CONCEPTIONS DE L’APPRENTISSAGE EN CM A :
Les origines de la classe multiâge et ses dérivés
Avant le XIXe siècle, l’éducation s’organise autour de classes qui intègrent des élèves de niveaux et d’âges différents. Ce n’est qu’au cours des années 1900, et surtout en Europe, qu’apparaissent les regroupements d’élèves à niveau unique. Ce mode de regroupement n’est pas adopté facilement et plusieurs pédagogues comme Pestalozzi, Rousseau, Montessori, Freud et Dewey le contestent (Fradette & Lataille-Démoré, 2003). Au Québec, en raison de l’étendue du territoire et d’une population peu nombreuse, l’organisation des classes à degré unique ne semble pas se développer aussi rapidement et les écoles de rang continuent à accueillir des groupes pouvant parfois regrouper dans une même classe jusqu’à sept niveaux d’enseignement différents (Desbiens, 2006).
En 1971, le ministère de l’Éducation adopte la loi 27 sur le regroupement et la gestion des commissions scolaires. Cette loi oblige la création de comités d’école dans chaque école et de comités de parents dans chaque commission scolaire. Elle consacre, par ailleurs, le regroupement des élèves par classe à un degré scolaire. Ce type de regroupement est remis en question six ans plus tard par le phénomène de dénatalité mettant en péril les écoles rurales et certaines écoles de quartier. La pression des parents oblige le ministère de l’Éducation à prendre position pour maintenir ouverte la dernière école de village ou de quartier. La classe multiprogramme, appelée également classe à niveaux multiples, classe multiniveaux ou classe à degrés multiples, prend ainsi son essor (Gajadharsingh, Hohl, & Gayfer, 1991). Cette classe réunit, sous l’autorité d’un seul enseignant et dans les mêmes conditions de lieu et d’horaire, des élèves inscrits à des programmes d’études correspondant à des classes (échelons du programme) différentes (Gouvernement du Québec, 1992). La classe multiprogramme, surtout présente dans les milieux ruraux, demeure une conséquence des conditions démographiques et économiques. En 1993, le nombre de petites écoles primaires du secteur public (moins de 100 élèves) s’élève à 400, soit 17,91% de l’ensemble des écoles primaires publiques du Québec (Carrier et Beaulieu, 1995 dans Desbiens, 2006). Fait important, 285 d’entre elles restent la dernière école de la municipalité. Dans ce contexte, la classe multiprogramme est donc une solution administrative et non un choix pédagogique pour les enseignants
Le retour de la classe multiâge
Depuis quelques années, l’ensemble du Québec vit une baisse importante de la clientèle au sein des commissions scolaires. En région, cette baisse est accélérée par d’importants mouvements démographiques vers les grands centres urbains. Selon l’Institut de la statistique du Québec (Gouvernement du Québec, 2007), la région du Saguenay—Lac-St-Jean perdra 19896 habitants entre 2001 et 2011, soit environ 7% de la population totale. Ces statistiques ont également été appuyées par une étude du démographe Jean-François Lachance présentée dans F article de Catherine Handfleld publié par la Presse du 2 octobre 2007 (Handfleld, 2007). Il présente les résultats d’une étude sur les flux migratoires entre les 103 MRC de la province et la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean fait partie de la catégorie « Délaissée » par les jeunes. Enfin, ces données se vérifient également au sein des quatre commissions scolaires de la région qui perdront environ 6038 élèves, soit 17% des élèves entre 2001 et 2011 (Fédération des commissions scolaires du Québec, 2002b). Ce phénomène de fluctuation négative étant autrefois lié aux écoles rurales s’étend aujourd’hui aux milieux urbains. Cette décroissance a comme répercussion la fermeture de certaines classes et le transfert des élèves d’une institution à l’autre. Afin d’en minimiser les impacts, différentes solutions sont proposées dont le retour de la CMA (Fédération des commissions scolaires du Québec, 2002b). Il importe, par ailleurs, de constater que cette solution provient des administrateurs. La CMA consiste en un regroupement intentionnel d’élèves d’âges différents à des fins d’apprentissage (Legendre, 2005). Ainsi, dans une école où la baisse de clientèle est importante, le regroupement d’élèves d’âges différents, en cycle de deux ans par exemple, permet de maintenir l’école ouverte et d’éviter le transfert des élèves dans une autre école. Le caractère intentionnel de ces regroupements demeure toutefois ambigu puisque ce ne sont pas les enseignants qui décident. Souvent, il s’agit même d’une situation imposée plutôt que d’un choix.
Le cycle d’apprentissage
La philosophie actuelle de l’école québécoise, traversée par le courant constructiviste, appuie le développement des CMA. La réforme implantée au primaire en 2001 a modifié plusieurs conceptions de l’apprentissage, dont l’organisation de l’enseignement en degrés annuels. Le Programme de formation de l’école québécoise est actuellement organisé en cycles pluriannuels et, est le pilier de la réforme de l’éducation (Conseil Supérieur de l’Éducation, 2002). La CMA s’inscrivant dans une organisation pluriannuelle rejoint les caractéristiques du cycle d’apprentissage. Mais qu’est-ce qu’un cycle et pourquoi avoir choisi cette organisation au Québec? Le cycle représente la division de l’enseignement qui s’oppose à une organisation fragmentée et morcelée telle que les degrés annuels (Legendre, 2005). Il vise à donner plus de temps à l’apprenant pour ses apprentissages puisque l’évaluation sommative ne survient qu’au terme du cycle et non de l’année (M. Perraudeau, 1994). Cette organisation en cycle d’apprentissage, au départ administrative, se fonde également sur une approche pédagogique où l’enseignement correspond aux stades de développement psychologique de l’enfant (Conseil Supérieur de l’Éducation, 2002). L’idée du cycle tente ainsi de respecter le rythme de l’enfant.
Le matériel pédagogique
En matière de matériel pédagogique, la recension des écrits met en évidence l’utilisation de deux termes : le matériel didactique et le matériel pédagogique. Certains auteurs définissent le matériel didactique comme étant généralement associé à un savoir disciplinaire, alors que le matériel pédagogique serait a priori adisciplinaire (Johanne Lebrun, Bédard, Hasni, & Grenon, 2006). Legendre (2005) définit le matériel didactique comme synonyme du matériel pédagogique. Selon lui, le matériel didactique est l’ensemble des supports pédagogiques (manuels, appareils, objets, documents, cartes, didacticiels, matériel audiovisuel et de laboratoire…) destinés à faciliter, d’une part, l’enseignement de l’enseignant et, d’autre part, l’apprentissage de l’élève. Quant au matériel pédagogique, il le définit comme un ensemble d’objets et d’appareils aidant l’enseignant à présenter des notions, des faits ou des expériences, et qui favorisent l’apprentissage des élèves, mais aussi comme matériel (cartes, maquettes, graphiques, outils) servant à favoriser l’atteinte d’objectifs éducationnels par un sous-groupe de Sujets dans des situations particulières.
L’intention de cette recherche étant, entre autres, d’identifier le type de matériel que l’enseignant utilise en CMA pour faire face à l’hétérogénéité de sa classe, l’utilisation de la terminoiogie « matériel pédagogique » semble plus juste en raison de l’ouverture qu’il permet sur une diversité de supports. Le matériel pédagogique peut servir de soutien pour l’apprentissage d’un savoir disciplinaire autant que pour un savoir adisciplinaire.
Ainsi, la littérature jeunesse pourrait servir autant à l’apprentissage de la lecture qu’à la réalisation d’un projet interdisciplinaire. De plus, avec l’avènement de la réforme, les élèves développent des compétences dans des tâches complexes qui souvent font intervenir plusieurs disciplines. Ces situations particulières rappellent la définition de Legendre (2005) où le matériel pédagogique sert à favoriser l’atteinte d’objectifs éducationnels. Ce sont les raisons pour lesquelles le terme de « matériel pédagogique » est retenu pour élaborer notre cadre conceptuel.
Le programme de formation de l’école québécoise (PFEQ)
Le programme de formation de l’école québécoise (Gouvernement du Québec, 2001) est le document ministériel officiel pour les enseignants en ce qui concerne les apprentissages essentiels à la formation des jeunes. Il répond aux importants changements que la société vit en visant une formation globale et diversifiée, une formation à long terme et une formation ouverte sur le monde. Il se caractérise par le choix de développer des compétences et par l’attention portée à la démarche d’apprentissage. D’une part, il propose une organisation des savoirs sous forme de compétences de manière à leur donner sens et ouverture et d’autre part, il offre un cadre conceptuel qui définit l’apprentissage comme un processus actif et continu de construction de savoirs. Ces orientations ouvrent la voie à des pratiques pédagogiques particulières telles que : favoriser le décloisonnement des apprentissages, structurer l’organisation scolaire en fonction des cycles d’apprentissage de deux ans, adapter l’évaluation des apprentissages aux visées du programme, reconnaître le caractère professionnel de l’enseignant, faire de la classe et de l’école une communauté d’apprentissage (Gouvernement du Québec, 2001). Cette définition, inspirée du premier chapitre du PFEQ, permet de souligner qu’en matière de contenus d’apprentissage, le PFEQ est la référence officielle pour les enseignants qu’ils soient en classe à degré unique ou encore en CMA. Il s’agit d’identifier l’utilisation que les enseignants en font et comment ils pourraient l’utiliser pour planifier l’utilisation de leur matériel pédagogique.
Le matériel pédagogique au sein d’une situation pédagogique
Lorsqu’un enseignant planifie une situation pédagogique en choisissant un contexte qui favorise l’apprentissage des élèves, il inventorie le matériel qu’il a à sa disposition mais également celui qu’il mettra à la disposition de l’élève. Il développe un plan d’action où la nature et les interrelations des élèves, de l’enseignant, du contenu et du matériel sont précisées en vue de favoriser les adéquations les plus harmonieuses entre les différentes composantes d’une situation pédagogique (Legendre, 2005). La situation pédagogique se divise en trois étapes: la planification, l’intervention éducative et l’évaluation (Bordeleau & Morency, 1999). Ces étapes sont essentielles pour analyser les modalités d’utilisation du matériel pédagogique lorsque l’enseignant planifie, intervient en classe et évalue ses élèves. Une clarification de ces concepts est toutefois nécessaire pour bien cerner les différents contextes d’une situation pédagogique.
La planification est le moment où l’enseignant prend le temps de choisir sa stratégie en fonction de ses élèves et des contenus à faire apprendre. C’est le moment où l’enseignant consulte le matériel pédagogique qu’il a à sa disposition pour planifier son enseignement de façon à harmoniser les composantes entre l’élève, le contenu, l’enseignant et le matériel. La planification peut être à long, à moyen ou à court terme (Legendre 2005). En CMA, l’enseignant planifie pour des élèves ayant des acquis hétéroclites. Il s’agit de découvrir quel est le matériel pédagogique pouvant être utilisé dans ce contexte d’hétérogénéité.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE
1.1 . LES ORIGINES DE LA CLASSE MULTIÂGE ET SES DÉRIVÉS
1.2. LE RETOUR DE LA CLASSE MULTIÂGE
1.3. LE PROBLÈME DE RECHERCHE
1.4. OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL
2.1. LE CYCLE D’APPRENTISSAGE
2.2. LE MATÉRIEL PÉDAGOGIQUE
2.2.1. Le matériel pédagogique de base
2.2.2. Le matériel pédagogique complémentaire
2.2.3. Le programme de formation de l’école québécoise (PFEQ)
2.3. LE MATÉRIEL PÉDAGOGIQUE AU SEIN D’UNE SITUATION PÉDAGOGIQUE
2.4. CONCEPTIONS DE L’APPRENTISSAGE EN CM A : HOMOGÉNÉITÉ ET HÉTÉROGÉNÉITÉ
2.4.1. L’homogénéité
2.4.2. L’hétérogénéité
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE
3.1. TYPE DE RECHERCHE
3.2 .POPULATION À L’ÉTUDE
3.3. COLLECTE DE DONNÉES
3.3.1. Le questionnaire
3.3.2. L’entrevue
3.4. ANALYSE DES DONNÉES
3.5. RIGUEUR ET CRÉDIBILITÉ DE LA RECHERCHE
3.6. LES OBJECTIFS ET LA PERTINENCE SOCIALE DE LA RECHERCHE
CHAPITRE IV RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE
4.1. IDENTIFICATION DU MATÉRIEL PÉDAGOGIQUE
4.2. ANALYSE DE L’UTILISATION DU MATÉRIEL PÉDAGOGIQUE
4.2.1. PFEQ
4.2.2. Manuels scolaires
4.2.3. Ouvrages de références
4.2.4. Ressources numériques
4.2.5. Littérature jeunesse
4.2.6. Matériel de manipulation
4.2.7. Jeux éducatifs
4.2.8. Autre type de matériel
4.3. IDENTIFICATION DES RAISONS
4.3.1. Mathématique
4.3.2. Français
4.3.3. Univers social
4.3.4. Science et technologie
4.3.5. Arts
4.3.6. Éthique et culture religieuse
4.4. QUESTIONS OUVERTES POUR COMPLÉTER LA RECHERCHE
4.5. PREMIER NIVEAU DE DISCUSSION
4.5.1. Le matériel pédagogique de base
4.5.1.1. Manuels scolaires
4.5.1.2. Ouvrages de références
4.5.2. Le matériel pédagogique complémentaire
4.5.2.1. Ressources numériques
4.5.2.2. Jeux éducatifs
4.5.2.3. Littérature jeunesse
4.5.2.4. Matériel de manipulation
4.5.3. Et le PFEQ?
CHAPITRE V RÉSULTATS DES ENTREVUES SEMI-DIRIGÉES
5.1. ENSEIGNANT A
5.1.1. L’utilisation des manuels scolaires
5.1.1.1. Français
5.1.1.2. Mathématique
5.1.1.3. Éthique et culture religieuse
5.1.1.4. Science et technologie et Univers social
5.1.2. L’enseignement par ateliers
5.2. ENSEIGNANT B
5.2.1. L’utilisation des manuels scolaires
5.2.1.1. Français
5.2.1.2. Mathématique
5.3. ENSEIGNANT C
5.3.1. L’enseignement sans manuel scolaire
5.3.1.1. Mathématique et français intégrés
5.3.1.2. Français
5.3.1.3. Mathématique
5.3.1.4. L’univers social
5.4. ENSEIGNANT D
5.4.1. L’utilisation des manuels scolaires
5.4.1.1. Français
5.4.1.2. Mathématique
5.4.1.3. Univers social
5.4.1.4. Science et technologie
5.5. ENSEIGNANTE
5.5.1. L’utilisation des manuels scolaires
5.5.1.1. Français
5.5.1.2. Mathématique
5.5.1.3. Science et technologie
5.5.1.4. Univers social
5.5.2. Intégration des ressources numériques
5.6. ENSEIGNANT F
5.6.1. L’utilisation des manuels scolaires
5.6.1.1. Mathématique
5.6.1.2. Français
5.6.1.3. Univers social
5.6.1.4. Science et technologie
CHAPITRE VI INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
6.1. LE MATÉRIEL PÉDAGOGIQUE : UN OUTIL À LA DISPOSITION DE L’ENSEIGNANT
6.1.1. Le manuel scolaire comme outil central
6.1.2. Les ressources numériques
6.1.3. La littérature jeunesse
6.1.4. Et le PFEQ?
6.2. L’ENSEIGNANT, MAÎTRE DE SES CHOIX
6.2.1. L’influence de la vision de l’enseignant sur les contenus d’apprentissage
6.2.2. L’influence des choix pédagogiques de l’enseignant
6.2.3. L’influence de l’enseignant selon sa conception du groupe
6.3. CONSTATS ET PISTES DE DÉVELOPPEMENT
CONCLUSION
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