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La prévision et la vigilance des cyclones aujourd’hui
On observe, en moyenne, entre 80 et 90 tempêtes tropicales par an, dont près de la moitié se développe en cyclones tropicaux. Ceux-ci provoquent à eux seuls 20% des dégâts et de la mortalité imputables aux phénomènes naturels dans le monde. Tandis que les cyclones font de moins en moins de morts dans les pays occidentaux, ils font de plus en plus de dégâts matériels et économiques. En revanche, ils sont toujours aussi dévastateurs dans les pays plus pauvres. Il est donc indispensable d’organiser le réseau de météorologues et de surveillance des cyclones tropicaux.
La réponse de l’OMM : les CMRS
L’Organisation Mondiale de la Météorologie (OMM), institution spécialisée des Nations Unies, comptant 182 Etats Membres, est en charge de la veille météorologique mondiale, avec notamment des centres météorologiques régionaux spécialisés (CMRS). Les centres à spécialisation régionale ont pour rôle principal de diffuser les données météorologiques dans leur région, tandis que les centres à activité spécialisée coordonnent la surveillance de phénomènes spécifiques, i.e. cyclones, cendres de volcan, etc.
Le « Tropical Cyclone Programme » de l’OMM a pour but de minimiser les pertes de vie et de dommages matériels à travers la coordination des services météorologiques nationaux qui sont concernés par les cyclones tropicaux. La figure 1.4 renseigne sur l’activité cyclonique globale.
Pour faciliter cette coordination, les régions exposés au risque cyclonique sont divisées en sept zones, comme illustré sur la figure 1.5, avec la désignation de CMRS responsables Nen collaboration avec des « Centres d’Avertissements de Cyclones Tropicaux » (TCWC / Tropical Cyclone Warning Center). Les principales caractéristiques des bassins tropicaux sont données dans le tableau 1.2.
En plus des sept CMRS et cinq TCWC sollicités, une autre institution contribue à l’émission d’avis de cyclones : le « US Joint Typhoon Warning Center » (JTWC), basé à Pearl Harbor à Hawaï, est un centre de prévision des cyclones tropicaux entre la US Navy et la US Air Force qui ne fait pas partie des CMRS définis par l’OMM étant à vocation principalement militaire. Il participe néanmoins à la surveillance des événements cycloniques et à l’archivage des données les concernant.
La veille cyclonique
Dans chaque bassin tropical, le CMRS ou TCWC en charge surveille toutes les dépressions tropicales depuis leur formation jusqu’à leur dissipation.
Une première alerte de formation cyclonique est généralement donnée par les simulations d’ensembles de modèles de prévision globaux qui indiquent, par exemple, une probabilité élevée de développements convectifs associés à une anomalie chaude de la température de la mer en surface. Dans ce cas, les prévisionnistes ont pour mission de vérifier, sur les images satellites, la présence ou non d’une perturbation tropicale à fort potentiel cyclogénétique. L’analyse humaine permet aussi de mettre en évidence des processus qui mèneront éventuellement à la cyclogénèse : des perturbations ondulatoires de moyenne à grande échelle ou des développements locaux de petite échelle.
Les développements cycloniques étant relativement lents, les prévisionnistes parviennent généralement bien à observer la formation d’une dépression tropicale caractérisée par un centre dépressionnaire. La suite de la surveillance se fait grâce à la méthode de Dvorak. Faute de moyens, seul le CMRS de Miami utilise la reconnaissance par avion, la technique la plus fiable pour connaître l’intensité d’un vortex, pour classifier l’intensité d’un cyclone sur l’échelle de Saffir-Simpson. Sur le Pacifique nord-ouest, Taiwan conduit depuis quelques années le programme DOTSTAR (Dropwindsonde Observations for Typhoon Surveillance near the TAiwan Region) avec le largage ciblé de dropsondes au voisinage des cyclones menaçant l’île.
Les extrêmes et le réchauffement climatique
Quelques cyclones extrêmes
Les territoires et populations sont affectés par des cyclones extrêmes depuis toujours, même si les données météorologiques, elles, sont rares avant le XVIIIème siècle. Le premier cyclone extrême répertorié par les écrits européens est le Grand Ouragan d’octobre 1780 qui a fait près de 27 500 morts lors de son passage sur les Antilles, Porto Rico, Saint-Domingue et les Bermudes. Depuis, l’Histoire a connu beaucoup plus meurtrier : le cyclone de Bhola qui s’est abattu sur le Bangladesh et l’Inde en novembre 1970 (Frank et Husain 1971), faisant officiellement entre 224 000 et 300 000 morts et, officieusement, plus de 500 000 morts et, plus récemment, le cyclone Gorky (officiellement cyclone 02B) qui a touché la même région en avril 1991 et qui a fait plus de 138 000 morts et 10 millions de réfugiés.
Le typhon Haiyan (catégorie 5) qui a fortement touché les Philippines en novembre 2013 avec près de 6200 morts, 1800 disparus et 28 600 blessés, est considéré comme l’un des cyclones les plus violents jamais enregistrés (Holmes 2014), les vents soutenus sur 1 minute atteignant les 378 km/h et sa pression minimale descendant jusqu’à 858 hPa. Cependant, le record des rafales, tous phénomènes confondus hors tornades, est détenu par le cyclone Olivia (407 km/h) qui affecta l’Île de Barrow en Australie-Occidentale en avril 1996, d’après les records de l’OMM2. En ce qui concerne les records de précipitations, ils sont tous détenus par des cyclones du sud de l’océan Indien sur l’île de la Réunion dont le relief marqué amplifie les pluies : Denise (1144 mm sur 12 heures ; 1825 mm sur 24 heures), Gamède (3929 mm sur 72 heures ; 4869 mm sur 96 heures) et Hyacinthe (5678 mm sur 10 jours).
Les contrastes en taille de cyclones sont étonnants : en octobre 1979, le typhon Tip est le plus grand cyclone tropical avec un rayon (de vents supérieurs au seuil de 17 m s- 1) de 1100 km dans le Pacifique Nord-ouest, à l’inverse du cyclone Tracy en décembre 1974 avec un rayon de 50 km seulement près de Darwin en Australie.
Côté dégâts matériels, c’est l’ouragan Katrina (catégorie 5), en août 2005, qui a occasionné le plus de dégâts d’un coût d’environ 108 milliards de dollars aux USA (Burton et Hicks 2005). Il a touché de plein fouet le sud des USA (la Louisiane avec la Nouvelle-Orléans en particulier, la Floride et l’Alabama), les Bahamas et la majeure partie de l’est américain et canadien.
Le réchauffement climatique
D’après le dernier rapport du Groupe Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) en 20133, l’hypothèse acceptée par la communauté scientifique du doublement du CO2 donne des résultats inéluctables et sans précédent : une augmentation de la température de l’atmosphère et des océans, une diminution des quantités de neige et de glace, une élévation du niveau de la mer et une augmentation des niveaux de gaz à effet de serre.
La question de l’impact du changement climatique sur la formation, la fréquence et/ou l’intensité des cyclones suscite aujourd’hui de nombreuses études, e.g, Trenberth 2007, dont les résultats ne sont pas toujours en accord. Tandis que certains sont plutôt adeptes du scénario catastrophe, d’autres pensent que la nature saura équilibrer les bouleversements liés au changement climatique.
Les modèles climatiques tels qu’ARPEGE–Climat (Météo-France) permettent de donner quelques éléments de réponse aux nombreuses questions liées aux cyclones tropicaux : est-ce que le cisaillement troposphérique du vent horizontal diminuera ? Est-ce que l’instabilité convective augmentera ? Est-ce que l’activité des moussons sera exacerbée ? Est-ce que les masses d’air tropicales deviendront plus humides ? Est-ce que le réchauffement des eaux agira sur la fréquence ou l’intensité du phénomène El Niño ? Est-ce que les changements dans la circulation océanique auront un effet sur les cyclones ?
D’après Météo-France en 2010, compte tenu de l’absence d’une augmentation significative du nombre de cyclones dans le monde pendant ces 50 dernières années, les modèles climatiques tendent à montrer que les effets du réchauffement climatique seront plus régionaux que globaux. Tandis que les zones de cyclogénèse n’évolueraient pas de façon notable, l’intensité des cyclones pourrait subir une augmentation de 2 à 11% et les pluies au sein du mur de l’œil des cyclones devraient augmenter de 15 à 20%. Il est donc probable que les cyclones soient plus intenses d’ici quelques décennies, et qu’ils présentent donc un risque bien réel pour les populations côtières toujours plus nombreuses. Effectivement, à la page 23 du rapport du GIEC, on lit.
Les données utilisées
ERA-Interim
On a choisi de récupérer les champs atmosphériques des réanalyses ERA-Interim en vue d’aboutir à des résultats statistiquement robustes et de réaliser une climatologie correcte des systèmes et des ondes.
ERA-Interim constitue la dernière version des réanalyses produites par le Centre européen de prévision météorologique à moyen terme (CEPMMT – ECMWF en anglais), en remplacement des réanalyses ERA-40 par l’amélioration de l’assimilation de la variable humide, de la physique et de la prise en compte des biais observationnels (Dee et al. 2011). Les réanalyses ERA-Interim, disponibles à partir de 1979 et actualisées régulièrement, sont obtenues à partir du modèle IFS de l’ECWMF (système d’assimilation de données 4D-Var, version CY31r2) à une résolution T255 (0,7° équivalent à environ 77 km) L60 (à 60 niveaux de pression) plus élevée que celle employée par ERA-40.
Pour nos travaux des chapitres 2 et 3, on a récupéré les données ERA-Interim sous la forme de fichiers NetCDF pour les mois de janvier, février et mars de 2000 à 2011 et pour le mois de décembre de 1999 à 2010. Pour le chapitre 4, les mois de novembre et décembre 2011 ont suffi.
On choisit de travailler avec des champs atmosphériques à 0,25° de résolution (suréchantillonnage) à 6 heures d’intervalle, à 10 niveaux de pression (1000, 900, 800, 700, 600, 500, 400, 300, 200 et 100 hPa) pour les variables en trois dimensions (3D) qui nous intéressent : le géopotentiel, la température, les humidités spécifique et relative, les vitesses méridionale, zonale et verticale, le tourbillon relatif et la divergence. En ce qui concerne les variables en deux dimensions (2D), on utilise la température de surface de la mer, la pression au niveau de la mer, les précipitations, la vitesse des vents horizontaux à 10 mètres, entre autres.
On rencontre dans la littérature scientifique internationale plusieurs autres données de champs atmosphériques, notamment les réanalyses américaines du NCEP (National Centers for Environmental Prediction) – National Center for Atmospheric Research (NCAR) ou encore les réanalyses MERRA (Modern-Era Retrospective Analysis for Research and Applications) de la NASA. Il serait intéressant de comparer les résultats obtenus dans cette thèse à travers ces différentes réanalyses.
METEOSAT
Les prévisionnistes observent généralement la structure et la hauteur des nuages : une couverture nuageuse profonde est souvent synonyme de convection profonde, caractéristique des cyclones. Des structures nuageuses, qui peuvent paraître indépendantes et séparées dans le spectre visible (0,4–0,7 µm) ou l’infrarouge thermique (3,5–20 µm), peuvent être reconnues comme faisant partie d’un même système d’échelle synoptique dans le canal vapeur d’eau (5,7–7,1 µm), qui permet en outre de distinguer les régions de haute troposphère riches en humidité. Une variable intéressante à étudier est donc la température de brillance (TB) de nuage dans ce canal vapeur d’eau ; plus un nuage est haut, plus son sommet est froid, plus la TB de ce nuage est faible.
Nous avons choisi de travailler avec la TB qui provient des satellites METEOSAT, une famille de satellites météorologiques géostationnaires réalisés sous maîtrise d’œuvre de l’European Space Agency (ESA) et financés par l’Organisation européenne pour l’exploitation des satellites météorologiques (EUMETSAT). EUMETSAT est une organisation intergouvernementale qui fédère les services météorologiques de 26 états membres européens ; la gestion des données en France est réalisée par le Centre de Météorologie Spatiale (CMS ; Météo-France et CNES) à Lannion.
Les satellites qui nous intéressent sont METEOSAT-5 (géostationnaire à 63°E de juillet 1998 à février 2007) et METEOSAT-7 (géostationnaire à 57,3°E depuis février 2007) qui couvrent l’océan Indien dans le cadre du programme IODC (Indian Ocean Data Coverage). Les données nous ont été transmises sous forme de données codées sur 8 bits par pixel (avec une résolution spatiale de 4,5 km environ) des images dans le canal vapeur d’eau, dont Tjemkes et al. (2001) ont vérifié la calibration. Il a été nécessaire de convertir les données numériques dn en température de brillance (en Kelvin) par une simple formule : TB 190150 * dn / 255 .
Sur la période étudiée dans la thèse, on récupère la TB sur une zone couvrant {30°– 100°E ; 5°N–45°S} toutes les trois heures.
On a montré dans le cadre de cette thèse que, dans la zone étudiée, la TB était anticorrélée aux précipitations mesurées lors de la TRMM (Tropical Rainfall Measuring Mission), par un satellite américano-japonais, i.e., les pluies sont corrélées aux nuages de haut sommet.
Dans la littérature scientifique, des données comparables à la TB sont souvent utilisées : l’OLR (Outgoing Longwave Radiation, ou Ermittance Infrarouge) déduite des satellites polaires de la NOAA. L’OLR est une estimation de l’emittance thermique de l’atmosphère (en W m-2) reliée à la TB par la loi de Stefan-Botzmann : OLRσ TB4 , où σ est la constante de Stephan-Botzmann (= 5,67 × 10-8 W m-2 K-4) et TB est la température d’un corps noir ayant une émittance égale à OLR.
IBTrACS
En ce qui concerne les données cycloniques, on a choisi de travailler avec la base de données IBTrACS (International Best Track Archive for Climate Stewardship ; Knapp et. al 2010) de la NOAA–National Climatic Data Center (NCDC), approuvée par le « Tropical Cyclone Programme » de l’OMM comme une ressource officielle d’archivage et de distribution des données « best track », estimation consensuelle de la trajectoire et de l’intensité des cyclones tropicaux qui se sont produits sur les différents bassins.
Les outils de travail
Les données IBTrACS combinent les bases de données issues des différents CMRS et TCWC officiels. Sur le sud-ouest de l’océan, les données de trajectoire et d’intensité proviennent essentiellement du CMRS La Réunion. Il arrive aussi qu’on utilise les données des TCWC Perth ou Jakarta pour les systèmes qui traversent la longitude 90°E, et aussi les données du JTWC de Guam (pour le cyclone Alenga dans le chapitre 4).
Les données IBTrACS sont sous la forme d’un fichier NetCDF par bassin tropical ; de 1848 à 2012 pour le sud-ouest de l’océan Indien. Les informations référencées sont les positions des systèmes cycloniques nommés pour la plupart, dès leur détection par les prévisionnistes, toutes les six heures, accompagnées des informations de vents maximaux, de pression minimale, de bassin traversé, etc.
On montre dans le chapitre 2 que les centres détectés par la méthode basée sur les réanalyses ERA-Interim sont bien corrélés aux données de positions issues d’IBTrACS. En revanche, les réanalyses ERA-Interim ne parviennent pas à atteindre les minimums de pression et maximums de vents listés dans IBTrACS car la résolution spatiale n’est pas suffisante pour représenter correctement les processus convectifs de la phase de maturité.
Le logiciel MATLAB
La majorité des travaux effectués pendant cette thèse, i.e. les traitements de données, les analyses statistiques, les méthodes objectives, les tracés de résultats, a été faite avec le logiciel MATLAB4 (« matrix laboratory »), un langage de programmation de haut niveau développé par The MathWorks, accompagné de son environnement interactif de développement, utilisé à des fins de calcul numérique, de visualisation et de programmation. C’est la version 7.11.0.584 (R2010b) qui été utilisée sous UNIX.
Ce logiciel n’est pas gratuit. Le prix de sa licence individuelle peut aller d’une centaine d’euros (pour les étudiants ou pour un usage personnel limité), à 500 € pour un usage académique (pour des travaux de recherches), jusqu’à 2000 € dans d’autres cadres (business, par exemple). Le laboratoire d’Aérologie bénéficie d’une licence collective par l’intermédiaire de l’Université Toulouse III Paul Sabatier.
Pour le traitement spécifique des fichiers NetCDF, la toolbox MEXCDF, disponible en Open Source5, a été utilisée.
Le modèle Meso-NH
Le modèle météorologique Meso-NH a été utilisé pour les simulations numériques à haute résolution du cyclone tropical Alenga. Se référer au chapitre 4 pour plus d’information sur ce modèle et son utilisation dans le cadre de cette thèse.
Climatologie des 12 saisons cycloniques
Pendant l’été austral, de novembre à avril, saison où l’activité cyclonique de l’hémisphère sud est la plus forte, la zone de convergence intertropicale (ITCZ) est située au sud de l’équateur et donne lieu sur le bassin du sud-ouest de l’océan Indien au développement de nombreuses perturbations tropicales. En moyenne, 11 perturbations atteignent le stade de dépression tropicale. Parmi ces dépressions, environ 9 sont baptisées en tant que tempêtes tropicales lorsque leurs vents dépassent 17 m s-1, et 4 ou 5 de ces tempêtes atteignent le stade de cyclone tropical avec des vents dépassant 33 m s-1. Cela représente environ 10% de l’activité cyclonique mondiale.
Les perturbations tropicales du sud de l’océan Indien
Sur les 12 saisons cycloniques étudiées du 1er décembre au 31 mars de 1999-2000 à 2010-2011 ici et dans les prochains chapitres, la base de données IBTrACS recense 77 tempêtes ou cyclones qui sont nommés dans le sud de l’océan Indien par le CMRS La Réunion. La distribution spatiale des points de cyclogénèse, i.e. au moment où les vents dépassent pour la première fois le seuil de tempête tropicale à 17 m s-1, sur la figure 2.1, montre que les tourbillons sont généralement nommés dans une bande de 10° de latitude environ : entre 12 et 22°S à l’ouest de 45°E, et entre 8 et 18°S à l’est de 85°E, parallèle à l’ITCZ.
On choisit de ne pas étudier les systèmes qui sont nommés et s’intensifient à moins de 500 km de Madagascar, ni ceux qui évoluent dans le Canal du Mozambique. En effet, l’influence de l’île et du continent africain y est importante à travers la météorologie locale sur terre, le relief ou la température de surface de la mer plus variable. La cyclogénèse y est certainement plus influencée par des processus locaux. Pour les mêmes raisons, on souhaite aussi exclure les développements proches de l’Australie ou de l’Indonésie, sous la responsabilité des TCWC Perth et Jakarta respectivement, au-delà de 100°E.
Ainsi, parmi les 77 tempêtes et cyclones du CMRS La Réunion, 51 se développent dans la MDZ, entre 55 et 100°E et entre 5 et 20°S, représentée par le rectangle sur la figure 2.1. Ces 51 tempêtes ou cyclones viennent généralement du nord-est en direction des îles des Mascareignes et de Madagascar et sont nommées en cours de route. Il est donc nécessaire de prendre une zone d’étude qui s’étend suffisamment au nord et à l’est des points de cyclogénèse, afin de pouvoir étudier les caractéristiques de ces perturbations avant qu’elles soient nommées. La figure 2.2 montre la distribution spatiale des 51 points de cyclogénèse selon le mois pendant lequel les vents dépassent 17 m s-1. On ne note pas de tendance spécifique par rapport aux mois de cyclogénèse.
Bien que notre étude ne concerne pas les tempêtes et cyclones qui se développent à proximité des côtes continentales dans le sud de l’océan Indien, il est nécessaire de les connaître car il arrive qu’une partie de leur trajectoire se trouve dans la MDZ, influençant ainsi l’environnement local. De plus, en dehors des tempêtes et cyclones tropicaux du CMRS La Réunion, il est aussi important de prendre en compte les dépressions tropicales qui, elles aussi, influencent l’environnement local même si elles n’atteignent pas le stade de tempête tropicale. Ainsi, en plus des 51 tempêtes et cyclones nommés dans la MDZ par le CMRS La Réunion, on a 46 autres systèmes tourbillonnaires moins intenses ou de trajectoires plus complexes. On catégorise les perturbations à titre d’information par rapport à leur intensité relative selon l’échelle de Saffir-Simpson détaillée dans la partie 1.2.1, une classification légèrement différente de celle utilisée par le CMRS La Réunion. Le tableau 2.1 liste les perturbations tropicales qui affectent le bassin que l’on étudie.
Spécificités des saisons cycloniques
On s’intéresse maintenant aux phénomènes de grande échelle qui peuvent impacter la variabilité interannuelle du climat générale du sud-ouest de l’océan Indien.
ENSO : El Niño Southern Oscillation
A l’origine, El Niño désigne un courant côtier saisonnier chaud qui affecte plus ou moins le large du Pérou et de l’Equateur selon les années et qui atteint son apogée à Noël, mettant fin à la saison de pêche au large des côtes.
De nos jours, El Niño, qui consiste en une anomalie positive de température de la surface de la mer dans l’est Pacifique, est relié au phénomène « Southern Oscillation » (oscillation australe) qui, lui, repose sur une anomalie de pression atmosphérique entre Darwin (côte nord de l’Australie) et Tahiti (île française au milieu de l’océan Pacifique Sud). Cette relation, appelée ENSO (Rasmusson et Wallace 1983), est une perturbation climatique majeure qui affecte non seulement le Pacifique tropical, mais aussi d’autres bassins dans le monde. L’ENSO peut notamment influencer la variabilité ondulatoire de l’atmosphère tropicale, décrite dans la partie 3.1. On caractérise habituellement l’ENSO par des anomalies de température de surface de l’eau (SST), mais aussi par des anomalies de pression atmosphérique, de régime de vents et de précipitations (Rasmusson et Carpenter, 1982). Un événement El Niño débute généralement en milieu d’année et dure entre 6 et 18 mois. Il peut y avoir entre 2 et 7 ans entre deux événements El Niño intenses. L’événement le plus marqué de ces dernières décennies est le phénomène El Niño en 1997-1998. Depuis, la situation est relativement calme, avec de petites à moyennes oscillations.
Description El Niño / La Niña
En temps normal (figure 2.6), hors événement El Niño, les eaux chaudes s’accumulent en surface dans l’ouest du Pacifique tropical, du côté de l’Indonésie, entraînées par les alizés bien établis. Ce déplacement d’eaux chaudes entraîne un « upwelling » (des remontées d’eaux froides des profondeurs) sur l’est du bassin, le long de la côte sud-américaine, en sus du courant froid de Humboldt habituel qui circule le long de la côte vers le nord.
L’accumulation d’eaux chaudes entraîne une zone de basse pression sur l’ouest Pacifique, la formation de nuages convectifs et des précipitations abondantes, tandis que l’accumulation d’eaux froides dans l’est entraîne une descendance de l’air et un assèchement, formant ainsi une cellule de circulation zonale de Walker.
Certaines années, l’upwelling dans l’est et l’accumulation d’eaux chaudes dans l’ouest sont très marqués : on parle alors de phénomène La Niña. L’activité convective est renforcée sur le nord de l’Australie et l’Indonésie.
Dans le cas d’un événement El Niño (figure 2.7), les hautes pressions au milieu de l’océan Pacifique s’atténuent et les alizés faiblissent, disparaissent ou changent de sens. Les eaux chaudes accumulées à l’ouest regagnent le centre, puis l’est du Pacifique, causant l’humidification de l’air troposphérique, accompagnée des nuages convectifs et des précipitations associées. Alors, l’Australie, l’Indonésie et, par extension, l’Inde, l’Afrique australe, les Caraïbes et le nord-est du Brésil connaissent des épisodes de sécheresse, tandis que les pays sud-américains de la côte ouest, l’Afrique de l’est équatoriale, les îles du Pacifique et le sud des Etats-Unis subissent des inondations et glissements de terrain inhabituels. Les eaux de l’est s’étant réchauffées et étant ainsi plus pauvres en nutriments que les remontées d’eaux froides habituelles, la pêche devient plus difficile au large des côtes américaines.
Indice MEI
Plusieurs indices existent pour étudier les variations des conditions climatiques et océaniques impliquées dans l’oscillation ENSO. Celui qu’on utilise est le « Multivariate ENSO Index » (MEI), développé par la NOAA (Wolter et Timlin, 2011), une moyenne pondérée des six variables les plus observées dans le Pacifique tropical : (1) la pression au niveau de la mer, (2) la composante zonale du vent de surface, (3) la composante méridionale du vent de surface, (4) la SST, (5) la température de l’air à la surface de la mer, et (6) la fraction nuageuse du ciel. D’après Klaus Wolter6, cet indice est plus fiable que les autres indices qui, eux, sont calculés à partir d’une seule variable, tels que le SOI (Southern Oscillation Index) ou le Niño 3.4 SST.
Pour sa validation, l’indice MEI a été calculé entre 1871 et 2005 et comparé aux événements connus d’El Niño et La Niña. Sa valeur oscille généralement entre -2 et 2 environ. Lorsqu’elle est positive, on parle d’une tendance à El Niño, et lorsqu’elle est négative, il s’agit d’une tendance à La Niña. Elle peut dépasser 2 ou -2 pour les événements les plus marqués.
Article soumis : Meetoo et Roux 2014
Nous insérons ici une version légèrement révisée de notre article initial qui a été soumis en février 2014 au Monthly Weather Review, journal de l’American Meteorological Society, et qui a reçu une décision d’acceptation sous réserve de révisions majeures. Puisque l’on a décidé de complètement remanier l’article dans ses objectifs et son contenu et qu’il est toujours en cours de réécriture à l’heure où ce manuscrit est publié, il nous est impossible de le réinsérer ici sans faire des modifications majeures au plan du manuscrit. Nous nous en excusons.
Présentation de l’article initial
Les processus spécifiques mis en jeu dans la variabilité intrasaisonnière de la formation des tempêtes et cyclones tropicaux sont peu connus sur le sud-ouest de l’océan Indien. L’article présenté ici propose quelques méthodes pour parvenir à expliquer les conditions environnementales favorables à la cyclogénèse tropicale. Ces méthodes sont appliquées au cas du sud-ouest de l’océan Indien à partir de réanalyses ERA-Interim (ECMWF) et de données des satellites géostationnaires METEOSAT (EUMETSAT) pendant 12 saisons cycloniques du 1er décembre au 31 mars de 1999-2000 à 2010-2011.
Dans un premier temps, on présente une méthode objective qui permet de détecter les tourbillons naissants dans les données ERA-Interim et de les associer aux tempêtes nommées répertoriées dans la base de données cycloniques IBTrACS. La méthode repose sur l’identification de minimums de géopotentiel couplés à des circulations cycloniques en surface, tout en vérifiant leurs continuités verticale et temporelle. On parvient ainsi à détecter l’ensemble des tempêtes et cyclones listés dans IBTrACS avec une erreur spatiale moyenne de 100 km, et ce entre six heures et six jours avant leur premier référencement dans IBTrACS. On a ainsi une plus longue période de cyclogénèse à étudier. On étudie également les caractéristiques des tourbillons trouvés et de l’environnement associé (cœurs chauds/froids, baroclinicité, forçage de haute altitude) selon Hart (2003) et McTaggart-Cowan et al. (2008, 2013).
Ensuite, on calcule en deux étapes une fonction continue « tracker » de tourbillons naissants à potentiel cyclogénétique à partir de variables environnementales (ERA-Interim et METEOSAT) : (1) la sélection des variables environnementales dites « discriminantes » pour la cyclogénèse tropicale et (2) le calcul de la combinaison linéaire entre les différentes variables corrélée à l’évolution cyclogénétique à l’échelle intrasaisonnière.
On sélectionne les variables discriminantes par une méthode objective basée sur la quantification des différences des variables entre : (1) l’environnement cyclogénétique défini à partir des résultats de la méthode précédente de détection des tourbillons naissants (les points qui sont à moins de 500 km des développements cycloniques avant le stade de tempête tropicale), et (2) l’environnement habituel sans développement cyclonique (qui exclut l’environnement cyclogénétique ainsi que les points proches des tempêtes et cyclones développés ou en fin de vie). La comparaison des fonctions de distribution de probabilité dans les deux types d’environnement pour chaque variable est quantifiée par un paramètre δ. Plus δ est grand (supérieur à 0,3), plus la variable en question est dite discriminante. On sélectionne ainsi sept variables environnementales dynamiques et thermodynamiques, auxquelles on rajoute délibérément la température de surface de la mer et le cisaillement vertical du vent horizontal dont le δ associé est inférieur au seuil défini mais qui sont connues dans la littérature scientifique pour leur importance dans la cyclogénèse tropicale.
Afin de définir la combinaison linéaire qui relie les neuf variables sélectionnées au potentiel cyclogénétique, on définit un « critère de cyclogénèse » C proportionnel au taux de creusement du géopotentiel à 1000 hPa et au taux d’accroissement de la vitesse du vent horizontal à 1000 hPa dans l’environnement cyclogénétique uniquement, et C est une fonction nulle ailleurs. C sera donc maximal pendant la cyclogénèse lorsque le système est dans une phase d’intensification. Afin de trouver la combinaison de variables environnementales qui approche le plus le critère C, on applique une ACP (Analyse en Composantes Principales) sur la matrice de corrélations entre les neuf variables et le critère C, tous dix normalisés en soustrayant leur moyenne et en les divisant par leur écart-type. L’ACP donne une première composante principale associée à la plus haute valeur propre. On en déduit alors la combinaison linéaire des 9 variables environnementales minimisant l’écart avec le critère C normalisé. Cette fonction, appelée γ, quantifie le potentiel cyclogénétique.
Le tracker γ, calculé par ces deux étapes, est une fonction de huit variables environnementales normalisées : la température de brillance (TB), la température de surface de la mer (SST), le tourbillon relatif (RVOR), l’humidité relative (RIH) et la divergence (DIV) de basse troposphère, le tourbillon relatif et l’humidité relative de moyenne troposphère et la divergence de haute troposphère. γ est défini en tout point de temps, latitude et longitude
Le coefficient associé à la température de surface de la mer est relativement faible par rapport à ceux des autres variables, montrant ainsi que cette variable influence peu la phase de cyclogénèse tropicale que l’on étudie. On sait en outre que les températures moyennes de surface sont déjà favorables à la cyclogénèse pendant toute la période étudiée de décembre à mars, d’après les analyses des conditions climatiques moyennes.
De plus, la sélection forcée du cisaillement du vent troposphérique comme variable discriminante aboutit à un coefficient quasi nul par la méthode ACP ; la variable n’apparaît donc pas dans la formule de γ. On en conclut que les conditions de cisaillement sont déjà plutôt favorables pendant la saison, que la phase initiale de cyclogénèse peut se produire dans des conditions variées de cisaillement de vent, et/ou que les variations intrasaisonnières de cette variable influencent peu la phase de cyclogénèse. Le forçage d’altitude observé aux stades précoces de certains tourbillons s’accompagnent ainsi de cisaillement vertical de vent non négligeable.
La distribution de γ au sein de chacune des 12 saisons cycloniques permet de comprendre un peu mieux les processus cyclogénétiques intrasaisonniers sur le sud-ouest de l’océan Indien, en identifiant correctement des périodes alternées de conditions plus ou moins favorables à la cyclogénèse tropicale. On définit un γ = 1,8 de la façon suivante : tant que les valeurs maximales de γ ne dépassent pas ce seuil, on peut être sûr que les conditions favorables ne permettront pas le développement d’un tourbillon et l’aboutissement à une tempête tropicale sur les 12 saisons étudiées.
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Table des matières
Chapitre 1 Contexte et travaux en cours
1.1 Des observations aux simulations numériques
1.1.1 Autour du nom « cyclone »
1.1.2 Les premières observations
1.1.3 Les premières prévisions statistiques
1.1.4 Les premières modélisations numériques
1.2 Connaissances actuelles sur les cyclones tropicaux
1.2.1 Description des cyclones tropicaux
1.2.2 La prévision et la vigilance des cyclones aujourd’hui
1.2.3 Les extrêmes et le réchauffement climatique
1.3 La cyclogénèse tropicale sur le sud-ouest de l’océan Indien
1.3.1 Présentation générale de la cyclogénèse tropicale
1.3.2 Le sud-ouest de l’océan Indien
1.3.3 Présentation des objectifs de la thèse
1.4 Les outils de travail
1.4.1 Les données utilisées
1.4.2 Le logiciel MATLAB
1.4.3 Le modèle Meso-NH
Chapitre 2 Conditions environnementales et tourbillons pré- cycloniques
2.1 Climatologie des 12 saisons cycloniques
2.1.1 Les perturbations tropicales du sud de l’océan Indien
2.1.2 Conditions climatiques moyennes du bassin
2.1.3 Spécificités des saisons cycloniques
2.2 Article soumis : Meetoo et Roux 2014
2.2.1 Présentation de l’article initial
2.2.2 Meetoo, C., and F. Roux, 2014: Characteristics of potential incipient vortices for tropical cyclogenesis in the Southwestern Indian Ocean
2.3 Travaux supplémentaires
2.3.1 Tests sur la formule de la fonction tracker γ
2.3.2 Application à d’autres problématiques
2.4 Conclusions et discussions
Chapitre 3 Analyse spectrale spatio-temporelle
3.1 Les ondes équatoriales et l’Oscillation de Madden-Julian
3.1.1 Les ondes équatoriales
3.1.2 L’Oscillation de Madden-Julian
3.1.3 Le lien avec la cyclogénèse
3.2 La méthode de l’analyse spectrale
3.2.1 L’analyse spectrale et le sud-ouest de l’océan Indien
3.2.2 La méthode de décomposition en modes
3.3 Les résultats
3.3.1 Résultats sur la saison 2000-2001
3.3.2 Résultats généraux sur les 12 saisons
3.3.3 Liens entre les modes trouvés et les ondes théoriques
3.4 Conclusions et discussions
Chapitre 4 Simulations Meso-NH du cyclone tropical Alenga
4.1 Cadre du travail
4.1.1 La campagne CINDY-DYNAMO et la MJO
4.1.2 Le cyclone tropical Alenga
4.1.3 Généralités sur les modèles atmosphériques
4.2 Les simulations effectuées
4.2.1 Généralités sur nos simulations
4.2.2 Résumé des simulations réalisées
4.3 Résultats
4.3.1 La représentation de la cyclogénèse d’Alenga par Meso-NH
4.3.2 Les débuts d’Alenga et la MJO
4.4 Conclusions et discussions
Conclusion générale
Bibliographie
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