Conséquences du syndrome hémorragique grave

Epidémiologie

La chirurgie cardiaque et anesthésie cardiaque sont deux spécialités indissociables. Au cours de ces vingt dernières années elles ont connu un essor remarquable, tant au niveau des techniques chirurgicales que des thérapeutiques d’anesthésie-réanimation et des connaissances physiopathologiques. Malgré l’amélioration des connaissances et des pratiques elle reste une chirurgie à haut risque.

Actuellement en France chaque année, plus de 40 000 interventions de Chirurgie cardiaque sont réalisées, essentiellement de la chirurgie de remplacement valvulaire et de pontages aorto-coronariens. Ces interventions ne sont pas dénuées de risque puisque le taux de mortalité varie entre 0.5 et 2% pour les pontages aorto-coronariens et 2 à 8% pour les remplacements valvulaires. La morbidité quant à elle est largement dominée par les complications cardiovasculaires et hémorragiques, qui peuvent concerner jusqu’à 6% des chirurgies cardiaques réalisées sous CEC (1). Le saignement, et la transfusion qui en découle, sont des facteurs de mauvais pronostic et des recommandations ont été publiées pour tenter d’optimiser l’administration de produits sanguins labiles .

Définitions

L’incidence du saignement excessif après une chirurgie cardiaque avec CEC dépend de la définition qui lui est donnée. Depuis de nombreuses années déjà l’intensité du saignement est évalué par la quantité de sang drainée par les drains et redons (5) mais aussi par la cinétique du saignement. Dans plusieurs études, le taux de reprise pour hémostase varie entre 3 et 10 % (6). Une autre méthode consiste à évaluer le saignement par la quantité de Concentrés en Globules Rouges (CGR) transfusés (1) (4) (7). Si cette méthode permet d’évaluer l’impact du saignement sur l’utilisation en produits sanguins labiles, responsables d’un surcoût et de morbidités propres, elle ne permet pas une classification rigoureuse de l’importance du saignement en raison de stratégies transfusionnelles parfois variables d’un centre et d’un praticien à l’autre .

Afin d’essayer de s’affranchir de ces disparités d’évaluation, une définition universelle du saignement péri opératoire en chirurgie cardiaque (Universal Definition for Perioperative Bleeding, UDPB ) a été proposée par un groupe d’expert en 2014 (8). Celle-ci stratifie l’intensité du saignement en 4 niveaux d’intensité croissante et est basée sur l’évaluation de 9 critères per opératoire et post opératoire précoce, dont l’évaluation du saignement à travers les redons durant les 12 premières heures post opératoires.

Une étude multicentrique parue en 2016, définissait un saignement modéré à sévère par un débit de saignement supérieur à 1.5 mL/kg/h pendant 6 heures consécutives et/ou une reprise chirurgicale pour hémostase durant les 24 premières heures post opératoires (1). Cette définition du syndrome hémorragique modéré à sévère présente l’avantage de rapporter le saignement au poids du patient. De plus, elle présente l’avantage de sa simplicité d’évaluation, en dichotomisant le saignement en « majeur » et « mineur ».

Conséquences du syndrome hémorragique grave 

La complication la plus grave du saignement est bien évidemment le décès, avec comme principale cause l’instabilité hémodynamique engendrée par un choc hémorragique où une tamponnade. Dans ces cas, une reprise chirurgicale s’impose en urgence. En effet, il a été montré qu’un retard de reprise chirurgicale est responsable de sur morbidité et de surmortalité . De plus, une anémie post opératoire, conséquence du saignement et/ou du syndrome inflammatoire lié à la chirurgie, est responsable d’une morbidité propre avec un surrisque de mortalité, une augmentation de l’insuffisance rénale aiguë et un allongement de la durée de séjour en Réanimation Cardiaque .

Rappels physiologiques de l’hémostase

L’hémostase est l’ensemble des étapes qui visent à arrêter l’extravasation du contenant vasculaire au travers d’une brèche du vaisseau sanguin. Elle comprend trois phénomènes : l’hémostase primaire, l’hémostase secondaire et la fibrinolyse. L’hémostase primaire et secondaire sont responsables de la coagulation, permettant d’obtenir un caillot insoluble. La fibrinolyse permet de limiter la coagulation à l’endroit où l’hémorragie s’est produite.

Hémostase primaire

L’hémostase primaire correspond à la première étape survenant après l’apparition d’une brèche vasculaire. Le but est d’obturer cette brèche au plus vite par la formation d’un « clou » plaquettaire.

Temps vasculaire
Après une lésion vasculaire le flux sanguin est ralenti par une vasoconstriction réflexe immédiate mais de courte durée (15 à 60 secondes) du vaisseau lésé, limitant le saignement et favorisant la mise en place locale des autres agents de l’hémostase. Cette vasoconstriction est secondaire à l’élasticité propre du vaisseau, mais également à l’action de médiateurs locaux tels que le thromboxane A2.

Temps plaquettaire
Le but est de créer un agrégat plaquettaire (clou plaquettaire ou thrombus blanc) qui va obturer la brèche .

❖ Adhésion
La rupture de la paroi vasculaire est responsable d’une mise en contact du sang avec la matrice sous endothéliale, pro coagulante. Les plaquettes vont se lier avec le collagène, présents dans celle-ci, cette adhésion se fait via la fixation du facteur von Willebrand et aux glycoprotéines GPIb présentent sur la membrane plaquettaire.
❖ Activation
Après leur adhésion les plaquettes sont « activées » par le collagène sous endothélial et par la thrombine générée à leur surface. Cette « activation » plaquettaire se manifeste par trois grands phénomènes : un changement de forme des plaquettes qui deviennent sphériques et émettent des pseudopodes, une réorganisation de la membrane plaquettaire avec une augmentation de l’expression des glycoprotéines membranaires plaquettaires GPIIb/III3 (permettant la création de ponts de fibrinogène entre les plaquettes) mais aussi la libération dans le plasma du contenu des granules plaquettaires comprenant entre autres de l’Adénosine DiPhosphate (ADP), du fibrinogène, du thromboxane A2 qui sont des molécules proactivantes et pro-agrégantes. L’ADP, en particulier, est un activateur secondaire et un agent agrégant qui facilite le recrutement des plaquettes naïves au niveau de la lésion vasculaire.

La réorganisation de la membrane plaquettaire se traduit aussi par la mise à disposition du facteur 3 plaquettaire à la surface de la plaquette, sur lequel viendront se fixer les facteurs vitamine K dépendant essentiel à la coagulation, que nous développerons plus bas.

❖ Agrégation
Les principaux inducteurs de l’agrégation plaquettaire sont l’ADP et le thromboxane A2. Les récepteurs membranaires plaquettaires GPIIb/IIIa vont fixer le fibrinogène circulant permettant la formation d’un réseau de plaquettes agrégées : le clou plaquettaire, qui va permettre d’arrêter temporairement.

Coagulation
La coagulation regroupe l’ensemble des phénomènes permettant de stabiliser le clou plaquettaire en créant un caillot de fibrine insoluble qui obturera définitivement la brèche vasculaire .

Les facteurs de coagulation sont synthétisés pour la plupart par le foie, et sont divisés en précurseurs (pro-enzymes ou zymogènes) de sérine prothéase (facteurs II, VII, IX, X, XI et XII), en cofacteurs (facteur V et VIII) et en substrat (fibrinogène). La vitamine K permet aux facteurs II, VII, IX et X (facteurs vitamine K dépendant) d’acquérir la capacité de se complexer avec le calcium et les phospholipides. Les phospholipides proviennent essentiellement des plaquettes et des tissus. Le calcium quant à lui est nécessaire à la plupart des étapes d’activation enzymatique de la coagulation.

La coagulation aboutit après une cascade de réactions enzymatique, à la conversion du fibrinogène soluble en fibrine insoluble. Les filaments de fibrine à la surface des plaquettes viennent consolider le clou hémostatique et aboutissent à la formation du caillot. Schématiquement on divise la « cascade » de réactions de coagulation en trois étapes : la génération de la prothrombinase, la transformation de la prothrombine en thrombine par la prothrombinase et la transformation du fibrinogène en fibrine. L’ensemble de ces réactions nécessite comme co-facteur la présence de calcium .

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Table des matières

1. Introduction
1. 1. Epidémiologie
1. 2. Définitions
1. 3. Conséquences du syndrome hémorragique grave
1. 4. Rappels physiologiques de l’hémostase
1. 4. 1. Hémostase primaire
1. 4. 1. 1. Temps vasculaire
1. 4. 1. 2. Temps plaquettaire
1. 4. 2. Coagulation
1. 4. 2. 1. Génération de la prothrombinase
1. 4. 2. 2. Formation de la thrombine
1. 4. 2. 3. Formation de fibrine
1. 4. 2. 4. Les inhibiteurs de la coagulation
1. 4. 3. Fibrinolyse
1. 5. Facteurs influençant le saignement post opératoire
1. 5. 1. Liés au patient
1. 5. 1. 1. Traitements pré opératoire affectant l’hémostase
1. 5. 1. 1. 1. Anticoagulants
1. 5. 1. 1. 2. Anti agrégants plaquettaires
1. 5. 1. 2. Troubles de l’hémostase pré opératoire
1. 5. 1. 3. Autres facteurs
1. 5. 2. Liés à la procédure
1. 5. 2. 1. L’hémodilution
1. 5. 2. 2. Activation de l’hémostase
1. 5. 2. 3. Réponse inflammatoire
1. 5. 2. 4. Traitement anti coagulant per CEC
1. 5. 2. 5. Traitement anti fibrinolytique per CEC : acide tranexamique EXACYL®
1. 5. 3. Triade létale
1. 5. 3. 1. Hypothermie
1. 5. 3. 2. Acidose
1. 5. 3. 3. Hypocalcémie
1. 5. 4. Résumé des mécanismes de la coagulopathie
1. 6. Objectifs de l’étude
2. Matériel et Méthodes
2. 1. Design de l’étude et population
2. 2. Définition du saignement modéré à sévère
2. 3. Données recueillies
2. 3. 1. Données prés opératoires
2. 3. 2. Données per opératoires
2. 3. 3. Données post opératoires
2. 4. Analyse statistique
3. Résultats
3. 1. Population de l’étude
3. 2. Caractéristiques des saignements modérés à sévères
4. Discussion
4. 1. Recherche des facteurs de risque
4. 2. Impact du saignement modéré à sévère sur la morbi-mortalité
4. 3. Limites de notre étude
5. Conclusion
6. Bibliographie
Résumé

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