Conséquences génétiques des variations climatiques du Quaternaire et distribution des espèces forestières Néotropicales

Les changements climatiques représentent actuellement une source d’inquiétude majeure, ainsi qu’en témoignent tous les jours ou presque les multiples reportages qui y sont consacrés dans les médias, ainsi que l’augmentation des phénomènes extrêmes (inondations en Asie du Sud-Est, sécheresse importante en Russie…). Ces changements climatiques ont déjà une influence sur la biodiversité, notamment en favorisant les invasions biologiques (Walther et al. 2009) ou bien en restreignant les habitats de certaines espèces de climat froid (Lesica & McCune 2004; Lenoir et al. 2008). Cependant, bien que ce réchauffement global actuel soit exceptionnellement rapide (Cox et al. 2000) et provoque ce que beaucoup appellent la 6e crise d’extinction de la biodiversité (Wake & Vredenburg 2008), de nombreuses variations du climat ont déjà eu lieu au cours des temps géologiques, entraînant notamment de fortes modifications des conditions atmosphériques. On sait par exemple qu’au Carbonifère (entre 365 et 299 Millions d’années BP), le taux de dioxygène dans l’atmosphère était très élevé (35 % contre 21 % actuellement), ce qui a permis le gigantisme de certaines formes végétales et animales (Dudley 1998). A la transition Paléocène/Eocène (Figure 1), on sait également que la température de la Terre a fortement augmenté, de 6 °C environ (Kennett & Stott 1991) ce qui a permis à des formes de vie adaptées à des conditions subtropicales de s’installer dans l’océan Arctique (Slujis et al. 2006). Inversement, on connaît également plusieurs périodes au cours desquelles la température terrestre s’est considérablement rafraichie. Il existe même une théorie, dite de la « Terre boule de neige », selon laquelle au cours du Néoprotérozoïque (650 Ma BP), la Terre aurait été quasiment entièrement recouverte de neige et de glaciers (Harland 1964; Budyko 1969)! Cette hypothèse reste cependant contestée, car l’ancienneté de la période considérée rend difficile sa démonstration absolue. Néanmoins, on imagine aisément les conséquences immédiates d’un tel changement sur la répartition de la faune marine de l’époque, dans des eaux considérablement refroidies, voire gelées.

Hormis le réchauffement global actuel, les variations climatiques les plus documentées sont celles du Quaternaire. En effet, une alternance répétée de cycle glaciaire/interglaciaire a eu lieu au cours du Pléistocène (2 500 000 – 10 000 BP). Ainsi, il a récemment été montré que 8 cycles glaciaires d’environ 100 000 ans chacun ont eu lieu au cours du Pléistocène, chacun se composant d’une période glaciaire suivie d’un interglaciaire. La dernière période glaciaire du Quaternaire a débuté il y a 120 000 ans pour s’achever il y a 12 000 ans environ. Au cours de cette période, les calottes glaciaires, aussi appelées inlandsis, se sont étendues sur une grande partie des continents européens et nord américains, atteignant les Alpes. Nous verrons ultérieurement la chronologie détaillée de ces glaciations dans le monde ainsi que quelquesunes de leurs conséquences sur la répartition des espèces animales et végétales. A cette période glaciaire a succédé une période appelée interglaciaire, qui a débuté il y a 12000 ans et qui se poursuit actuellement.

Les conséquences de la dernière période glaciaire ont principalement été étudiées en ce qui concerne la faune et la flore des régions tempérées. Cependant, on estime que l’immense majorité de la diversité faunistique et floristique de la Terre se situe dans les régions de forêts tropicales (Figure 2). Ces régions concentrent en effet 75 % des espèces recensées sur Terre sur une superficie d’environ 1,681 millions d’hectares. Les écosystèmes tropicaux ont une fonction extrêmement importante dans les cycles de carbone et d’azote atmosphérique (Brown & Lugo 1982). De plus, certaines espèces tropicales possèdent des propriétés médicinales très importantes, par exemple dans la lutte contre le paludisme (Wilcox & Bodeker 2004). Malheureusement, ces écosystèmes sont également extrêmement menacés par la déforestation résultant de l’extension des activités humaines (agriculture intensive, industrie de la canne à sucre, industrie du palmier à huile, expansion des villes). On estime ainsi que les surfaces de forêt tropicales se sont réduites de 5 % ces dernières années, entre 2000 et 2005 (notamment en Afrique et en Amazonie, qui ont perdu respectivement 78 % et 20 % de leurs forêts tropicales en superficie depuis le début de l’ère industrielle). Une importante part de la biodiversité terrestre s’est donc d’ores et déjà éteinte sous l’effet des activités anthropiques, avant même son recensement. Dans ce contexte, il est fondamental de comprendre les mécanismes qui ont permis la mise en place et le maintien de cette forte diversité spécifique dans les écosystèmes tropicaux. Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer la répartition des espèces, à la fois à une échelle locale (de la parcelle, ou de l’hectare) et à une échelle plus vaste (du pays, ou de la région biogéographique, tel que le Bouclier Guyanais). Ces théories mettent l’accent sur l’effet des variations de l’environnement sur la distribution et la diversification des espèces. Parmi les hypothèses proposées, on peut retenir l’hypothèse des perturbations intermédiaires (Molino & Sabatier 2001), qui postule que le niveau de diversité maximal est atteint pour un niveau de perturbation intermédiaire. On peut aussi retenir la théorie neutraliste de la diversité (Hubbell 2001) pour laquelle la répartition des espèces forestières (notamment les arbres) est principalement due à des processus stochastiques (spéciation, dispersion, dérive écologique, extinction). Les variations climatiques sont une des composantes des variations de l’environnement, qui ont spécifiquement été considérés comme moteur de la spéciation dans le cadre de la théorie des refuges (Haffer 1969) .

Les méthodes de reconstruction de l’histoire des espèces 

Approches palynologiques 

Les approches palynologiques visent à reconstituer la végétation d’une région en étudiant la composition pollinique de cette région au cours du temps. Ainsi, en datant les sédiments au 14C, puis en étudiant la présence ou l’absence des pollens d’une espèce (ou d’un groupe d’espèces) au fil des époques, on peut arriver à établir l’historique de son apparition et de sa disparition au cours du temps, dans la région d’étude (Figure 3). En effet, à partir des données palynologiques spécifiques, et connaissant les exigences écologiques des espèces, il devient possible d’inférer les modifications climatiques éventuelles ayant permis d’arriver au type de végétation observé.

L’étude de la distribution actuelle des espèces : biogéographie

La répartition actuelle des espèces est la conséquence de tous les processus historiques qui ont permis à cette espèce de coloniser, de s’établir et de maintenir une population là où on l’observe. Ce postulat a donné naissance à la biogéographie, discipline qui cherche à étudier l’histoire des espèces au cours des temps, en fonction de leur répartition actuelle. En Amazonie, cette approche a été l’une des premières utilisées pour étudier l’influence des variations du climat sur les espèces. C’est en effet en étudiant les patrons d’endémisme de différentes espèces d’oiseaux que Haffer (1969) a formulé la théorie des refuges. Les refuges correspondent à des zones dans lesquelles les forêts tropicales se seraient toujours maintenues même lors de phases climatiques sèches du dernier maximum glaciaire. La persistance des espèces dans ces refuges forestiers aurait permis par spéciation allopatrique, l’émergence de de la forte diversité spécifique observée en Amérique du Sud.

Approches génétiques

Les variations d’effectifs démographiques qu’est susceptible de subir une population au cours de son histoire laissent des traces au sein des génomes des individus. L’étude de ces traces peut permettre de reconstruire l’histoire des populations, et de relier les évènements démographiques détectés aux données climatiques dont on dispose. Par exemple, en cas de changement climatique ayant eu des incidences sur la forêt au point de faire disparaître certaines populations et de fragmenter le couvert forestier, on s’attend à ce que dans les zones recolonisées, les populations portent un signal génétique correspondant à un effet de fondation des populations à partir de quelques individus. De même, des conditions climatiques défavorables à une espèce peuvent entraîner une contraction de l’aire de distribution, sous l’effet de l’extinction de certaines populations et de la diminution de la taille des populations persistantes. De même que pour des évènementsde fondation, la diminution de taille des populations aussi appelée contraction ou bottleneck (« goulot d’étranglement») laisse des traces génétiques. En effet, ces évènements se traduisent par la perte d’un grand nombre d’allèles, par dérive génétique . En revanche, dans une zone épargnée par les changements climatiques, on ne s’attend pas à détecter de changement de taille de population, puisque le couvert forestier et les conditions climatiques sont restés favorables tout le temps.

Les expansions démographiques ont des conséquences inverses aux contractions. Ici, le rôle de la dérive génétique devient moindre, et c’est au contraire la mutation qui joue un rôle diversifiant, rajoutant de nouveaux allèles au pool génique existant. Une expansion peut être détectable si l’évènement de fondation ayant conduit à la création de cette population est trop ancien pour être détectable. En effet, suite à la colonisation d’un habitat favorable, la population nouvellement fondée peut connaître une expansion démographique.

Dans la théorie des refuges appliquée aux Néotropiques, les refuges correspondent à des zones dans lesquelles les forêts tropicales se sont toujours maintenues même lors de phases climatiques sèches. Sous cette hypothèse, plusieurs attendus génétiques peuvent être formulés :
– Absence de changement de taille de populations dans les zones refuges
– Ces zones refuges ayant servi de source à partir desquelles de nouvelles populations ont été fondées à partir d’évènements de colonisation de quelques individus, les allèles trouvés dans les zones recolonisés représentent donc un sous-échantillon du pool allélique trouvé dans la zone refuge source. Cela se traduit par une diversité génétique plus importante dans les zones-refuges que dans les zones recolonisées.
– De plus, les zones refuges étant restées isolées les unes des autres, on s’attend à observer une forte différenciation génétique entre les différents refuges.
– Enfin, on s’attend à observer un patron d’isolement par la distance issue de la recolonisation de proche en proche depuis la population en zone refuge.

Ces attendus permettent de détecter la présence d’une zone refuge et de faire la différence entre zone refuge et zone de contact secondaire (Petit et al. 2003).

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Table des matières

Introduction
1. Les méthodes de reconstruction de l’histoire des espèces
1.1. Approches palynologiques
1.2. L’étude de la distribution actuelle des espèces : biogéographie
1.3. Approches génétiques
2. Les variations climatiques du Quaternaire dans les régions tempérées
2.1. Mise en évidence des glaciations Quaternaires
2.2. Conséquences des glaciations du Quaternaire sur l’évolution de la faune et la flore en climat tempéré
3. Les variations climatiques du Quaternaire dans les régions paléotropicales et leurs conséquences sur la faune et la flore
4. Les variations climatiques du Quaternaire en Amérique du Sud et leurs conséquences sur la faune et la flore
4.1. La théorie des refuges dans les Néotropiques
4.2. Les théories alternatives
4.3. Bilan des approches palynologiques et climatiques
5. L’apport des données génétiques
5.1. Apport des études génétiques à l’échelle du Bassin Amazonien
5.2. Apport des études génétiques à l’échelle du Bouclier Guyanais
Chapitre 1 : Astrocaryum sciophilum, un modèle pour l’étude des variations climatiques du Quaternaire ?
1. Systématique et taxinomie des Arecaceae
2. Caractéristiques du palmier Astrocaryum sciophilum (Miq.) Pulle
2.1. Répartition, écologie & usages
2.2. Phénologie et développement
2.3. Floraison et reproduction
2.4. Dispersion des fruits
Chapitre 2 : Apport des séquences chloroplastiques à la reconstruction de l’histoire du palmier Astrocaryum sciophilum en Guyane
1. L’ADN chloroplastique (ADNcp), un outil de choix pour la phylogéographie ?
1.1. Caractéristiques de l’ADN chloroplastique
1.2. Application à A. sciophilum
2. Matériel et méthodes
2.1. Echantillonnage
2.2. Extraction et amplification de l’ADNcp
2.3. Analyse des séquences
3. Résultats
3.1. Diversité génétique globale et relations entre haplotypes
3.2. Diversité dans et hors zone refuge
3.3. Distribution géographique des haplotypes
3.4. Détection d’évènements d’expansion au sein des haplogroupes
4. Discussion
4.1. Diversité chloroplastique et hybridation introgressive
4.2. Diversité génétique et zones refuges
4.3. Distribution géographique de la diversité chloroplastique
Chapitre 3 : Utilisation des microsatellites nucléaires pour la reconstruction de l’histoire démographique d’A. sciophilum : structure génétique des populations
1. Introduction : les marqueurs microsatellites, des témoins de l’histoire génétique récente
1.1. Définition et modèles mutationnels
1.2. Applications
2. Matériel et méthodes
2.1. Echantillonnage
2.2. Développement des marqueurs microsatellites
2.3. Amplification
2.4. Analyse des données
3. Résultats
3.1. Diversité génétique des populations
3.2. Structuration génétique des populations
4. Discussion
4.1. Localisation des zones refuges en Guyane
4.2. Répartition spatiale de la diversité génétique
4.3. Source de la colonisation
Chapitre 4 : Utilisation des marqueurs microsatellites dans la détection d’évènements démographiques par la méthode Msvar : aspects théoriques et application à A. sciophilum
1. Détection d’évènements démographiques à l’aide de marqueurs microsatellites : méthodes fréquentistes et méthodes bayésiennes
1.1. Les méthodes par statistiques résumées
1.2. La théorie de la coalescence
1.3. Méthodes basées sur la théorie de la coalescence pour l’inférence de l’histoire démographique des populations
1.4. Méthodes bayésiennes et MCMC
2. Inférence de l’histoire démographique par la méthode Msvar : un test par simulation
2.1. Modèle démographique implémenté dans MSVAR
2.2. Test de la méthode
2.3. Résultats
2.4. Discussion
3. Application à l’histoire démographique des populations d’A. sciophilum en Guyane
3.1. Matériel et méthodes
3.2. Résultats
3.3. Discussion
Discussion générale
Conclusion

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