CONNAISSANCES ET PRATIQUES DES PATIENTS ATTEINTS DE CANCER DU FOIE

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Opisthorchis viverrini

Deux types de parasites (Clonorchis sinensis et Opisthorchis viverrini) sont responsables de l’apparition du cholangiocarcinome en Asie. Alors que Clonorchis sinensis est endémique à la Chine du sud, la Corée et le Vietnam du nord, Opisthorchis viverrini est endémique au Cambodge, au Laos, à la Thaïlande et à la région centrale du Vietnam (Sithithaworn et al. 2012; Sripa et al. 2007). Selon le Centre International de Recherche contre le Cancer (CIRC), 6 millions de personnes sont infectées par ce parasite en Thaïlande, 2 millions au Laos et 600 000 au Cambodge (Figure 4) (IARC Working Group 2012). Ainsi, la région la plus touchée par l’infection à Opisthorchis viverrini est le Nord-Est de la Thaïlande et en particulier la région de Khon Kaen, où de nombreuses études épidémiologiques ont permis de mettre en évidence le lien entre l’infection à ce parasite et la survenue du cholangiocarcinome (Sripa et al. 2011).
Le mode de contamination par le parasite Opisthorchis viverrini se fait par l’ingestion de poissons crus de la famille des Cyprinidae, vivant en eau douce. Le cycle biologique du parasite comporte plusieurs étapes : (1) les œufs du parasite sont rejetés par l’homme dans ses excréments, (2) ils sont ensuite ingérés par un gastéropode du genre Bythinia sp. qui permet au parasite de passer sous forme larvaire , (3) ces cercaires sont relargués dans l’eau par le mollusque, puis pénètrent et s’enkystent dans les muscles des poissons pour devenir des métacercaires, (4) lorsque le poisson est ingéré par l’homme, ces métacercaires prennent leur forme adulte et s’établissent dans les voies biliaires (Sripa et al. 2011).
Les habitudes alimentaires des populations locales, avec notamment la préparation de plats à base de poisson cru appelé « koi-pla » en Thailande et au Laos, ou « pra-hok » au Cambodge, sont la cause principale de la contamination humaine par ce parasite (Grundy-Warr et al. 2012; Sripa et al. 2007).
Ces facteurs de risque (VHB, VHB, Opisthorchis viverrini) jouant un rôle majeur dans l’apparition des cancers du foie en Asie, la lutte contre ces agents infectieux constitue un élément essentiel dans la prévention de la maladie. Ainsi, la vaccination contre l’hépatite B, les campagnes antiparasitaires et les programmes d’éducation sur les pratiques à risque sont à la base des recommandations internationales (Shin et al. 2010; Srivatanakul, Sriplung, and Deerasamee 2004).

Pathogénèse du cancer du foie

L’hépatocarcinogenèse est un processus multifactoriel et séquentiel qui fait intervenir différents mécanismes selon le type de facteur de risque impliqué (VHB, VHC, aflatoxine, alcool) (Figure 5). Ainsi, le virus de l’hépatite B induit le développement du carcinome hépatocellulaire par l’intermédiaire de voies directes et indirectes, puisqu’il est capable d’intégrer le génome de la cellule hôte et donc d’agir sur la croissance et la signalisation des cellules. Par contre, le virus de l’hépatite C n’intègre pas le génome de la cellule hôte et agit donc principalement d’une manière indirecte, en induisant une inflammation chronique, ainsi qu’une prolifération et une mort cellulaire (But, Lai, and Yuen 2008).
Certaines voies et processus en cause dans la pathogénèse du cancer du foie sont communs aux divers facteurs de risque (Farazi and DePinho 2006). On peut citer notamment l’inactivation du gène p53, faisant partie de la famille des gènes suppresseurs de tumeur (Hussain et al. 2007), ainsi que l’inflammation chronique, le stress oxydatif et les cycles continus de nécrose et de régénération (Bartsch and Nair 2006; Farazi and DePinho 2006).
L’ensemble contribue à l’apparition de foyers d’hépatocytes dysplasiques, devenant ensuite des nodules identifiables à l’imagerie, qui peuvent eux-mêmes dégénérer en carcinome hépatocellulaire si les altérations génétiques sont suffisamment importantes pour entrainer la transformation et l’immortalisation de ces cellules hépatiques (Farazi and DePinho 2006).
Dans le cas du cholangiocarcinome, moins de données sont disponibles sur la pathogénèse de la maladie. Cependant, des facteurs communs à la genèse du carcinome hépatocellulaire ont été mis en évidence, tel que l’importance de l’inflammation (Palmer and Patel 2012). La cholangiocarcinogenèse, induite par l’infection avec le parasite Opisthorchis viverrini, repose sur ce processus inflammatoire chronique dont on peut distinguer trois éléments importants : les dommages mécaniques causés par l’activité de succion du parasite, les molécules secrétées par le parasite, et un processus immunopathologique spécifique (Sripa et al. 2007).

Dépistage et diagnostic

Dans la majorité des cas, les patients souffrant d’un CHC ne présentent pas de signes cliniques de la maladie. L’identification des populations à risque de développer la maladie et leur dépistage est donc d’une grande importance dans la prise en charge de la pathologie (Yu et al. 1997).
D’après (El-Serag et al. 2008), le dépistage du CHC est recommandé chez :
• les patients porteurs d’une infection chronique au virus de l’hépatite B et : -de race asiatique et d’un âge supérieur à 40ans
-de race africaine et d’un âge supérieur à 20 ans
-ayant une cirrhose avérée
-ayant une histoire familiale de CHC.
• les patients atteints d’infection chronique à l’hépatite C, de cirrhose alcoolique, d’hémochromatose génétique, de cirrhose biliaire primitive, de déficit en alpha1 antitrypsine, de stéatose hépatique non alcoolique, ou d’hépatite auto-immune.
Les tests de dépistage les plus utilisés sont l’image échographique par la technique d’ultrasonographie (US) pour la recherche de nodules et la mesure du taux sérique d’alpha-fœtoprotéine (AFP). Cette dernière méthode étant peu spécifique et peu sensible, une fréquence de surveillance tous les 6 mois par la technique des ultrasons est donc recommandée (Collier and Sherman 1998; European Association for Study of Liver and European Organisation for Research and Treatment of Cancer 2012).
Le diagnostic du CHC est principalement basé sur les techniques d’imagerie (tomodensitométrie [ou CT scan] et imagerie par résonance magnétique [IRM]) et la biopsie hépatique (Bruix and Sherman 2011). Les techniques d’imagerie médicale permettent de détecter la présence de nodules hépatiques et de déterminer leur taille. En fonction de ces résultats, d’autres méthodes de diagnostic sont à employer afin de confirmer ou non la présence d’un CHC. Selon les auteurs, la taille de nodule à considérer dans les algorithmes de décision varie de 1 à 2 cm (Bruix, Reig, and Sherman 2016; Bruix and Sherman 2011; El-Serag et al. 2008). Dans l’exemple d’algorithme donné (Figure 6), la détection d’un nodule inférieur à 1 cm doit être suivi par la réalisation d’échographie à intervalle régulier, alors que la détection d’un nodule de taille supérieur à 1 cm nécessite la réalisation d’examens complémentaires afin de confirmer le CHC.
De même que dans le cas du carcinome hépatocellulaire, le diagnostic du cholangiocarcinome se base principalement sur les techniques d’imagerie (tomodensitométrie [CT scan], imagerie par résonance magnétique [IRM] ou cholangiographie par résonance magnétique [Bili-IRM]). Bien que n’ayant pas prouvé son efficacité, le dépistage peut se réaliser chez les patients atteints de cholangite sclérosante primitive en recherchant la présence de nodules par des examens d’imagerie et en dosant les marqueurs tumoraux (CA 19-9, CA-125) (Khan et al. 2012).
Malheureusement, dans les pays en voie de développement et en particulier au Cambodge et au Laos, le dépistage est quasi-inexistant et le diagnostic se fait à des stades déjà avancés de la maladie (Eav et al. 2012).

Traitements

Traitement du carcinome hépatocellulaire

Différents types de traitements existent pour prendre en charge le patient atteint de carcinome hépatocellulaire. Le type de traitement à utiliser va dépendre de l’état du foie non tumoral, de la taille et de l’extension de la tumeur, et de l’état général du patient. L’âge et l’espérance de vie attendue suite au traitement doivent également être pris en compte dans la décision thérapeutique.
La classification BCLC (Barcelona Clinic Liver Cancer) sert de référence internationale pour aider les praticiens à décider du type de traitement à adopter en fonction de la présentation clinique du cancer du foie (Figure 7). Cependant, cette classification est remise en cause dans son application « sur le terrain » par plusieurs chirurgiens en Europe, notamment en Italie, et en Asie, en Chine et en Corée. Une étude récente menée au Pérou suggère que cet arbre décisionnel pourrait ne pas être adapté à toutes les populations de patients atteintes de cancer du foie, notamment celle dans les pays en voie de développement, et devrait être contextualisée en fonction des observations cliniques faites parmi les populations (Ruiz et al. 2016).
Les méthodes de traitement à visée curative comprennent la transplantation hépatique, la résection hépatique (ou hépatectomie), et la destruction percutanée. Elles sont principalement indiquées pour les malades atteints de tumeur à taille limitée (Befeler and Bisceglie 2002).
La transplantation hépatique constitue la méthode de choix dans le traitement du carcinome hépatocellulaire, car elle agit sur la tumeur et sa cause. Malheureusement, la pénurie en greffons hépatiques impose une sélection stricte des patients pouvant y accéder.
La résection hépatique consiste à enlever chirurgicalement la portion de foie cancéreuse.
Elle constitue le traitement de référence des patients sans cirrhose et sans foyers métastasiques.
La destruction percutanée, méthode simple et bien tolérée, est une alternative à la chirurgie. Elle consiste à introduire une aiguille dans la tumeur et à y appliquer un courant électrique interne (par radiofréquence) afin de permettre sa nécrose thermique (Befeler and Bisceglie 2002).
Les méthodes de traitement à visée palliative comprennent la chimio-embolisation artérielle et les traitements médicamenteux (traitements symptomatiques, thérapies ciblées). Elles sont principalement indiquées pour les patients atteints d’un carcinome hépatocellulaire à un stade intermédiaire ou avancé.
La chimio-embolisation artérielle associe une chimiothérapie intra-artérielle (anthracycline ou sel de platine) administrée dans les artères nourricières du processus tumoral, et une embolisation permettant d’obstruer temporairement l’artère hépatique. Il en résulte une concentration du médicament anti-cancéreux dans la tumeur et une diminution du risque d’effets indésirables systémiques. C’est la méthode qui est retenue pour les patients atteints d’un carcinome hépatocellulaire à un stade intermédiaire et pour lesquels un traitement chirurgical ou par destruction percutané ne peut être proposé (Befeler and Bisceglie 2002; El-Serag et al. 2008). Parmi les traitements médicamenteux, la chimiothérapie par voie systémique, les anti-androgènes, le tamoxifène, l’octréotide et l’interféron n’ont pas démontré leur efficacité dans le traitement du carcinome hépatocellulaire (Bruix and Llovet 2002). Jusqu’en 2007, aucun traitement médicamenteux spécifique n’était donc recommandé pour ces patients avec un CHC avancé. Le sorafenib (Nexavar®) inhibiteur de protéines-kinases, a été le premier à ouvrir la voie des thérapies ciblées. Son double mécanisme d’action, inhibant à la fois la prolifération et l’angiogénése tumorale, lui a permis d’obtenir une AMM en 2007 pour les patients atteints d’un carcinome hépatocellulaire avancé, avec fonction hépatique conservée (stade Child Pugh A), non éligibles à un traitement chirurgical ou locorégional, ou en échec à l’un de ces traitements (Cheng et al. 2009; Llovet et al. 2008). Toutefois, la survie globale des patients traités reste limitée (9,2 mois), et son coût important (env. 3500 euros par mois) en fait un médicament difficilement accessible aux populations des pays en voie de développement (Ferenci et al. 2010).

Traitement du cholangiocarcinome

Les patients atteints de cholangiocarcinome ont un pronostic défavorable, puisque le taux de survie de ces patients à cinq ans est d’environ 5 à 10% (Anderson et al. 2004).
De plus, les méthodes de traitements sont limitées et la chirurgie représente le seul traitement efficace de la maladie (Khan et al. 2012).
Parmi les thérapies curatives, la résection chirurgicale complète de la tumeur permet d’obtenir des taux de survie à 5 ans de 8 à 44%. L’autre méthode possible est une transplantation hépatique qui reste néanmoins une pratique controversée, et est réservée aux patients ayant un cholangiocarcinome à un stade débutant (Anderson et al. 2004).
Les méthodes de traitements palliatives comprennent la radiothérapie, la chimiothérapie, et la pose d’endoprothèse métallique (stent) afin d’effectuer un drainage biliaire. Parmi les chimiothérapies utilisées, le 5-Fluorouracile (5-FU) et la gemcitabine sont les deux médicaments anti-cancéreux les plus utilisés. Cependant, ces méthodes n’ont pas prouvé leur effet dans l’amélioration de la survie des patients atteints de cholangiocarcinome (Anderson et al. 2004; Blechacz and Gores 2008).

Origine de la médecine traditionnelle khmère

Quelques épigraphies anciennes permettent de se rendre compte de l’importance de la santé à l’époque angkorienne (IXe – XIIIe siècles). Dès la fin du IXe siècle, sous le règne de la dynastie Jayavarman, des hôpitaux sont construits au côté des temples et des monastères. Puis, lors de l’accession au pouvoir du roi Jayavarman VII en 1181, le bouddhisme introduit au Cambodge devient religion d’état et sous son règne, 102 hôpitaux répartis sur tout le territoire sont créés (Chhem 2006; Coedes 1906). Pendant cette période, les chartes de fondation de ces hôpitaux furent gravées sur des pierres en sanskrit, dont certaines d’entre elles ont été retrouvées au cours du siècle dernier. L’inscription la plus connue est celle de Say-Fong découverte près de Vientiane au Laos (Finot 1903). Sur cette stèle sont détaillés le règlement, la liste du personnel et les fournitures de l’hôpital (Figure 9). Au total, 36 substances d’origine végétale, animale et minérale sont décrites, tel que le gingembre (Zingiber officinale Roscoe), le camphrier (Cinnamomum camphora (L.) J.Presl), le calophylle (Calophyllum inophyllum L.), le curcuma (Curcuma longa L.), et le jujubier (Ziziphus jujuba Mill.). Tous sont encore utilisés dans la médecine traditionnelle khmère d’aujourd’hui (Leti, David, and Cheng 2010).

Conception de la personne et de la maladie en MT khmère

Actuellement, le système médical khmer se base sur plusieurs théories médicales empruntées à :
• la médecine Ayurvédique (Ang 1992)
• au bouddhisme : une importance est donnée, dans la cause des maladies, aux fautes commises dans des existences antérieures (karma) (Leti, David, and Cheng 2010)
• la médecine traditionnelle chinoise (Ashwell and Walston 2008)
• aux traditions autochtones : existence d’esprits vitaux à l’intérieur du corps ou de génie autour du village qui ont la possibilité de provoquer la maladie si une faute a été commise (Chhem 2002)
• la médecine occidentale : en particulier la conception microbienne et les notions d’hygiène qui en découlent. Introduite par le corps médical français à l’époque du Protectorat, cette conception a été intégrée et transformée par les khmers et sert à désigner l’agent étiologique de la maladie. Ainsi, le terme « mé rok » signifiant « origine de la maladie » ou « initiateur de la maladie » est utilisé dans le langage courant pour représenter les microbes (Guillou 2001)
Dans la médecine khmère, de même que dans la médecine ayurvédique, le fonctionnement symbolique du corps est défini par la théorie humorale qui représente le concept médical le plus influent et le plus répandu en Asie du Sud-Est (Van Esterik 1988). Dans cette théorie, le corps est vu comme étant composé de quatre éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air. Chez une personne en bonne santé, ces quatre composantes sont dans un état d’équilibre. Lorsqu’un déséquilibre survient, la maladie apparaît (Manderson 1981).
En médecine traditionnelle khmère, le feu est associé au chaud (kedaeu) et la terre au froid (trocheak) (Martin 1983). Le couple d’opposition chaud/froid joue un rôle essentiel dans la pathogénie et dans les différentes méthodes de traitement des maladies. En effet, un déséquilibre entre ces deux qualités peut provoquer l’apparition de maladies « chaudes » ou de maladies « froides », qui seront traitées respectivement par des traitements « froids » ou des traitements « chauds ». L’exemple le plus connu est celui des désordres provoqués après l’accouchement. En période de post-partum, les femmes khmères se considèrent dans un état « froid », pour lequel elles nécessitent des aliments chauds (ex. : poivre, viande) et/ou des traitements chauds (ex. : préparation à base d’alcool) (Fishman, Evans, and Jenks 1988; Montesanti 2011). A l’opposé, la fièvre est considérée comme un état « chaud » que l’on doit contrebalancer avec des traitements « froids » (Kemp 1985; Van Esterik 1988).
L’autre élément impliqué dans le fonctionnement symbolique du corps, l’air (ktchol) est perçu comme le support permettant la circulation de certains fluides et matières du corps (sang, urine, bile, fèces) dans des canaux dénommés « sasaï », et celui-ci se décompose en différents vents5, individualisés selon leur localisation corporelle et leur fonctionnalité (Guillou 2001). Un dérèglement d’un ou plusieurs de ces vents est source de maladie, dont les symptômes varient en fonction du type de vent qui est affecté (Piat 1965). Les troubles les plus fréquemment associés aux « mauvais vents » comprennent des vertiges, des courbatures, de la confusion mentale, des frissons, des maux de ventre, des céphalées, voire des paralysies ou une perte de conscience dans les cas les plus sévères (Muecke 1979).
Dans ce type de médecine, à l’instar des médecines ayurvédique, tibétaine et chinoise, l’action pharmacologique des plantes est intrinsèquement liée à leur saveur et leur goût (sucré, salé, amer, acide, astringent). Par exemple, l’amertume de Azadirachta indica A.Juss. lui confère des propriétés « refroidissantes » lui permettant ainsi de traiter la fièvre (Dy Phon 2000; Leti, David, and Cheng 2010; Martin 1983).
Également, la doctrine des signatures, se définissant comme une théorie dans laquelle les caractéristiques physiques des plantes expliquent leur usages thérapeutiques, est aussi largement employée au Cambodge (Bennett 2007). Ainsi, certaines plantes se voient attribuer des propriétés curatives en fonction de leur forme (le tubercule de la plante Hydnophytum formicarum Jack ressemble à des poumons et est donc utilisé dans le traitement de l’asthme), de leur odeur (la plante Paederia foetida L. ayant une odeur de flatulence humaine est utilisée dans le traitement des maux de ventre), de leur sécrétion (de nombreuses plantes au latex blanc sont utilisés dans les problèmes liés à l’allaitement), et de leur couleur.
A côté de cette représentation du corps qui s’inspire de l’ayurvéda, il existe au sein de la médecine khmère, d’autres conceptions du fonctionnement symbolique du corps qui, sur la base d’une cosmologie bouddhique traditionnelle et des concepts associés (notion de karma, de faute morale en tant qu’origine de certaines pathologies), mettent en jeu les relations qu’entretient la personne avec certains esprits. Ceux-ci sont plus particulièrement évoqués dans l’apparition de certaines maladies mentales, crises d’épilepsie, confusions, et autres perturbations de la conscience (Lemoine and Eisenbruch 1997). Dans ce contexte, la maladie provient de trois sphères : celles des divinités, en haut ; des démons, en bas ; et des hommes, au milieu, tous considérés comme faisant partie de l’espace social du patient. Les désordres provenant du monde des humains comprennent les attaques de sorcellerie, les fautes karmiques provenant de vies antérieures. Ceux provenant des deux autres univers sont attribués soit aux esprits maléfiques, soit aux ancêtres.
Le corps du patient est lui-même considéré comme un représentant de cette série d’univers, et les problèmes de santé signent une perturbation dans les relations de la personne avec ces différentes entités, nécessitant alors la pratique de rituels de guérisons effectués par des guérisseurs spécialisés (Figure 10).

Médecine traditionnelle savante et populaire

Selon (Crochet 2000), dans le système médical traditionnel khmer, on peut distinguer :
• la médecine dite populaire, pratiquée par une population non-spécialiste, bien souvent féminine, et dont les connaissances se transmettent oralement. 48 à 67% des patients cambodgiens ont recours à cette médecine (Dumas 2008).
• la médecine dite savante, qui est l’apanage de spécialistes, majoritairement masculins, dont le savoir s’appuie sur des textes. Entre 3 et 10% des cambodgiens utilisent ce type de médecine (Dumas 2008).

Médecine traditionnelle populaire

La définition de la médecine traditionnelle populaire pose question notamment sur les liens qu’elle entretient avec la médecine traditionnelle savante. Alors que certains la considèrent comme une expression culturelle authentique et autonome, d’autres l’appréhendent comme une dégénérescence des formes médicales traditionnelles savantes (Guillou 2001).
Au Cambodge, (Crochet 2000) définit la MT populaire comme étant une pratique d’automédication mettant en œuvre un « ensemble complexe de techniques alliant les remèdes de la pharmacopée locale aux drogues de l’industrie pharmaceutique ». Cette pratique peut aussi prendre la forme d’une spécialisation et d’un commerce, lorsque les acteurs de cette MT populaire décident de proposer leurs services, contre rémunération (Guillou 2001).
L’acteur principal de cette médecine populaire est la femme, mère au foyer, garante de la santé de ses enfants et des autres membres de la famille vivant sous son toit. Elles utilisent des ingrédients venant du jardin ou du « placard à cuisine », et traitent des affections courantes tels que la fièvre, les courbatures, les coupures, les brûlures, les désordres cutanés et les diarrhées. Ce savoir est transmis oralement aux filles du foyer en âge d’aider leurs parents (Crochet 2000).
Parmi les pratiques populaires les plus fréquemment utilisées, on peut distinguer :
• les soins basés sur la manipulation du patient.
Le « grattage du vent » (kos ktchol) est une technique de soins très répandue (Figure 11). Cette méthode, appelée « coining » en anglais, permet de traiter les déséquilibres liés au vent (ktchol) et consiste à gratter vivement le dos, le cou, le torse du patient jusqu’à l’apparition de rougeurs voire de saignements. Afin de réaliser l’acte thérapeutique, les khmers utilisent une pièce de monnaie ou une cuillère enduite d’un produit gras (huile, baume mentholé) (Crochet 2000; Guillou 2001).
Des variantes de cette méthode de dermabrasion reposant toujours sur le principe de la réactivation de l’équilibre des « vents » sont aussi utilisées, notamment une technique qui consiste à « attraper les vents » (chop ktchol) en pinçant le nez jusqu’à l’apparition de rougeurs (Piat 1965), ou encore l’application de ventouses chauffées (baum ktchol) sur le corps du patient (Guillou 2001).
Les massages (massa) sont pratiqués dans les mêmes indications que le « kos ktchol » et aussi pour améliorer le confort des personnes âgées (Guillou 2001). Par ailleurs, la réalisation d’une brûlure de cigarettes (och) sur le corps du patient permet de rééquilibrer la balance chaud/froid (Richman et al. 2010; Sargent and Marcucci 1984).
• l’utilisation de substances d’origine naturelle : plantes et animaux principalement.
Plus d’une quarantaine d’espèces végétales ont été reportées comme faisant partie de la pharmacopée des femmes en médecine populaire (Crochet 2000). Ces plantes proviennent le plus souvent du potager ou de la cuisine. Ainsi, des arbres fruitiers et des légumes sont largement utilisés, comme par exemple, l’aubergine pour le traitement des dartres ou la sève de bananier pour la candidose buccale du nouveau-né (Crochet 2000). Des herbes aromatiques sont aussi employées, tel que le basilic sacré (Ocimum tenuiflorum L.) dans le traitement des douleurs, ou la « menthe oreille de cochon » en khmer (Plectranthus amboinicus (Lour.) Spreng.) dans le traitement de la toux (Martin 1971). Par ailleurs, des condiments alimentaires comme le piment ou le poivre considérés comme « chaud », peuvent être utilisés dans le traitement du post-partum (Richman et al. 2010).
Par ailleurs, le nid d’araignée est utilisé dans le traitement des plaies, le nid d’abeille est posé sur l’ombilic du nouveau-né et la sangsue est employée dans différentes indications (Crochet 2000).
• le recours à des produits manufacturés et pharmaceutiques
Ce sont les baumes mentholés (baume du tigre), et les spécialités pharmaceutiques comme les antibiotiques, les antalgiques (paracétamol), et les corticoïdes. Ces derniers sont distribués par des vendeurs à l’étalage qui ne possèdent bien souvent aucune formation médicale et qui conseillent à leurs clients des mélanges de médicaments (psom tnam) pour une durée de quelques jours (Crochet 2000).

Les acteurs de la médecine traditionnelle savante

A la différence de la MT populaire, la MT savante a été largement documentée depuis la fin du XXe siècle6. Elle se définit principalement à travers des acteurs qui vont chacun avoir des pratiques thérapeutiques et des rituels de guérison spécifiques, et qui partagent des univers sociaux, culturels et symboliques assez proches les uns des autres (Guillou 2001).
D’une manière générale, on peut distinguer trois types de thérapeutes traditionnels :
• les « kruu khmer » ou maître-guérisseur khmer.
Le terme « kruu » est utilisé pour désigner toutes personnes ayant un savoir. Ainsi, l’expression « kruu banrien », traduit littéralement par maître enseigner, identifie les instituteurs. Le terme « kruu peit », kruu hôpital, désigne les biomédecins. Traditionnellement, le terme « kruu » suffisait pour nommer un médecin traditionnel, puisqu’il n’y avait pas encore d’école ni de dispensaires dans les villages (Guillou 2001; Martin 1983).
Au sein même des « kruu khmer », différentes catégories ont été individualisées en fonction des spécialités et des techniques de soins utilisées (Martin 1983), de leur domaine d’intervention (action sur le monde des divinités et des démons) (Eisenbruch 1992), de leur statut socio-économique et de leur formation (Guillou 2001). La seule constante qui semble être retrouvée dans chaque catégorie est la prédominance masculine dans la fonction (Dumas 2008).
Le portrait traditionnel d’un « kruu khmer » est celui d’un agriculteur, chef de famille, recevant les malades dans sa maison d’une manière occasionnelle en fonction des demandes. C’est une figure emblématique du village à qui on accorde considération et respect (Martin 1983). Il est décrit à la fois comme botaniste, pharmacien, guérisseur et protecteur spirituel (Eisenbruch 1992; Guillou 2001; Martin 1983). Sa formation est longue et comprend divers enseignements professés par d’autres maîtres-guérisseurs de différentes provinces (Guillou 2001), et par des bonzes des pagodes environnantes desquels il tire une formation en science médicale (Martin 1983). Ses pratiques de soin sont variées et combinent généralement phytothérapie, rituels de guérison avec récitations de formules magiques, et réalisation de diagramme de protection (Guillou 2001; Lemoine and Eisenbruch 1997; Martin 1983). Enfin, il ne réclame pas de compensation financière, mais plutôt reçoit des offrandes diverses (riz, fruits, argent) selon les moyens du patient (Guillou 2001).
Bien que cette description du « kruu khmer » reste encore d’actualité, une évolution notable des pratiques a récemment été notée. Ainsi, (Guillou 2001) différencie le « kruu » traditionnel du « kruu » moderniste. Ce dernier est décrit comme se rapprochant du biomédecin dans sa pratique, puisqu’il accueille les patients dans un local dédié, perçoit des honoraires fixes et se concentre sur la prescription de remèdes phytothérapeutiques. Il bénéficie également d’une légitimité institutionnelle puisqu’il possède une autorisation ou une formation spécifique émanant d’une institution légale (institut de médecine bouddhique, centre de médecine traditionnelle).
• Les « preah sang » ou moines bouddhistes
Les bonzes sont des vecteurs essentiels de la vie culturelle, sociale et spirituelle au Cambodge. Ils peuvent aussi être amenés à prendre en charge des patients pour le traitement de leurs troubles. En effet, les bonzes possèdent un statut privilégié grâce à leur maitrise de l’écrit et du pali, ils peuvent ainsi s’appuyer sur un corpus académique enseigné et transmis (Bertrand 1997).
Les cambodgiens ont recours aux bonzes guérisseurs dans le but de traiter des affections aigues ou chroniques, mais également pour contrer une succession négative d’évènements, ou encore attirer la chance afin de réussir un examen par exemple. D’autre part, les bonzes peuvent aussi accueillir et prendre en charge les malades mentaux au sein même de la pagode (Guillou 2001). Les bonzes guérisseurs consultent lors de cérémonies collectives au cours desquelles différentes méthodes thérapeutiques sont employées tel que les bains d’eau lustrale, les paroles sacrées, les remèdes à base de plantes et le souffle thérapeutique. Ils peuvent également inscrire en pali des formules de guérison ou de protection sur différents supports (feuilles de bananier, plaque en métal, talisman) (Cheng et al. 2007).
Contrairement aux maitres-guérisseurs khmers, l’influence d’un bonze ne repose pas essentiellement sur son pouvoir de guérison mais également sur son charisme personnel et les réseaux qu’ils sont capables d’établir avec les hauts fonctionnaires au pouvoir. Ainsi, certains bonzes peuvent jouir d’une notoriété internationale (Guillou 2001).
• Les « ruup », ou médiums
Le terme « ruup » se définit par la forme, l’image, l’apparence. Il renvoie donc à la notion d’enveloppe physique à travers lequel un esprit va pouvoir s’exprimer (Guillou 2001).
A la différence des autres guérisseurs, le médium est une femme dont le savoir ne repose pas sur une transmission orale ou écrite mais possède un caractère subi. Ainsi, (Guillou 2001) décrit le cas d’une femme tombant fréquemment malade et ayant eu recours à divers thérapeutes sans succès. Cette personne finit par consulter un « kruu khmer » qui pose le diagnostic. Elle est « tenue par un esprit ». Ainsi, le seul moyen de guérison possible est alors d’accepter d’être habitée ponctuellement par cet esprit, et de lui rendre hommage par la réalisation d’un autel dédié. Cette femme deviendra donc medium malgré elle, et disposera du pouvoir de guérison conféré par cet esprit, puisque l’invocation de l’esprit permettra aux malades de rentrer en contact directement avec lui et de trouver les solutions à leurs problèmes.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1. LE CANCER DU FOIE : UN ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE
1.1. LES DIFFÉRENTS TYPES DE CANCER DU FOIE
1.2. ÉPIDÉMIOLOGIE
1.3. PRINCIPAUX FACTEURS DE RISQUE
1.3.1. Virus de l’hépatite B et C
1.3.2. Opisthorchis viverrini
1.4. PATHOGÉNÈSE DU CANCER DU FOIE
1.5. DÉPISTAGE ET DIAGNOSTIC
1.6. TRAITEMENTS
1.6.1. Traitement du carcinome hépatocellulaire
1.6.2. Traitement du cholangiocarcinome
2. LES DIFFÉRENTS SYSTÈMES MÉDICAUX AU CAMBODGE
2.1. PRÉSENTATION DE LA POPULATION CAMBODGIENNE ET DES SYSTÈMES MÉDICAUX
2.2. ORIGINE DE LA MÉDECINE TRADITIONNELLE KHMÈRE
2.3. CONCEPTION DE LA PERSONNE ET DE LA MALADIE EN MT KHMÈRE
2.4. MÉDECINE TRADITIONNELLE SAVANTE ET POPULAIRE
2.4.1. Médecine traditionnelle populaire
2.4.2. Les acteurs de la médecine traditionnelle savante
3. PHARMACOPÉES TRADITIONNELLES ET PATHOLOGIES DU FOIE
3.1. PERCEPTIONS DES MALADIES DU FOIE
3.2. MÉTHODE D’ÉVALUATION DE L’ACTIVITÉ BIOLOGIQUE
3.3. PLANTES HÉPATOTROPES UTILISÉES DANS LE MONDE
3.4. REVUE DE LA LITTÉRATURE EN ASIE DU SUD-EST
3.4.1. Critères d’inclusion
3.4.2. Résultats de l’analyse
3.4.3 Discussion ethnopharmacologique sur les espèces les plus citées dans la bibliographie
CHAPITRE 1 : ETUDE ÉPIDÉMIOLOGIQUE RÉTROSPECTIVE DE DOSSIERS PATIENTS
1. CONTEXTE ET OBJECTIFS
2. MATÉRIELS ET MÉTHODES
3. PRINCIPAUX RÉSULTATS
4. DISCUSSION ET CONCLUSION
Article 1. « A 13-Year Retrospective Study on Primary Liver Cancer in Cambodia: A Strikingly High Hepatitis C Occurrence among Hepatocellular Carcinoma Cases »
CHAPITRE 2 : CONNAISSANCES ET PRATIQUES DES PATIENTS ATTEINTS DE CANCER DU FOIE
1. CONTEXTE ET OBJECTIFS
2. MATÉRIELS ET MÉTHODES
3. PRINCIPAUX RÉSULTATS
4. DISCUSSION ET CONCLUSION
Article 2. « Knowledge, attitudes and practices among liver cancer patients in Cambodia »
CHAPITRE 3 : PRISE EN CHARGE DES PATIENTS ATTEINTS D’UNE PATHOLOGIE HÉPATIQUE PAR LES MÉDECINS TRADITIONNELS
1. CONTEXTE ET OBJECTIFS
2. MATÉRIELS ET MÉTHODES
3. PRINCIPAUX RÉSULTATS
4. DISCUSSION ET CONCLUSION
Article 3. « Treatment and management of liver diseases by Khmer traditional healers practicing in Phnom Penh area, Cambodia »
CHAPITRE 4 : IDENTIFICATION DE COMPOSÉS BIOACTIFS SUR CELLULES HEPG2 À PARTIR DE PLANTES SÉLECTIONNÉES
1. CONTEXTE ET OBJECTIFS
2. MATÉRIELS ET MÉTHODES
3. PRINCIPAUX RÉSULTATS
4. DISCUSSION ET CONCLUSION
Article 4. « From an ethnobotanical literature review of Southeast-Asian plants used traditionally to treat liver disorders to a dereplication of antiproliferative compounds on HepG2 cells using a metabolomics approach »
DISCUSSION GÉNÉRALE ET CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES

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