Conséquences biologiques de la présence d’adduits du platine sur l’ADN

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Stratégies originales faisant appel à des dérivés du platine

Devant la difficulté croissante d’identifier de nouveaux dérivés du platine efficaces, d’autres stratégies ont été expérimentées, faisant appel au couplage de l’un des dérivés ayant déjà fait ses preuves à d’autres molécules susceptibles d’en améliorer l’efficacité, ou à leur utilisation concomitante. De nombreuses molécules et méthodes ont déjà être décrites, et aucune d’entre elle n’a à l’heure actuelle franchi le stade des essais cliniques. Seuls quelques exemples significatifs de ces approches à fort potentiel vont être successivement présentés ici. Les avantages qu’ils possèdent sont de plusieurs natures : augmentation du taux de lésions de l’ADN ; utilisation de prodrogues ciblant certains tissus ; inhibition d’activités de détoxification ; ciblage de la mitochondrie ; potentialisation de la radiothérapie ; utilisation d’autres métaux de transition.
 Renforcement de la production de lésions de l’ADN
Des analogues fonctionnels Cu(3-Clip-Phen) de la bléomycine (glycopeptide induisant des cassures simple- et double-brin) possèdent la capacité de générer des cassures simple-brin mais pas de cassures double-brin, hautement cytotoxiques. Le couplage d’une espèce proche du cisplatine aux dérivés Cu(3-Clip-Phen) rend la molécule résultante capable de former des adduits semblables à ceux du cisplatine, ainsi que de linéariser des plasmides en conditions réductrices. Plusieurs versions de la molécule hybride ont été évaluées sur des lignées cellulaires cancéreuses, dont certaines présentaient des activités cytotoxiques et anti-migratoires intéressantes (inhibant le processus de colonisation qui se manifeste lors de l’installation de métastases) (Ozalp-Yaman et al., 2008).
 Utilisation de prodrogues ciblant les cellules tumorales (théorie du « cheval de Troie »)
Cette stratégie a pour objectif de concevoir des molécules de platine (IV) qui serviront de prodrogues, converties en molécules platine (II) actives uniquement après avoir atteint leur cible. Plusieurs exemples peuvent être cités. Ainsi, une équipe du laboratoire de Stephen Lippard a généré à partir d’un même précurseur plusieurs complexes platinés conjugués à l’œstradiol (Barnes et al., 2004). Ce concept découle d’une corrélation établie entre la sensibilité au cisplatine de cellules possédant des récepteurs à œstrogènes, et la surexpression par ces cellules de la protéine HMGB1 (He et al., 2000a). Celle-ci, on le verra dans la deuxième partie de cette analyse bibliographique, joue un rôle non négligeable dans la médiation de la toxicité du cisplatine. De ce fait, le triple but d’une telle molécule platinée hybride est de cibler certains types cellulaires (présence des récepteurs), puis délivrer lors de son hydrolyse à la fois une dose de cisplatine générant les adduits cytotoxiques et une dose de stéroïdes afin d’obtenir un effet physiologique recherché, ici la surexpression de la protéine HMGB1 (Figure 8).
 Inhibition d’activités de détoxification
Ce type d’approche peut par exemple mettre en œuvre un couplage [dérivé du platine-acide éthacrynique] (Ang et al., 2005). La molécule résultante libère lors de sa réduction in cellulo deux équivalents d’acide éthacrynique, un diurétique qui est aussi un inhibiteur d’enzymes de la famille de la gluthation-S-transférase (GST). Ces enzymes sont notamment impliquées dans la détoxification de xénobiotiques dans le cytoplasme par transfert sur ceux-ci d’une molécule de glutathion réduite, facilitant leur élimination. Les GST sont souvent surexprimées dans des lignées résistantes au cisplatine comme cela sera décrit plus loin. L’activité de plusieurs isozymes de la GST se trouve efficacement inhibée après exposition de cellules tumorales pulmonaires à l’éthacraplatine, confirmant l’intérêt d’une telle molécule. Des analyses par spectrométrie de masse montrent la formation de complexes GST-éthacraplatine ou GST-acide éthacrynique, qui inhibent ces enzymes.
 Ciblage de la mitochondrie
Plusieurs stratégies ont été imaginées pour cibler cette organelle, et nous n’en aborderons qu’une. La plupart des cellules composant les tumeurs solides, se trouvant dans un environnement hypoxique, se tournent vers la glycolyse en remplacement du cycle de Krebs afin de produire l’énergie nécessaire : c’est l’effet Warburg. L’utilisation de la glycolyse est associée à une diminution de la capacité apoptotique des cellules, notamment en empêchant la translocation du cytochrome C et du facteur pro-apoptotique (AIF) de la mitochondrie vers le cytoplasme. En conséquence, le métabolisme particulier qu’acquièrent les cellules tumorales contribue au processus de cancérisation. Le mitaplatine est une espèce hybride cisplatine-dichloroacétate (Dhar & Lippard, 2009) qui permet d’induire des dommages sur l’ADN mais aussi cibler spécifiquement les cellules cancéreuses en s’attaquant à leur activité métabolique particulière. Le dichloroacétate inhibe l’enzyme pyruvate déshydrogénase kinase (PDK). Le rôle de cette dernière est de désactiver la pyruvate déshydrogénase (PDH), qui en temps normal convertit pyruvate en acétyl-CoA et fait donc le lien entre glycolyse et cycle de Krebs. L’augmentation du potentiel membranaire de la mitochondrie résultant de l’afflux d’acétyl-CoA à l’intérieur de la mitochondrie cause l’ouverture des pores de transition, générant par là un efflux de cytochrome C et d’AIF. Le cytochrome C devient alors membre du complexe Apaf, activant grâce à sa sous-unité caspase-9 d’autres caspases et induisant la mort cellulaire (Cullen et al., 2007).
 Utilisation de nanovéhicules
Il s’agit de stratégies prometteuses, utilisant un vecteur pour améliorer la pénétration cellulaire, et si possible cibler les tumeurs. Pour illustration l’association du cisplatine avec des « nanocornes » de carbone (single-wall carbon nanohorns) fonctionnalisées permet une amélioration de la pénétration cellulaire, une administration localisée et prolongée du médicament et un pouvoir antinéoplasique accru sur des cellules humaines de cancer bronchique non à petites cellules implantées à des souris immunodéficientes (nude) (Ajima et al., 2008). Un véhicule plus spécialisé a été conçu en fonctionnalisant des nanoparticules poreuses Fe3O4 à l’aide du trastuzumab, un anticorps monoclonal IgG1 humanisé. Après stockage à l’intérieur de la particule (Figure 9), le cisplatine peut être spécifiquement délivré au sein de cellules exprimant le récepteur pour les facteurs de croissance épidermaux humains 2 (HER2) reconnu par l’anticorps, et initier une cytotoxicité supérieure à celle du cisplatine (Cheng et al., 2009).
 Potentialisation de la radiothérapie
L’efficacité de la radiothérapie pour traiter certains types de tumeurs passe par la formation de lésions sur l’ADN (cassures) grâce à un dépôt d’énergie localisé ainsi que par la formation d’espèces réactives de l’oxygène (reactive oxigen species, ROS) qui vont à leur tour endommager l’ADN. Il est établi depuis plusieurs années que la présence d’adduits du platine augmente les effets de la radiothérapie par une inhibition de la réparation des lésions qu’elle génère ainsi que par la production de lésions secondaires par conversion des cassures simple-brin en cassures double-brin (Amorino et al., 1999). Afin d’ajouter à cet effet, des nanoparticules d’or peuvent également être employées en combinaison avec le cisplatine et la radiothérapie. La cause de ce phénomène serait l’émission d’électrons secondaires de basse énergie, favorisée par le platine et l’or, qui induit un dépôt de dose local très important. À doses cliniquement pertinentes, et sur des films secs d’ADN plasmidique, la présence de nanoparticules d’or près du site de platination augmente le nombre de cassures double-brin par un facteur de plus de sept par rapport à l’ADN seul, et de plus de trois par rapport à l’ADN platiné (Zheng & Sanche, 2009).
 Utilisation d’autres métaux de transition
Le succès des dérivés du platine a aussi amené la communauté scientifique à s’intéresser au potentiel d’autres métaux pour la production de molécules thérapeutiques. C’est surtout le cas du ruthénium, qui forme des complexes stables et permet dans certains cas d’atteindre préférentiellement les tumeurs. Ainsi, elles peuvent être ciblées par des complexes de ruthénium (III) qui seront réduits et activés par les conditions réductrices de ce type de tissu. De plus, ces complexes peuvent être aussi captés par le transporteur du fer transferrine, dont le récepteur se trouve surexprimé chez les cellules possédant une forte activité de division et nécessitant donc un plus grand apport en fer (Sanchez-Cano & Hannon, 2009; Antonarakis & Emadi, 2010). Deux dérivés se trouvent actuellement en phase d’essais cliniques. Le premier, KP1019, s’associe à la transferrine pour atteindre les cellules cancéreuses puis interférer avec la chaîne de transport des électrons au sein de la mitochondrie, mais aussi cibler l’ADN. Il possède une activité intéressante contre le cancer colorectal. Le second, NAMI-A, agit d’une toute autre manière puisqu’il démontre des effets anti-angiogéniques et anti-invasifs, tout en étant peu efficace sur la tumeur primaire. Des complexes de titane (Oberschmidt et al., 2007) et de gallium (Rudnev et al., 2006) sont aussi, à l’heure actuelle, en cours d’essais cliniques.
Les dérivés du platine représentent donc une classe majeure d’anticancéreux utilisée pour le traitement de tumeurs très variées. Les efforts de recherche liés à cette classe ont connu un essoufflement suite au peu de succès rencontré dans la mise sur le marché de nouvelles molécules. Malgré tout, un regain d’intérêt se manifeste aujourd’hui, notamment grâce aux progrès réalisés dans la compréhension des paramètres cytotoxiques des dérivés platinés et des résistances tumorales. Preuve de cette attention constante de la communauté scientifique, un symposium international sur les composés coordonnés du platine pour les chimiothérapies anticancéreuses (International Symposium on Platinum Coordination Compounds in Cancer Chemotherapy) se tient périodiquement afin de faire un point complet sur les différents aspects de la synthèse et de l’utilisation de ces médicaments (Muggia, 2009). Nous allons maintenant voir plus en détail les aspects pharmacologiques de l’utilisation des dérivés du platine (cytotoxicité, résistances), en décrivant les mécanismes chimiques et biologiques sous-jacents.

Données pharmacologiques sur les dérivés du platine

Il est possible de décomposer le mode d’action des dérivés du platine en cinq grandes étapes : administration systémique ; accumulation active et passive à l’intérieur de la cellule ; activation du complexe platiné ; entrée dans le noyau et réaction avec certaines bases de l’ADN pour former des adduits ; élicitation d’une réponse cellulaire à ces dommages. Les paramètres et acteurs de chacun de ces mécanismes vont être abordés dans les paragraphes qui suivent.

Données pharmacocinétiques

Le cisplatine, le carboplatine et l’oxaliplatine sont administrés par voies intraveineuse ou intrapéritonéale. Suite à l’injection dans le système circulatoire, ils ont accès à l’ensemble des tissus. La demi-vie du cisplatine plasmatique (total) est longue, de deux à huit jours (données AFSSAPS), et la clairance rénale importante. Cependant, la demi-vie du cisplatine ultrafiltrable (non associé à des macromolécules) dans l’organisme est courte, de l’ordre de 30min, en raison de sa forte réactivité avec les protéines : il se fixe tout d’abord (lors des deux premières heures après injection) à des protéines de bas poids moléculaire (< 25kDa) contenants des groupements sulfhydryle, telles que complexes du glutathion et surtout protéines riches en L-méthionine. Par la suite, ce sont les protéines de plus haut poids moléculaire, albumine, globulines et transferrine, qui sont atteintes, alors que la fixation aux protéines à groupement sulfhydryle n’est plus détectable. Lors de cycles de chimiothérapies, il s’accumule rapidement dans les tissus et n’atteint un équilibre plasmatique qu’au bout de plusieurs injections. La demi-vie du carboplatine total est équivalente (cinq jours). Peu réactif avec les protéines plasmatiques (il se lie uniquement à de petites protéines possédant des groupements thiol), le carboplatine est rapidement éliminé (95% avant la 25ème heure post-injection). L’oxaliplatine, enfin, présente une demi-vie dans l’organisme égale à celle du carboplatine et possède un spectre de liaison aux protéines plasmatiques très similaire à celui du cisplatine. Il voit sa concentration d’équilibre atteinte dès le premier cycle du traitement. Très peu de temps (02h00) après le début de l’injection, l’ensemble de la forme ultrafiltrable a disparu et 85% du platine se retrouve déjà distribué dans les tissus. L’oxaliplatine ne paraît pas s’accumuler d’un cycle à l’autre lors d’un programme de traitement chimiothérapeutique (Boisdron-Celle et al., 2001).
Une méthode très sensible telle que la spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif (inductively coupled plasma mass spectrometry, ICP-MS) permet de déceler la présence de platine dans le plasma jusqu’à trois semaines après injection de cisplatine ou d’oxaliplatine. Le cisplatine et surtout l’oxaliplatine, mais pas le carboplatine, s’avèrent capables de s’accumuler dans les érythrocytes, par fixation covalente sur l’hémoglobine (Boisdron-Celle et al., 2001). Les dérivés du platine ne sont pas métabolisés par le foie et leur élimination passe principalement par la voie rénale, ce qui explique en partie leur toxicité pour ce tissu.

Pénétration à l’intérieur de la cellule

La propriété majeure autorisant la molécule à toucher une cible difficile d’accès telle que l’ADN est sa haute stabilité, due à une capacité d’échange de ligands réduite, à l’inverse d’autres complexes de coordination (Bloemink & Reedijk, 1996). Le cisplatine a donc le temps de subir les processus de transport successifs qui le mèneront jusqu’au noyau. Son passage à travers la membrane cellulaire est encore aujourd’hui l’objet d’un débat. Le cisplatine, le carboplatine et l’oxaliplatine sont des molécules hautement polaires, qui ne passent pas aisément à travers la membrane plasmique. Cependant des arguments expérimentaux penchaient en faveur d’une diffusion passive, notamment car l’entrée du cisplatine n’est ni saturable (Hromas et al., 1987; Binks & Dobrota, 1990) ni inhibée par la présence d’analogues structuraux (Gately & Howell, 1993). Un certain nombre de travau 28
plus récents suggèrent maintenant un rôle pour des transporteurs spécialisés dans l’internalisation des dérivés du platine.
Il s’agit surtout du transporteur du cuivre copper transporter receptor 1 (CTR1) (Howell et al., 2010). L’homéostasie du cuivre est un processus important qui permet à la fois d’assurer la présence de ce métal (cofacteur pour de nombreuses enzymes) dans la cellule mais aussi de la protéger contre ses effets nocifs (production de radicaux libres par réaction avec l’oxygène moléculaire ou le peroxyde d’hydrogène).
CTR1 est le principal (mais non le seul) transporteur responsable du passage du cuivre à travers la membrane. L’absence de CTR1 rend levures et cellules de mammifères résistantes à des concentrations élevées de cuivre, cisplatine, carboplatine et oxaliplatine, alors que sa surexpression produit l’effet inverse pour ces mêmes composés métalliques. L’étude de tumeurs et lignées cancéreuses a cependant mis à jour bien peu de cas où CTR1 se trouve sous-exprimé. Une hypothèse vient fournir une explication à ce phénomène : l’absence de glycosylation en T27 de CTR1 inactive la protéine par protéolyse de la partie N-terminale, mais permet à celle-ci de rester en place au sein de la membrane. Plusieurs types cellulaires résistants au platine présentent une voie de glycosylation défectueuse, et la transfection de telles cellules avec un gène de CTR1 intact produit une protéine de taille inférieure à la normale qui ne permet pas d’abolir la résistance au cisplatine (Howell et al., 2010).
CTR1 se trouve aussi modulé par le cisplatine : l’exposition de cellules de cancer de l’ovaire humaines à cet agent engendre une rapide élimination de CTR1 par macropinocytose, un mécanisme empêché par les inhibiteurs du protéasome bortezomib et lactacystine ; la protéine se trouve aussi polyubiquitinylée suite à exposition au cisplatine et au bortezomib, et se trouve ainsi adressée pour dégradation. Le mécanisme exact de transport du cisplatine à travers CTR1 est envisagé de la façon suivante (Figure 10) : un empilement de structures en forme de cercle riches en méthionine (côté extracellulaire) permettrait le transfert séquentiel du cuivre Cu+, et donc potentiellement du cisplatine, d’un cercle à l’autre par transchélation jusqu’à un dernier cercle riche en cystéine à l’extrémité cytoplasmique du transporteur. Ce mode de passage s’explique par le fait que l’ion Cu+ et le cisplatine, acides faibles, sont capables de former des interactions faibles avec les acides aminés soufrés (Howell et al., 2010).
Remarquons enfin que si CTR1 contribue à l’accumulation intracellulaire du cisplatine, du carboplatine et de l’oxaliplatine, il paraît également exister pour ce dernier dérivé d’autres mécanismes car son entrée est moins affectée par la suppression de l’expression de CTR1 (Holzer et al., 2006).
En revanche, nous avons déjà évoqué plus haut, dans le cas de l’oxaliplatine, le rôle d’autres transporteurs qui tendent à favoriser l’entrée du dérivé dans la cellule (Zhang et al., 2006). La transfection de cellules rénales avec des plasmides portant les gènes des transporteurs SLC22A1 et SLC22A2 confère des sensibilités 8 et 74 fois plus importantes, respectivement, pour l’oxaliplatine alors que la sensibilité au cisplatine et au carboplatine n’est pas significativement modifiée. C’est le ligand non labile organique présent sur l’oxaliplatine mais pas sur le cisplatine et le carboplatine après activation, qui permettrait l’interaction avec ces deux transporteurs. SLC22A1, et dans une moindre mesure SLC22A2, ont été détectés au sein de lignées cellulaires issues de cancers du colon, suggérant leur rôle actif dans la médiation de la toxicité de l’oxaliplatine dans ces tissus particuliers. La variabilité de sensibilité pourrait d’ailleurs être liée à la variation d’expression de SLC22A2, mais sa faible présence au sein d’échantillons de tumeurs ovariennes sensibles ne permet pas de corréler son influence aux effets cliniques généralement observés pour ces tissus (Burger et al., 2010).

Activation intra-cytoplasmique

Le cheminement du dérivé du platine de l’extérieur de la cellule vers le noyau est présenté sur la Figure 11. Une fois parvenus dans le cytoplasme, les dérivés du platine doivent être activés pour agir sur leur cible privilégiée. Dans le cas du cisplatine, les ions chlorure sont remplacés en solution par des molécules d’eau. C’est ce qui se passe à l’intérieur de la cellule où la concentration en ions chlorure est plus basse ([Cl-] = 2-30mM). Cette aquation n’est pas possible dans les fluides extracellulaires (par exemple dans le sang) où la concentration en ions chlorure est plus élevée ([Cl-] ≈ 100mM). Il se produit une activation analogue pour les autres dérivés, dont les substituants labiles sont également remplacés par des molécules d’eau. Les groupements aqua du cation nouvellement formé sont bien plus réactifs à l’encontre des groupes nucléophiles de macromolécules (ADN, ARN, protéines). En conséquence, 75 à 85% des molécules de cisplatine pénétrant dans une cellule réagissent directement avec les protéines (Fuertes et al., 2003) puis 14 à 24% avec d’autres biomolécules, dans le cytoplasme ou au sein du noyau. Au final, seulement 1% du cisplatine est capable d’atteindre l’ADN génomique (Arnesano & Natile, 2009). Bien qu’à doses pharmacologiques, son association avec l’ARN ou les protéines intracellulaires ne paraît pas capable d’inactiver directement ces molécules, il faut malgré tout garder à l’esprit que les effets du cisplatine sur d’autres molécules que l’ADN ont été à ce jour assez peu étudiés et qu’une modulation de sa cytotoxicité via ces cibles n’est pas à exclure.

Formation d’adduits sur l’ADN génomique

L’identité du phénomène principal responsable de l’activité cytotoxique des dérivés du platine a longtemps fait débat. Il est cependant aujourd’hui admis que ce sont ces adduits à l’ADN qui en sont la cause majeure, en agissant de façon négative sur les processus normaux de réplication et transcription comme nous allons le voir. Après l’étape initiale d’activation, le cisplatine forme dans un second temps des adduits monofonctionnels avec l’azote 7 du cycle imidazole des guanines ou adénines (dans une moindre mesure pour ces dernières) accessibles à l’intérieur du grand sillon (Figure 11, encadré rouge). Enfin, plus de 90% de ces adduits réagissent de nouveau afin de former des adduits bifonctionnels. Dans le cas du cisplatine, les temps observés in vitro pour chacune de ces trois étapes sont, respectivement : t1/2 = 1,9h ; t1/2 = 0,1h ; t1/2 = 2,1h (Bancroft et al., 1990). On constate ainsi que l’étape de remplacement des ions chlorure est limitante par rapport à celle de formation de l’adduit à proprement parler. Le carboplatine, l’oxaliplatine et le satraplatine suivent des schémas réactionnels identiques. Les liaisons générées entre les bases sont irréversibles. Les adduits bifonctionnels résultants comprennent différents types de liaisons intra- ou interbrin qui perturbent la structure tridimensionnelle de l’ADN en causant courbure et torsion de la double hélice.
Il est important de noter que la formation des lésions du platine dépend de l’accessibilité de l’ADN, autrement dit de son état de compactage au sein du nucléosome et, plus largement, de la chromatine. Une forme plus ouverte, et donc plus accessible, favorise la fixation d’agents platinants, ce qui est d’ailleurs illustré par leur préférence pour l’ADN de liaison internucléosomal.

Proportions des différentes lésions de l’ADN

Sept années après la mise sur le marché de la molécule, les différentes formes d’adduits du cisplatine sur l’ADN étaient identifiées (Fichtinger-Schepman et al., 1985). Les proportions relatives de ces adduits sont indiquées dans le Tableau 2. La lésion la plus courante induite in vivo par le cisplatine, et aussi la plus étudiée, est l’adduit intrabrin 1,2-d(GpG)-[Pt(NH3)2]2+, représentant environ deux tiers du total des adduits constatés (voir Tableau 2). Le carboplatine forme les mêmes adduits que le cisplatine, mais dans des proportions différentes. L’oxaliplatine, quant à lui, forme aussi les mêmes adduits mais là encore dans des proportions très différentes, y compris en fonction des types cellulaires (Hah et al., 2010). Il semble que pour ce dérivé les monoadduits soient légèrement majoritaires par rapport aux autres espèces (voir Tableau 2). Le JM118 (métabolite actif du satraplatine), enfin, génère majoritairement des pontages entre deux guanines adjacentes. Comme cela a été indiqué précédemment, du fait de la structure asymétrique de la molécule, les adduits formés par ce dérivé possèdent une isomérie d’orientation, le ligand cyclohexylamine étant dirigé soit vers l’extrémité 5’ soit vers l’extrémité 3’. Il semble que, dans l’ADN double brin, le rendement penche en faveur de l’orientation 3’ pour un ratio proche de 2:1. En effet, la présence du phosphate en 5’ autorise la formation d’une liaison hydrogène avec le ligand amine, entraînant la formation préférentielle de cet adduit. Une plus faible quantité d’adduits 1,2-d(ApG) est également formée en comparaison avec le cisplatine, alors que la lésion 1,3-d(GpG) est au contraire plus présente (Hartwig & Lippard, 1992).

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Table des matières

ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE
I. LES AGENTS ANTICANCÉREUX DÉRIVÉS DU PLATINE
A) Généralités sur les principaux dérivés du platine
1. Le cisplatine, complexe coordonné du platine historique
2. Autres exemples de dérivés du cisplatine
 Carboplatine ou cis-1,1-cyclobutane-dicarboxylato-diamine-platine (II)
 Oxaliplatine ou cyclohexane-1,2-diamine-éthanedioate-platine (II)
 Satraplatine ou bis-acétato-amine-dichloro-(cyclohexylamine) platine (IV) ou JM216
 Nedaplatine ou cis-diamine-glycolatoplatine (II)
3. Stratégies originales faisant appel à des dérivés du platine
 Renforcement de la production de lésions de l’ADN
 Utilisation de prodrogues ciblant les cellules tumorales (théorie du « cheval de Troie »)
 Inhibition d’activités de détoxification
 Ciblage de la mitochondrie
 Utilisation de nanovéhicules
 Potentialisation de la radiothérapie
 Utilisation d’autres métaux de transition
B) Données pharmacologiques sur les dérivés du platine
1. Données pharmacocinétiques
2. Pénétration à l’intérieur de la cellule
3. Activation intra-cytoplasmique
4. Formation d’adduits sur l’ADN génomique
5. Proportions des différentes lésions de l’ADN
6. Répercussions des lésions sur la structure de l’ADN
7. Cytotoxicité des différents types de lésions
C) Conséquences biologiques de la présence d’adduits du platine sur l’ADN
1. Conséquences directes
 Influence sur la transcription
 Influence sur la réplication
2. Réparation des lésions
 Cas de la voie NER
 Cas du MMR
3. Induction de l’apoptose
 Voie intrinsèque
 Voie extrinsèque
 Ciblage direct de la mitochondrie
D) Bases moléculaires de la résistance aux dérivés du platine
1. Mécanismes empêchant les dérivés du platine d’atteindre l’ADN
 Entrée du dérivé à l’intérieur de la cellule
 Inactivation du dérivé par des agents intracellulaires
2. Mécanismes intervenant après la formation des lésions
 Réparation accrue des dérivés du platine
 Évasion apoptotique
II. INTERACTION DES ADDUITS PLATINÉS AVEC DES PARTENAIRES PROTÉIQUES
A) Interaction avec les protéines de réparation
1. Interactions avec les protéines de la voie NER
 XPC-HR23B
 UV-DDB
 RPA et XPA
2. Interactions avec les protéines de la voie MMR
3. Interaction avec les protéines de réparation des cassures simple-brin
4. Interactions avec les protéines de la réparation des cassures double-brin
B) Autres acteurs de la reconnaissance des lésions platinées
1. Le facteur de transcription p53
2. Protéines à boîtes HMG
 HMGB1
 hUBF
 SSRP1
 LEF-1
 SRY
3. Histone H1
4. TBP
5. YB-1
III. MÉTHODES D’ÉTUDE DES INTERACTIONS ENTRE ADN LÉSÉ ET PROTÉINES
A) Caractérisation d’une interaction simple : une protéine/une lésion
1. Retard sur gel (EMSA)
2. Autres techniques faisant appel à de l’ADN en phase homogène
3. Techniques faisant appel à de l’ADN immobilisé (analyses en phase hétérogène)
 Résonance des plasmons de surface (SPR)
B) Identification d’un interactome
1. Ligand fishing : principe et exemples
2. Ligand fishing : améliorations récentes
3. Puces à protéines
PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS DE LA THÈSE
DÉTERMINATION DE L’INTERACTOME DES ADDUITS DU PLATINE
I. MATÉRIEL & MÉTHODES
A) Construction et utilisation du système de ligand fishing
1. Principe général
2. Protocoles détaillés
 Production du plasmide
 Linéarisation du plasmide
 Marquage du plasmide à l’aide de dATP biotinylé
 Introduction des lésions platinées
 Fixation des sondes sur les billes
 Ligand fishing
B) Analyse des protéines
1. Coloration au nitrate d’argent
2. Immunodétection (Western blotting)
3. Protéomique
 Principe général
 Protocole détaillé
B) Quantification des lésions de l’ADN
1. Principe général
2. Protocole détaillé
 Préparation des standards de lésions platinées
 Préparation de l’ADN pour le dosage des lésions
 Dosage des adduits
II. RÉSULTATS
A) Optimisations du système de ligand fishing
1. Préparation des sondes plasmidiques
 Influence du DMSO
 Optimisation de la concentration et de la durée d’exposition aux agents platinés
 Agrégation des billes
2. Tests de capture de protéines choisies
3. Évaluation de deux méthodes de relargage des protéines piégées
4. Test préliminaire utilisant le mode de relargage total des protéines
B) Détermination de l’interactome des lésions platinées
III. DISCUSSION
A) Considérations sur le protocole de piégeage des protéines
1. Structure de la sonde et nature des lésions
2. Exhaustivité de la liste de protéines identifiées
3. Limitation des protéines non pertinentes
4. Aspect quantitatif
5. Bilan
B) L’interactome des lésions platinées : protéines connues et candidats originaux
1. Membres de l’interactome déjà connus
2. Nouveaux membres de l’interactome
 Le complexe PTW/PP
 TRF2 et RIF1, protéines télomériques
 Facteurs du remodelage de la chromatine
 MDC1
 ARF6
VALIDATION DES CAPACITÉS D’INTERACTION DE TOX4 PAR SPRI
I. MATÉRIEL ET MÉTHODES
A) Description générale du dispositif
1. La biopuce SPRi
2. Dispositif expérimental
B) Protocoles détaillés
1. Prismes
2. Synthèse des séquences sondes et cibles
3. Platination des cibles
4. Dépôt des sondes sur le prisme par électropolymérisation
5. Analyse SPRi
6. Régénération totale de la biopuce
II. RÉSULTATS
A) Optimisation des paramètres expérimentaux
1. Favoriser l’hybridation des sondes
2. Analyse de l’interaction sondes/protéine
B) Vérification de l’interaction d’HMGB1 avec les trois types d’adduits
C) Évaluation des capacités de fixation de TOX4 sur les adduits platinés
III. DISCUSSION
A) Remarques générales sur la technique
1. Reproductibilité des interactions
2. Détermination des paramètres cinétiques de l’interaction
3. Utilisation de protéines recombinantes
B) Remarques générales sur les interactions observées
1. Affinité d’HMGB1 pour les sondes platinées
2. Affinité de TOX4 pour les sondes platinées
ÉTUDE DE LA PROTÉINE DDB2 EN TANT QUE MEMBRE DE L’INTERACTOME DES ADDUITS DU CISPLATINE
I. MATÉRIEL ET MÉTHODES
A) Principe général et stratégie expérimentale
B) Cultures des lignées et tests de cytotoxicité
1. Lignées cellulaires
2. Test de viabilité MTT
 Après exposition UVB
 Après exposition aux dérivés du platine
C) Ligand fishing et protéomique
1. Démarche expérimentale
2. Exposition des lignées cellulaires au cisplatine
3. Extraction des protéines nucléaires
4. Préparation des sondes plasmidiques UV
5. Capture et analyse des protéines
D) SPRi
E) Mesure des capacités de réparation après un stress génotoxique
1. Principe général
2. Exposition des cellules au rayonnement UVB
3. Extraction de l’ADN cellulaire
4. Quantification des lésions UV
5. Traitement au cisplatine
F) Mesure de l’expression de gènes
1. Culture des cellules
 Stress UVB
 Traitement au cisplatine
2. Extraction de l’ARN total
3. Rétrotranscription
4. PCR quantitative
 Test des amorces
 Validation du gène de ménage
 Mesure de l’expression de gènes d’intérêt
II. RÉSULTATS
A) Vérification de l’expression de DDB2 et sensibilité des lignées aux trois dérivés du platine
B) Détermination de l’interactome des lésions UV et cisplatine à partir des extraits MDA MB 231 MC et DDB2+
1. Détermination préalable de la sensibilité des lignées au trois dérivés du platine
2. Mise au point des sondes plasmidiques UV
3. Évaluation préalable par immunodétection de l’interaction de DDB2 avec les sondes plasmidiques
4. Interactome des adduits du cisplatine
5. Interactome des photoproduits UV
C) Vérification par SPRi de l’affinité de DDB2 pour les lésions des dérivés du platine
D) Évaluation des capacités de réparation des adduits de l’ADN selon le statut DDB2
1. Détermination de la dose d’exposition aux UV par test de cytotoxicité
2. Mesure de la cinétique de réparation des adduits
3. Réparation des photoproduits UVB
4. Réparation des adduits majoritaires du cisplatine
5. Suivi de l’expression de DDB2 au cours du temps
III. DISCUSSION
A) Tests de ligand fishing effectués à partir des extraits MDA MB 231
1. Interactome des lésions du cisplatine
 Complexe PTW/PP
 TFAM
 DDB2
 TRF2
2. Interactome des lésions engendrées par le rayonnement UV
B) Cinétique de réparation des lésions
1. Réparation des photoproduits
2. Réparation des pontages générés par le cisplatine
C) Cinétique d’expression de DDB2 suite aux traitements génotoxiques
D) Réponse de nos modèles cellulaires aux tests de cytotoxicité
CONCLUSIONS & PERSPECTIVES
ANNEXES
Annexe 1 : Figures supplémentaires
Annexe 2 : Liste des communications et publications
BIBLIOGRAPHIE

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