Phylogénie moléculaire et diversité génétique des truffes du désert d’Algérie
Les terfez, désignés sous le terme général de « truffes du désert » ou « truffes des sables » sont des champignons hypogés comestibles (Ascomycètes).Ils constituent une composante majeure de la flore mycologique des écosystèmes arides et semi-arides d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et de la Méditerranée orientale (Loizides et al., 2012). Ecologiquement, ils établissent une association symbiotique (mycorhizienne) avec les racines d’une plante hôte de la famille des Cistacées herbacées ou vivaces surtout du genre Helianthemum. Les truffes du désert sont actuellement représentées par treize genres et trente-huit espèces réparties à travers les cinq continents du globe terrestre (Alsheikh, 1994 ; Bordallo et al., 2013; 2015 ; Ammarellou et al., 2014 ; Chevalier, 2014 ; Khabar, 2014 ; Claridge et al., 2014 ; Trappe et al., 2014; Kagan-Zur et Akyuz, 2014). En Algérie, presque toutes les espèces de Terfezia spp., Tirmania spp. et Picoa spp. se développent dans des écosystèmes steppiques et sahariens où les conditions climatiques sont difficiles, les sols sont généralement pauvres en matières organique et minérale et la couverture végétale est peu dense. Le développement de ces champignons est étroitement lié aux conditions pédoclimatiques (caractéristiques physico-chimiques du sol, intensité et répartition annuelle des précipitations, fréquence des orages etc.) et surtout la présence de la plante hôte naturelle (Fortas, 1990 et 2009; Bradai et al., 2014 et 2015a; Zitouni-Haouar et al., 2014 et 2015). Dans notre pays, cette richesse naturelle présente un intérêt à la fois écologique, alimentaire et économique. Les truffes du désert sont très recherchées et appréciées; elles sont vendues sur les marchés locaux et nationaux à des prix variables selon les années de production et le lieu de leur récolte. Elles font également l’objet d’un important commerce extérieur puisqu’elles sont exportées pendant les années de bonne production vers les pays du Moyen Orient en particulier en Arabie Saoudite et le Qatar. Vu l’importance écologique et économique de ces champignons, certains pays s’intéressent à leur culture par des méthodes biotechnologiques en particulier, la production de plants mycorhizés par les truffes du désert, en conditions contrôlées et leurs transplantations sur le terrain en régions arides et semi-arides pour mettre en valeur ces régions, lutter contre la désertification, préserver leur plante hôte et envisager une terféziculture sur le même mode que celui pratiqué en Europe pour la culture de la truffe (trufficulture) qui est bien maîtrisée grâce aux techniques de production des plants truffiers internationalement commercialisables.
Cependant, la maîtrise de la mycorhization contrôlée et son application nécessite les connaissances sur la diversité génétique des truffes du désert, leurs associations mycorhiziennes, leur ethnobiologie et les conditions environnementales affectant leur productivité naturelle. Or en Algérie, certaines connaissances sont encore limitées ou inexistantes en particulier la diversité génétique des truffes du désert. C’est dans ce cadre que nous avons orienté notre travail. Notre travail a pour objectifs :
– l’exploration de la variabilité génétique intra- et interspécifique des truffes du désert d’Algérie ;
– l’étude de la variabilité morphologique des mycorhizes formées par ces champignons associés à différentes plantes ;
– et enfin la mise en évidence de certains aspects ethnomycologiques et écologiques de ces champignons. Le manuscrit de la thèse comprend trois parties, avec une introduction et une conclusion générale et quelques perspectives.
La première partie constitue une synthèse bibliographique des connaissances actuelles sur les truffes du désert et leurs associations mycorhiziennes.
La deuxième partie annonce l’origine du matériel biologique et décrit avec précision toutes les techniques expérimentales mises en œuvre pour la réalisation de ce travail.
La troisième partie subdivisée en 3 chapitres, présente les résultats et discussions :
– Le chapitre I regroupe les caractéristiques écologiques et ethnomycologiques des truffes du désert dans une station à terfez et la présence de mycoparasites chez ces champignons.
– Le chapitre II présente la phylogénie moléculaire et l’étude de la diversité génétique des truffes du désert d’Algérie par approche impliquant deux marqueurs phylogénétiques (Espaces intergéniques ITS de l’ADNr et le gène codant pour la β-tubuline) couramment utilisés à l’échelle intra- et interspécifique.
– Le chapitre III décrit les synthèses mycorhiziennes réalisées en conditions gnotoxéniques entre plusieurs espèces de truffes du désert et diverses plantes hôtes herbacées, arbustives et arborescentes.
Enfin, le manuscrit s’achève avec la présentation des références bibliographiques et de nombreuses annexes.
Synthèse Bibliographique:
Qu’est-ce que la truffe du désert ?
Les truffes du désert sont les fructifications souterraines (ascomes ou ascocarpes) de champignons hypogés mycorhiziens et comestibles appartenant aux Ascomycètes. Elles forment des mycorhizes avec leurs plantes hôtes naturelles, le plus souvent des Cistaceae annuelles et pérennes. Elles sont représentées par les genres: Carbomyces, Elderia, Eremiomyces, Kalaharituber, Mattirolomyces, Mycoclelandia, Picoa, Stouffera, Terfezia, Tirmania et Ulurua (en caractères gras, les genres dont toutes leurs espèces sont récoltées dans des régions désertiques) (Kovacs et Trappe, 2014). Ces champignons ont diverses appellations vernaculaires selon les pays arabes Terfess, Torfaz, Torfes, Al-Kamae, Al-Faga’a (Chatin, 1891; Bokhary, 1987). Le nom scientifique du genre Terfezia dériverait de « terfes » ou « terfâs » qui est une appellation maghrébine de ces champignons, mais selon Offner (1950) il proviendrait plutôt du latin « terrae fex » signifiant « production de la terre » (in Alsheikh, 1994).
Bref rappel historique sur les truffes du désert :
Les truffes du désert sont consommées par l’homme depuis des millénaires. En effet, l’écriture cunéiforme sur des tablettes d’argile datant de quatre mille ans retrouvées dans les archives archéologiques de la région mésopotamienne attestent de leur existence sous le nom de “Kam’atu” (Awameh et Alsheikh, 1980 a; in Splivallo, 2007). Les Pharaons égyptiens (Cheops: Khufo) les considéraient comme un met royal exclusif (Alsheikh, 1994; in Shavit, 2008). Les espèces des genres Terfezia et Tirmania étaient très populaires chez les anciens romains (Pegler, 2003) qui les importaient régulièrement des colonies africaines : Libye, Lesbos et Carthage (Pradel, 1914; Loizides et al., 2012) pour les consommer non pas pour leur saveur mais pour capturer le goût et l’arôme de la nourriture et des épices dans lesquelles elles ont été cuites (in Splivallo, 2007).
Répartition géographique des truffes du désert
Distribution géographique mondiale
Le terme « truffes de désert » est attribué aux champignons hypogés d’après leur distribution typique dans les zones semi-arides à arides ou même à climat subsaharien (Trappe, 1990; Morte et al., 2000). Le pourtour du Bassin méditerranéen et le Proche et Moyen-Orient s’avèrent l’habitat préférentiel des truffes du désert. Le continent nord américain contient cinq espèces de truffes du désert appartenant à trois genres dont deux sont endémiques (Carbomyces, Stouffera) et le troisième (Mattirolomyces) se rencontre dans des forêts mésiques et des habitats semi-arides et arides (Trappe et Weber, 2001; Kovacs et al., 2011a; Moreno et al., 2012; Trappe et al., 2014). Stouffera longii et Mattirolomyces spinosus ont été érigées par Kovacs et al. (2011a) pour remplacer deux espèces du genre Terfezia . En Europe, les truffes du désert sont représentées par 20 espèces (Alsheikh, 1994; in Chevalier, 2014; Bordallo et al., 2015) appartenant principalement au genre Terfezia dont huit espèces découvertes récemment par phylogénie moléculaire (T. alsheikhii, T. albida, T. cistophila, T. eliocrocae, T. extremadurensis, T. grisea, T. pini, T. pseudoleptoderma) (Kovacs et al., 2011b; Bordallo et al., 2013; Bordallo et Rodriguez, 2014; Bordallo et al., 2015). Le genre Tirmania très rare en Europe est représenté par une seule espèce T. nivea (Moreno et al., 2000b) et le genre Picoa par ses deux espèces (Moreno et al., 2000b; in Chevalier, 2014). Mattirolomyces terfezioides (ex. Terfezia terfezioides) n’est pas considérée comme une véritable truffe du désert européenne vu qu’elle pousse en zones à climat tempéré (Chevalier, 2014) . Il est important de souligner que la Péninsule Ibérique constitue un lien entre les continents Africain et Européen, ce qui a pu permettre aux champignons des régions semi-arides et désertiques d’Afrique du Nord de migrer vers l’Europe (Moreno et al., 2000b).
Valeurs nutritionnelles et thérapeutiques des truffes du désert :
Composition chimique :
Les terfez représentent une source nutritive non négligeable par leur richesse en protéines (8-27 %), acides gras (1,3-7,5%) , fibres ( 2,6-13%) , hydrates de carbone (16.66-60%) et en vitamines (2-5% d’acide ascorbique) (Ackerman et al., 1975; Al Delaimy, 1977; Ahmed et al., 1981; Sawaya al., 1985; Bokhary et al., 1987; 1989; Sakri, 1989 in Kagan- Zur, 2001; Agaoglu et al., 1992 ; Kiraly et Bratek , 1992 ; Bokhary et Parvez , 1993 ; 1995 ; Hashem et Al-Obaid , 1996 ; Hussain et Al-Ruqaie, 1999 ; Khabar , 2002 ; Murcia et al., 2003 ; Khabar et al., 2004 ; Shavit , 2008 ; Kagan-Zur et Roth Bejerano, 2008 ; Dundar et al., 2012 ; Akyüz, 2013 ; Al-Laith, 2014 ; Kıvrak, 2014). Elles sont également riches en minéraux : potassium, magnésium, phosphore, sodium et calcium (Sawaya al., 1985; Bokhary et al., 1987; Bokhary et Parvez, 1993 ; 1995 ; Dundar et al., 2012 ; Kıvrak, 2014).
Activités biologiques :
Outre leur valeur nutritive, les truffes du désert sont utilisées depuis longtemps en médecine traditionnelle par les populations autochtones d’Afrique du Nord et du Moyen Orient (in Shavit et Shavit, 2014) en particulier les bédouins et les nomades du désert qui les emploient pour traiter les infections oculaires (Mandaville, 2011; Volpato et al., 2013), les rhumes, les affections respiratoires, l’arthrite ou le rhumatisme (Volpato et al., 2013). C’est ainsi que de nombreux chercheurs se sont intéressés aux activités biologiques de ces champignons. Différents travaux ont montré que les extraits de Terfezia et de Tirmania possèdent une activité antibactérienne sur diverses bactéries pathogènes Gram- et Gram+ et une activité antifongique surtout sur Candida albicans et Aspergillus niger (Rougieux, 1963 ; Chellal et Lukasova, 1995 ; Dennouni, 1996 ; Mohamed-Benkada, 1999 ; Janakat et al., 2004 ; 2005 ; Fortas et Bellahouel-Dib, 2007 ; Neggaz, 2010 ; Dib Bellahouel et Fortas, 2011 ; Gouzi et al., 2011 ; Dib-Bellahouel, 2012; Saddiq et Danial, 2012; Stojkovic et al., 2012 ; 2013 ; Aldebasi et al., 2013 ; Dogan et Aydin, 2013 ; Hamza et al., 2013 ; Neggaz et Fortas, 2013 ; Hamza et Neffati, 2014 ; Mekawey, 2014b ; Neggaz et al., 2015). Les extraits des truffes du désert n’ont aucun effet antibactérien sur certaines bactéries lactiques à effet probiotique (Saddiq et al., 2015).
Morphological characterization of mycorrhizae formed between three Terfezia species (desert truffles) and several Cistaceae and Aleppo pine:
Abstract Six Cistaceae species, Helianthemum ledifolium, Helianthemum lippii, Fumana procumbens, Cistus albidus, Cistus incanus, Cistus salvifolius, and Pinus halepensis (Aleppo pine) were inoculated with three mycorrhizal desert truffles, Terfezia leptoderma, Terfezia boudieri, and Terfezia claveryi under greenhouse conditions, on soil originating from desert truffle natural habitat in Algeria. The syntheses have led to the formation of typical endomycorrhizae in annual Cistaceae (H. ledifolium) and perennial ones (H. lippii and F. procumbens) and an ectomycorrhiza with a less developed sheath in Cistus species and Aleppo pine. These results demonstrate the plasticity of Terfezia species to form different mycorrhizal types. The formation of an endomycorrhiza with H. ledifolium and F. procumbens and a sheathing ectomycorrhiza with P. halepensis inoculated by T. leptoderma in in vivo culture conditions was obtained for the first time .
Conclusion générale:
Dans ce travail, nous avons étudié les caractéristiques écologiques et ethnomycologiques des truffes du désert dans une station à terfez, la diversité morphologique et génétique des truffes du désert d’Algérie par approches moléculaires, leurs associations mycorhiziennes avec différentes espèces végétales et enfin nous avons suivi la germination des ascospores issues d’ascomes de Picoa lefebvrei. L’étude des caractéristiques écologiques des truffes du désert dans la station de Bouchouat (steppe centrale) a montré que les facteurs pédoclimatiques jouent un rôle important dans le développement et la production des ascomes. Ces champignons se développent sur un sol à texture sablo-limoneuse, non salé, pauvre en matière organique, en azote et en phosphore assimilable, bien pourvu en calcaire, à pH ≈ alcalin. Ils exigent une pluviométrie > 200 mm avec des pluies orageuses en Août et des précipitations bien réparties en automne et au printemps. Leurs plantes hôtes naturelles sont deux espèces de Cistaceae, Helianthemum salicifolium et Helianthemum hirtum var. deserti qui sont accompagnées d’une diversité d’espèces végétales.
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Table des matières
Introduction générale
Première partie :
Synthèse Bibliographique
Partie 1
Connaissances actuelles sur les truffes du désert et leurs associations
mycorhiziennes
Qu’est-ce que la truffe du désert ?
Bref rappel historique sur les truffes du désert
Organisation morphologique de la truffe du désert
Valeurs nutritionnelles et thérapeutiques des truffes du désert
Généralités sur les symbioses mycorhiziennes:
Associations mycorhiziennes formées par les truffes du désert en conditions axéniques et gnotoxéniques
Deuxième partie
Etude expérimentale
Chapitre II
Phylogénie moléculaire et diversité génétique
des truffes du désert d’Algérie
Chapitre III
Variabilité morphologique des mycorhizes
formées par les truffes du désert avec différentes
espèces végétales
Conclusion générale
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