inclus (présence d’une pathologie infectieuse ou non, le poids moyen ou médian, l’IMC moyen ou médian, l’âge moyen ou médian), les posologies de l’antibiotique utilisé, les modifications pharmacocinétiques et ou pharmacodynamiques liées à l’obésité, les surveillances biologiques et/ou pharmacologique à associer à l’antibiotique administré, l’efficacité clinique du schéma posologique ainsi que les éléments de tolérance clinique et/ou biologique associés à l’antibiotique.
Fluoroquinolones
Les fluoroquinolones (FQ) ont leur efficacité corrélée aux ratios ASC0-24/CMI et Cmax/CMI.
Leur caractère lipophile incite à penser que leur Vd est augmenté en cas d’obésité (42).
Les données sur la pharmacocinétique et la pharmacodynamie des FQ chez les patients obèses sont limitées.
! Ciprofloxacine
Pour rappel, la posologie standard en ciprofloxacine, chez un patient avec une fonction rénale normale, mentionnée dans le RCP varie de 250 mg/12h à 750 mg/12h pour l’administration per os et de 400 mg/12h à 400 mg/8h pour la voie intraveineuse.
La première étude publiée est celle d’Allard et coll. en 1993. Elle avait pour but de comparer la pharmacocinétique de la ciprofloxacine et de ses métabolites entre des sujets obèses et des sujets de poids normal. Les sujets ont reçu une dose de 400 mg IV. Il a été rapporté que la CL totale et le Vss (Volume de distribution à l’équilibre) étaient significativement augmentés chez les obèses par rapport aux non-obèses. Quand le Vss était normalisé au PT, la valeur était inférieure chez les obèses par rapport au non obèses indiquant ainsi une distribution partielle dans le tissu adipeux. Par ailleurs, il a été noté une diminution significative de la Cmax et de l’ASC chez les obèses, comparé aux sujets témoins mais sans changement de la t1/2. Les auteurs recommandent de se baser sur le poids ajusté pour le calcul de la posologie (Fc = 0,45) sans expliquer le choix du facteur de correction (72). Seules les concentrations plasmatiques ont été mesurées alors qu’elles ne peuvent pas prédire de façon adéquate les concentrations tissulaires.
Une autre étude a consisté à comparer la distribution de la ciprofloxacine dans les liquides interstitiels entre des sujets obèses et des sujets maigres. Après un bolus de 2,85 mg/kg (PT), la Cmax et la concentration résiduelle (à 6h) plasmatiques étaient significativement plus élevés chez les obèses. En revanche, dans le liquide interstitiel, ces 2 paramètres étaient inchangés.
Le rapport ASCtissue/ASCplasma, permettant de juger de la pénétration tissulaire, était significativement abaissé chez les obèses laissant indiquer une distribution de la ciprofloxacine dans l’espace interstitiel altérée. Les auteurs concluent ainsi qu’il est nécessaire de se baser sur le PT pour ajuster les posologies afin d’atteindre les mêmes concentrations tissulaires que chez le sujet maigre tout en étant prudent quant au risque de survenue d’effets indésirables. Aucune donnée sur la tolérance au traitement n’ont été rapportées (73). Ces 2 études étaient menées chez des sujets volontaires sains et une seule dose de ciprofloxacine a été administrée.
Enfin, 2 cas cliniques ont fait l’objet d’une publication en 1994. Le cas rapporté par Caldwell et Nilsen est celui d’un patient de 250 kg traité pour une cellulite avec une posologie de ciprofloxacine basée sur le poids ajusté (Fc = 0,45) soit 800 mg/12h en IV. Les auteurs ont noté que la valeur de Cmax était dans la zone thérapeutique, qu’aucun effet indésirable n’a été rapporté et que l’évolution clinique a été positive. Les auteurs concluent que ce cas donne une estimation de la dose initiale en ciprofloxacine mais que des recherches complémentaires sont nécessaires pour établir des recommandations plus fiables (74). Le second cas est celui d’Utrup et coll., il concerne un patient obèse morbide de réanimation, sous hémodiafiltration avec une ostéomyélite à Enterobacter aerogenes. Il a été traité par ciprofloxacine 800 mg/12h en IV (dose de 4,3 mg/kg basée sur le PT). Les cibles pharmacodynamiques visées ont été atteintes. Les auteurs en déduisent que des posologies standard de 400 mg ou 800 mg/jour sont insuffisantes chez des patients obèses de réanimation sous hémodiafiltration avec des bactéries dont les CMI sont supérieures à 0,5 µg/ml pour atteindre les cibles pharmacodynamiques. Aucunes données sur la tolérance au traitement par le patient n’ont été mentionnées par les auteurs (75).
Le récapitulatif présentant les caractéristiques générales des études sélectionnées sur la ciprofloxacine est disponible dans le le Tableau 9.
! Lévofloxacine
Selon le RCP, la posologie standard s’échelonne de 250 mg/jour à 500 mg/12h pour la voie orale et de 500 mg/jour à 500 mg/12h pour la voie intraveineuse.
Une première étude, prospective, non randomisée, menée par Cook et coll. et publiée en 2011 a évalué l’efficacité de l’obésité sévère et l’effet de l’association obésité-infection sur la pharmacocinétique de la lévofloxacine chez des sujets avec une fonction rénale normale après une administration d’une unique dose de 750 mg IV de lévofloxacine.
Il a été montré que les valeurs de Cmax et de Vd étaient similaires entre les obèses hospitalisés, les obèses en ambulatoire et les sujets de poids normal. En revanche, les valeurs de CL et d’ASC étaient variables. Les auteurs ont relevé que les patients obèses avec une fonction rénale normale et en l’absence d’affection aigüe, élimineraient plus rapidement la lévofloxacine que les sujets de poids normal (t1/2 plus courte). Ils concluent que des recherches complémentaires sont nécessaires pour identifier les patients obèses ayant besoin de doses plus élevées (CL augmentée ou germes avec CMI plus élevées) (76).
Il est toutefois important de pondérer ces résultats car le nombre de patients obèses en ambulatoire inclus était faible (n = 3), la population obèse hospitalisée était hétérogène laissant supposer des variabilités pharmacocinétiques entre patients (les patients avec un sepsis avaient probablement une pharmacocinétique différente de ceux sans sepsis), la description de la pharmacocinétique ne s’est faite que sur une seule dose de lévofloxacine 750 mg IV et aucunes données sur l’évolution clinique des patients n’ont été relevées.
Parallèlement, l’analyse d’un cas de patient obèse morbide ayant reçu une posologie de 750 mg/12h (4 mg/kg/12h) a montré que les valeurs de Cmax et de CL étaient similaires à celles de patients non obèses ayant reçu une dose de 750 mg/24h mais la valeur de l’ASC était doublée. Les auteurs suggèrent ainsi qu’il n’est peut-être pas nécessaire d’administrer des posologies doubles chez les patients avec une obésité morbide mais qu’il pourrait être cependant adéquat d’administrer une dose de charge afin d’atteindre rapidement l’état d’équilibre (demi-vie allongée) (77) .
Enfin, l’étude rétrospective de Pai et coll., sur 68 patients, visant à caractériser la pharmacocinétique de la lévofloxacine chez des patients avec une obésité morbide et à évaluer l’influence de différents indicateurs de poids et de la fonction rénale sur la CL de la lévofloxacine et sur l’ASC a montré que la clairance était le mieux corrélée à l’estimation de la CLCr par l’équation de CG incorporant le PI. Les auteurs proposent 4 stratégies de posologie (500 mg, 750 mg, 1000 mg, 1250 mg), stratifiées par une évaluation de la CLCr à partir de l’équation de CG (PI) permettant d’atteindre la cible pharmacodynamique.
Ils soulignent par ailleurs, le fait que la fonction rénale peut être augmentée chez les patients obèses du fait d’une élévation de la filtration glomérulaire et ainsi impacter l’efficacité d’une dose à 750 mg/24h. De par le design rétrospectif de l’étude, les données sur l’évolution clinique des patients ou sur leur tolérance clinique/biologique pour une posologie dépassant la posologie maximale du RCP n’ont pu être mesurées. L’étude se limitait à l’évaluation pharmacocinétique (78).
Le récapitulatif présentant les caractéristiques générales des études sélectionnées sur la lévofloxacine est disponible dans le Tableau 10.
! Moxifloxacine
La posologie de moxifloxacine recommandée par le RCP est de 400 mg/jour (per os ou IV).
Seules 2 études ont été publiées sur l’utilisation de la moxifloxacine chez le patient obèse.
La première, est celle de Kees et coll. publiée en 2011. Les auteurs ont étudié la pharmacocinétique de la moxifloxacine chez des sujets obèses après administration d’une dose de 400 mg per os pendant 3 jours suivie d’une administration d’une dose de 400 mg IV le jour du by-pass. Il n’a été montré aucune altération de la biodisponibilité orale et les auteurs n’ont pas relevé d’altération significative des paramètres pharmacocinétiques au niveau plasmatique par rapport aux sujets de poids normal. Toutefois, les concentrations dans le tissu adipeux étaient significativement inférieures à celles plasmatiques. Les auteurs concluent qu’aucun ajustement posologique ne semble requis chez le patient obèse mais que cela dépend de la localisation de l’infection (79).
La seconde étude a été publiée par Colin et coll. en 2014. Elle s’est intéressée à la pharmacocinétique de la moxifloxacine chez les patients obèses ayant eu une chirurgie bariatrique (by-pass au moins 6 mois avant). Les auteurs ont démontré que la dose standard de 400 mg/24h est probablement insuffisante pour les patients avec un poids de masse maigre (PMM) ≥ 78 kg. Ils concluent ainsi sur la nécessité d’adapter les doses au poids de masse maigre afin d’atteindre les cibles PK/PD de façon optimale, en particulier avec les germes résistants (80).
Il est important de noter que ces 2 études n’incluaient qu’un faible nombre de patients et de surcroit sans infection.
Le récapitulatif présentant les caractéristiques générales des études sélectionnées sur la moxifloxacine est disponible dans le Tableau 11.
Aminosides
Les aminosides sont l’une des classes d’antibiotiques les mieux étudiées chez les sujets obèses. Ils ont la propriété d’être concentration-dépendants et leur efficacité est corrélée à l’atteinte de la cible pharmacodynamique Cmax/CMI > 8-10 (29).
Par ailleurs, ce sont des médicaments à marge thérapeutique étroite, signifiant que la dose thérapeutique est proche de la dose toxique. La posologie usuelle en gentamicine ou tobramycine est de 3 à 8 mg/kg/jour tandis que pour l’amikacine, elle est de 15 à 30 mg/kg/jour (81).
La durée de traitement est le plus souvent de 48h-72h. Ils peuvent être poursuivis pour une durée maximale de 5 jours. Au-delà de 5-7 jours de traitement, le risque de développer une toxicité est augmenté.
Chez le patient obèse, le calcul de la posologie basé sur le PT peut amener à un risque de surdosage avec un risque de toxicité rénale ou auditive tandis qu’une dose basée sur le PI peut conduire à un sous-dosage. En conséquence, l’ANSM recommande de se baser sur le poids ajusté avec un facteur de correction égal à 0,43 (81).
Leur caractère hydrophile laisse supposer une faible pénétration dans le tissu adipeux et donc l’obtention d’un Vd faiblement augmenté chez les sujets obèses.
Plusieurs études confirment l’augmentation du Vd des aminosides chez les sujets obèses par rapport aux patients de poids normal (82-84). Néanmoins, quand le Vd était normalisé au PT, celui-ci était inférieur par rapport aux individus non-obèses. A l’inverse, quand le Vd était normalisé au PI, la valeur était plus élevée chez les obèses par rapport aux sujets de poids normal. Ces données indiquent que la pénétration des molécules dans le tissu adipeux est inférieure par rapport aux autres tissus.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : OBÉSITE ET ADAPTATIONS POSOLOGIQUES DES ANTIBIOTIQUES
1. DÉFINITION
2. EPIDÉMIOLOGIE
2.1. Au niveau mondial
2.2. Au niveau européen
2.3. Au niveau français
3. L’OBÉSITÉ : UN FACTEUR DE RISQUE D’INFECTIONS
3.1. Généralités
3.2. Complications infectieuses
3.2.1. Types d’infections associées à l’obésité
3.2.1.1. Infections nosocomiales
3.2.1.2. Autres types d’infections
3.2.2. Facteurs entrant en jeu dans la survenue, l’évolution et le traitement des infections chez le patient obèse
3.2.2.1. Comorbidités
3.2.2.2. Les facteurs « mécaniques »
3.2.2.3. L’altération du système immunitaire
3.2.2.4. Les facteurs chirurgicaux
3.2.2.5. Des posologies en anti-infectieux inadéquates
4. CONSÉQUENCES PHARMACOCINÉTIQUES INDUITES PAR L’OBÉSITÉ
4.1. Influence de l’obésité sur la phase d’absorption
4.2. Influence de l’obésité sur la phase de distribution
4.2.1. Modifications de la composition corporelle
4.2.2. Modifications hémodynamiques
4.2.3. Modifications des protéines plasmatiques
4.3. Influence de l’obésité sur la phase d’élimination
4.3.1. Modifications de la clairance hépatique
4.3.2. Modifications de la clairance rénale
5.1. Quel indicateur corporel, pour l’adaptation des posologies ?
5.1.1. Le Poids Corporel Total ou Poids Réel
5.1.2. L’Indice de Masse Corporelle
5.1.3. La Surface Corporelle
5.1.4. Le Poids Corporel Idéal
5.1.5. La Masse Non Graisseuse
5.1.6. Le Poids de Masse Maigre
5.1.7. Le Poids Ajusté
5.1.8. Le pourcentage du Poids Idéal
5.1.9. Le Poids Normal Prédit
5.2. Comment estimer la fonction rénale chez le patient obèse ?
5.3. Règles de l’adaptation posologique
6. ADAPTATION DE LA POSOLOGIE DES ANTIBIOTIQUES CHEZ LE PATIENT OBÈSE
6.1. Notions de pharmacodynamie
6.2. Influence du caractère hydrophile ou lipophile des antibiotiques sur l’adaptation posologique
6.3. Adaptation posologique des antibiotiques : revue de la littérature
6.3.1. Méthodologie de la recherche bibliographique
6.3.2. Résultats de la recherche bibliographique
6.3.2.1. Bêtalactamines
6.3.2.2. Fluoroquinolones
6.3.2.3. Aminosides
6.3.2.4. Antibiotiques actifs dans les infections à bactéries à gram positif
6.3.2.5. Autres molécules
PARTIE 2 : PRESCRIPTIONS DES ANTIBIOTIQUES CHEZ LES SUJETS OBÈSES AU CENTRE HOSPITALO-UNIVERSITAIRE DE CAEN
1. CONTEXTE ET OBJECTIFS
2. MATÉRIELS ET MÉTHODE
2.1. Etat des lieux de l’adaptation posologique des antibiotiques chez les sujets obèses au CHU de Caen
2.2. Sensibilisation et information des prescripteurs et pharmaciens sur la mise en place d’outils d’aide à la prescription
2.2.1. Communication institutionnelle
2.2.2. Communication destinée aux services « pilotes » et au service pharmacie
Evaluation de l’appropriation des outils
2.3.1. Evaluation de l’impact d’une communication institutionnelle (à distance) sur le niveau d’appropriation des outils
2.3.2. Evaluation de l’impact d’une communication interventionnelle sur le niveau d’appropriation des outils
2.3.3. Comparaison de l’impact des 2 types de communication sur le niveau d’appropriation des outils
3. RÉSULTATS
3.1. Etat des lieux
3.1.1. Analyse de la prescription des bêtalactamines
3.1.1.1 Amoxicilline (+/- acide clavulanique)
3.1.1.2. Pipéracilline (+/- tazobactam)
3.1.1.3. Ceftriaxone
3.1.1.4. Céfazoline
3.1.1.5. Céfotaxime
3.1.1.6. Ceftazidime
3.1.1.7. Céfépime
3.1.2. Analyse de la prescription des aminosides
3.1.3. Analyse de la prescription des glycopeptides
3.1.4. Analyse de la prescription des fluoroquinolones
3.2. Communications et évaluation de l’appropriation des outils
3.2.1. Présentation des outils
3.2.2. Au niveau institutionnel
3.2.3. Au niveau des services pilotes
3.2.4. Comparaison du niveau d’appropriation des outils entre services « pilotes » et services « institutionnels »
3.2.4.1. Tous services confondus
3.2.4.2. Comparaison par type de service
3.2.5. Au niveau de la pharmacie
4. DISCUSSION
4.1. Etat des lieux
4.2. Communication et évaluation de son impact sur l’appropriation des outils
4.2.1. Les outils
4.2.2. Evaluation de l’appropriation des outils
CONCLUSION
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