Contexte historique
Depuis l’avènement de la première révolution industrielle à la fin du XVIIIème siècle, les machines tiennent une place centrale au cœur de notre société, nous permettant de produire avec des cadences toujours plus importantes, de nous déplacer de plus en plus vite et, de façon plus générale, de nous assister au quotidien. La machine à l’origine de cette révolution est sans aucun doute la machine à vapeur. Cette invention est souvent attribuée, à tort, à James Watt qui ne l’a pas inventée mais a grandement amélioré sa conception en proposant l’utilisation d’un condensateur externe et non plus interne (Figure 1). Ces améliorations de la machine à vapeur ont permis de diminuer fortement les pertes, mais ont aussi rendu possible sa miniaturisation. La miniaturisation a toujours tenu une place importante dans cette course technologique, ayant été la source de nombreuses innovations maintenant disponibles au plus grand nombre. La miniaturisation s’est accélérée dans la deuxième moitié du XXème siècle avec notamment des progrès dans le domaine de la micro-électronique et la réduction en taille des ordinateurs qui sont passés en l’espace d’un siècle de machines remplissant une pièce entière à des appareils bien plus puissants pouvant se loger dans notre poche. Ces différentes évolutions ont fini par conduire à l’émergence des nanotechnologies. Le célèbre discours du physicien Richard Feynman « There’s Plenty of Room at the Bottom » est souvent considéré comme fondateur des nanotechnologies. Dans cette conférence destinée à la Société Américaine de Physique donnée le 29 décembre 1959, Feynman décrit les avancées possibles de la microscopie électronique. Il indique par exemple que celle-ci pourrait peut-être permettre de visualiser la matière à l’échelle de l’atome et surtout de concevoir des dispositifs moléculaires à partir d’atomes(selon approche ascendante), ce qui serait une étape ultime dans la course à la miniaturisation. Cette description semblait plus fictionnelle que réaliste à cette époque et ce discours n’a été popularisé que dans les années 1980 quand certains auteurs de travaux concernant les nanotechnologies ont cité cette tirade d’un physicien renommé pour légitimer leurs recherches. De plus, les auteurs des avancées majeures dans le domaine des nanotechnologies tels que G. Binnig et H. Rohrer, inventeurs du microscope à effet tunnel (STM, Scanning Tunneling Microscope) en 1981, n’auraient pas été inspirés ni influencés par ce discours.[2] Feynman a conclu sa conférence en proposant deux défis. Il offrirait un prix à celui qui pourrait écrire suffisamment petit pour faire figurer toute l’information contenue sur la page d’un livre sur une surface 25 000 fois plus petite et qui pourrait être lue en utilisant un microscope électronique. Il a également proposé un prix pour la première personne capable de concevoir et construire un moteur électrique fonctionnel dont le volume serait inférieur ou égal à 1/64ème de pouce cubique (soit 0,26 cm3). Ces prix étaient surtout destinés à provoquer de l’intérêt pour ce domaine de recherche chez de jeunes étudiants.[3] Le prix mis en jeu pour le moteur a été remporté seulement un an plus tard par un étudiant de Caltech, William McLellan, qui fabriqua un moteur de la taille requise en utilisant un microscope et des outils classiques. Son moteur est composé d’un stator portant quatre bobines alimentées par les fils électriques que l’on peut distinguer Figure 2, permettant d’induire la rotation du disque central. Bien qu’étant le moteur construit par l’Homme le plus petit de l’époque, ce prototype de micromoteur restait 100 000 fois plus grand qu’un hypothétique moteur nanométrique. De plus, bien qu’étant une expérience amusante et satisfaisant les conditions données par Feynman, ce moteur n’a pas permis de faire avancer de façon importante la recherche concernant la miniaturisation, car les techniques utilisées pour sa fabrication étaient similaires à celles employées dans l’horlogerie
Développement de machines moléculaires synthétiques
Les machines moléculaires ont récemment été mises au premier plan de l’actualité scientifique lors de l’attribution du Prix Nobel de Chimie 2016 à J.-P. Sauvage, J. F. Stoddart et B. Feringa pour leurs travaux dans ce domaine en plein essor. [15] Ce Prix est une reconnaissance de leurs travaux pionniers dont nous ne pourrons malheureusement présenter que quelques exemples. Parmis de nombreuses machines, J.-P. Sauvage a par exemple développé un muscle moléculaire fondé sur des complexes de coordination dont une représentation est donnée . Cet élégant muscle moléculaire est capable globalement de passer d’une configuration étendue (en haut) à une conformation contractée (en bas) par apport d’énergie chimique, par la coordination à des ions cuivre(I) ou zinc(II). Les fragments intriqués dans la forme étendue (en haut) peuvent être contractés en remplaçant les deux atomes de cuivre(I) tétracoordinés par deux atomes de zinc(II) pentacoordinés.
Stratégies pour l’émergence de comportements collectifs
Afin de pouvoir dégager un travail utile de la rotation directionnelle d’une population de moteurs moléculaires à énergie lumineuse, différentes stratégies ont été proposées pour s’affranchir des orientations aléatoires en solution. La Figure 8 représente le greffage sur une nanoparticule d’or d’un de ces moteurs, dont la structure a été adaptée pour insérer des groupements d’ancrage. Comme développé plus haut, l’alcène fortement contraint est isomérisé photochimiquement pour conduire à un intermédiaire possédant un groupement méthyle en position équatoriale, dont l’hélicité est ensuite inversée thermiquement pour mener à une demi rotation. La répétition de ce processus conduit à la rotation unidirectionnelle de la partie supérieure (rotor) par rapport à la partie inférieure (stator). Les auteurs ont pu montrer par dichroïsme circulaire et RMN que tous les moteurs tournaient dans le même sens. Ces nanoparticules fonctionnalisées n’ont malheureusement pas été utilisées pour mettre à profit le comportement collectif de ces moteurs même si cette application a été envisagée. De nombreuses expériences ont été proposées pour mettre à profit le mouvement collectif de moteurs moléculaires. [29,30] Nous pouvons par exemple citer l’exemple d’un brevet[31] pour un moteur macroscopique dont le rotor et le stator sont composés de tubes couverts par des paires de protéines motrices telles que le couple actine / myosine. Cette conception est biomimétique, imitant le fonctionnement d’un muscle dont le mouvement est permis par ces protéines. L’apport de ce brevet serait donc une architecture permettant d’exploiter le travail fourni par un comportement collectif de moteurs moléculaires biologiques, conduisant à un mouvement rotatif macroscopique. La Figure 9 présente un moteur utilisant de la myosine fixée sur le stator et de l’actine sur le rotor. L’ajout d’ATP dans le milieu aurait pour effet d’induire la rotation du rotor. Malgré la description du moteur et des variantes possibles qui sont faites dans ce brevet, sa fabrication semble pour l’instant impossible et aucun exemple d’une telle machine ne figure pour l’instant dans la littérature scientifique suivant un processus d’évaluation collégiale. Ce concept illustre ce que certains imaginent possible de faire en mettant à profit le mouvement collectif de moteurs moléculaires. Des exemples plus concrets ont été décrits dans la littérature, notamment afin d’exploiter la rotation unidirectionnelle des moteurs de B. Feringa. Dans l’exemple remarquable présenté Figure 10, un cristal liquide a été dopé avec 1% en masse d’un moteur moléculaire énantiopur. Stimulé par irradiation, la rotation de ce moteur, dont l’organisation est contrôlée par la structure du cristal liquide, permet de faire tourner une tige de verre micrométrique sélectivement dans le sens des aiguilles d’une montre. Il s’agit ici d’un des premiers exemples où la rotation coopérative de moteurs moléculaires a permis l’obtention de mouvements observables. Il ne s’agit pas de mouvements macroscopiques à proprement parler car la tige mesure seulement 28 µm de long, mais la population de moteurs induit ici le déplacement d’un objet plusieurs milliers de fois plus grand que les moteurs moléculaires.
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Table des matières
Introduction
I) Contexte historique
II) Les machines moléculaires
1) Les machines moléculaires biologiques
2) Les machines moléculaires synthétiques
III) Vers des systèmes mécaniques étudiés à l’échelle de la molécule unique
1) Moteurs moléculaires isolés sur surface 1
2) Mesurer la force et le travail des machines moléculaires
3) La transmission mécanique du mouvement à l’échelle moléculre
Chapitre 1 : Dissymétrisation d’un moteur moléculaire et synthèse d’une famille de prototypes de treuils moléculaires
I) Introduction
1) Mesure directe par AFM à l’échelle de la molécule unique
2) Design du nano-treuil
II) Stratégie de synthèse initiale et développement des premiers prototypes de treuils pour les expériences par AFM
1) Synthèse du précurseur clé pentabromé
2) Nouvelle stratégie de synthèse du nano-treuil
3) Synthèse des analogues de treuil simplifiés
III) Développement d’une voie de synthèse contrôlée
1) Stratégie de synthèse
2) Couplages croisés chimiosélectifs sur le précurseur dissymétrique
3) Synthèse de prototypes de treuils comportant un espaceur propargylamide
4) Fonctionnalisation des quatre autres positions par des fragments ferrocène
5) Résultat des expériences par Microscopie à Force Atomique
6) Synthèse d’un prototype de treuil comportant un espaceur étendu
7) Synthèse d’un dimère de moteur moléculaire en vue d’une expérience contrôle
IV) Synthèse des treuils moléculaires pour des études par STM
1) Principe de l’expérience par mesure indirecte : déplacement de charges par la pointe d’un microscope à effet tunnel
2) Retour à l’utilisation de bras biphényle et introduction des fragments ferrocène
3) Synthèse d’un treuil moléculaire portant une charge triptycène
4) Synthèse d’un treuil moléculaire portant une charge bis-triptycène
5) Synthèse d’un treuil moléculaire portant une charge fullerène
6) Synthèse d’un treuil moléculaire portant une charge de type nanovoiture
V) Synthèse d’un prototype portant une longue chaîne pour des expériences couplées STM/AFM
VI) Utilisation de la plateforme dissymétrique pour la synthèse de nouveaux engrenages moléculaires
Chapitre 2 : Synthèse de cyclopentadiènes arylés symétriques et dissymétriques
I) Introduction
1) Historique
2) Propriétés et applications des pentaarylcyclopentadiènes
II) Synthèse de roues dentées cyclopentadiényle dissymétriques pour des études sur surface par STM
1) Voie de synthèse historique des pentaarylcyclopentadiènes
2) Prototype de roue dentée portant une fonction pyrimidine
3) Prototype de roue dentée portant un groupement p-tert-butylphényle comme marqueur stérique
4) Prototype de roue dentée portant une fonction p trifluorométhylphényle
III) Vers la synthèse de prototypes de roues dentées dissymétriques par arylation directe ?
1) Précédents bibliographiques
2) Essais de mono-arylation du cyclopentadiène
3) Protection du cyclopentadiène en vue d’une tétra-arylation sélective
IV) Développement d’une nouvelle réaction d’arylation directe catalysée au cuivre
1) Développement d’une synthèse plus verte des pentaarylcyclopentadiènes
2) Synthèse d’une nouvelle famille de molécules par arylation directe : les hexaarylcyclopentadiènes
3) Perspectives
Conclusion générale et perspectives
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