Conditions de réalisation du travail scolaire à la maison
INTRODUCTION
Au cours de notre pratique en enseignement, nous avons souvent entendu parler de l’abandon scolaire des élèves amérindiens. La scolarisation des élèves amérindiens a été mise en place et la fréquentation scolaire est devenue obligatoire pour eux. Cependant, la scolarisation est incontournable dans la société québécoise actuelle. Dans Je courant de cette période d’émergence de la scolarisation obligatoire, ce11ams élèves peuvent parfois présenter des difficultés académiques. Et c’est le cas d’élèves amérindiens de deux communautés algonquines de l’Abitibi-Témiscamingue concernés par cette recherche. Une des premières constatations est à l’effet que l’existence d’un «climat» scolaire associé à la présence d’une école n’est apparue que récemment dans le quotidien des communautés algonquines. La scolarisation proprement dite, avec ses obligations, est presque une nouveauté chez les gens concernés. L’écoute attentive des propos tenus par des parents d’élèves de la communauté nous permet d’observer certains indices du rapport que certaines familles entretiennent avec la scolarisation. À partir de ce point d’ancrage, nous avons pensé que les élèves amérindiens pouvaient manifester des signes avant-coureurs du phénomène de l’abandon scolaire dans leur vécu quotidien à l’école. Donc cette étude exploratoire prend racine à partir des opinions des élèves amérindiens et vise à les décrire.
L’abandon scolaire chez la population québécoise en général et en AbitibiTémiscamingue en particulier
Le ministère de l’Éducation du Québec publie régulièrement les indicateurs de 1‘abandon et du décrochage scolaire. Ainsi, les données recueillies démontrent que la proportion de décrocheurs parmi l’ensemble des élèves sortants varie selon les années. Ainsi, à titre d’exemple, pour l’ensemble du Québec on remarque qu’en 1999-2000 le taux d’abandon scolaire se situe à 23 ,9% et en 2000-2001 on observe alors un taux de 24,7%. À la lumière de ces données, on observe que dans la société québécoise, le taux d ‘ abandon scolaire est en moyenne presque le quart de la clientèle scolaire (ministère de 1‘Éducation du Québec, 2003). Boyer (1999) souligne que depuis une trentaine d’années, les taux d’abandon scolaire varient de 30% à 40 % chez les élèves non autochtones au Québec. D’autres données indiquent que bon nombre de jeunes Québécois obtieru1ent leur diplôme d’études secondaires tandis que d’autres abandonnent les bancs d’école. Selon Je ministère de l’Éducation du Québec, pour J’année 2004 le taux des jeunes ayant obtenu leur diplôme secondaire se situe dans une proportion de 67,9%. À la lumière de ce qui précède, une partie des élèves ne sont pas diplômés des études secondaires, soit presque Je tiers de l’effectif scolaire.Les données de Larue et Chénard (1992) indiquent que J’Abitibi-Témiscamingue a déjà présenté un des taux les plus faibles (55%) en fait d’obtention du diplôme d’études secondaires soulignant ainsi que c’est la région qui détient le pourcentage le plus élevé d’élèves sans diplôme d’études secondaires. Toutefois de nos jours, selon les indicateurs du ministère de l’Éducation du Québec (2004) on peut observer que la situation scolaire de I’Abitibi-Témiscamingue, qui était déjà précaire, a tendance à s’améliorer. En effet, on y mentionne que la proportion des jeunes et des adultes de moins de 20 ans qui obtiennent leur diplôme d’études secondaires est de 62,8%, alors qu’elle était de 64,5% en 2001-2002. C’est donc dire que la situation de la diplomation de la fin du secondaire est à la hausse pour cette région.
Les statistiques de l’abandon scolaire chez les Amérindiens
Les statistiques de l’abandon scolaire chez les Amérindiens sont plus pessimistes que chez la population québécoise. La majorité des personnes parmi la population autochtone est sans diplôme. En effet, selon Statistique Canada, dont les données sont présentées par Dumas (Revue Rencontre 1999), on peut remarquer que 31,3% des élèves autochtones n’atteignent qu’un niveau de scolarité se situant entre la 9e et la 13e année. Ce pourcentage laisse croire gu’ environ les deux tiers des élèves amérindiens n’ont pas de diplôme secondaire.Nos recherches personnelles menées dans les communautés autochtones où cette étude est effectuée, nous font constater que les données officielles ne sont pas disponibles.D’ailleurs d’autres écrits affirment, comme c’est Je cas de Dumas (1999), qu’il n’y a pas de données disponibles pour permettre d’observer les phénomènes d’abandon scolaire chez les Autochtones du Québec sauf pour les Cris et les !nuits. Toutefois, selon les données du Bulletin du Gouvernement du Québec (2004), dont la source est Statistique Canada, les résultats des Amérindiens (résidant dans une réserve) indiquent un faible taux d’obtention du diplôme d’études secondaires, se situant à 5,7%. D’autres données dans Je même volet indiquent que ce taux se situe à 62,5% de réussite quant aux études, mais inférieures aux études secondaires. Ces données concernent la population de la clientèle amérindienne au niveau provincial, mais ne sont pas disponibles pour les communautés concernées et visées par la présente recherche exploratoire.
Quelques éléments concernant le début et la situation actueJJe de la scolarisation des Amérindiens en Abitibi
Pour ajouter quelques éléments concernant la situation actuelle de la scolarisation des Amérindiens, nous nous devons de mentionner que c’est plus de trois siècles après l’arrivée des gens d’Europe, gue les Amérindiens de la région de l’Abitibi ont commencé à fréquenter les bancs d’école. Ils n’avaient pas l’habitude de ce mi lieu et ne s’exprimaient que dans leur propre langue, ne parlant pas la langue de l’école.Dès les premières lectures sur le sujet et aussi selon l’expérience vécue, nous avons remarqué gue chez les Amérindiens, l’école est relativement nouvelle. C’est avec l’événement des écoles résidentielles autrefois appelées pensionnats indiens que la formalisation de la scolarisation a vraiment débuté vers les années 1950 au Québec. Nous, nous étions pensionnaires au Pensionnat Indien d’Amos, situé à St-Marc de Figuery en Abitibi. Ainsi autrefois, dans un passé moins lointain entre les années 1955 et 1969, les élèves amérindiens de la région d’Amos fréquentaient un pensionnat mixte exclusivement réservé pour eux. Ils étaient pensionnaires de septembre à juin sans pouvoir sortir, si ce n’est qu’à Noël, au Jour de l’An et à Pâques pour une journée seulement chaque fois. En se référant à notre ex périence,nous nous rappelons que nos parents venaient nous chercher le matin et il fallait retourner au pensionnat le soir même. En attente de ces vi sites à la maison , nous nous plaisions à ressentir notre hâte et combien étaient précieuses et appréc iées les quelques heures passées en compagnie de notre tàmille. Cependant, beaucoup d’enfants ne pouvaient sortir de l’école rés ide ntie lle durant ces jours parce que les parents demeuraient très loin (Obedjiwan, W ey montach ie, Lac Victoria). Concernant la pédagogie, la langue d’enseignement était française et aucun cours en langue autochtone n’était donné. Le pensionnat était tenu par les communautés reli gieuses.
L’apparition de signes avant-coureurs de l’abandon scolaire
Le phénomène de J’abandon scolaire est une réalité de la société actuelle. Un certain nombre de jeunes décrochent pendant le parcours scolaire, ce qui est aussi le cas chez les élèves amérindiens. L’élève amérindien ne décroche pas de l’école du jour au lendemain,c’est un long processus. Les causes de l’abandon scolaire trouvent leur origine quelque pmi bien avant le moment où on abandonne carrément l’école. L’abandon scolaire est un long processus gui s’est manifesté dans le vécu scolaire par différentes voies.Certaines recherches mentionnent la présence des signes avant-coureurs de J’abandon scolaire. Ainsi les recherches de Boyer (1999) indiquent gue les besoins spécifiques sont de plus en plus nombreux chez les élèves amérindiens. De plus selon la représentante du Conseil en éducation des Premières Nations, le taux d’abandon se situe entre 40% et 90%, incluant 50% des élèves ayant des besoins spéciaux. (Boyer, 1999). Toujours selon la représentante du Conseil en éducation des Premières Nations, les besoins spéciaux se situent1 1 et se présentent sous diverses formes soit les difficultés de comportement, de communication, des difficultés intellectuelles, physiques, multiples etc. (Bastien, 1992). Les résultats publiés dans un tableau du « Bulletin statistique de l’éducation » nous font constater une particularité à partir de la première année, ce qui équivaut à peu près à l’âge de 6 ans: 21 élèves amérindiens inscrits ont besoin de programmes spéciaux et plus on avance endegré scolaire plus les chiffres démontrent une tendance vers l’augmentation des besoins de programmes spéciaux. Ne peut-on considérer que cela puisse constituer un signe avantcoureur de l’abandon du cadre scolaire puisqu’il implique que l’élève ne soit plus capable de continuer ses études sans une aide spécifique quelconque (Gouvernement du Québec 2004)
Une culture en changement rapide
Selon Cuche (1996), Emile Durkheim (185 8- 1917) avait pour ambition de comprendre Je social dans toutes ses dimensions et sous tous ses aspects y compris la dimension culturelle à travers toutes les formes de sociétés. Pour lui, les phénomènes sociaux ont nécessairement une dimension culturelle puisque ce sont aussi des phénomènes symboliques. Sa préoccupation centrale était de déterminer la nature du lien social. Il est question de la différence entre les peuples et que 1’homme est essentiellement un être de culture, ce qui comprend la connaissance, les croyances, 1’art, la morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en tant que membre de la société. Il existe dans toute société une « conscience collective » faite des représentations collectives, des idéaux, des valeurs et des sentiments communs à tous les individus de cette société. C’est la conscience collective qui réalise 1 ‘unité et la cohésion d’une société. Durkheim utilisait parfois 1’expression « personnalité collective. » (Cuche, 1996, p.26). La différence fondamentale entre les groupes humains est d’ordre culturel et non racial.Ce qui diffère entre les groupes, ce sont les modes de la pensée faite des représentations collectives, des idéaux, des valeurs et de sentiments communs à tous les individus de la société (Cuche, 1996). Cependant, la culture commune traditionnelle des individus et des communautés est en processus de changement. Cuche (1996, p.56) mentionne «que la personnalité de base se trouve modifiée à la troisième génération ». JI est bien intéressant de constater que le même phénomène s’observe chez la plupart des communautés amérindiennes en Abitibi-Témiscamingue. Il se manifeste particulièrement au plan de la langue. JI est directement observable que des enfants ne parlent presque plus leur langue d’origine, même lorsqu’ils jouent entre eux. Ils se parlent en français (pas nécessairement articulé) parce que J’environnement social, le contexte de francisation par les écoles et l’arrivée de la télévision ont fait leur œuvre. Lorsqu’il est question de la perte de la langue amérindienne, c’est la forme de l’autre langue qui influence et altère la langue première. Les expressions verbales algonquines sont différentes de celle de la langue française. Par exemple, si nous disons « là-bas », nous utilisons Je mot WETI on prononce wedi. Si J’objet en question est proche, le mot WETI se dit rapidement. Si c’est à une distance plus éloignée on prononcera ce mot en prononçant plus longuement. Si c’est encore plus loin, se dira très longuement: W E TI. On constate que les enfants ne font plus ces nuances, tout comme leur façon de vivre a changé. Comme le souligne Cuche (1996) nous pouvons approuver Frank Boas (1858-1942) qui dit que dans une culture il y a la langue.Nous avons reçu de nos parents la culture amérindienne. Ils nous ont éduqués à leur manière, selon leur vision des choses qui s’inscrit principalement dans une tradition orale. Plus tard, vers le milieu des années 50, les pensionnats ont pris la relève dans le domaine scolaire, à leur manière aussi et selon leurs perspectives et les mandats reçus du gouvernement fédéral. L’écriture française fait alors son entrée dans la vie des Amérindiens de la région de 1’Abitibi-Est.
L’analyse des données et l’ interprétation des résultats
L’analyse des données et l’interprétation des résultats sont effectuées à la lumière des trois dimensions opérationnelles définissant l’ expérience scolaire des é lèves amérindiens. Les réponses des 113 questionnaires sont compilées et regroupées à l’aide du logiciel SPSS . Le croisement des données est effectué se lon les variables indépendantes « sexe » et « degré sco laire ». La variable «communauté d’appartenance » n’est pas retenue comme variable ind épendante pour des raiso ns éthiques. Aussi, les vari ables «âge» et « langue» ne sont pas retenues en raison de leur complexité. Ce1ia ines quest ions sont rejetées lors du traitement e n raison de leur apport jugé non pertine nt. Les résu ltats déta iliés de cette analyse de premier niveau sont présentés au chapitre suivant.L’interprétation des résultats est présentée globalement pour l’ensemble des répondants en référence aux dimensions conceptuelles de J’expérience scolaire. La dimension de l’expérience du vécu en salle de classe donne lieu à une interprétation du sens donné par les élèves aux matières enseignées, de 1’appréciation de leur compréhension des consignes et des informations communiquées par J’enseignante ainsi que de la compréhension du vocabulaire utilisé; Je rapport avec les pairs en contexte de salle de classe est aussi considéré dans cette dimension.L’expérience d’aller à l’école met en lumière certains buts visés par les élèves, comme la préparation de leur avenir, le sens qu’ils donnent à l’école au quotidien ainsi que l’appréciation de J’enrichissement personnel que leur procure l’école; Je plaisir de la réussite, 1’appréciation de 1’encouragement reçu et les difficultés rencontrées sont également objet d’interprétation. En dernier lieu, J’expérience de travail scolaire à la maison est aussi examinée. On y questionne l’appréciation des conditions de réalisation des travaux scolaire tels J’ambiance du milieu familial, Je support parental reçu et Je temps consacré aux devoirs. L’approche éducative des parents auprès des enfants, en lien avec les signes précurseurs de l’abandon scolaire, est aussi objet de questionnement.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
CHAPITREI LA PROBLÉMATIQUE
1.1 L’abandon scolaire chez la population québécoise en général et en AbitibiTémiscamingue en particulier
1.2 Les statistiques de 1‘abandon scolaire chez les Amérindiens
1.3 Consensus sur le constat du taux élevé d’abandon scolaire chez les élèves amérindiens
1.4 Quelques éléments concernant le début et la situation actuelle de la scolarisation des Amérindiens en Abitibi
1.5 L’apparition de signes avant-coureurs de 1‘abandon scolaire
1.6 Question générale de recherche
CHAPITRE II LE CADRE CONCEPTUEL, BUTS ET LIMITES
2.1 De la culture amérindienne à une culture fondée sur l’écrit
2.1 .1 Une culture en changement rapide
2.1 .2 Brève définition du concept de la littératie et deux exemples en contexte a1nérindien
2.2 La scolarisation, phénomène récent dans la vie des Amérindiens
2.2.1 Bouleversement du mode d’éducation traditionneL
2.3 L’expérience scolaire des élèves amérindiens
2.3.1 Le vécu en salle de classe
2.3.2 La dimension du vécu à l’école
2.3 .3 Le vécu du travail scolaire à la maison
2.4 Buts et limites de la recherche
2.4.1 Objectifs de la recherche
2.4.2 Limites de la recherche
CHAPITRE Ill LA MÉTHODOLOGIE
3.1Les sujets de l’étude
3.2L’instrument de la cueillette des données .
3.2.1Élaboration et validation du questionnaire
3.2.2Démarche de validation
3.2.3Les étapes de la démarche
3.3La cueillette des données
3 .3.1L’analyse des données et l’interprétation des résultats
CHAPITRE IV PRÉSENTATION DES RÉSULTATS DE RECHERCHE
4.1Le vécu en salle de classe
4.1.1Le sens donné aux matières du programme
4.1 .2Compréhension des consignes et des informations données par l’enseignant
4.1 .3L’auto-appréciation de leur attitude en situation de classe
4.1 .4Le rapport avec les pairs
4.2La dimension du vécu à l’école
4.2.1L’ école: préparation à l’ avenir
4.2 .2L’encouragement à réaliser ses rêves venant de l’enseignant
4.2.3Sens donné à l’école au quotidien
4.2.4Les absences de 1’école
4.3.La dimension des travaux effectués à la maison
4.3.1Conditions de réalisation du travail scolaire à la maison
4.3.2Support parental aux travaux scolaires de leurs enfants
4.3.3Interprétation des résultats
CONCLUSION
APPENDICE A
APPENDICE B
APPENDICE C
BIBLIOGRAPHIE
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