Connaissance et reconnaissance des cyberdépendances
D’après mes recherches et les différents entretiens que j’ai effectués, l’addiction aux réseaux sociaux est encore mal définie en Valais et plus largement dans le monde scientifique. Au début des années 2000, les spécialistes n’arrivaient pas à considérer l’usage excessif de l’Internet comme une addiction, alors qu’on remarquait des similitudes avec d’autres addictions, comme les drogues. Malgré ces observations, les concepts de cyberdépendance ne sont toujours pas référencés dans les systèmes de classification (CIM 10, DSM IV). Du reste, Mme Ghislaine Carron Acone, coordinatrice de la prévention du jeu excessif à la LVT me confiait, quant aux cyberdépendances : « pour tout ce qui est cyber, c’est encore en discussion. Certains ne sont pas d’accord et disent que ce n’est pas une addiction, alors que d’autres trouveraient que oui. (…) C’est à clarifier, il y a le DSM V qui va bientôt sortir, on verra si c’est dedans ». Si la définition de la cyberdépendance reste actuellement quelque peu en suspens, il n’en est pas de même pour son mécanisme de développement ainsi que ses symptômes, lesquels sont clairement établis. Au même titre que pour les addictions à l’alcool ou aux drogues, « il y a plusieurs facteurs environnementaux, génétiques, éducatifs ou encore un choc tel un divorce ou un décès » capables ou coupables de développer une addiction.
Aussi, il existe des prédispositions génétiques aux effets de l’usage de substances psychoactives et/ou à la survenue d’une dépendance. Ainsi, tous les individus ne sont pas égaux devant les substances ou les activités addictives. Le principal symptôme des addictions, toutes classes confondues, est la difficulté éprouvée par le sujet à réfréner son désir de consommation. La prise de substance (ou l’activité) est généralement quotidienne. Ce comportement provoque par ailleurs une souffrance et est perçu par le sujet comme une erreur, sinon il s’agirait d’une simple habitude, et non d’un trouble.18 En ce qui concerne plus précisément “l’usage problématique de l’Internet, ce dernier est défini par des préoccupations autour d’Internet, la nécessité de passer de longues heures connecté (on line), des essais répétés ou infructueux pour diminuer son temps de connexion, des manifestations de manque quand le temps passé sur la Toile est réduit, des difficultés de gestion de son temps, des problèmes familiaux, professionnels ou scolaires, une culpabilité par rapport au temps passé connecté et des variations de l’humeur durant l’usage du Net.”19 En outre, lorsqu’elles ne sont pas soignées, les cyberaddictions ont souvent des conséquences graves. La dépendance aboutit à l’isolement, la désocialisation, une paupérisation économique, des troubles alimentaires, etc. M. Chappot, éducateur à l’AEMO, m’a confirmé lors de notre entretien l’existence de ces conséquences, lui qui a suivi sur une année un jeune cyberdépendant : “il vit sans argent, tous ses besoins sont assurés par sa mère. Il ne participe à aucune activité de vie ou de la maison, il a très peu de vie sociale et sort peu, il dort le jour et passe la plupart de la nuit sur Facebook.”
Il rajoutait même des conséquences physiques comme des douleurs dorsales dues à une position couchée prolongée durant de longues heures et des troubles alimentaires, ce jeune ne se nourrissant presque plus et très mal. Tout au long de mon enquête de terrain, une catégorie de la population apte à développer une dépendance aux réseaux sociaux s’est clairement dégagée. Ainsi, l’adolescence et la période estudiantine sont considérées par les professionnels valaisans comme un terrain favorable pour l’émergence de cyberdépendance. Tel que me le confiait M. Blanchard, coordinateur de programmes de prévention à Addiction Valais, “en Valais, au niveau des abus quant aux réseaux sociaux, le public cible reste quand même les ados et jeunes adultes”.
Les risques élevés de cette catégorie de la population à développer une cyberdépendance s’explique de par le fait que “les adolescents vivent une mise à distance des images parentales et cherchent à construire un monde dans lequel le poids parental est réduit. La réalité virtuelle constitue pour ces jeunes un passage vers un monde moins décevant ou plus satisfaisant que la réalité”. Pour les cyberdépendants plus âgés, ces derniers présentent souvent d‘autres comportements abusifs tel le tabac, l’alcool, le sexe, etc. Pour cette catégorie de la population, les cyberdépendances s’apparentent plus à des comorbidités qu’au véritable problème.
Le sevrage
Durant mes recherches, j’ai sollicité plusieurs institutions valaisannes afin de pouvoir m’entretenir des types de prises en charge proposées aux cyberdépendants. Malheureusement, une grande partie d’entre elles m’ont orienté vers Addiction Valais. J’ai tout de même pu récolter quelques informations que je présente ci-dessous. D’une manière générale, l’une des plus grandes difficultés avec les cyberdépendances est de convaincre le cyberdépendant de son rapport pathologique avec les écrans. Les intervenants en toxicomanie d’Addiction Valais sont souvent ressentis comme des personnes qui ne comprennent rien à l’Internet et les témoignages recueillis lors de leurs entretiens en témoignent : « chacun s’amuse à sa façon », « si j’allais me saouler la gueule avec des copains on me laisserait tranquille peut-être ? » « je peux arrêter quand je veux »30 sont des affirmations qui se veulent sensées mais qui entravent la reconnaissance de son problème par le cyberdépendant. Dans le cas des cyberdépendances donc, le déni, qui est une stratégie de défense qui mène à éviter, sinon à nier une réalité, semble représenter le principal obstacle pour le thérapeute, intervenant en toxicomanie, éducateur, etc.
De plus, “le traitement de la cyberdépendance est par ailleurs complexe, car l’informatique est si bien intégrée à notre cadre de vie qu’il est difficile de ne pas être en contact avec l’ordinateur. (…) Dans ce sens, on est, plus ou moins, dans une configuration de type boulimique, c’est-à-dire que le monde « sans bouffe » ne pouvant exister pour la personne boulimique, il faut qu’elle apprenne à manger correctement. De la même manière, le monde « sans PC » n’existant pas pour le cyberdépendant, il sera question pour lui d’apprendre à s’en servir sans excès.”31.
C’est en partant de ce constat que les cyberdépendants valaisans qui requièrent une prise en charge thérapeutique ou ambulatoire sont admis dans les antennes d’Addiction Valais ou dans les institutions traitant des dépendances telle la Villa Flora à Sierre. Dans cette dernière, le but de la cure consiste à accompagner le plus grand nombre possible de personnes dépendantes ainsi que leur entourage vers la sobriété pour une meilleure qualité de vie. Leurs objectifs sont réalisés en mettant en oeuvre un traitement stationnaire dont la durée est de cinq semaines à une année, plus une postcure de onze mois. Les principaux outils du traitement sont des informations sur la maladie, des dynamiques de groupe, des entretiens individuels et familiaux, des rencontres de réseau et de la sociothérapie.
La mise en oeuvre se fait à travers les outils de l’approche TCC (Thérapie cognitivo-comportementale). A la Villa Flora, les pensionnaires se répartissent les différentes tâches communautaires ce qui contribuent aux bas coûts des prises en charge et leur permet de garder un lien avec la vie professionnelle. Différentes activités comme la vannerie, le jardinage, la cuisine, la blanchisserie, etc, sont proposées aux résidents en cure. Par ce biais, ils se réhabituent au rythme du quotidien, ce qui facilitera leur réinsertion professionnelle une fois leur cure terminée. Au sein de sa structure, la Villa Flora propose des sevrages aux personnes qui le souhaitent. Ces dernières sont prises en charge par des professionnels présent 24h/24 et 365 jours par année. A la fin de son sevrage, proposition est faite aux personnes qui le souhaitent d’habiter dans l’un des foyers gérés par Addiction Valais afin de se familiariser avec la vie quotidienne des autres résidents et de se sensibiliser plus spécifiquement à la thérapie qu’ils entameront par la suite.
Ainsi, comme je l’ai mentionné plus haut, il est donc difficile de parler « sevrage » en ce qui concerne les cyberdépendances et encore moins d’abstinence, les écrans occupant une place très importante dans notre société. Il est néanmoins de rares cas auxquels on propose ce type de traitement. Ce fut le cas à la Villa Fora avec “un jeune qui avait un problème de cyberaddiction, on lui a fait un sevrage total, plus d’écran pendant plusieurs mois. (…) Après on va dire qu’avec les cyberdépendants (…) on fait comme toutes les autres addictions, on leur propose de s’auto-observer, on fait des analyses fonctionnelles, on fait des diachronies et des synchronies pour connaître l’histoire du problème, qu’est-ce qui pose problème actuellement.
Et en fonction de tout ça, on va définir des objectifs précis.” D’après mes recherches donc, il n’y a que de très rares cas de prise en charge d’addiction aux réseaux sociaux en vue d’un sevrage. Il semblerait que pour ce type d’addiction, d’autres types de sevrage, tel que le sevrage contrôlé, aient de meilleurs résultats thérapeutiques pour le cyberdépendant.
Mme Boin, de l’AEMO, me citait le cas d’une maman qui avait réglementé au sein de sa famille les heures de l’Internet et qui s’était rendue compte, malgré quelques difficultés au début, que ses deux fils étaient beaucoup plus présents dans les pièces communes, participaient plus à la vie familiale, jouaient davantage dehors avec leurs amis, etc. Dans ce cas précis, si l’usage de l’Internet n’était pas pathologique pour ces deux jeunes mais problématique pour la vie familiale, le sevrage contrôlé que la maman avait imposé à ses deux enfants avait parfaitement fonctionné. Suite aux entretiens que j’ai eus avec les professionnels valaisans des addictions, je pars donc de l’idée qu’un sevrage total pour les cyberdépendances est une mauvaise réponse pour ce type de problématique et un type de prise en charge rarement proposé. Grâce aux entretiens motivationnels et l’EGT (Evaluation de Gravité de la Toxicomanie) qu’effectuent les intervenants en toxicomanie au sein des Centres d’Aide et de Prévention (CAP) d’Addiction Valais, l’intervenant fait émerger les compétences sociales des personnes afin de mettre en place un processus de changement.
Basée sur une attitude thérapeutique prônant une information objective, l’empathie et l’encouragement, cette phase consiste à faire émerger et utiliser les points positifs des personnes, comme leurs savoir-faire ou leurs connaissances. Une fois ce processus terminé, rares sont les cas de cyberdépendants nécessitant une prise en charge institutionnelle.
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Illustration de la thématique
1.2 Problématique
1.2.1 Question de départ
1.2.2 Concepts et définitions
1.3 Méthodologie
1.3.1 Recherche bibliographique et de documents
1.3.2 Entretiens
1.3.3 Enquête de terrain
2. Prise de conscience et prévention des cyberdépendances en Valais, aujourd’hui
2.1 Introduction
2.1.1 Connaissance et reconnaissance des cyberdépendances
2.1.2 La prévention contre la cyberdépendance
2.2 Conclusion provisoire
3. La prise en charge des cyberdépendants en Valais, aujourd’hui
3.1 Introduction
3.1.1 Le sevrage
3.1.2 Les activités de substitution
3.1.3 Les communautés thérapeutiques
3.2 Conclusion provisoire
4. Insertion et réinsertion des cyberdépendants en Valais, aujourd’hui
4.1 Introduction
4.1.1 Insertion et réinsertion
4.1.2 Suivi post-cure
4.2 Conclusion provisoire
5. Entretien avec un ex-cyberdépendant
6. Synthèse
7. Conclusion
7.1 Limites de ma recherche
7.2 Perspectives
7.2.1 Théoriques
7.2.2 Professionnelles
7.3 Conclusion personnelle
8. Bibliographie et sitographie
8.1 Ouvrages consultés
8.2 Sites internet
8.3 Illustrations
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