L’étude des atomes froids est une voie privilégiée pour l’observation et l’étude de phénomènes quantiques collectifs. Le comportement ondulatoire des particules devient en effet très marqué à basse température : la longueur d’onde caractéristique appelée longueur de de Broglie diminue alors pour devenir comparable à la distance entre atomes, quand la densité atomique est suffisamment élevée. Si ces atomes sont des bosons, ils tendent à former un condensat de Bose-Einstein : ils se regroupent dans un seul état quantique, et le gaz d’atomes est décrit alors par une unique “onde de matière géante”.
La condensation de Bose-Einstein dans les gaz d’atomes alcalins dilués a été observée expérimentalement en 1995 [1, 2], ce qui a valu en 2001 l’attribution d’un prix Nobel à E. Cornell, W. Ketterle et C. Wieman [3, 4]. Cette réalisation s’est appuyée sur les travaux sur le refroidissement laser, pour lesquels un premier prix Nobel avait été décerné en 1997 à S. Chu, C. Cohen-Tannoudji et W. D. Phillips [5, 6, 7]. Peu après 1995, une série d’expériences a mis en évidence les propriétés particulières de ces condensats. Ainsi, la cohérence à longue portée a été démontrée dans des expériences d’interférences [8]. La superfluidité de ces gaz dégénérés a également été démontrée par l’observation de vortex dans des condensats en rotation [9, 10, 11]. Tous ces effets sont observables sur des gaz où les interactions atomiques sont faibles. Dans cette limite, ils sont bien décrits par les théories de champ moyen de Gross-Pitaevskii et de Bogoliubov, qui font apparaître les concepts de fonction d’onde macroscopique et d’excitations collectives.
Plus récemment, des expériences tirant parti des progrès réalisés dans la préparation et la manipulation de nuages atomiques ultra-froids, ont permis de se placer dans un régime où l’approche de champ moyen n’est plus suffisante. Les systèmes étudiés se rapprochent alors de ceux rencontrés dans la physique de la matière condensée. Leur intérêt réside dans la capacité à contrôler les interactions, que ce soit directement via l’utilisation d’une résonance de Feshbach [12], ou bien en modifiant la nature et l’intensité du confinement des atomes. Ainsi, l’ajustement des interactions a permis l’observation de gaz de fermions dégénérés dans un régime de fortes interactions [13, 14], ou encore de condensats de molécules [15, 16, 17, 18]. L’utilisation de potentiels de piégeage périodiques a conduit à l’observation de la transition entre un gaz superfluide et un isolant de Mott [19, 20, 21]. Enfin, l’utilisation de confinements très anisotropes permet l’exploration de systèmes dont la dimensionnalité réduite engendre des corrélations à N corps remarquables. A deux dimensions, la transition BKT (Berezinskii-Kosterlitz-Thouless) a été mise en évidence [22]. Pour un gaz de Bose à une dimension, l’observation de gaz de Tonks Girardeau a révélé un comportement fermionique des bosons [23, 24], issu de la combinaison des interactions répulsives entre atomes et de la réduction extrême des degrés de liberté de mouvement. La formation de ces états fortement corrélés s’accompagne souvent d’une modification des fluctuations quantiques de certaines variables qui permet de les détecter. Ainsi, dans le cas d’un isolant de Mott, les fluctuations du nombre d’atomes sur chacun des sites du réseau sont réduites [25].
Existence d’un état lié dans un piège de profondeur finie
Pour un condensat de Bose-Einstein, le confinement dans un piège gaussien réalisé par un faisceau laser focalisé diffère fortement de celui réalisé par un piège harmonique idéal [55]. La principale différence provient de la profondeur finie du piège, qui rend incertaine l’existence d’un état lié. En effet, dans un puits carré de profondeur finie tridimensionnel par exemple, il n’y a pas d’état lié si le piège est trop peu profond. Dans cette section, nous nous interrogeons sur les conditions d’existence d’un état lié en fonction de la dimensionnalité du piège. D’autre part, les interactions répulsives entre atomes ont une influence dépendant du nombre d’atomes dans le piège. Les effets de ces interactions sur la fonction d’onde du condensat sont aussi étudiées ici.
Rôle de la dimension sur l’existence d’un état lié dans le cas idéal
Classiquement, quelque soit la dimension considérée, un piège de profondeur finie, tel un puits carré, est toujours capable de piéger une particule pourvu que son énergie soit assez faible. Du point de vue quantique, le problème revient à se demander si l’état fondamental du système possède toujours une énergie négative, constituant ainsi un état lié. Nous allons voir que la réponse diffère suivant la dimension du piège. Comme nous venons de le voir, la fonction d’onde du condensat est simplement proportionnelle à la fonction d’onde à une particule (si l’on néglige les interactions, voir section suivante), et le problème se ramène donc à un problème de mécanique quantique à un corps traité dans [57], dans le cas à une, deux (p.162) et trois dimensions (p.110). Dans tous les cas, on pourra supposer que le piège est un puits carré, de profondeur V0 et d’extension spatiale a, sans perte de généralité. En effet, pour un potentiel de piégeage quelconque, il est toujours possible de trouver un puits carré d’énergie inférieure en valeur absolue en tout point. Ce potentiel de piégeage s’écrit donc V (r) = −V0, r < a, et nul sinon.
Méthode variationnelle en présence d’interactions
D’après les résultats présentés, il est possible, à une et à deux dimensions, de piéger un condensat de Bose-Einstein sans interaction dans un piège de profondeur arbitrairement faible. Cependant, les interactions répulsives présentes dans le cas du sodium augmentent l’énergie du condensat, proportionnellement au nombre d’atomes [Fig. 1.1 (c)]. Il n’est alors pas évident qu’un état lié possédant une énergie faiblement négative dans le cas idéal subsiste en présence d’interactions. Les interactions répulsives entre atomes instaurent-elles une borne inférieure sur la profondeur du piège pouvant confiner un condensat de Bose-Einstein ?
Dans le cas du problème avec interactions, la mise en oeuvre de la méthode perturbative décrite plus haut pour la détermination de l’existence d’un état lié est plus complexe. A trois dimensions, cette existence n’est déjà pas garantie sans interaction, et il en va donc de même si l’on prend en compte des interactions répulsives. Qu’en estil pour des dimensions inférieures ? Nous nous contenterons ici de traiter le problème unidimensionnel. Une méthode commune pour déterminer l’existence d’un état lié est la méthode variationnelle [57], qui permet de donner une borne supérieure de l’énergie de l’état fondamental du condensat dans le piège.
Excitations collectives dans un piège gaussien unidimensionnel
Après avoir caractérisé la fonction d’onde de l’état fondamental du condensat, nous nous sommes intéressés aux états excités. En effet, nous savons qu’en raison de la température ou des interactions, une fraction des atomes peut être excitée en dehors du condensat. Il est impossible de décrire cette fraction non condensée en se limitant à l’équation de Gross-Pitaevskii. D’autre part, dans notre cas, le piège a une profondeur finie, ce qui implique que certains de ces états excités (tous dans le cas d’un piège à un seul niveau) sont libres, bien qu’ils puissent différer d’ondes planes en raison de la présence du piège. Les atomes non condensés ne peuvent dès lors plus être piégés, et l’on peut espérer un condensat quasi-pur piégé dans le puits de faible profondeur. Il ressort de ces considérations que les excitations du condensat dans un piège de profondeur finie constituent un sujet d’investigation intéressant.
Pour traiter ce problème, nous envisageons un boîte à une dimension d’une longueur L, dans laquelle se trouve un gaz de bosons. Au centre de cette boîte se trouve un puits gaussien de faible profondeur (dimple), tel que L ≫ w0, avec w0 la taille caractéristique du dimple. On peut alors donner un description simplifiée des niveaux d’énergie pour ce piège, s’il possède un unique état lié, en distinguant trois catégories de niveaux d’énergie : l’état fondamental, lié ; les premières excitations libres, d’énergie faible, et par conséquent perturbées par le dimple ; enfin, les excitations libres d’énergie élevée, très proches d’ondes planes. Afin de vérifier et de préciser cette description, nous avons d’abord étudié le cas idéal, et nous avons ensuite utilisé l’approche de Bogoliubov afin de calculer les excitations du condensat en prenant en compte les interactions.
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Table des matières
Introduction
1 Condensation de Bose-Einstein dans un piège de profondeur finie
1.1 Rappels sur la condensation de Bose-Einstein
1.1.1 Condensation de Bose-Einstein d’un gaz idéal dans un piège
harmonique à trois dimensions
1.1.2 Rôle des interactions : équation de Gross-Pitaevskii
1.2 Existence d’un état lié dans un piège de profondeur finie
1.2.1 Rôle de la dimension sur l’existence d’un état lié dans le cas idéal
1.2.2 Méthode variationnelle en présence d’interactions
1.3 Condensat de Bose-Einstein dans un piège gaussien unidimensionnel
1.3.1 Résolution numérique
1.3.2 “Seuil d’explosion” de la taille de l’état fondamental
1.4 Excitations collectives dans un piège gaussien unidimensionnel
1.4.1 Etats excités dans le cas idéal
1.4.2 L’équation de Bogoliubov-de Gennes
1.4.3 Résolution numérique : spectre et nature des états excités
1.4.4 Fraction d’atomes piégés non-condensés
1.5 Pertes et chauffage dans le piège
1.5.1 Dispositif expérimental envisagé
1.5.2 Sources de pertes et de chauffage dans un piège optique
1.5.3 Fluctuations d’intensité du piège
1.5.4 Recouvrement entre l’état fondamental lié et les états excités
non-piégés
1.6 Conclusion
2 Condensats spinoriels fortement corrélés
2.1 Description théorique d’un condensat spinoriel
2.1.1 Hamiltonien d’interaction
2.1.2 Approximation à un mode unique
2.1.3 Condensat spinoriel de sodium
2.1.4 Contrôle externe du spin par un champ magnétique oscillant
2.2 Génération d’états corrélés avec un condensat de spin 1
2.2.1 Etat fondamental d’un condensat de spin 1 dans un champ magnétique
2.2.2 Description du condensat dans l’état singulet
2.2.3 Comparaison entre état singulet et état cohérent
2.2.4 Passage adiabatique vers l’état singulet
2.3 Superposition macroscopique pour un condensat de spin 1/2
2.3.1 Condensat à deux états de spin
2.3.2 Phase des états quantiques et interférométrie
2.3.3 Chat de Schrödinger spinoriel
2.3.4 Rôles de pertes
3 Somme de fréquence non linéaire en cavité
3.1 Somme de fréquence dans un cristal non linéaire
3.1.1 Les équations régissant la somme de fréquence
3.1.2 Puissance produite dans le cas de faisceaux collimatés
3.1.3 Cristaux périodiquement polarisés et accord de phase
3.1.4 Faisceaux gaussiens focalisés : théorie de Boyd-Kleinman
3.2 Cavité doublement résonnante et conversion non linéaire
3.2.1 Rappels sur les cavités optiques
3.2.2 Cavité doublement résonnante et conversion non linéaire
3.3 Optimisation de l’efficacité de conversion
3.3.1 Cas idéal : conversion totale
3.3.2 Prise en compte des pertes
3.3.3 Conclusion
4 Réalisation expérimentale d’un laser à 589 nm par somme de fréquence
4.1 Dispositif expérimental
4.1.1 Réalisation de la cavité optique pour la somme de fréquence
4.1.2 Description détaillée du système
4.2 Asservissements électroniques intriqués
4.2.1 Principe général
4.2.2 Haute efficacité de conversion et asservissement
4.2.3 Optimisation de la robustesse de l’asservissement
4.3 Caractérisation du laser à 589 nm
4.3.1 Comparaison à la théorie
4.3.2 Stabilité en intensité, qualité du mode spatial
4.3.3 Asservissement du laser pour le refroidissement du sodium
4.4 Collaboration avec le MIT
4.5 Conclusion
Conclusion
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