Conceptualisation et traitement du trouble d’anxiété généralisée à l’enfance 

L’inquiétude, élément central et nécessaire au diagnostic du trouble d’anxiété généralisée (TAG), est un processus cognitif anticipatoire impliquant un enchainement de pensées à prédominance verbale à propos d’événements négatifs futurs et de leur implication (APA, 2013; Roemer & Borkovec, 1993; Vasey & Daleiden, 1994). L’inquiétude est un phénomène cognitif commun et normal à l’ enfance, la plupart des enfants rapportant s’inquiéter de temps en temps (Muris, Meesters, Merckelbach, Sermon, & Zwakhalen, 1998; Muris, Merckelbach, Gadet, & Moulaert, 2000; Muris, Merckelbach, Meesters, & van den Brand, 2002). Ces inquiétudes occasionnelles diffèrent toutefois de l’inquiétude excessive et incontrôlable rapportée par les enfants souffrant d’un TAG. Afin de pouvoir établir qu’un enfant souffre de cette psychopathologie, les inquiétudes doivent également s’accompagner d’au moins un des six symptômes suivants : agitation, fatigue, difficultés de concentration, irritabilité, tension musculaire ou perturbation du sommeil. Elles doivent aussi être présentes la plupart des jours, pendant une période d’au moins six mois et entrainer une détresse significative ou altérer le fonctionnement social, familial ou scolaire de l’enfant (APA, 2013).

Dans les 20 dernières années, les études empiriques sur l’inquiétude et le TAG à l’enfance ont commencé à émerger. Cette percée scientifique a permis d’ établir que le TAG est l’un des troubles anxieux les plus répandus à l’enfance (Costello, Egger, & Angold, 2005) et qu’il est associé à des difficultés chez les enfants, comme des difficultés d’apprentissage (Jarrett, Black, Rapport, Grills-Taquechel, & Ollendick, 2015) et des troubles dépressifs (Jarrett et al., 2015 ; Layne, Bernat, Victor, & Bernstein, 2009; Masi et al., 2004; Masi, Mucci, Favilla, Romano, & Poli, 1999). De plus, le trouble se résorbe rarement de lui-même (Yonkers, Warshaw, Massion, & Keller, 1996) et à l’âge adulte, le TAG continue non seulement d’ être associé à des troubles de l’humeur (Wittchen, Zhao, Kessler, & Eaton, 1994) mais il a également un impact négatif sur la qualité de vie de l’ individu et sur son fonctionnement au travail (Wittchen, Carter, Pfister, Montgomery, & Kessler, 2000).

Malgré tout, l’étude du TAG à l’enfance accuse un retard important par rapport aux travaux réalisés auprès des adultes. Chez les enfants, peu de données sont actuellement disponibles concernant les modèles étiologiques s’y rattachant et son traitement. Le présent chapitre propose donc l’exploration du T AG à J’ enfance à travers une revue de la documentation scientifique sur les facteurs cognitifs pouvant être impliqués dans son apparition et son maintien et sur les traitements actuellement offerts aux enfants qui en souffrent. Dans un premier temps, les modèles théoriques du T AG développés auprès des adultes et les thérapies qui en sont issues seront présentés, puisque la majorité des travaux effectués auprès des enfants découle de la littérature adulte. Ensuite, les études ayant porté sur l’applicabilité de ces modèles théoriques à l’enfance seront recensées et enfin, une revue des traitements actuellement disponibles pour les enfants qui répondent aux critères d’un TAG sera présentée.

Modèles conceptuels et efficacité des traitements du TAG chez les adultes 

Les modèles théoriques explicatifs de l’inquiétude excessive et du TAG ont été développés auprès de populations adultes (Borkovec, Alcaine, & Behar, 2004; Mennin, Heimberg, Turk, & Fresco, 2005; Roemer, Salters, Raffa, & Orsillo, 2005; Wells, 1995, 1999). Les différences notables dans le développement cognitif, social et émotionnel des enfants ne permettent toutefois pas d’assumer d’emblée qu’ ils s’appliquent aux enfants (Vasey, 1993). Cependant, des travaux démontrent qu’environ à partir de l’âge de 7 ans, les capacités cognitives des enfants à anticiper des événements négatifs futurs et à élaborer sur leurs conséquences potentielles s’améliorent, ce qui pourrait expliquer que leurs inquiétudes deviennent alors plus fréquentes, variées et élaborées (Grist & Field, 2012; Muris et al., 2000, 2002; Vase y, 1993; Vasey & Daleiden, 1994). L’atteinte d’un certain niveau de maturité cognitive chez l’enfant rendrait donc possible l’émergence d’inquiétudes excessives qui pourraient être similaires à celles manifestées par les adultes. Les études rétrospectives effectuées auprès des adultes suggèrent d’ailleurs que le T AG se développerait typiquement durant l’enfance (Keller et al., 1992; Rapee, 2001). L’ensemble de ces résultats laisse présager que les théories et les traitements adultes sont des voies prometteuses pour être adaptées à l’enfance.

Modèles du traitement de l’information 

D’abord, les modèles généraux de traitement de l’information des personnes anxieuses ont contribué à mieux connaitre les biais cognitifs attentionnels et d’interprétation manifestés par les adultes souffrant d’un TAG (MacLeod & Rutherford, 2004). À l’ instar des études conduites auprès des adultes, celles effectuées auprès des enfants et des adolescents démontrent également que l’ anxiété est associée à des biais cognitifs attentionnels. Par exemple, lorsque comparés à des jeunes sans psychopathologie, les jeunes manifestant un trouble anxieux portent davantage attention à l’ information menaçante lors de tâches cognitives effectuées en laboratoire (Dalgleish et al., 2003; Taghavi, Dalgleish, Moradi, Neshat-Doost, & Yule, 2003). De plus, lorsque confrontés à des situations ambigües, les enfants anxieux ont tendance à interpréter l’information disponible de façon menaçante et négative, à surestimer le danger potentiel et à sous-estimer leur capacité à y faire face (Bogels, Snieder, & Kindt, 2003; Bogels, van Dongen, & Muris, 2003; Bogels & Zigterman, 2000; Chorpita, Albano, & Barlow, 1996; Dalgleish et al., 2003; Suarez & Bell, 2001 , 2006). L’anxiété chez les enfants est également associée à la présence de pensées catastrophiques et de biais cognitifs de généralisation et de personnalisation (Weems, Berman, Silverman, & Saavedra, 2001). Cependant, la majorité de ces travaux concernent l’anxiété en général et ne permettent pas une conceptualisation spécifique de l’inquiétude excessive.

Le modèle de l’évitement cognitif 

Le modèle développé auprès des adultes par Borkovec et ses collaborateurs (Borkovec, 1994; Borkovec et al., 2004) concerne plus spécifiquement l’ inquiétude et stipule que le phénomène serait maintenu chez l’individu par la fonction d’évitement qu’ il remplit. En effet, des travaux ont mis en évidence le fait que l’ inquiétude consiste en un traitement à prédominance verbolinguistique du matériel émotif, par opposition à l’imagerie mentale. L’imagerie du matériel émotif provoquerait une réponse cardiovasculaire plus intense chez l’ individu comparativement à son articulation verbale. Par sa nature, l’inquiétude entrainerait donc une réduction de l’ activation physiologique aversive associée aux images mentales et interfererait ainsi avec le traitement émotionnel normal de la peur, ce qui maintiendrait ultimement l’inquiétude (Borkovec & Hu, 1990; Borkovec & Inz, 1990; Foa & Kozak, 1986; Freeston, Dugas, & Ladouceur, 1996; Vrana, Cuthbert, & Lang, 1986). De plus, le fait que les événements dont s’ inquiètent les individus se produisent rarement contribuerait à renforcer la croyance selon laquelle l’inquiétude est un moyen efficace de les éviter (Borkovec, Hazlett-Stevens, & Diaz, 1999). Les personnes qui s’inquiètent excessivement ont donc tendance à croire que l’ inquiétude diminue la probabilité d’ occurrence d’un événement négatif, qu’elle permet de résoudre des problèmes, d’éviter de penser à des sujets émotifs encore plus aversifs, de trouver la motivation à faire les choses et de se préparer au pire (Borkovec et al., 1999). Le fait que les enfants d’âge scolaire détiennent déjà les capacités cognitives nécessaires pour s’inquiéter et qu’ à l’instar des adultes, leurs inquiétudes portent sur des événements à faible probabilité d’occurrence (Silverman, La Greca, & Wasserstein, 1995) porte à croire que ce modèle explicatif pourrait également s’appliquer à l’ enfance .

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Table des matières

Introduction 
Trajectoire développementale
Prévalence et conséquences à court, moyen et long terme du TAG
Évolution de la classification diagnostique
Chapitre 1. Conceptualisation et traitement du trouble d’anxiété généralisée à
l’enfance 
Introduction
Modèles conceptuels et efficacité des traitements du TAG chez les adultes
Modèles du traitement de l’information
Le modèle de l’évitement cognitif
Le modèle métacognitif
Les modèles issus de la troisième vague des thérapies cognitivocomportementales
Le modèle de l’intolérance à l’incertitude
Applicabilité des modèles conceptuels adultes à l’enfance
Intolérance à l’ incertitude
Croyances erronées face à l’inquiétude
Orientation négative aux problèmes
Évitement cognitif
Cohérence des modèles théoriques à l’enfance
Traitement des troubles anxieux et du T AG à l’enfance
Conclusion
Références
Chapitre 2. Article 1 : Les vulnérabilités cognitives impliquées dans le trouble
d’anxiété généralisée chez l’enfant 
Sommaire
Introduction
Objectifs et hypothèses
Méthode
Participants et déroulement
Sous-échantillon clinique
Sous-échantillon comparatif non clinique
Instruments de mesure
Résultats
Analyses préliminaires
Analyses descriptives et vérification des postulats de base
Comparaison des sous-échantillons clinique et non clinique
Identification des variables à contrôler
Comparaison des participants selon le répondant
Analyses principales
Prédictions de la tendance à s’inquiéter à partir des vulnérabilités
cognitives
Analyses de variance et de covariance
Discussion
Références
Chapitre 3. Article 2 : Efficacité d’une thérapie cognitivo-comportementale pour le traitement du trouble d’anxiété généralisée chez les enfants de 8 à 12 ans 
Sommaire
Introduction
Méthode
Participants
Instruments de mesures
Mesures remplies par l’enfant
Questionnaire sur les Inquiétudes de Penn State EnfantsAdolescents
Multidimensional Anxiety Scale for Children
Mesures remplies par les mères
Mesures remplies par le clinicien
Protocole de recherche
Traitement
Thérapeutes
Intégrité du traitement et validité des diagnostics établis
Résu Itats
Analyse des calepins d’auto-observation
Analyse de l’effet de l’ intervention sur les diagnostics
Analyse de l’effet de l’intervention sur les symptômes principaux
Indice de fonctionnement globaL
Discussion
Références
Discussion générale
Résumé de l’étude sur les processus impliqués dans le T AG chez les enfants
Résumé des résultats de l’adaptation clinique du traitement du TAG pour les
enfants
Retombées possibles et recherches futures
S’inquiéter avant 8 ans, est-ce possible?
Force et limites des études présentées
Conclusion

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