Conséquences de la surdité sur la perception et les émotions auditives

Indications de l’implant cochléaire

Dans son rapport, la Haute Autorité de Santé (HAS, 2007) précise que « les implants cochléaires sont indiqués chez l’adulte dans le cas de surdités neurosensorielles sévères à profondes bilatérales, sans bénéfice d’un appareillage auditif conventionnel (numérique) optimal dont l’essai est nécessaire avant de proposer une chirurgie. La discrimination en audiométrie vocale doit être inférieure ou égale à 50% lors de la réalisation de tests d’audiométrie vocale avec la liste cochléaire de mots dissyllabiques de Fournier présentés à 60 dB HL, en champ libre avec des prothèses auditives adaptées ».
Ainsi, un grand nombre de patients ont bénéficié d’une implantation cochléaire unilatérale et portent conjointement une prothèse auditive controlatérale dont l’utilisation est indiquée tant qu’il persiste un bénéfice, même limité, pour la perception verbale et non verbale. Selon les données récemment publiées, la stimulation bimodale (implant cochléaire sur une oreille et prothèse auditive sur l’autre) présente un avantage évident pour la reconnaissance de la parole dans le bruit (Lunz et al., 2005), en présence de plusieurs interlocuteurs (Cullington & Zeng, 2010) et pour la perception de la musique (El Fata et al., 2009). Ce bénéfice s’explique vraisemblablement par la transmission d’informations dans les basses fréquences rendue possible par la prothèse auditive conventionnelle (Kong et al, 2005;. Zeng, 2002, 2004). De même, il existe un bénéfice de l’audition bimodale par rapport à l’implant cochléaire seul pour la perception d’éléments supra segmentaux de la parole tels que la prosodie (Landwehr et al., 2007), l’intonation et l’accentuation (Most et al., 2012). Ce bénéfice semble lié à la transmission, via la prothèse auditive conventionnelle, d’indices temporels et spectraux contenus dans les basses fréquences, et en particulier ceux de la structure fine (Gnansia et al., 2010). En revanche, le codage des informations acoustiques par l’implant est adapté pour les fréquences moyennes et aigües (Kong et al., 2005). Ainsi, il apparaît que l’implant cochléaire et la prothèse auditive transmettent des indices acoustiques complémentaires.

Stratégies de codage

L’implant cochléaire permet aujourd’hui de restaurer une audition fonctionnelle chez les adultes présentant une surdité évolutive sévère à profonde et, pour la plupart d’entre eux, des performances très satisfaisantes pour la compréhension de la parole sont rapportées avec une moyenne de 70% [0-100%] pour la reconnaissance de mots dissyllabiques dans le calme un an après l’implantation (Lazard et al., 2010).
Les stratégies de traitement du signal ont été développées avec l’objectif de transmettre au nerf auditif le maximum d’informations pertinentes pour l’intégration du signal de parole.
Elles ont d’abord permis optimiser la compréhension de la parole dans le calme. Elles visent également à améliorer la perception de la parole dans le bruit grâce à la transmission des indices supra segmentaux et de la musique. Classiquement, on distingue deux grandes catégories de stratégies de codage, celles privilégiant une analyse de l’information temporelle du signal acoustique et celles privilégiant une analyse de l’information spectrale. Cependant, les stratégies actuellement utilisées correspondent à une combinaison des deux approches afin d’extraire les indices nécessaires pour l’intégration des informations verbales (temporelles pour la perception consonantique et spectrales pour la perception vocalique) et non verbales (spectrales pour la reconnaissance du genre dans la voix et spectro-temporelles pour la perception de la prosodie) contenues dans le signal de parole. De plus, la transmission de ces informations par les différentes stratégies de codage pourra être modulée par le choix de certains paramètres tels que la vitesse de stimulation sur chaque électrode (nombre d’impulsions par seconde généralement comprises entre 250 et 900 Hz selon les stratégies), la largeur des impulsions électriques (comprises entre 25 et 100 impulsions par seconde), le nombre de canaux de stimulation actifs qui varie selon les systèmes d’implants mais couvrent la même étendue fréquentielle ou le nombre d’électrodes stimulées en même temps (de 8 à 12 en moyenne) de même que la détermination des seuils de perception et de confort pour chaque électrode qui vont définir la dynamique électrique avec l’implant.

Bénéfices de l’implantation cochléaire

Depuis le développement de l’implantation cochléaire au cours des années 1990, de nombreuses études ont porté sur l’évaluation des capacités de perception de la parole. Le bénéfice de l’implant cochléaire n’étant plus à démontrer dans ce domaine chez les adultes atteints de surdité évolutive, les études se sont également intéressées à la perception des aspects para verbaux de la parole, et notamment, à la voix.

Perception de la parole

Les systèmes d’implants cochléaires ainsi que les stratégies de codage proposées par les fabricants permettent aux patients implantés d’atteindre des performances de reconnaissance de la parole satisfaisantes dans le silence avec des scores atteignant dans la majorité des cas 50-60% pour la reconnaissance de mots monosyllabiques en liste ouverte (Wilson B.S, 2006).
De même, un grand nombre de patients implantés présentant une surdité post-linguale atteignent en moyenne un score de 97% pour la compréhension de phrases en liste ouverte.
Cependant, les performances sont moindres avec un score moyen de 70% pour la compréhension de phrases en présence de plusieurs interlocuteurs et en milieu bruyant avec un score moyen de 42% pour une différence entre le signal et le bruit de 10 dB et de 27% pour une différence de 5 dB (Wilson & Dorman, 2008).
A noter qu’il existe une importante variabilité inter individuelle encore difficile à expliquer (Lazard et al., 2010a) avec des performances pouvant être dans certains cas très limitées et atteignant pour d’autres patients implantés 100% de reconnaissance de la parole.

Perception de la voix

Un certain nombre d’études ont porté sur la perception de la voix par les sujets implantés cochléaires, utilisant des stimuli verbaux tels que des mots, des syllabes, des phonèmes ou des bruits (Massida et al., 2013, Fu et al., 2004, Massida et al., 2011). Afin d’étudier le rôle des indices temporels et spectraux dans les capacités de discrimination du genre dans la voix, Fu et al., (2004) ont comparé les performances de 11 sujets adultes implantés cochléaires à celles de 6 sujets normo-entendants exposés à des stimuli simulant la perception avec un implant cochléaire (vocoders) dans une tâche de reconnaissance de voyelles (contexte /h/ – /voyelle/ -/d/) prononcées par des locuteurs féminins et masculins. Afin d’évaluer la contribution relative des informations d’amplitude, de pitch et de durée, la résolution fréquentielle a été modifiée en faisant varier le nombre de canaux dans les vocoders tandis que la transmission d’indices temporels a été modulée, en déplaçant les fréquences de coupure des filtres d’enveloppe de 20 à 320 Hz. Les résultats de cette étude ont montré que les performances pour la reconnaissance des voyelles et la discrimination du genre du locuteur étaient positivement corrélées au nombre de canaux. Ils confirment l’existence de capacités d’identification du genre du locuteur chez les sujets implantés cochléaires ainsi que le rôle fondamental des indices spectraux et temporels pour la discrimination du genre dans la voix, les indices temporels étant particulièrement importants lorsque la résolution spectrale est limitée.

Implant cochléaire et audition résiduelle controlatérale

Aujourd’hui, un grand nombre de patients implantés cochléaires bénéficient, sous diverses formes, de l’existence d’une audition résiduelle avec différentes configuration possibles. En effet, le terme d’audition résiduelle fait référence à des situations cliniques variées selon le côté (ispsi ou controlatéral à l’implant), sa fonctionnalité et sa localisation sur toute ou une partie des fréquences. L’évolution des critères d’indication de l’implantation cochléaire depuis ces dernières années aux surdités sévères permet à de nombreux patients implantés de bénéficier d’une stimulation dite bimodale car elle combine la stimulation électrique via l’implant cochléaire à la stimulation acoustique via l’amplification par une prothèse auditive conventionnelle. Il existe d’autres configurations dont la principale est la stimulation électro acoustique qui concerne les patients ayant bénéficié d’une implantation cochléaire unilatérale ayant conservé une audition résiduelle ipsilatérale (voir même controlatérale) amplifiée par une prothèse auditive conventionnelle.
Une très grande variabilité interindividuelle est observée en termes quantitatifs et qualitatifs relativement aux informations acoustiques transmises par l’audition résiduelle. L’expérience clinique montre également que l’utilisation d’une prothèse auditive controlatérale à l’implant cochléaire n’est pas corrélée à l’existence d’une amélioration significative des performances pour le traitement des informations verbales.

La perspective évolutionniste des émotions

Dans L’expression des émotions chez l’homme et l’animal (1872), Darwin pose les fondements de l’expression des émotions en expliquant l’expression émotionnelle et les comportements expressifs chez l’homme à partir de ceux des animaux. Il a décrit les émotions comme étant innées, universelles et communicatives ce qui, par la suite, a donné naissance à un courant évolutionniste en psychologie des émotions. Ainsi, les émotions seraient un héritage de nos ancêtres (Orians et Heerwagen, 1992) car, à l’époque des chasseurs-cueilleurs, les Hommes devaient se déplacer pour trouver de quoi se nourrir. Ces déplacements les confrontaient à des phénomènes imprévisibles comme des changements climatiques brusques ou des rencontres avec des prédateurs qui nécessitaient une réponse adaptative rapide. En accord avec ce qu’a montré Darwin, une réaction tout d’abord volontaire va, au fil de l’évolution, devenir innée et réflexe avec une fonction biologique spécifique. Comme l’a expliqué Damasio dans Le sentiment même de soi (1999), celle-ci est double avec d’une part la production d’une réaction spécifique à la situation inductrice mettant en jeu ces capacités dites supérieures chez l’homme et d’autre part la régulation de l’état interne de l’organisme afin de le préparer à cette réaction spécifique.
Cependant, ce sont les travaux du neurologue et photographe Duchenne de Boulogne pendant la seconde moitié du XIXe siècle qui ont ouvert la voie de l’étude des expressions émotionnelles avec des expériences sur l’expression faciale de l’émotion. Ses travaux reposent sur l’utilisation conjointe de la photographie et de la stimulation électrique des muscles du visage pour mettre en évidence les mouvements associés à l’expression des émotions. Après avoir décrit de manière très précise les muscles responsables de la mobilité des différentes parties du visage, il a mis en évidence les muscles directement impliqués dans les expressions faciales émotionnelles en utilisant le courant alternatif pour stimuler avec précision un seul faisceau musculaire à la fois .

Perception de la voix après implantation cochléaire

Les recherches réalisées sur la communication vocale des émotions chez les sujets normo entendants peuvent être classées en deux catégories selon qu’elles étudient les processus liés à l’expression ou la perception de l’émotion dans la voix. Les premières tentent de décrire l’effet de différents états affectifs sur certains paramètres acoustiques lors de la production d’une expression vocale tandis que les secondes cherchent à mettre en évidence les capacités de reconnaissance des émotions dans des expressions vocales en l’absence d’indices verbaux ou contextuels (Bänziger et al., 2002).
De nombreuses études se sont intéressées à l’identification des caractéristiques vocales spécifiques aux émotions de base (joie, peur, tristesse et colère) à partir d’enregistrements réalisés par des acteurs dans des contextes d’induction émotionnelle à partir d’un contenu linguistique. Ces travaux concernent la prosodie, définie comme la variation des paramètres acoustiques pertinents pour l’expression et la perception des intonations linguistiques (prosodie linguistique) et des émotions vocales (prosodie affective). Il s’agit de la fréquence fondamentale (F0) de la voix, de l’intensité (ou amplitude) et de la durée des différents segments des expressions. Ainsi, les émotions incluant une activation forte comme la colère, la peur ou la joie présentent un accroissement des valeurs de F0 et d’intensité mais une diminution de la durée correspondant à une accélération de la parole. Inversement, les états émotionnels incluant un degré d’activation faible comme la tristesse se caractérisent par une diminution des valeurs de F0 et d’intensité ainsi qu’une augmentation de la durée des différents segments.

Perception et émotions musicales après implantation cochléaire

La plupart des gens considère la musique comme une source de plaisir à travers les liens intimes qu’elle entretient avec l’expérience émotionnelle. L’écoute de la musique peut moduler notre ressenti émotionnel et, de ce fait nos sentiments, et initier des actions comme chanter, danser ou vouloir jouer d’un instrument. La musique peut provoquer des sentiments affectifs très forts, de caractère agréable ou désagréable, dont l’intensité peut se traduire par des réactions physiologiques telles que des frissons le long du corps et laisser ainsi une trace à long terme dans notre mémoire (Salimpoor et al., 2009). Décrite comme le « langage des émotions » (Kant E., 1848), la musique semble pouvoir être considérée comme un vecteur particulier ayant la capacité d’induire une expérience émotionnelle unique (Juslin & Västfjäll, 2008).
En cas de surdité sévère à profonde, le plaisir et la dimension sociale liés à l’écoute de la musique diminuent (Gfeller & Knutson, 2003) du fait de l’altération des capacités de perception des principaux attributs musicaux que sont le rythme, la mélodie et le timbre.
Selon une récente étude, un tiers des sujets candidats à l’implantation cochléaire désirent pouvoir bénéficier de la réhabilitation auditive avec l’implant pour pouvoir de nouveau écouter de la musique (Kohlberg et al., 2013). En effet, les patients implantés cochléaires considèrent que l’amélioration des capacités de perception de la musique pourrait améliorer leur qualité de vie de manière significative (Drennan and Rubinstein, 2008). Cependant, malgré les récentes évolutions technologiques en termes de processeurs vocaux et de stratégies de traitement du signal, l’amélioration des capacités de la parole dans le bruit et de la musique ainsi que du plaisir induit par la musique représentent toujours un défi particulièrement difficile à surmonter dans la prise en charge de la surdité (Brockmeier et al., 2011) avec d’importantes variations interindividuelles (Galvin et al., 2009).

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE 
PARTIE THÉORIQUE 
CHAPITRE 1 : L’IMPLANT COCHLEAIRE 
I. Principe
II. Indications
III. Stratégies de codage
III.1 Les stratégies temporelles
III.2 Les stratégies spectrales
III.3 Structure temporelle fine
IV. Bénéfices de l’implantation cochléaire
IV.1 Perception de la parole
IV.2 Perception de la voix
IV.3 Implant cochléaire et audition résiduelle controlatérale
V. Perception acoustique et implant cochléaire
V.1 Intensité
V.2 Durée
V.3 Hauteur tonale
V.4 Timbre
CHAPITRE 2 : LES CONCEPTS DE BASE DES EMOTIONS 
I. La perspective évolutionniste des émotions
II. Catégories et dimensions émotionnelles
III. Emotion et cognition
III.1 La théorie bifactorielle de Schachter & Singer (1962)
III.2 Le modèle d’intégration des voix et des visages (Belin & Campanella)
CHAPITRE 3 : CONSEQUENCES DE LA SURDITE SUR LA PERCEPTION ET LES EMOTIONS AUDITIVES
I. Perception des indices acoustiques
I.1 Sélectivité fréquentielle et intensité
I.2 Zones cochléaires inertes
I.3 Hauteur
I.4 Perception de la structure temporelle
II. Perception de la voix après implantation cochléaire
III. Perception et émotions musicales après implantation cochléaire
II.1 Perception musicale
II.1.1 Rythme
II .1.2 Mélodie
II .1.3 Timbre
II.2 Emotions musicales avec l’implant cochléaire
CHAPITRE 4 : CONSEQUENCES DE LA SURDITE SUR LE TRAITEMENT DES EMOTIONS FACIALES 
I. Surdité et émotions faciales
II. Avec l’implant cochléaire
BILAN DES OBJECTIFS 
PARTIE EXPÉRIMENTALE 
CHAPITRE 1 : RECONNAISSANCE DES CATEGORIES ET DES DIMENSIONS EMOTIONNELLES MUSICALES APRES IMPLANTATION COCHLEAIRE (ETUDE 1) 
CHAPITRE 2 : PERCEPTION DES EMOTIONS NON VERBALES DANS LES VOIX APRES IMPLANTATION COCHLEAIRE (ETUDE 2) 
CHAPITRE 3 : PERCEPTION DES EMOTIONS NON VERBALES DANS LES VISAGES AVANT ET APRES IMPLANTATION COCHLEAIRE (ETUDES 3 ET 4) 
I. Reconnaissance des expressions faciales dynamiques avant et après implantation cochléaire chez des adultes présentant une surdité évolutive (Etude 3)
II. Perception des émotions faciales chez des adultes présentant une surdité évolutive
évalués avant et après implantation cochléaire (Etude 4)
PARTIE DISCUSSION 
DISCUSSION GENERALE
CONCLUSION ET PERSPECTIVES

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