Concepts généraux et enjeux concernant l’observation en milieu marin côtier
L’utilisation des navires, bouées appareillées et satellites pour l’observation
Les impacts de nouveaux usages et leur intensification en zone côtière (exploitation de granulats, fixations d’éoliennes en mer, développement d’infrastructures de forage, etc.) s’ajoutent aux impacts déjà récurrents des techniques de pêche, des effluents, polluants et macrodéchets d’origine terrestre. L’amélioration des connaissances du milieu marin est essentielle pour mettre en place une « économie bleue » (volet maritime de la stratégie Europe 2020), associant la recherche et l’innovation technologique, l’utilisation durable des ressources, la compétitivité et la création d’emplois en faveur d’une croissance intelligente, durable et partagée. Les engins autonomes à large rayon d’action ont permis des progrès significatifs pour cartographier, mesurer et comprendre les environnements marins. Les suivis de biodiversité sont automatisés à leur tour depuis plus récemment avec l’émergence des outils de screening moléculaire (protéomique, métabolomique, génomique, métagénomique, etc.) et le développement de méthodes de reconnaissance automatique [e.g., les suivis génomiques du plancton lors des expéditions de Tara entre 2009 et 2013 (par exemple, Pesant S. et al., 2015), ou les recherches sur la reconnaissance automatique du zooplancton (par exemple, Gasparini et al., 2007 ou Gorsky et al., 2010)]. Leur utilisation permet aujourd’hui d’engranger un grand volume de données. Par ailleurs, les méthodes de suivi par télédétection ou réalisées à la surface représentent aussi une part significative de notre connaissance du milieu marin, surtout sur les 15 à 20 premiers mètres de profondeur. Les données produites par ces engins et satellites sont de plus en plus diverses et volumineuses, et ont fait rentrer les disciplines de l’environnement marin dans l’ère du big data. Cette utilisation est plus limitée sur le littoral et dans les eaux côtières, zones les plus sensibles aux pressions et aux effets des changements climatiques, et où vit une partie considérable de la biodiversité marine aujourd’hui menacée (Coll et al., 2010). Pour autant, en Mer Méditerranée, même si elles ne sont pas aussi volumineuses, une large partie des données historiques concernant l’écologie marine se concentre dans la zone côtière (Fredj et al., 1992).
L’observation in situ des fonds sous-marins
Les variables concernant le benthos
Les suivis benthiques sont généralement plus délicats à effectuer avec des engins autonomes, même si l’utilisation de ROV (Remotely Operated Vehicles) (Pelletier et al., 2012) se développe. Ceux-ci demandent soit un pilotage de la surface soit une installation / désinstallation nécessitant des plongeurs. Ces outils, parfois difficiles à stabiliser car pilotés depuis la surface, sont plutôt exploratoires et restent peu utilisés pour des suivis scientifiques du benthos, car les variables mesurables par un ROV n’ont pas la même précision qu’avec un opérateur en plongée. Pour les données correspondant à l’étude des substrats durs, les données le plus souvent récoltées correspondent à l’abondance des colonies et leur recouvrement. Pour chacun des jeux de données, la précision des inventaires va de la catégorie benthique à l’espèce selon les compétences de l’observateur, sachant que certaines déterminations de familles et de genres sont déjà une affaire de spécialiste.
Les méthodes d’étude destructrices
Concernant le benthos, les sédiments meubles sont mieux connus que les substrats durs, car leur étude de la surface a pu être systématisée grâce à différentes sortes de dragues et de bennes de prélèvements utilisables d’un navire, et permettant des études et des suivis avec un grand nombre de réplicas.
Les méthodes basées sur des prélèvements de substrat ont l’avantage de pouvoir travailler plus longtemps sur les échantillons, et de faire des déterminations précises (sous réserve de l’existence et de la disponibilité des spécialistes des groupes) et/ou des échantillonnages importants. Les échantillons peuvent être conditionnés pour être présentés à des spécialistes et étudiés de différentes manières, combinées ou non (microscopie classique ou électronique, approches moléculaires telles que la génomique, la protéomique, la métabolomique…) Elles sont surtout développées pour les substrats meubles, pour lesquels des engins de prélèvement comme des bennes peuvent être mis en place depuis la surface. Ces engins permettent des approches quantitatives, basées sur un grand nombre de réplicas. D’autres méthodes comme les dragues et les chaluts permettent de prospecter des surfaces plus grandes et d’étudier le substrat, mais de manière qualitative. L’inconvénient de toutes ces méthodes réalisées depuis la surface est de cibler plus difficilement un substrat précis, surtout lorsque la mosaïque d’habitats présents est particulièrement complexe. Ces méthodes sont difficiles à mettre en oeuvre sur des substrats durs, et encore plus sur des substrats biogènes, plus complexes et plus fragiles. Les prélèvements les plus ciblés y sont réalisés par des plongeurs. L’aspect destructeur de ces prélèvements peut paradoxalement paraître plus évident aux gestionnaires que l’impact d’un engin traînant sur une beaucoup plus grande surface de substrat meuble. Les prélèvements sont donc censés être effectués avec parcimonie, d’autant plus que les milieux et/ou les espèces concernés revêtent une importance patrimoniale acceptée à l’heure actuelle comme plus étant forte que pour les substrats meubles. Certaines de ces techniques ont été utilisées dans le cadre des programmes scientifiques dont fait partie cette thèse (CIGESMED et DEVOTES), tels les grattages en plongée de petite surface, ou les échantillonnages d’espèces (réputées fréquentes) pour des études de génétique des populations en relevant des paramètres de contexte. La conception, le test et la mise en œuvre de protocoles de prélèvement et d’observation des assemblages d’espèces in situ vont permettre, grâce à une description commune de variables de contexte, de comparer des habitats moins différents, et ont pour objectif d’améliorer la détection des changements, qu’ils soient d’origine humaine ou naturelle. Cette comparaison devrait enfin permettre lorsque c’est possible de remplacer des méthodes destructrices par un équivalent plus acceptable y compris par des gestionnaires du milieu.
Les méthodes non destructrices reposant sur la plongée
Le recensement visuel sous-marin ou “Underwater Visual Census” (U.V.C.) : L’U.V.C. constitue une technique non destructrice d’évaluation de la biodiversité et de son abondance de plus en plus utilisée et dont les limites ont été maintes fois décrites (HarmelinVivien et al., 1985 ; Kulbicki et al., 2010, MacNeil MA et al., 2008). L’U.V.C. est utilisée par la communauté scientifique depuis les années 70 dans les différentes mers du globe et adaptée aux A.M.P. pour les suivis des peuplements de poissons (Claudet et Pelletier, 2004 ; Claudet et al., 2006). Elle est souvent mise en oeuvre pour suivre les évolutions de populations de poissons notamment en Méditerranée et a été comparée avec les récents systèmes d’observation video rotatifs (STAVIRO ) (Prato et al., 2017) : avec l’apparition de matériels moins onéreux et plus performants, la vidéo sous-marine s’est développée et présente des avantages pour le suivi et la gestion des écosystèmes marins. Ces techniques non destructrices permettent une bonne observation des peuplements ichtyologiques (Pelletier et al., 20012). Par exemple, le STAVIRO, à l’exception de son installation, ne requiert pas de plongeurs professionnels, ce qui permet de s’affranchir de l’effet plongeur (Pelletier et Leleu, 2008) et limite les coûts d’observation. Un autre modèle de station d’observation installé sur le substrat, appelé MICADO enregistre des images selon des intervalles programmés, de l’aube au crépuscule. Ces techniques nécessitent encore de dépouiller l’échantillon recueilli et de s’appuyer sur des techniciens pour analyser les images, ce qui est relativement coûteux en temps. D’autre part, la prise d’images sous-marines et les réglages du matériel ne sont pas des exercices triviaux et doivent être faits par un personnel qualifié et expérimenté.
Les stations vidéo ont l’avantage de pouvoir être déployées de jour comme de nuit, sur une large gamme de profondeurs (Cappo et al., 2006), permettant l’observation des espèces qui ont tendance à fuir les plongeurs. Les inconvénients majeurs des techniques actuelles de vidéo en station peuvent être identifiés comme suit (source : programme PAMPA) :
● Il est très difficile de calculer une densité absolue du fait de la difficulté à évaluer le volume observé ;
● Il y a toujours un risque de surestimation de l’abondance lié aux possibles doubles comptages ;
● Le temps d’analyse a posteriori peut s’avérer conséquent au vu du nombre d’observations réalisables ;
● Il existe un effet (mineur) lié au passage du bateau et à la pose de la caméra ;
● Une station rotative vidéo (R.V.) par exemple comporte en général quelques rotations de l’ordre de la minute, soit un temps d’observation total d’au maximum quelques dizaines de minutes concentrées à un moment de la journée, à moins de réitérer l’installation à différents moments de la journée et/ou de la nuit (ce qui ne permet d’observer qu’une partie de la faune, celle qui sort de ses abris à ce moment-là).
L’objectif des suivis est souvent de faire des comparaisons avec des études et des situations antérieures. Pour y parvenir, utiliser un matériel et une méthodologie comparables aux suivis précédents est impératif (les capteurs, appareils photos, vidéos évoluent ainsi que les formats de données qu’ils produisent). Concernant les suivis du benthos en plongée, l’observateur peut noter un certain nombre de paramètres relatifs aux peuplements : la diversité, l’abondance, la taille individuelle. L’observation en plongée présente le gros avantage de permettre à l’observateur de compléter ces informations grâce aux données de l’environnement (habitat, courant, visibilité, etc.) recueillies simultanément, et se fait le plus souvent en utilisant une surface de référence normalisée (quadrats ou transects).
Il existe de plus un biais reconnu dû à l’observateur, sa compétence et son entraînement. Ce dernier biais peut être réduit si un apprentissage et une re-validation itérative des compétences sont réalisés au préalable. Cette variabilité « observateur » peut être mieux appréhendée lorsque deux plongeurs font leurs observations sur le même transect. A noter que l’observation se limite à la surface externe et que toutes les espèces peu visibles ou endogènes ne sont pas prises en compte. A titre d’exemple, Hong (1980) dénombra plus de 1600 taxons sur des prélèvements de coralligène, alors qu’un plongeur expérimenté n’en recensera environ qu’une centaine lors d’une plongée. La plus grande partie des espèces n’est jamais observée en plongée malgré une présence probable.
Enfin, il existe aussi des stations d’expérimentation, posées puis récupérées par des plongeurs (exemple d’une cloche benthique, figure 2) qui peuvent selon le site rester plus ou moins longtemps en place (quelques heures à quelques jours pour les appareillages fragiles, à quelques mois sans intervention en plongée pour les balises de mesure telles que les capteurs de température ou les réseaux comme le réseau national SOMLIT -Service d’Observation en Milieu Littoral ). Ces systèmes un peu plus normés nécessitent à minima deux plongées (installation puis retrait) et souvent des plongées d’entretien au moins mensuelles (nettoyage des capteurs sur les bouées pour éviter le fouling par exemple). Dans le cadre de SOMLIT, des capteurs sur divers supports permettent des mesures automatiques haute fréquence (température, salinité, oxygène, turbidité, chlorophylle du phytoplancton) jusqu’à soixante mètres avec transmission journalière. Ces données sont essentiellement des données physiques et n’apportent pour le moment que peu d’éléments concernant la biodiversité elle-même.
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Table des matières
Introduction
1. Concepts généraux et enjeux concernant l’observation en milieu marin côtier
1.1 L’utilisation des navires, bouées appareillées et satellites pour l’observation
1.2 L’observation in situ des fonds sous-marins
Les variables concernant le benthos
Les méthodes d’étude destructrices
Les méthodes non destructrices reposant sur la plongée
1.3 La gestion de la donnée scientifique d’observation sous marine : état des lieux d’un domaine peu développé
2. Enjeux de l’observation du benthos de substrat dur en milieu côtier sur de grandes échelles géographiques
2.1 Généralités sur l’observation à large échelle
2.2 Les limites actuelles de l’observation automatisée des habitats benthiques durs en milieu côtier
2.3 La nécessaire utilisation de données d’interprétation
2.4 L’échantillonnage pour l’observation basée sur des études « moléculaire », de nouvelles méthodes de suivi ?
2.5 Analyses et approches comparatives / intégratives
2.6 L’unité taxonomique, chaînon nécessaire pour la compréhension systémique du niveau d’intégration du moléculaire au paysage
3. Concepts généraux et questionnements concernant les systèmes d’information à large échelle sur la biodiversité
3.1 Contexte : des données [de plus en plus] hétérogènes et multi sources
3.2 Le Big Data pour la biodiversité ?
3.3 La quête de l’interopérabilité
Contexte : des besoins d’agrégation dans un système très hétérogène
Définitions et concepts autour de l’interopérabilité
Evolution des cadrages et recommandations sur les plans français, européen et international
Etat des lieux de l’interopération dans le domaine de la biodiversité
3.4 Entrepôts de données et accès aux données
4. CIGESMED, premier programme cadre de cette étude
4.1 Objectif de la thèse dans le cadre de CIGESMED
“Le coralligène”, un patchwork d’habitats riches et variés
Interactions biotiques au sein des habitats coralligènes
4.2 Pourquoi les habitats coralligènes comme cas d’étude ?
Observation des habitats coralligènes, quels challenges à large échelle ?
5. DEVOTES, Deuxième programme cadre de cette étude
6. Questionnements, hypothèses et objectifs concernant l’observation à large échelle du benthos de substrat dur en milieu côtier et les systèmes d’information associés
Conclusion