Confinement quantique et supraconductivité dans les nanocristaux

Effet de confinement quantique

Dans le cadre de cette thèse, nous nous proposons d’étudier les effets du confinement quantique dans des nanoparticules supraconductrices. Pour cela, nous nous intéressons à de tels effets attendus dans des systèmes métalliques dont la taille est inférieure à quelques dizaines de nanomètres. Ce régime de confinement est caractérisé par un spectre électronique discret à très basse température, lorsque l’énergie thermique kBT est inférieure à la différence d’énergie entre deux niveaux électroniques voisins. Ce spectre discret est à l’origine de l’appellation « d’atomes artificiels » souvent utilisée. Cette discrétisation du spectre d’énergie implique l’apparition d’un gap entre l’énergie de l’état fondamental et celle du premier état excité. Par conséquent, la modification des propriétés électroniques dans les nanoparticules induit des changements dans les propriétés thermodynamiques à basse température telle que la susceptibiité de spin χspin. De telles quantités physiques sont intéressantes car elles reflètent les propriétés supraconductrices.

Distributions statistiques de l’énergie des états électroniques

La description des propriétés électroniques des nanoparticules se situe à mi-chemin entre la physique moléculaire et la matière condensée. Une particularité originale de la description théorique des nanoparticules est qu’elle permet une description statistique de la distribution des niveaux électroniques. La description de la distribution des niveaux électroniques de nanoparticules métalliques accepte plusieurs niveaux de sophistication que nous allons présenter. L’approche la plus simple consiste à décrire le nanocristal comme une boîte parfaite dans laquelle les niveaux électroniques sont équidistants. Toutefois, comme les nanocristaux sont loin d’être des boîtes parfaites, Kubo suggéra un modèle plus réaliste où les niveaux devraient être distribués de façon aléatoire, suivant une distribution de Poisson [9]. Enfin, une description encore plus précise de la distribution des niveaux nous est fournie par la théorie des matrices aléatoires [10], laquelle permet de tenir compte de la répulsion des états électroniques délocalisés dans la nanoparticule.

Modèle de Kubo

Le premier modèle réaliste de nanoparticules métalliques a été proposé par Kubo en 1962 [12]. Ce modèle repose sur plusieurs hypothèses. La première hypothèse suppose que le spectre électronique est non–dégénéré en raison des irrégularités de surface qui lèvent les dégénérescences éventuelles [13]. Bien que le spectre varie d’une particule à l’autre en raison du désordre de surface, lequel est différent d’une particule à l’autre, la distance moyenne δ entre niveaux reste constante. La deuxième hypothèse utilisée par Kubo suppose l’absence de fluctuations de charges dans la particule. En effet, l’énergie nécessaire pour enlever ou ajouter un électron à une nanoparticule isolée, de diamètre D, est déterminée par l’énergie de Coulomb Ec ≡ e²/2C, où C = 2πε0D est la capacité de la nanoparticule. Pour une particule de diamètre D = 3.5 nm, on trouve Ec ∼ 0.26 eV. L’énergie de Coulomb est donc très élevée comparée à l’énergie thermique disponible à basse température (T = 1 K) : kBT ∼ 8.6 · 10⁻⁵ eV << Ec. Ainsi, les fluctuations thermiques du nombre total des électrons dans la nanoparticule sont supprimées et le nombre N est fixé.

Théorie des matrices aléatoires 

La théorie des matrices aléatoires a été introduite par Wigner [15] pour expliquer les fluctuations des énergies de résonances neutroniques de composés nucléaires. Plutôt que d’essayer d’expliquer les positions exactes des niveaux d’énergies dans ces noyaux nucléaires, ou dans les nanoparticules métalliques [14], la théorie des matrices aléatoires instaure une description statistique de ces niveaux. Cette démarche est justifiée par le fait que dans des systèmes complexes comme les nanoparticules, on ne présuppose pas une connaissance de l’hamiltonien dont les niveaux électroniques sont les états propres. Tout au contraire, la théorie des matrices aléatoires suppose une ignorance maximale de l’hamiltonien décrivant le système, excepté que cet hamiltonien se doit d’être compatible avec les symétries du système. Ainsi, cette théorie consiste à construire des ensembles d’hamiltoniens, ces ensembles étant classifiés par leurs symétries. Suite au travail de Wigner, Dyson démontra dans un article dénommée « The Threefold Way » [16], qu’un hamiltonien quelconque devait appartenir à l’un des trois ensembles Gaussien suivant : orthogonal, symplectique ou unitaire.

L’ensemble Gaussien orthogonal GOE est l’ensemble des matrices à coefficients réels, il s’applique aux systèmes étant symétriques par renversement du temps et par rotation du spin des électrons. En présence d’un champ magnétique, la symétrie par renversement du temps est brisée et le système est décrit par l’ensemble unitaire GUE, correspondant à l’ensemble des matrices hermiticiennes (coefficients complexes). Enfin, en présence d’une interaction spin-orbite, le spin électronique ne possède plus la symétrie de rotation et le système est décrit par l’ensemble symplectique GSE, l’ensemble des matrices à coefficients de type quaternions  . La figure 1.2(b) présente les fonctions de distributions pour ces différentes symétries. Contrairement à la distribution de Poisson utilisée par Kubo, ces distributions rendent compte de la répulsion des niveaux électroniques délocalisés sur la particule ce qui impliqe que P(∆) → 0 lorsque ∆ → 0.

Supraconductivité

La supraconductivité des métaux conventionnels est bien décrite par les théories de Ginzburg-Landau et BCS. Dans cette section, un rappel succint de quelques notions générales est présenté afin d’aborder les propriétés supraconductrices dans les nanocristaux.

Propriétés fondamentales

Un métal devient supraconducteur en dessous d’une température critique de transition de phase. Parmi les caractéristiques les plus remarquables, on peut noter une résistance électrique nulle, un diamagnétisme parfait et un gap d’énergie dans le spectre d’excitations. La phase supraconductrice est une réelle phase thermodynamique comme on l’entend dans la théorie de Landau des transitions de phase [26]. La supraconductivité a été découverte par Kamerlingh Onnes à partir de mesures de résistivité du mercure en fonction de la température [25]. Ces expériences montrèrent que le matériau perdait de sa résistance au courant appliqué en dessous d’une température critique Tc, figure 1.5(a). De nombreux matériaux ont ensuite été découverts être supraconducteurs [23]. Mais la supraconductivité n’est pas seulement un état de résistance électrique nulle. Ochsenfeld et Meissner ont montré qu’en dessous de sa température critique (T < Tc), un supraconducteur exclut tout champ magnétique appliqué tant que celui-ci reste inférieur à un champ critique Hc, c’est l’effet Meissner [27]. Un supraconducteur est donc un matériau parfaitement diamagnétique. D’après les équations de Maxwell, dans tout matériau de résistivité nulle, le champ magnétique doit rester constant au cours du temps. Cependant, l’existence de l’effet Meissner montre que la supraconductivité ne se résume pas à l’existence d’une conductivité infinie. En effet, dans un supraconducteur, le champ magnétique est expulsé quelque soit l’histoire magnétique de l’échantillon.

En réalité, le champ magnétique n’est pas totalement expulsé du supraconducteur mais il pénètre sur une petite épaisseur à la surface de l’échantillon. Tant que le champ magnétique reste suffisamment faible (H < Hc), son amplitude décroît progressivement sur une profondeur λ, la longueur de pénétration, figure 1.5(b). C’est sur cette longueur de pénétration λ qu’un courant superfluide permanent s’établit, créant ainsi un champ magnétique s’opposant au champ appliqué à l’origine du mécanisme d’écrantage du champ. Deux types de supraconducteurs ont été identifiés, figure 1.5(c). Certains présentent un seul champ critique Hc, les supraconducteurs de type I, et d’autres présentent deux champs critiques Hc1 et Hc2, les supraconducteurs de type II. Dans ce dernier type, un nouvel état de la matière a été mis en évidence entre la phase supraconductrice et la phase normale : la phase de Shubnikov. Cet état mixte montre l’existence d’un réseau organisé de zones « normales » (les vortex) à l’intérieur du métal supraconducteur [28].

Une autre caractéristique de la phase supraconductrice est la présence d’un gap d’énergie entre l’état fondamental et les états excités. Ce gap ∆ apparaît en conséquence de la formation des paires de Cooper à la transition supraconductrice. Ce sont ces paires de Cooper qui subissent une condensation de Bose-Einstein pour former la phase superfluide à l’origine des propriétés de supraconduction.

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Table des matières

Introduction
1 Confinement quantique et supraconductivité dans les nanocristaux
1.1 Effet de confinement quantique
1.2 Distributions statistiques de l’énergie des états électroniques
1.2.1 Rappel sur les distributions
1.2.2 Approximation des niveaux d’énergies équidistants
1.2.3 Modèle de Kubo
1.2.4 Théorie des matrices aléatoires
1.2.5 Propriétés thermodynamiques et effets de parité
1.3 Supraconductivité
1.3.1 Propriétés fondamentales
1.3.2 Equations de London
1.3.3 Théorie de Ginzburg-Landau
1.3.4 Théorie BCS
1.4 Confinement quantique dans les supraconducteurs
1.4.1 Etat de l’art
1.4.2 Echelles d’énergies et de longueurs
1.4.3 Critère d’Anderson
1.4.4 Expérience RBT (Ralph, Black et Tinkham)
1.4.5 Confinement quantique et réponse superfluide
1.5 Conclusion
2 Synthèses chimiques des nanocristaux métalliques
2.1 Pourquoi la voie chimique ? – Etat de l’art
2.1.1 Introduction
2.1.2 Les colloïdes
2.1.3 Synthèse colloïdale de nanocristaux
2.1.4 Intérêt de la voie chimique
2.1.5 L’or et le plomb
2.2 Les nanocristaux d’or
2.2.1 De la phase aqueuse
2.2.2 … à la phase organique
2.2.3 Synthèse
2.2.4 Caractérisation
2.2.5 Bilan
2.3 Les nanocristaux de plomb
2.3.1 Préparation des précurseurs de plomb
2.3.2 Nucléation et croissance des nanoparticules
2.3.3 Dispersion en solution des nanoparticules de plomb
2.3.4 Caractérisation des nanoparticules de plomb
2.3.5 Discussion sur la synthèse
2.4 Conclusion
3 « Quenching » de l’effet Meissner
3.1 Introduction
3.2 Mesures de la susceptibilité magnétique
3.2.1 Mesures d’aimantation
3.2.2 Susceptibilité magnétique des nanocristaux
3.2.3 Bilan
3.3 Dépendance en taille de la susceptibilité magnétique
3.3.1 Susceptibilité magnétique en fonction de la température et du champ magnétique
3.3.2 Origine du champ critique
3.3.3 Diamagnétisme Meissner
3.3.4 Diagrammes de phases
3.4 Paramagnétisme et effet Meissner à basse température
3.5 Conclusion
4 Assemblage des nanocristaux en réseaux bi-dimensionnels
4.1 Motivation
4.2 Auto-assemblage par évaporation
4.3 Assemblage guidée : méthode de Langmuir
4.3.1 Notions de chimie de surface
4.3.2 Dispositif expérimental
4.4 Films de nanocristaux d’or
4.4.1 Réalisation du film
4.4.2 Dépôt du film de nanocristaux sur les substrats
4.5 Conclusion
Conclusion

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