Avant propos
L’épidémie mondiale de l’obésité n’épargne aucune population et touche très directement aussi celui des gestantes. Unefemme obèse au début de grossesse a 2,6 fois plus de risque d’accoucher d’un mort-né(1). L’obésité concerne 15 % des adultes en France selon les résultats d’enquête ObEpi 2012 avec l’IMC moyen de la population à 25,4 kg.m²(2). Aux Antilles françaises, cette prévalence dépasse de façon significative ce qui est observé en France métropolitaine ; en Guadeloupe, selon l’étude PODIUM (3), elle s’élève à 22,9 %. Selon la même étude,les femmesantillaises sont plus fortement affectées d’obésité que les hommes ;en Guadeloupe par exemple, 27,2 % des femmes âgées de plus de 15 ans sont obèses, 7,7 % présentent une obésité sévère (IMC 35,0 – 39,9 kg.m²) et 3,1 % une obésité morbide (IMC ≥ 40).
L’obésité est reconnue comme une maladie chronique étant responsable d’une surmorbidité et d’une surmortalité(4). Une femme obèse gestante peut être sujette aux complications propres à la population des femmes obèses en âge de procréer, à savoir :
– des complications cardiométaboliques : diabète de type 2, hypercholestérolémie,hypertension artérielle (HTA), et cardiopathies conséquentes,
– des maladies respiratoires : asthme, le syndrôme d’apnée obstructive du sommeil (SAOS),
– des maladies cancéreuses : le cancer de sein et de l’endomètre.
L’obésité peut aussi avoir des effets néfastes dans les divers aspects de la procréation, autant pour la période periconceptionelle, que pour la période de grossesse et du post partum .
Conséquences pathologiques de l’obésité chez une femme gestante
Dans la pratique de la sage femme, du médecin généraliste et de l’obstétricien, chaque aspect du suivi de grossesse, de la conception jusqu’au terme peut être perturbé par le poids excessif de la patiente au début de grossesse ou par un gain pondéral excessif en cours de gestation. L’obésité multiplie par quatre le risque de survenue d’une grossesse nonprévue(6). Elle peut être associée à un moindre usage des contraceptifs(6). L’efficacité de la contraception pourrait être altérée par les changements métaboliques induits par l’obésité. On peut craindre que les grossesses non prévues sont moins bien préparées, et moins bien suivies initialement.
L’obésité reste fortement associée à des troubles de fertilité spontanée, qui peuvent rendre nécessaireune assistance médicale à la procréation. Le déséquilibre hormonal, consistant en une hyperandrogénie relative et fonctionnelle et en un hyperinsulinisme lié à l’obésité, provoque des troubles du cycle menstruel (aménorrhées, cycles irréguliers) et de cycles anovulatoires.L’obésité entraine une surstimulationde la stéroïdogenèse ovarienne insulinomédiée, résultant en hyperandrogénisme, avec diminution de SHBG (sex hormone binding protein) et hyperestrogénie(7). L’obésité augmente le risque de fausse couche spontanéeau cours du premier trimestre (8). En revanche une nette amélioration de la fertilité spontanée est retrouvéelors de la perte de poids(9). Une fois que la conception a eu lieu, l’obésité représented’abord un risqueparl’accroissement dela survenue des complications vasculaires : hypertension gravidique et prééclampsiejusqu’à ses formes gravissimes. L’indice de masse corporel (IMC) élevéen début de grossesse reste un facteur indépendant de survenue d’hypertension gravidique (HTG) et de prééclampsie (PE). Selon les études, le risque de PE est multipliée par 2 à 3 chez une parturiente obèse (IMC > 30 kg/m2 ) (10).
Alors que la prévalence générale du diabète gestationnel (DG) se place entre 2 et 6 % selon les études et les différentes populations, l’obésité préexistante,induisant un hyperinsulinisme,augmente le risque de DG par 3,6 en comparaison avec les femmes de poids normal(11). L’obésité représente aussi un facteur de risque de survenue de diabète de type 2 (DT2), or les parturientes qui présentent un DT2 déjà connu ou diagnostiqué en cours de grossesse peuvent être également atteintes de complications propres à tout phénomène d’intolérance au glucose(12). Le diabète gestationnel provoque également un risque de développement de syndrome métabolique ou de DT2 en post-partum(13).
Le risque de survenue d’une thrombose veineuse profonde (TVP)en cours de grossesse est augmenté en cas d’obésité par un facteur de 2 à 4(14,15). Pour rappel, les accidents thromboemboliques en cours de grossesse ont été la cause de 34 cas de mort maternelle en France entre 1996 et 2002 ce qui constitue 9,39 % de tous les cas de décès maternel (16). Les morbidités maternelles induites par l’obésité en cours de grossessepeuvent être responsables de prématurité provoquée. Selon Afroukh et al. l’obésité augmente le risque de grande prématurité médicalement consentie liée à une hypertension gravidique (OR = 2,85)(17). Par contre, l’effet du surpoids sur la prématurité spontanée semble plus complexe, au point que l’on évoque parfois un effet « protecteur » de l’obésité sur le risque de la menace d’accouchement prématuré (MAP)au sens propre. D’après laméta-analyse de Torloni et al., comparativement aux femmes de poids normal, le risque d’accouchement prématuré est significativement moins élevé chez les femmes en surpoids ou avec une obésité de grade 1, mais significativement plus élevé chez les femmes avec une obésité de grade 2 ou 3(18). Une corpulence élevée chez les parturientes complique la prise en charge par les professionnels de santé, en ambulatoire comme en hospitalier. L’ensemble des aspects du diagnostic obstétrical devient plus complexe : de l’utilisation des moniteurs externes fœtaux, des difficultés dans la visualisation fiable échographique de certains organes (le cœur, du diaphragme et des reins), d’autant plus l’obésité augmente le risque de malformations fœtales (19). La réalisation d’une intervention chirurgicale (césarienne) et la prise en charge anesthésique sont aussi perturbées. Selon Dietz, le risque relatif de césarienne augmente significativement chez les femmes obèses de grade 2 (20). La corpulence importante des parturientes implique d’importantes difficultés pour l’anesthésie péridurale proposée pendant le travail (21). Quelle que soit la voie d’accouchement, l’obésité de la parturiente implique aussi des complications dans la période du post-partum (22). Les conséquences d’une prise pondérale excessive en cours de grossesse sont aussi importantes. Une prise de poids en cours de grossesse de plus de 18 kg augmente de façon significative le risque de survenue d’une complication vasculaire, allonge la durée du travail, et augmente la fréquence de recours à une césarienne en cours de travail (23), y compris chez les femmes de poids normal en début de grossesse(24,25).De plus, une prise de poids excessive pendant la 1re grossesse reste un des facteurs de risque d’obésité morbide ultérieure(26).
Complications fœtales et néonatales
Une obésité antérieure à la grossesse augmente considérablement le risque de macrosomie et de dystocie des épaules. Selon Brown et al., une augmentation durapport tour de taille/tour de hanchede 0,1 avant la grossesse prédit une augmentation du poids natal de 120g, de la taille de 0,51 cm, et du contour céphalique de 0,31 cm chez le nouveau-né(27). Par contre, des études récentes prenant en compte les facteurs confondants (PE, HTG) laissent penser quel’obésité n’est pas responsable d’une augmentation de risquede RCIU (28,29). L’obésité maternelle peut être considérée comme un facteur de risque de tératogénicité per se. Elle expose le fœtus à des risques accrus d’anomalies de fermeture du tube neural (x 3,5 ; risque non modifié par la prise d’acide folique), d’omphalocèle (x 3,3) et d’anomalies cardiaques (x 2)(8). D’après la méta-analyse de Mitanchez et al., le risque de malformations est d’autant plus grandque le DG apparait tôt dans la grossesse, que la glycémie maternelle est élevée,et que l’IMC est excessifavant la grossesse, toutes ces situations faisant évoquer la présence d’un DT2 non diagnostiqué(30). Enfin l’obésité constitue le facteur de risque le plus prévalent de la mortinaissance. L’étude de Cedergren a démontré que l’obésité sévère (IMC > 35 kg/m2 ) multiplie le risque de mortinaissance par 3, en comparaison avec les femmes de poids normal (OR : 2,79 ; IC95% : 1,94-4,02), ce qui ne semble pas lié au taux accru de césariennes chez les obèses, ni aux difficultés techniques de la césarienne.
Hypothèse et question de recherche
La relation entre poids et complication de grossesse a été exploré dans de plusieurs études. Ces études ont démontré un lien entre obésité en début de grossesse et HTG, PE, DT2, césarienne en cours de travail, ainsi qu’un lien entre prise de poids grossesse et césarienne en cours de travail ou macrosomie. Aux Antilles françaises la prévalence de l’obésité est particulièrement élevée chez les femmes. Cependant, aucune étude portantsur les complications liées à l’obésité des gestantes n’a à ce jour été réalisée sur ces territoires. La présente étude propose d’explorer pour la première fois à notre connaissance ce sujet, sur la population de Sud de Basse Terre.
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Table des matières
1 INTRODUCTION
1.1 AVANT PROPOS
1.2 CONSEQUENCES PATHOLOGIQUES DE L’OBESITE CHEZ UNE FEMME GESTANTE
1.3 COMPLICATIONS FŒTALES ET NEONATALES
1.4 HYPOTHESE ET QUESTION DE RECHERCHE
1.5 OBJECTIF DE L’ETUDE
2 PATIENTES ET METHODE
2.1 TYPE D’ETUDE
2.2 SELECTION DES PARTICIPANTS
2.3 RECUEIL DE DONNEES
2.4 DEFINITIONS
2.5 ANALYSE STATISTIQUE
3 RESULTATS
3.1 RESULTATS D’ECHANTILLONNAGE
3.2 APPROCHE PAR IMC DE DEBUT DE GROSSESSE
3.2.1 CARACTERISTIQUE DE LA POPULATION
3.2.2 LES PATHOLOGIES AU COURS DE LA GROSSESSE
3.2.3 COMPLICATIONS LORS DU DEROULEMENT DU TRAVAIL
3.2.4 COMPLICATIONS NEONATALES
3.3 APPROCHE PAR PRISE DE CATEGORIES D’IMC
3.3.1 CARACTERISTIQUES DEMOGRAPHIQUES ET CLINIQUES
3.3.2 CHANGEMENTS DE CLASSE D’IMC CHEZ LES FEMMES AVEC IMC NORMAL
3.3.3CHANGEMENTS DE CLASSE D’IMC CHEZ LES FEMMES AVEC UN IMC SURPOIDS
3.4 CONFORMITES AUX RECOMMANDATIONS DE LA PRISE DE POIDS
4 DISCUSSION
4.1 APPROCHE PAR L’IMC DE DEBUT DE GROSSESSE
4.1.1 CARACTERISTIQUES DE LA POPULATION
4.1.2 PATHOLOGIES EN COURS DE GROSSESSE
4.1.3 DEROULEMENT DU TRAVAIL
4.1.4 COMPLICATIONS NEONATALES
4.2 GAIN PONDERAL EN COURS DE GROSSESSE PAR CHANGEMENT DE CLASSES IMC
4.2.1 CARACTERISTIQUES DE LA POPULATION
4.2.2 PATHOLOGIES EN COURS DE LA GROSSESSE
4.2.3 COMPLICATIONS DE DEROULEMENT DU TRAVAIL
4.2.4 CRITERES NEONATAUX
4.3 PRISE DE POIDS EN COURS DE GROSSESSE
5 CONCLUSIONS
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DE TABLEAUX
LISTE DES FIGURES