Décrit par le psychanalyste américain E. Freudenberger en 1974 [31] , puis par la psychologue américaine C. Maslach en 1976 [53] dans leurs études des manifestations d’usure professionnelle, le syndrome d’épuisement professionnel (SEP) ou Burn-out syndrome (BOS) peut toucher tous les secteurs d’activités, mais il semble que les « professions aidantes » où sont observées des réactions d’intense fatigue et d’usure, comme les professions d’avocats, d’enseignants, et les professions médicales, soient les plus exposées [68]. En effet, l’évolution du système de santé, confronté à des enjeux sanitaires, économiques et culturels nouveaux, influe sur les pratiques et les représentations des différents acteurs. La demande de soin est en constante augmentation alors que les moyens humains et financiers sont en baisse [43]. La gestion financière, administrative, juridique, logistique prend de plus en plus de place dans une activité professionnelle où les cas médicaux se complexifient scientifiquement et où les patients sont de plus en plus exigeants. La santé n’est plus une aubaine, mais un dû: « Les médias donnaient un tel écho aux miracles de la médecine qu’une mort ne pouvait être naturelle… C’était forcément la faute de quelqu’un». Cet ensemble de circonstances augmente les sources de stress et diminue le sens de l’accomplissement des soignants. C’est dans cet environnement que se déroule l’apprentissage des spécialités médico-chirurgicales par les étudiants, en vue de l’obtention du Diplôme d’Etudes Spécialisées (DES). C’est une période stressante, pendant laquelle ces derniers doivent acquérir, au prix de longues heures de travail, les connaissances et les pratiques fondamentales pour faire face à leurs futures responsabilités professionnelles.
Malgré les nombreuses études s’y intéressant dans le monde, peu d’entre elles mettent en lumière la problématique du burn-out chez les étudiants en médecine en Afrique, notamment au Sénégal. L’objectif général de notre étude était d’évaluer le syndrome d’épuisement professionnel chez les étudiants en cours de spécialisation au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Dakar au Sénégal.
Définition
Il existe de nombreuses définitions du syndrome d’épuisement professionnel (SEP), ou burn-out syndrome (BOS) pour les anglo-saxons [1, 15, 29]. La principale définition retenueest celle de C. Maslach et S.E. Jackson[54, 55]. Elle a été retenue en partie du fait de l’association du concept à un outil de mesure reconnu sur le plan international, le Maslach Burn-out Inventory (MBI)[54, 55]. Selon cette dernière, le burn-out est un syndrome d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de réduction de l’accomplissement professionnel qui apparaît chez les individus impliqués professionnellement auprès d’autrui. Il est caractérisé par une triade regroupant : l’épuisement émotionnel ou sentiment d’épuisement des ressources émotionnelles, la dépersonnalisation qui se manifeste sous forme de cynisme et de détachement dans les relations interpersonnelles et enfin l’altération du sentiment d’accomplissement personnel caractérisée par le sentiment d’être moins compétent sur le plan professionnel. Actuellement, trois expressions à tonalité différente sont utilisées au niveau mondial pour nommer le syndrome :
• Syndrome d’Epuisement Professionnel (SEP) : C’est le terme qui s’est imposé en langue française. D’autres termes, comme « usure professionnelle » ou « usure au travail », sont également utilisés et mettent l’accent sur la notion d’évolutivité et de progression du phénomène[93].
• Burn-out syndrome (BOS) : terme anglais ; le verbe to burn-out peut signifier : échouer, s’user, devenir épuisé devant une demande trop forte d’énergie, de forces, de ressources. Il évoque une combustion totale, la réduction en cendres d’un objet entièrement consumé, dont toute la matière aurait disparu. L’image inspirée de l’industrie aérospatiale demeure la plus évocatrice: le terme de« burn-out » désigne l’épuisement de carburant d’une fusée avec comme résultante la surchauffe et le risque de bris de la machine [93].
• Karoshi: terme japonais ; c’est un terme à connotation violente qui signifie « mort par excès au travail » (Karo= mort, shi= fatigue au travail). Ce terme reflète la culture japonaise, gouvernée par la notion du bien collectif avec, pour le salarié, la notion de sacrifice de soi élevé, pour satisfaire avant tout aux exigences des autres et de son entreprise. Il s’agit de « Vivre et mourir » pour l’entreprise, tant la pression, le souci d’excellence, le profit et la rentabilité dominent. Ce terme s’éloigne de la relation d’aide et de son usure pour davantage prendre en compte les conséquences, parfois mortelles, des conditions de travail [93].
Historique
• Précurseurs
En 1768, le médecin suisse S. Tissot constate les méfaits de l’acharnement au travail sur la santé. Il est considéré comme l’un des précurseurs d’une psychopathologie du travail, et son approche était essentiellement basée sur la prévention au travail [83]. En 1959, C. Veil développe l’idée de l’épuisement professionnel en décrivant les états d’épuisement au travail [91]. Ce psychiatre et médecin du travail français débute dans le premier centre de la réinsertion sociale et professionnelle de la Sécurité Sociale, puis se spécialisera dans la médecine du travail. Il constate des états d’épuisement « qui n’entrent pas dans la nosographie psychiatrique classique», et qui se développent chez les professionnels travaillant dans le cadre d’une relation à l’autre. Il écrit « la maladie sera considérée comme le franchissement d’un seuil de désadaptation, au-delà d’une marge de tolérance ». Pour lui, « le travail intéressant ne fatigue pas », et ainsi « quand la joie cède à la peine, le travail devient fatigue » [91].
• 1974 : Première description du Burn-out
Le syndrome d’épuisement professionnel proprement dit ou burn-out est décrit pour la première fois dans les années 70, par le psychanalyste américain H. Freudenberger, chez des soignants des free clinics (Hôpitaux de jour accueillant des toxicomanes), très investis professionnellement et émotionnellement auprès des patients, dans le Lower East Side de New York [31]. Il débute ses observations après avoir remarqué que nombre de ces bénévoles finissent par perdre toute motivation après environ un an d’activité. Le terme burn-out représente pour H. Freudenberger une métaphore efficace pour désigner l’ensemble des symptômes qu’il observe. En 1980, il justifie l’utilisation de ce terme métaphorique :« Je me suis rendu compte au cours de mon exercice quotidien que les gens étaient parfois victimes d’incendie tout comme les immeubles ; sous l’effet de la tension produite par notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte » [30]. Pour H. Freudenberger, les facteurs individuels ont une place considérable dans le développement du burn-out puisque selon lui, ce sont les individus engagés et dévoués à une cause qui sont frappés par le burn-out. Le burn-out apparait comme étant « la maladie du battant » [29].
• 1976 : Validation du Concept
Il est repris par de nombreux auteurs dont le Pr C. Maslach, psychologue américaine et chercheuse en psychologie sociale, devenue référence internationale et comptant parmi ceux qui ont contribué à imposer le concept et à asseoir sa validité. En 1975, à San Francisco, elle a mené des recherches sur les stratégies utilisées pour faire face aux états d’activation émotionnelle et a défini deux concepts [53, 77] :
➤ l’inquiétude distante (detached concern) : pour un médecin, il s’agit de l’attitude idéale combinant compassion et détachement émotionnel. Le médecin est soucieux du bien-être du patient, mais également attentif à maintenir la distance suffisante pour éviter une implication trop forte ;
➤ l’objectivation comme auto-défense (dehumanisation in selfdefence): il s’agit de se protéger du débordement émotionnel en considérant les personnes comme « des cas, des symptômes, des maladies, … ».
Concepts du burn-out syndrome
Le syndrome complet se compose de 3 phases ou sous-dimensions progressivement évolutives [52, 55]. Il tire sa spécificité des relations étroites qu’entretiennent ces 3 sous-dimensions du burn-out.
L’épuisement émotionnel (EE)
Il se traduit par une sensation de vide et l’apparition d’une fatigue affective au travail, non améliorée par le repos. L’individu atteint une sorte de « saturation émotionnelle » et n’est plus en mesure d’accueillir une émotion nouvelle. Extérieurement, on peut observer des explosions émotionnelles (rires, larmes, colère). Paradoxalement, cet épuisement peut prendre l’aspect d’une froideur, d’un hyper-contrôle des émotions. Dans la littérature américaine, cet état est décrit sous le nom de « John Wayne syndrome» [14], à l’image du soignant impassible et capable d’assumer les souffrances humaines sans cilier. Pour la plupart des auteurs, c’est la composante clef du syndrome. Cet évitement relationnel va alors conduire à la deuxième phase du burn-out, la dépersonnalisation [8].
La dépersonnalisation (DP)
La dépersonnalisation ou cynisme est une tendance à la déshumanisation de la relation à l’autre. Ce terme utilisé dans le burn-out ne doit pas être confondu avec l’acception psychiatrique française du mot où la dépersonnalisation représente un ensemble de symptômes appartenant à la schizophrénie. Issue du mot anglais « depersonalisation », dans le cadre de l’épuisement professionnel, sa signification est tout autre : l’individu se détache avec cynisme et développe une attitude négative et insensible envers les autres, conduisant à des relations froides et distantes. Il développe une représentation stéréotypée et impersonnelle du patient. Ce dernier est traité comme un objet. On estime que cette attitude est une stratégie qui permet de faire face à l’épuisement professionnel. Vidé de son énergie, incapable de répondre aux demandes du patient, le professionnel bloque l’empathie qu’il peut éprouver à l’égard du patient. C’est donc un mode de protection qui permet au sujet de continuer à réaliser son travail, mais qui est ressenti douloureusement comme une forme d’échec personnel et professionnel conduisant à la troisième phase du burn-out [58].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : RAPPELS
1. Définition
2. Historique
3. Concepts du burn-out syndrome
3.1. L’épuisement émotionnel (EE)
3.2. La dépersonnalisation (DP)
3.3. La diminution de l’accomplissement personnel (AP)
4. Signes cliniques du burn-out syndrome
4.1. Symptômes somatiques
4.2. Symptômes comportementaux
4.3. Symptômes de la sphère émotionnelle et affective
4.4. Symptômes cognitifs
5. Facteurs favorisants et facteurs protecteurs
5.1. Facteurs de personnalité
5.2. Facteurs sociodémographiques
5.3. Facteurs intrinsèques à la pratique de la médecine
5.4. La charge de travail
5.5. Organisation et lieu de la pratique
5.6. Relations avec les collègues et soutien social
6. Conséquences du burn-out syndrome
6.1. Au niveau personnel
6.2. Au niveau professionnel
7. Evaluation du burnt out syndrome
8. Prévention et prise en charge
8.1. Promotion de la santé
8.2. Prévention primaire
8.3. Prévention secondaire
8.4. Prise en charge curative
DEUXIEME PARTIE : NOTRE ETUDE
1. Cadre de l’étude
2. Méthodologie
2.1. Type et période d’étude
2.2. Population d’étude
2.3. Critères d’inclusion
2.4. Critères de non inclusion
2.5. Collecte des données
2.6. Saisie et analyse des données
3. Résultats
3.1. Résultats descriptifs
3.1.1. Effectif
3.1.2. Caractéristiques générales
3.1.3. Profil professionnel
3.1.4. Le Syndrome d’Epuisement Professionnel
3.2. Résultats analytiques
3.2.1. Age et syndrome d’épuisement professionnel
3.2.2. Sexe et syndrome d’épuisement professionnel
3.2.3. Situation matrimoniale et syndrome d’épuisement professionnel
3.2.4. Nombre d’enfants à charge et syndrome d’épuisement professionnel
3.2.5. Loisir et syndrome d’épuisement professionnel
3.2.6. Niveau d’étude et syndrome d’épuisement professionnel
3.2.7. Spécialité et syndrome d’épuisement professionnel
3.2.8. Relation entre nombre d’heures de travail et syndrome d’épuisement professionnel
3.2.9. Nombre de gardes et syndrome d’épuisement professionnel
4. Discussion
4.1. Limites de l’étude
4.2. Méthodologie
4.3. Caractéristiques sociodémographiques
4.4. Caractéristiques professionnelles
4.5. Evaluation du burn-out chez les étudiants inscrits en spécialisation
4.6. Facteurs associés au burn-out
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
REFRENCES
ANNEXES