Conceptions et représentations
Représentations
Selon le dictionnaire Reinal et Rieunier (1996), « une représentation est un substitut de la réalité. C’est une construction intellectuelle momentanée, qui permet de donner du sens à une situation, en utilisant les connaissances stockées en mémoire et / ou les données issues de l’environnement, dans le but « d’attribuer une signification d’ensemble aux éléments issus de l’analyse perceptive ».
Dans cette définition aux soubassements psychologiques, nous relevons l’idée de construction intellectuelle c’est-à-dire de construction de l’esprit. Selon cette définition une représentation est un modèle explicatif passager (construction intellectuelle momentanée). Voici un exemple concret illustrant le fait que la représentation est une « construction intellectuelle momentanée » : « Dés lors que le sujet est finalisé sur une tâche déterminée, les représentations des objets qu’il utilise ne comportent pas toutes les connaissances dont il dispose sur ces objets (images cognitives) : elles sont laconiques et ne comportent que les connaissances directement pertinentes à la réalisation de la tâche. Ainsi par exemple dans une expérience sur le diagnostic médical, Ochaline compare des étudiants et des médecins expérimentés, sur une tâche de reproduction de la glande thyroïde à l’aide d‘une boulette de plasticine, après palpation du malade. Les étudiants reproduisent fidèlement la glande, telle qu’ils l’ont apprise dans les livres, souvent sans identifier la tumeur. Les médecins en donnent une reproduction imprécise autant que déformée, de ce point de vue, mais cette reproduction met bien en évidence la tumeur dont souffre le malade, éventuellement de façon exagérée » (Ochaline cité par Hoc (1987 ; p.86)).
La représentation est donc une vue de l’esprit visant à matérialiser de l’idée que le sujet se fait d’un concept. Elle est susceptible de modifications pour rendre une situation ou un phénomène accessible à l’esprit. Le terme représentation est cependant utilisé dans beaucoup de domaines des sciences humaines.
En psychologie cognitive, on trouve différentes formulations du concept de représentation :
● Postic et De Kétèle (1988) épousant les idées cognitivistes, définissent une représentation comme un « schéma cognitif qui sélectionne, structure les informations et oriente le comportement ».
● Pour Denis (1989 ; p.33) c’est une « entité cognitive, à certains égards permanente, susceptible de connaître des actualisations transitoires et des remaniements plus ou moins durables, et dont la propriété générale est d’être fonctionnelle des conduites. »
● Pour Le Ny (1987), « par représentation, on entendra un fragment d’information structurée, stockée, existant en principe dans la mémoire du sujet ; les percepts, les significations de mots, les notions ou concepts, les connaissances, sont des classes de représentations. »
● Richard (1990) à la différence de le Ny, introduit une distinction entre représentations et connaissances : « les représentations sont des constructions circonstancielles faites dans un contexte particulier et à des fins spécifiques (…). La construction de la représentation est finalisée par la tâche et la nature des décisions à prendre (…). Elles sont donc très particularisées, occasionnelles et précaires par nature.(…)Les connaissances sont aussi des constructions mais elles ont une permanence et ne sont pas dépendantes de la tâche à réaliser : elles sont stockées en mémoire à long terme et, tant qu’elles n’ont pas été modifiées, elles sont supposées se maintenir sous la même forme.(…) Du point de vue du fonctionnement cognitif, la différence entre connaissance et représentation est que les connaissances ont besoin d’être activées pour être efficientes, alors que les représentations sont immédiatement efficientes » .
En psychologie sociale, la représentation est aussi une construction mentale, qui porte sur les personnes, les relations entre personnes et les situations. Ainsi pour Jodelet (dans Moscovici (dir.), 1984 ; p.361) « les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l’environnement social, matériel et idéel ». Chez Farr (dans Moscovici (dir.), 1984 ; p.386), on relève une approche très originale et très heuristique du concept : « les représentations sociales ont une double fonction : rendre l’étrange familier et l’invisible perceptible. Ce qui est inconnu ou insolite comporte une menace parce que nous n‘avons pas de catégorie où le ranger ».
Cette formule est un véritable point d’appui pour la didactique parce qu’elle l’invite à s’interroger sur les traitements développés par les élèves dans les activités de perception, de conceptualisation et de construction des connaissances.
Ainsi pour le didacticien une représentation se définira comme le contenu structuré de la pensée d’un sujet concernant un phénomène ou une classe de phénomènes.
Nous adopterons cette définition.
Dans tous les domaines étudiés, la représentation est une construction mentale (schéma cognitif, entité cognitive, fragment d’information structurée, stockée, existant en principe dans la mémoire du sujet, construction intellectuelle en psychologie cognitive ; en psychologie sociale, la représentation est une construction mentale portant sur les personnes, les relations entre personnes et les situations). La psychologie cognitive met l’accent sur le caractère passager (constructions circonstancielles) des représentations, en tant que modèles explicatifs des comportements du sujet, alors qu’en psychologie sociale, l’accent est surtout mis sur le fait que la représentation est un modèle permettant de comprendre l’environnement social et matériel du sujet.
Le terme représentation, du fait de sa très large utilisation ( psychologie, philosophie, linguistique, ethnologie, philologie, pédagogie, didactique) se révèle plutôt ambigu. A ce terme le didacticien préfère souvent celui de « conception » ou de « construct ».
Conception
Selon le dictionnaire Thines et Lempereur (Tome1 : A-I, 1984), « une conception désigne soit toute opération de l’esprit par laquelle j’appréhende un objet, soit plus particulièrement les opérations de l’entendement par opposition à celles de l’imagination, soit l’opération consistant à former un concept d’une chose, soit le produit de chacune de ces opérations ».
Le terme conception met l’accent sur le fait qu’il s’agit, « à un premier niveau, d’un ensemble d’idées coordonnées et d’images cohérentes, explicatives, utilisées par les apprenants pour raisonner face à une situation-problème, mais surtout il met en évidence l’idée que cet ensemble traduit une structure mentale sous-jacente responsable de ces manifestations contextuelles » (Giordan, 1990 ; p.79). Selon Migne cité par Develay (1992, p.78) « la conception représente la manière dont un individu donné, à un moment donné, dans une situation donnée mobilise ses connaissances antérieures ».
Au vu de ces trois définitions, nous pouvons dire que la conception est dépendante de la situation présente (moment donné, situation donnée). Elle est apparemment particulière à chaque individu et représente les opérations de l’esprit permettant d’appréhender un concept donné. La conception est donc contextualisée. Au vu des définitions précédentes, nous appellerons « conceptions » toutes les idées qu’une personne mobilise pour expliquer, interpréter une situation ou résoudre un problème.
Cette définition prend en compte le caractère personnel, contextuel et idéel. La conception permet d’expliquer comment, à un moment donné et dans une situation donnée un individu utilise ses connaissances antérieures pour raisonner face à une situation – problème donnée. La conception prend donc en compte une partie des représentations, les connaissances et les savoirs de l’apprenant. Elle est vérifiable par les comportements de l’apprenant quand la représentation est difficile voire impossible à vérifier. Au vu des définitions présentées, les conceptions sont des classes de représentations.
La préférence de la conception ne vise pas à éliminer la composante sociale du processus cognitif, mais elle tente de se démarquer des querelles qu’alimente la polysémie du terme de « représentation » (Giordan et de Vecchi, 1994). Les « conceptions » se différencieraient :
• d’une part, des « représentations sociales » en tant que caractéristiques communes à un ensemble d’individus (un groupe social) : les conceptions sont plutôt considérées comme des structures individuelles,
• d’autre part, des « images mentales » qui supposent l’existence d’un réel dont la représentation serait le reflet plus ou moins fidèle : les conceptions se réfèrent à un concept,
• mais également, des « manifestations contextuelles » mobilisées lors de l’exécution d’une tâche et pour lesquelles Clément propose de parler de « conceptions conjoncturelles » pour « définir plus précisément les « conceptions » comme tous les aspects conceptuels de la mémoire à long terme » (Clément, 1994, p. 21).
Quel que soit le terme utilisé (représentation, conception, « construct »), sur le plan méthodologique il renvoie à des productions analysables d’un individu ou d’un groupe d’individus, que le chercheur interprète pour se constituer une idée de leurs connaissances. Que peut-on faire alors de ce type d’information ? Dans le cadre didactique, il s’agit d’abord :
« d’expliciter systématiquement la structure possible du savoir à un niveau donné afin qu’il soit pour les maîtres, un instrument de régulation de leurs interventions pédagogiques à ce niveau précis » (Giordan, 1983, p. 40).
Ainsi, dans cette perspective c’est l’intervention possible des caractéristiques propres de l’apprenant (vécu, désirs, préoccupations, …) qui devrait être prise en compte afin de comprendre l’idée qu’il se fait d’un objet de savoir. Une conception présente donc divers aspects : dubitatifs (au sens strict), informatifs, opératifs, relationnels, organisationnels. Ces aspects n’apparaissent pas toujours car ils sont différents de ce qu’attend le scientifique ou l’enseignant. En effet le discours scientifique est décalé de la réalité puisque étant une somme de connaissances compartimenté en un certain nombre de champs notionnels appelés ‘biologie’, ‘physique’, ‘chimie’, etc. conservant une certaine autonomie.
Or, dans la vie quotidienne, l’individu ne découpe pas la réalité en « rondelles », comme il le ferait d’un saucisson. Les différents éléments du réel sont articules entre eux et en permanence insérés dans une pratique sociale. « L’approche de chaque personne est, le plus souvent, aussi bien scientifique qu’économique, politique, culturelle, psychologique ou … sexuelle. Les conceptions des apprenants correspondent donc à une modalité de leur pratique sociale. Lorsqu’un individu rend compte de ses activités, il n’utilise pas spontanément une approche ; son discours est toujours investi de sens multiples (…). Mais son environnement est appréhendé de manière globale » ( Giordan, 1990 ; p.91). Ainsi par exemple l’étude de la calorimétrie en physique l’élève fait appel à des connaissances dans des domaines tels que la physique, la chimie, les mathématiques et parfois même la biologie.
Notion d’obstacle épistémologique
Nous avons déjà vu que les conceptions des élèves sont basées sur des schèmes cristallisant l’expérience passée du sujet. Ces conceptions donnent naissance à des connaissances souvent éloignées des savoirs scientifiques de référence, et constituent de ce fait un frein à l’acquisition de connaissances scientifiques par les élèves. En effet, elles servent de base aux raisonnements et aux conduites des sujets (Driver et Easley, 1978 ; Driver, 1981 Cités par Johsua et Dupin, 1989). Bachelard (1949) relève une liste impressionnante de modes d’interprétations pré scientifiques qu’il appelle « obstacles épistémologiques ». La notion d’obstacle est issue de l’histoire des sciences et des concepts (Bachelard, G. ; 1949) ainsi que des recherches actuelles en didactique (Astolfi & Peterfalvi, 1993) qui suggèrent fortement que si les conceptions n’évoluent pas à la suite d’un apport informationnel, c’est qu’il existe probablement des représentations-obstacles. Bachelard appliquait déjà cette notion aux problèmes de l’enseignement :
l’adolescent arrive dans la classe de physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il ne s’agit pas d’acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. (Bachelard, 1989, p.18.) .
Aujourd’hui, l’exploration des conceptions des apprenants conduit à prendre en compte ces « obstacles » dans les processus d’apprentissage. Toutefois, la notion d’obstacle s’écarte de l’approche historique – pour laquelle un «obstacle épistémologique» constitue une barrière pratiquement insurmontable pour un individu, sinon au prix d’une véritable « catharsis intellectuelle » (Bachelard, 1989, p. 36) – pour préciser que le changement de conceptions correspond plus souvent à un processus de rectifications successives des structures cognitives de l’apprenant. Ces travaux montrent cependant que les remises en question deviennent pratiquement impossibles tant que les obstacles n’ont pas été identifiés et explicités. « La possibilité de déceler d’éventuelles résistances à l’apprentissage à travers l’analyse des conceptions permet alors d’envisager des enseignements qui ont pour finalité le franchissement de ces obstacles » ( Giordan & De Vecchi, 1987).
Les obstacles sont des idées bâties sur l’expérience passée de l’apprenant, et dont il faut tenir compte dans l’enseignement des concepts en physique. Il ne s’agira pas de les ignorer ; il faut en tenir compte, bâtir la connaissance scientifique contre ces représentations naturelles. Le problème n’est pas simple, ce genre de conception se révèle en effet très résistante. On ne pourrait pas comprendre cette solidité si ces conceptions s’avéraient systématiquement inefficaces. En effet elles se révèlent pertinentes au regard de la vie courante et sont efficaces dans une certaine mesure, ce qui en fait la solidité.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre 1 : PROBLEMATIQUE DE LA RECHERCHE
I. Position du problème
I.1. Contexte de l’étude
I. 2. L’élève et ses conceptions de la matière
II. Quel est l’intérêt d’une étude des conceptions de l’apprenant ? Et pourquoi le concept de chaleur ?
III. Question problème générale (QPG)
Chapitre 2 : CADRE CONCEPTUEL ET REVUE CRITIQUE DE LA LITTERATURE
I. Le cadre conceptuel
I.1. Conceptions et représentations
I.2. Notion d’obstacle épistémologique
I.3. Chaleur et température
II. Revue critique des travaux de recherche sur les conceptions relatives au concept de chaleur
Chapitre 3 : CADRE PROBLEMATIQUE
I. Questions – problèmes et hypothèses de recherche
I. 1. Questions – problèmes spécifiques (QPS)
I.2. Hypothèses de recherche
II. Explicitation des variables
III. Le schéma du cadre problématique
Chapitre 4 : METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
I. La population ciblée
II. L’échantillon
III. Le recueil de données
III.1. Présentation du questionnaire
III.2. Démarche de collecte des données issues du questionnaire
Chapitre 5 : PRESENTATION DE QUELQUES RESULTATS
I. Conceptions présentes chez les élèves avant apprentissage du concept de chaleur
I.1. Questions n°s 9 et 10 : diverses conceptions des élèves de seconde sur le concept de chaleur
I.2. Question 11 : Distinction entre chaleur et énergie thermique
I.3. Distinction entre température et énergie thermique (question Q12)
I.4. Répartition des types de conceptions sur la chaleur pour la classe de seconde (Q13 à Q18)
I.5. Conceptions utilisées par les élèves en résolution de problèmes
I.5.1. Distributions des réponses à la question 19 (Q19)
I.5.2. Distribution des réponses des élèves de seconde à la question 20 (Q20)
I.5.3. Distribution des réponses des élèves de seconde à la question 21 (Q21)
I.5.4. Distribution des réponses des élèves de seconde à la question Q22
I.6. Conclusion
II. Conceptions présentes chez les élèves après apprentissage du concept de chaleur
II.1. Questions n°s 9 et 10 : diverses conceptions des élèves de terminale sur le concept de chaleur
II.2. Question 11 : Distinction entre chaleur et énergie thermique
II.3. Distinction entre température et énergie thermique (question Q12)
II.4. Répartition des réponses des élèves de terminale aux questions Q13 à Q18
II.5. Conceptions utilisées par les élèves de terminale en résolution de problèmes
II.5.1. Distributions des réponses à la question 19 (Q19)
II.5.2. Distribution des réponses des élèves de terminale à la question 20 (Q20)
II.5.3. Distribution des réponses des élèves de terminale à la question 21 (Q21)
II.5.4. Distribution des réponses des élèves de terminale à la question Q22
II.6. Conclusion
III. Synthèse des résultats issus du questionnaire élève
III.1. Distribution de la macro-variable types de conceptions
III.2. Distribution des conceptions sur la chaleur selon l’établissement (V3)
III.2. 1 Cas du Lycée Kennedy
III. 2. 2 Cas du lycée Blaise Diagne
III. 2. 3. Cas du lycée Ngalandou Diouf
III.3. Comparaison des distributions des types de conceptions entre les établissements
III. 4 Distribution des conceptions sur le concept de chaleur selon le niveau d’étude de l’élève
III.5. Distribution des conceptions suivant l’âge des élèves
CONCLUSION GENERALE