Généralités
Le corps calleux est la principale commissure cérébrale, reliant les deux hémisphères cérébraux. Son rôle est essentiel dans le transfert des informations inter-hémisphériques. L’agénésie du corps calleux (ACC) est une malformation neurologique fréquente découverte in utéro. Sa prévalence incertaine serait évaluée à 1.4 pour 10000 naissances pour l’ACC et de 0.4 pour 10000 naissances vivantes pour l’hypoplasie de corps calleux (hCC). Ces chiffres sous-estiment l’incidence réelle du fait d’une proportion de patients asymptomatiques non diagnostiqués en anténatal. Une ACC sur deux est associée à des malformations intracérébrales. (1) Cette anomalie est significativement plus élevée dans la population présentant des troubles du développement intellectuel dont l’incidence est estimée de 2 à 3%.(2) L’ACC peut être totale avec absence de corps calleux résultant d’une anomalie de l’embryogénèse, partielle résultant d’une anomalie du développement ou consécutive à un évènement interruptif durant la grossesse.
En 1812, Reil décrivit pour la première fois l’ACC en post-mortem. Pendant 120 ans, seul l’examen anatomo-pathologique permettait de diagnostiquer cette malformation. Depuis la fin des années 1990 et le développement du diagnostic prénatal, les échographies et la réalisation d’imagerie par résonnance magnétique (IRM) anténatales ont permis un diagnostic précoce d’ACC. Lors de la découverte d’une ACC en anténatal, aucune prise en charge thérapeutique n’est possible. Le devenir du fœtus repose entièrement sur le pronostic de l’anomalie découverte : poursuite de la grossesse en cas d’anomalie isolée ou non. De manière légitime, les couples demandent des informations sur le devenir de l’enfant à naître. Les tableaux cliniques des ACC sont très variés pouvant aller d’enfants asymptomatiques à des syndromes avec pronostic neurologique sévère. Le diagnostic anténatal est complexe du fait de la difficulté à émettre un diagnostic et un pronostic précis. Le seul indicateur pronostique fiable de cette pathologie, reconnu de manière consensuelle par la littérature, est actuellement le caractère isolé ou non de l’ACC.
La question principale concernant la poursuite ou non de la grossesse en fonction du pronostic neurologique est donc la présence ou non d’anomalies associées du système nerveux central (SNC) : holoprosencéphalie, syndrome de Dandy Walker, anomalies de la migration neuronale (trouble de la gyration et hétérotopies de substance grise), dilatation ventriculaire évolutive ou anomalies extra-cérébrales : atteintes ophtalmologiques, cardiaques, rénales ou digestives… Compte tenu du pronostic neurologique sévère, lorsque l’ACC est associée à une anomalie génétique, à des malformations cérébrales graves ou à l’atteinte d’un autre organe, une interruption médicale de grossesse (IMG) peut être envisagée si les parents en font la demande. En revanche, la poursuite ou non de la grossesse en cas de diagnostic anténatal d’ACC isolée n’est pas consensuelle selon les centres de diagnostic prénatal en France.
Conduite à tenir lors d’un diagnostic d’agénésie du corps calleux en anténatal
La conduite à tenir concernant le diagnostic anténatal d’ACC ne fait pas l’objet de recommandations pour la pratique clinique. La prise en charge et les informations données aux parents sont très dépendantes du Centre Pluridisciplinaire de Diagnostic Prénatal (CPDPN). Dans notre centre, le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Rouen, l’IMG n’est pas acceptée lors de la découverte d’une ACC isolée. Les parents ne souhaitant pas poursuivre la grossesse sont orientés vers un autre centre.
Plusieurs étapes diagnostiques découlent lors de cette découverte :
– La découverte d’une ACC lors du 2ème trimestre de grossesse à partir de 20 SA impose une échographie de confirmation dite diagnostique, réalisée par un échographiste expérimenté du CPDPN.
– Un bilan étiologique est ensuite réalisé par un médecin en lien avec le CPDPN. Il comprend :
– Rappel de l’anamnèse : antécédents maternels, déroulement de la grossesse (modalités de la conception, prise de toxiques ou médicaments), notion de consanguinité parentale, antécédents personnels des deux parents
– Bilan d’imagerie :
– Echographie de confirmation ou diagnostique qui permet : une analyse morphologique précise, une analyse du système nerveux central, la recherche de malformations associées, l’évaluation du retentissement sur la vitalité et le bien être fœtal ainsi que la recherche de signes fonctionnels révélateurs de lésions neurologiques.
– IRM cérébrale fœtale qui permet une analyse plus précise d’éventuelles malformations associées, la recherche d’anomalies de la gyration et de la migration neuronale (hétérotopies).
– Bilan biologique maternel : sérologies infectieuses (toxoplasmose, cytomégalovirus, rubéole, herpès)
– Amniocentèse : caryotype fœtal, recherche d’agents infectieux .
– Consultation spécialisée de neuro-pédiatrie : essentielle afin d’expliquer le pronostic de ces futurs enfants, les risques de découverte en post-natal d’anomalies associées et la nécessité d’un suivi prolongé. (4) L’implication du neuro-pédiatre dans la prise en charge anténatale de l’ACC a diminué de façon significative le recours à l’IMG pour cette malformation. Une étude s’est intéressée au devenir de ces grossesses entre 2000 et 2006 en comparant celles entre 2000 et 2003 et celles entre 2003 et 2006. Elle a pu montrer une diminution du taux d’IMG dans les ACC de 13/35 à 9/44 soit une diminution des IMG de 17% (p<0.05) grâce en partie au recours des neuro-pédiatres en anténatal.
Les résultats des examens et les avis des consultations font l’objet d’une concertation pluri-disciplinaire au sein du staff anténatal du CPDPN qui donne une information claire, loyale et appropriée aux futurs parents.
– Si les parents souhaitent poursuivre la grossesse, il est nécessaire de les informer de l’importance du suivi post-natal afin de détecter et prendre en charge d’éventuels troubles de façon précoce.
– Si les parents demandent une IMG, l’aspect législatif est discuté par le CPDPN. Concernant le CPDPN de Rouen, les IMG ne sont pas acceptées dans le cadre des ACC en apparence isolée, les parents peuvent être redirigés vers un autre CPDPN.
Aspects législatifs
Les malformations du système nerveux correspondent à 29,8% des IMG. La première loi sur l’IMG date du 17 janvier 1975, elle a permis de distinguer la notion d’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) et IMG pratiquée sur une grossesse souhaitée mais qui présente des risques fœtaux ou maternels. Le conseil prénatal en cas de diagnostic d’ACC est difficile car le pronostic individuel demeure incertain. En effet, même si certains patients demeurent asymptomatiques, un certain nombre d’enfants ou d’adultes porteurs d’une ACC entre dans la définition des pathologies justifiant l’IMG aux parents : « qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue incurable au moment du diagnostic : article L2213-1CSP ».
Cette possibilité est encadrée par une procédure médico-judiciaire d’acceptation de la demande parentale ou maternelle par deux médecins dont un expert auprès de la cour d’Appel ou cour de Cassation. En 1975, les trois quarts des IMG étaient pratiquées pour raisons maternelles. Cependant le développement du diagnostic prénatal au cours des années 1980 a mis en évidence le fait que les IMG pour raison fœtale étaient souvent signées par des médecins sans compétences spécifiques dans le domaine du diagnostic prénatal. Pour cette raison, la loi du 30 juillet 1994 a permis la création de centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal avec l’obligation que l’un des deux signataires d’une IMG soit membre d’un de ces centres. Ainsi il était acquis que l’indication d’IMG avait fait obligatoirement l’objet d’un avis de spécialiste de médecine fœtale.
Devenir des enfants à long terme
Il est difficile d’établir un pronostic précis pour ces enfants du fait de la faible incidence de cette malformation (entre 0.3% et 0.7% dans la population générale et entre 2 et 3% chez les personnes présentant un retard mental)(1) et de la variabilité des études sur le sujet. Le devenir des enfants porteurs d’une ACC est essentiellement corrélé à l’association ou non d’anomalies intra ou extra-cérébrales avec un pronostic beaucoup plus péjoratif en cas de formes associées : retard intellectuel pouvant être associé à une épilepsie ou des troubles sévères du comportement… On retrouve dans près de 65% des diagnostics d’ACC anténataux, la présence d’anomalies extra-cérébrales.(6) Les progrès en imagerie fœtale permettent des diagnostics fœtaux de plus en plus précoces mais peu de diagnostics sont établis avec certitude. Seul le suivi permettra d’apprécier le devenir de ces futurs enfants. Plusieurs études concernant des enfants diagnostiqués avant la naissance et suivis audelà ont montré une évolution favorable dans près de 80% des cas dans les ACC isolées (en terme de développement intellectuel) (3,7). Une revue de la littérature a étudié les résultats de 16 études ayant inclus 132 enfants avec un diagnostic anténatal d’ACC en apparence isolée et s’est intéressée à leur devenir neuro-développemental. Le développement psycho-moteur était qualifié de normal dans 71.2% [IC 95% (63 78.3)] des cas, 13.6% [IC 95% (8.8-20.5)] des enfants présentaient des anomalies modérées et 15.2% [IC 95% (10-22.2)] des anomalies sévères. (7) Une différence non significative a été observée concernant les troubles sévères dans les ACCC (11.4%) et les APCC (27.6%). Toutefois, ces études ont pour la plupart de faibles effectifs du fait du recours fréquent à l’IMG, sont souvent rétrospectives et avec un suivi à court terme (avant l’âge scolaire).
Ainsi, malgré la réalisation de ces études, il est difficile d’établir un pronostic et un profil neuro-psychologique avec certitude pour ces enfants. Néanmoins, la littérature suggère que les enfants ou adultes porteurs d’une ACC isolée sont plus souvent sujets à des difficultés dans les domaines suivants :
– Difficultés dans le transfert inter-hémisphérique de l’information et de l’apprentissage sensoriel complexe (8)
– Difficultés dans la coordination motrice bi-manuelle (7)
– Difficultés dans la résolution de problèmes complexes et nouveaux (9)
– Difficultés dans les aspects phonétiques et sémantiques du langage (10)
– Difficultés dans la compréhension du langage non-verbal (émotions, humour) engendrant une perspicacité et un jugement social déficitaire .
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Table des matières
I. Introduction
1. Généralités
2. Conduite à tenir lors d’un diagnostic d’agénésie du corps calleux en anténatal
3. Aspects législatifs
4. Devenir des enfants à long terme
II. Neuro-anatomie et embryogénèse
1. Anatomie du corps calleux
2. Embryogénèse du corps calleux
3. Vascularisation du corps calleux
4. Fonctions du corps calleux
III. Etiologies
1. Causes génétiques
2. Maladies métaboliques
3. Origine toxique, vasculaire, infectieuse
IV. Moyens diagnostiques prénataux
1. L’échographie
1-1. Exploration échographique de la ligne médiane : aspect normal
1-2. Visualisation du corps calleux
1-3. Description radiologique de l’ACC en anténatal
Signes directs
Signes indirects
2. L’Imagerie par résonnance magnétique
V. Patients et méthodes
1. Définition de la population
2. Données recueillies pour chaque enfant
3. Suivi pédiatrique des enfants
4. Tests psychométriques
5. Analyse statistique
VI. Résultats
1. Déroulement de la grossesse
2. Imageries anténatales
2-1. Echographies fœtales
2-2. IRM fœtales
3. Naissance
4. Imageries post-natales
5. Suivi pédiatrique
5-1. Développement psycho-moteur global
5-2. Troubles moteurs
5-3. Troubles sensoriels
5-4. Langage
5-4. Epilepsie
6. Tests neuropsychologiques
7. Prise en charge thérapeutique
7-1. Scolarisation
7-2. Intervenants para-médicaux
7-3. Prise en charge spécifique
VII. Discussion
1. Synthèse des résultats
2. Comparaison avec la littérature
2-1. Développement psycho-moteur
2-2. Langage
2-3. Troubles neuro-psychiatriques
2-4. Tests neuropsychologiques
2-5. Absence de disconnexion inter-hémisphérique
3. Limites de l’étude
4. Perspectives
4-1. Approfondissement des recherches génétiques
4-2. Intérêt de l’IRM fonctionnelle
4-3. Prise en charge précoce des troubles du langage du langage oral
4-4. Remédiation cognitive
4-5. Information prénatale donnée aux parents
VIII. Conclusion
IX. Références