CONCEPTIONS DICHOTOMIQUES DE LA MEMOIRE A LONG TERME
Mรฉmoire รฉpisodique versus mรฉmoire sรฉmantiqueย
Le systรจme de mรฉmoire รฉpisodique a dans un premier temps รฉtรฉ introduit et modรฉlisรฉ au sein de conceptions dichotomiques de la mรฉmoire ร long terme. Tulving (1972) a initialement proposรฉ de distinguer la mรฉmoire รฉpisodique de la mรฉmoire sรฉmantique. La mรฉmoire sรฉmantique y est conรงue comme la mรฉmoire du langage, des concepts et de leur signification. La dรฉfinition de la mรฉmoire sรฉmantique sโest depuis รฉtendue ร une mรฉmoire de faits gรฉnรฉraux, de connaissances langagiรจres, culturelles, de savoirs que nous avons sur nous-mรชmes (date de naissance par exemple) et sur le monde. Leur acquisition nโest pas indexรฉe dans un contexte donnรฉ. Nous savons par exemple qui est Victor Hugo mais nous ne sommes pas en mesure dโinfรฉrer comment, oรน et quand nous lโavons su. Cโest ยซ savoir sans se souvenir ยป. Contrairement ร cette derniรจre, la mรฉmoire รฉpisodique est contextuelle, รฉmotionnelle et subjective. Elle serait en charge dโenregistrer les รฉvรฉnements personnellement vรฉcus en mรฉmoire ร long terme.
Mรฉmoire dรฉclarative versus mรฉmoire procรฉdurale
En 1980, Cohen et Squire introduiront les concepts de mรฉmoire dรฉclarative et de mรฉmoire procรฉdurale (non-dรฉclarative). La mรฉmoire dรฉclarative, associรฉe ร une mรฉmoire du ยซ knowing that ยป (savoir quoi) englobe des informations concernant des faits, des รฉvรฉnements, des dรฉfinitions, des reprรฉsentations imagรฉes et sรฉmantiques, toutes sortes dโinformations verbalisables et consciemment rรฉcupรฉrables. Elle regroupe la mรฉmoire รฉpisodique et sรฉmantique. La mรฉmoire procรฉdurale, mรฉmoire du ยซ knowing how ยป (savoir comment), y est conรงue comme relativement autonome et impliquรฉe dans des actions (par exemple faire du vรฉlo). Cโest la mรฉmoire des savoir-faire, des habiletรฉs motrices et gestes automatisรฉs qui semble prรฉservรฉe dans les cas dโamnรฉsie. Cette hypothรจse a รฉtรฉ รฉmise ร partir dโobservations menรฉes sur des cas dโamnรฉsies permanentes (Cohen & Squire, 1980), transitoires(Eustache et al., 1997) ou encore dans la maladie dโAlzheimer (Desgranges et al., 1998). Cohen et Squire ont ainsi pointรฉ une dissociation entre des difficultรฉs majeures pour le rappel conscient dโรฉpisodes dโapprentissage procรฉdural (lecture en miroir), en dรฉpit dโun apprentissage effectif des capacitรฉs entraรฎnรฉes, correctement exรฉcutรฉes et donc maintenues en mรฉmoire procรฉdurale.
Mรฉmoire explicite versus mรฉmoire impliciteย
Cโest le neurologue et psychologue Edouard Claparรจde qui proposera le premier la distinction entre mรฉmoire implicite et explicite, ร partir du constat chez une patiente prรฉsentant un syndrome de Korsakoff que le versant implicite de lโacquisition mnรฉsique pouvait rester prรฉservรฉ en prรฉsence dโune mรฉmoire explicite altรฉrรฉe (voir Eustache et al., 1996). Dans son expรฉrience, ce mรฉdecin a trรจs simplement glissรฉ une รฉpingle dans la main de la patiente au moment de la lui serrer. La patiente se piqua. A la consultation suivante, Claparรจde essuya un refus tandis quโil lui tendait ร nouveau la main, sans que la patiente puisse en expliquer le motif. Ce refus prouve lโexistence dโune trace mnรฉsique qui influence le comportement de faรงon inconsciente, rรฉfรฉrant ร un fonctionnement mnรฉsique implicite. Des arguments complรฉmentaires ont รฉtรฉ obtenus par l’intermรฉdiaire du cas H.M. En 1968, des observations indiquaient que ce patient pouvait acquรฉrir des aptitudes perceptivo motrices (comme dessiner en miroir), en lโabsence dโun quelconque souvenir dโapprentissage (Milner et al., 1968). Deux notions fondamentales seront introduitesย par Graf et Schacter (1985 ; 1989), que sont les notions de conscience (1985) et dโintentionnalitรฉ (1989). La performance dans une tรขche serait rendue possible en dรฉpit dโune trace mnรฉsique inconsciente et une rรฉcupรฉration non intentionnelle des informations/expรฉriences antรฉrieures. Au contraire, la mรฉmoire explicite requerrait une rรฉcupรฉration mnรฉsique consciente en mรฉmoire รฉpisodique.
MODELES DโORGANISATION HIERARCHIQUEย
A la lumiรจre de ces nouveaux points de vue thรฉorique, Tulving (1985) envisagea un jumelage des concepts. Il proposa un modรจle dโorganisation mono-hiรฉrarchique dรฉcomposant la mรฉmoire en trois systรจmes : la mรฉmoire procรฉdurale, la mรฉmoire sรฉmantique et la mรฉmoire รฉpisodique. Les deux derniรจres correspondent ร de la mรฉmoire dรฉclarative, introduite cinq ans plus tรดt par Cohen et Squire (1980). Cette conception tripartite a ensuite รฉvoluรฉ vers un nouveau modรจle (SPI ; Sรฉriel, Parallรจle et Indรฉpendant, 1995 ; 2001) au sein duquel figurent deux systรจmes additionnels : un systรจme de reprรฉsentations perceptives et un systรจme de mรฉmoire de travail. Parmi les modรจles multisystรฉmiques actuels, cette structuration mono-hiรฉrarchique reste la plus influente.
LA MEMOIRE EPISODIQUE : CONSCIENCE ET CONTEXTE
Nรฉ il y a une quarantaine dโannรฉes, le concept de mรฉmoire รฉpisodique a aujourdโhui gagnรฉ en spรฉcificitรฉ. Nรฉanmoins, lโinformation contextuelle a toujours prรฉsidรฉ, notamment parce quโun souvenir, dans sa constitution la plus รฉlรฉmentaire, ne peut se dรฉfinir hors du temps et de lโespace. Les souvenirs รฉpisodiques confรจrent une certaine conscience identitaire en permettant de lier lโindividu ร son histoire. Parallรจlement, la mรฉmoire du passรฉ et la notion de sa propre existence au prรฉsent, ensemble, autorisent les projections vers lโavenir. En ce quโil รฉlabore, ce fonctionnement mnรฉsique ne peut quโรชtre rattachรฉ ร des mรฉcanismes complexes. Tulving considรฉrait la mรฉmoire รฉpisodique comme la forme de mรฉmoire la plus รฉvoluรฉe dโun point de vue ontogรฉnรฉtique et phylogรฉnรฉtique. Dans une dรฉfinition souvent รฉvoquรฉe dans la littรฉrature, Tulving (2002) dรฉcrit la mรฉmoire รฉpisodique comme ยซ la mรฉmoire dโรฉvรจnements personnellement vรฉcus, permettant la remรฉmoration consciente de ce qui a eu lieu, son contenu (ยซ what ยป), son contexte spatial (ยซ where ยป), et temporel (ยซ when ยป) ainsi que les caractรฉristiques phรฉnomรฉnologiques (perception, pensรฉes, sentiments) associรฉes ร lโรฉvรฉnement ยป. Dans cette dรฉfinition, lโรฉtat de conscience et le rรดle fondamental du contexte pour ces trois processus sont fondamentaux. Les caractรฉristiques phรฉnomรฉnologiques contribuent ร rรฉaliser lโรฉpisode personnel et ร le rendre unique, en y intรฉgrant des attributs sensoriels ou perceptifs (odeur dโherbe fraiche, chants dโoiseaux, ciel voilรฉโฆ.), รฉmotionnels (sensation de plรฉnitude, de tristesse,โฆ), spatiaux (dans le jardin, sous le cerisier) ou encore temporels (aprรจs-midi de juin ร lโoccasion dโun anniversaire). Le psychologue William James parlait dรฉjร en 1890 de ยซ mรฉmoire souvenir ยป, et illustre parfaitement nos propos: ยซ Un souvenir est plus quโun fait qui a sa place dans le passรฉ : cโest un fait qui a sa date dans mon passรฉ ยป. La conception actuelle de la mรฉmoire รฉpisodique comprend trois grands axes : la conscience autonoรฉtique, la caractรฉristique personnelle (rรฉfรฉrence ร son propre vรฉcu) et la notion de temps subjectif. Dรฉcrite dรจs 1985 par Tulving, la conscience auto-noรฉtique du self, est un niveau d’accรจs conscient รฉlevรฉ au contexte d’apprentissage inhรฉrent ร la mรฉmoire รฉpisodique. Elle serait la clรฉ de lโexpรฉrience subjective et de la reviviscence phรฉnomรฉnologique, rendant possible par un ยซ voyage mental dans lโespace et le temps ยป (ou ยซ chronesthรฉsie ยป, Tulving, 2002), la rรฉcupรฉration consciente de souvenirs vรฉcus avec une rรฉfรฉrence ร soi (ยซ self ยป). Dans un regard prรฉcurseur, Bergson disait en 1920 : ยซ Conscience signifie dโabord mรฉmoire. [โฆ] La mรฉmoire est lร , ou bien alors la conscience nโy est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passรฉ, qui sโoublierait sans cesse elle-mรชme, pรฉrirait etย ร chaque instant : comment dรฉfinir autrement lโinconscience ? ยป.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREAMBULE
CONSIDERATIONS THEORIQUES
LA MEMOIRE EPISODIQUE
A. CONCEPTIONS DICHOTOMIQUES DE LA MEMOIRE A LONG TERME
1. Mรฉmoire รฉpisodique versus mรฉmoire sรฉmantique
2. Mรฉmoire dรฉclarative versus mรฉmoire procรฉdurale
3. Mรฉmoire explicite versus mรฉmoire implicite
B. MODELES DโORGANISATION HIERARCHIQUE
C. LA MEMOIRE EPISODIQUE : CONSCIENCE ET CONTEXTE
D. LA MEMOIRE EPISODIQUE : PROCESSUS ET PARADIGMES
1. Une mรฉmoire, des processus
2. Le paradigme ยซ Remember/Know ยป
3. Le principe de spรฉcificitรฉ de lโencodage
4. La thรฉorie des niveaux de traitement et du double codage
E. MEMOIRE EPISODIQUE ET NEURO-IMAGERIE
1. Rรดle des structures temporales mรฉdianes
2. Rรดle du cortex prรฉfrontal et des structures pariรฉtales
LA SCLEROSE EN PLAQUES
A. GENERALITES
B. LES TROUBLES COGNITFS
1. Description gรฉnรฉrale
2. La vitesse de traitement de lโinformation
a. Ralentissement dans la SEP
b. Vitesse de traitement et fonctions exรฉcutives inter-connectรฉs dans la SEP ?
c. Vitesse de traitement et mรฉmoire รฉpisodique verbale
TROUBLES DE LA MEMOIRE DANS LA SEP : QUE SAIT-ON ?
EXPLORATION DE LA MEMOIRE DE TRAVAIL DANS LA SEP
ARTICLE 1 : Short-term memory impairment sparing the central executive in relapsing-remitting multiple sclerosis?
EXPLORATION DE LA MEMOIRE EPISODIQUE DANS LA SEP
ARTICLE 2 : Atteinte de la mรฉmoire รฉpisodique verbale dans la sclรฉrose en plaques :
Revue critique des processus cognitifs concernรฉs et de leur exploration
PARTIE EXPERIMENTALE
Introduction
ARTICLE 3 : Abnormal long-term episodic memory profiles in multiple sclerosis?
ARTICLE 4 : Improved learning with short supplementary delays in a subgroup of relapsingremitting patients with multiple sclerosis
ARTICLE 5 : Sclรฉrose en plaques rรฉmittente et erreurs de la source : bรฉnรฉfice dโallongements temporels appliquรฉs au California Verbal Learning Test
DISCUSSION
Une approche des profils cognitifs de la SEP
Une approche par processus
Contributions psychomรฉtriques
Spรฉcificitรฉs cognitives de la SEP ?
Limites et perspectives
CONCLUSION
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