La balance du watt
Dérive du prototype international
Le kilogramme, unité de masse du système international (S.I.), est défini comme la masse d’un cylindre en alliage de platine et d’iridium appelé prototype international du kilogramme et conservé au Bureau International des Poids et Mesures (BIPM). Il s’agit d’un objet matériel donc altérable. Des variations de sa masse peuvent survenir lors de sa manipulation, de son nettoyage ou au fur et à mesure de sa conservation, par dégazage ou adsorption de composés à sa surface, entraînant une dérive du kilogramme. Cet inconvénient est lié à l’utilisation d’un objet matériel unique comme définition de la masse. Plusieurs copies ont été fabriquées et comparées à plusieurs occasions avec le prototype international [Girard, 1994]. L’exactitude de ces pesées a alors permis la mise en évidence d’une dérive des masses allant jusqu’à 3.10⁻⁸ de variation relative sur les 30 dernières années. Or la définition du kilogramme est une unité de base du SI et limite la définition d’unités dérivées comme l’Ampère ou le Volt. C’est pourquoi il est maintenant envisagé d’utiliser une définition basée sur une constante fondamentale. La balance du watt est une des méthodes possible pour y parvenir.
Le projet de la balance du watt permet de créer un lien entre une masse et une constante fondamentale : la constante de Planck h. Il est alors possible de mesurer h par rapport à une masse étalon. La première réalisation de cette expérience a eu lieu à la fin des années 80 au Royaume-uni au NBS [Kibble et al., 1990] et aux États-Unis au NIST [Olsen et al., 1989]. D’autres expériences ont depuis lors vu le jour, en Suisse au METAS [Beer et al., 2003] et en France au LNE [Genevès et al., 2005]. Le BIPM a récemment entrepris à son tour de construire une balance.
Principe de l’expérience
La pesée se déroule en deux étapes dont le principe simplifié est présenté dans la figure 1.1. La première (étape statique) met en oeuvre une masse connue m. L’alliage de platine et d’iridium du prototype international ne présente pas toutes les propriétés physiques nécessaires à la réalisation de l’expérience (amagnétisme, dureté, stabilité de masse lors de la mise sous vide…). De nouveaux alliages sont actuellement étudiés pour réaliser cette masse qui sera étalonnée par comparaison avec le prototype international. On réalise alors une pesée à l’aide d’une balance à fléau en équilibrant la force m.g exercée sur la masse par l’attraction terrestre, avec une force électromagnétique (figure 1.1, gauche). La force électromagnétique employée est la force de Laplace exercée sur une bobine de longueur L, plongée dans un champ magnétique uniforme d’amplitude B, et parcourue par un courant i. A l’équilibre, on obtient alors l’équation 1.1 :
iBL = mg (1.1)
Les moyens actuels ne permettent pas de mesurer directement le produit BL avec une exactitude suffisante. Une seconde étape dite dynamique (figure 1.1, droite) est alors réalisée, où la même bobine est déplacée verticalement à vitesse constante v dans le même champ d’induction magnétique. La variation du flux magnétique traversant la bobine génère à ses bornes, selon la loi de Lenz, une force électromotrice induite U (équation 1.2) :
U = BLv (1.2)
En combinant les équations 1.1 et 1.2, on obtient l’équation 1.3 qui présente l’égalité entre une puissance électrique et une puissance mécanique.
U i = mgv (1.3)
En pratique, le courant i est mesuré indirectement à partir de la chute de tension V qu’il provoque aux bornes d’une résistance de référence R, ce qui amène enfin à l’équation 1.4.
UV/R = mgv (1.4)
Autres applications de la gravimétrie
La mesure de l’attraction gravitationnelle terrestre g a donc ici comme première application son utilisation dans le cadre de la balance du watt. Il y a cependant de nombreuses autres applications, [Marson and Faller, 1986], [Boedecker, 2002], qui ont justifiées le développement des mesures d’accélérations, absolues ou relatives.
– En géophysique, le calcul du géoïde [Novak et al., 2003] nécessite la connaissance absolue de l’accélération terrestre sur un très grand nombre de stations réparties sur la surface du globe, complétées par des mesures aériennes et plus récemment spatiales. En vulcanologie, les études sismiques permettent d’étudier l’activité d’un site, la composition de la croûte terrestre, sa délimitation avec le manteau ou leurs mouvements respectifs [Battaglia et al., 1999], [Mantovani et al., 2001].
– En prospection, une cartographie du champ de pesanteur ou de son gradient permet de détecter les anomalies de gravité dues à un gisement. Il peut s’agir de nappes de pétrole, de nappes phréatiques ou de gisements de différents minerais. Après avoir identifié la présence d’une nappe, cela permet également de contrôler son niveau au cours du temps [Geri et al., 1982].
– Toute mesure métrologique mettant en œuvre une force dépend de la qualité de la mesure de la gravité. Ainsi la réalisation de l’unité de courant (Ampère) compare la force exercée entre deux bobines parcourues par un courant et la force de pesanteur sur une masse connue [Kibble, 1991]. Les mesures de pression sont également réalisées par comparaison de forces. De plus l’échelle de température internationale est obtenue en amenant différents composés au point triple (Coexistence des trois états solide, liquide et gazeux) nécessitant l’obtention d’une pression définie.
– Mesurer les accélérations et les rotations d’un véhicule à partir d’une position initiale connue permet de calculer sa position au court du temps en l’absence de repère extérieur. C’est le principe de la navigation inertielle déjà appliqué pour le pilotage de véhicules sur des temps courts. L’obtention d’instruments de mesures dotés d’une plus grande stabilité long terme permettrait d’allonger la durée de la navigation.
– Plusieurs théories envisagent la mise en défaut du principe d’équivalence et prévoient de nouveaux effets perturbant les lois de la relativité générale. Il est nécessaire d’utiliser les instruments les plus exacts et les plus sensibles possibles pour espérer détecter ces effets. Par exemple, le projet MICROSCOPE [Touboul and Rodrigues, 2001] est en cours de réalisation pour tester le principe d’équivalence dans l’espace. Celui-ci utilise deux accéléromètres de grande sensibilité mesurant à bord d’un satellite l’accélération de deux masses macroscopiques de composition différentes. Cette expérience pourrait également être réalisée à l’aide de deux accéléromètres atomiques utilisant des espèces atomiques différentes. Plusieurs projets ont été initiés dans ce sens. Une étude industrielle de faisabilité a été menée dans le cadre du projet HYPER [Bingham et al., 2000] sur l’emploi d’accéléromètres et de gyromètres atomiques dans l’espace. Le projet ICE réalisé en collaboration entre le SYRTE, le IOTA et l’ONERA a pour but de démontrer le fonctionnement d’un accéléromètre atomique en micro-gravité et utilisant comme source atomique un condensat de Bose-Einstein.
Interférométrie atomique et capteurs inertiels
Les premières expériences d’interférométrie utilisant des ondes de matière ont consisté en l’observation des figures de diffraction d’électrons [Davisson and Germer, 1927] dans un cristal de nickel. Les ondes de matières sont diffractées par chacun des atomes du cristal. On peut alors observer des interférences à ondes multiples. Des expériences similaires ont rapidement suivi avec des atomes et des molécules simples [Estermann and Stern, 1930] puis avec des neutrons [Halban and Preiswerk, 1936], [Mitchell and Powers, 1936]. Ces experiences ont permis un certain nombre d’études fondamentale, par exemple sur le déphasage acquis lors de la réflexion d’une onde de matière sur différents matériaux [Fermi and Marshall, 1947].
Quelques années plus tard, les premiers interféromètres à deux ondes ont été mis au point, tout d’abord avec des électrons en 1952 [Marton, 1952] puis [Maier-Leibnitz and Springer, 1962] avec des neutrons en 1962. Dans le même temps, la technique de spectroscopie connue sous le nom d’interrogation de Ramsey [Ramsey, 1950], a conduit à l’élaboration d’horloges qui sont maintenant plus précises qu’aucune autre de plusieurs ordres de grandeur. Cette méthode a par la suite été réinterprétée comme faisant intervenir des interférences atomiques [Bordé, 2002].
Les expériences d’interférométrie à onde de matière ont conduit à l’analyse des déphasages induits par les forces d’inerties. En effet, la sensibilité d’un interféromètre à onde de matière aux forces d’inerties est intrinsèquement beaucoup plus importante que celle de son homologue optique. Les ondes de matière se propagent à des vitesses beaucoup plus faibles que la lumière et ont plus de temps pour ressentir les effets des mouvements du référentiel du laboratoire par rapport au référentiel inertiel du centre des paquets d’ondes atomiques. C’est ainsi que deux interféromètres à neutrons ont été construits dans les années 1970 [Rauch et al., 1974, Colella et al., 1975], sensibles l’un à l’effet Sagnac dû à la rotation de la terre et l’autre à l’attraction terrestre g. Ces interféromètres ont été des démonstrations de principe et ont été suivis par la construction de véritables instruments de mesure métrologique, utilisant cette fois des atomes comme onde de matière. Les atomes sont en effet à la fois moins sensibles aux champs électriques que des électrons et ont une masse beaucoup plus importante.
Une première approche, s’apparentant aux interféromètres à neutrons, a consisté à faire diffracter des atomes à travers une double fente de diffraction [Carnal and Mlynek, 1991], ou une suite de trois réseaux mécaniques [Keith et al., 1991]. D’autres approches ont utilisé l’interaction entre la lumière et la matière pour manipuler la fonction d’onde atomique. Les bras de l’interféromètre sont alors crées par absorption d’un photon [Riehle et al., 1991], ou en utilisant une transition à deux photons [Kasevich and Chu, 1991]. Ces deux méthodes présente l’avantage d’obtenir deux voies de sorties dans des états atomiques internes différents et facilite la détection [Bordé, 1989]. Une cinquième méthode a aussi été étudiée la même année, utilisant l’effet Stern et Gerlach : les fonctions d’ondes atomiques sont séparées puis recombinées à l’aide de gradients de champ magnétique [Miniatura et al., 1992]. Un peu plus tard, de nouvelles expériences utilisaient un réseau lumineux constitué d’une onde stationnaire pour réaliser les séparatrices atomiques par diffraction de Bragg [Rasel et al., 1995, Giltner et al., 1995].
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Table des matières
1 Introduction
1.1 La balance du watt
1.1.1 Dérive du prototype international
1.1.2 Principe de l’expérience
1.2 Autres applications de la gravimétrie
1.3 État de l’art
1.4 Interférométrie atomique et capteurs inertiels
1.5 Le gravimètre atomique
1.5.1 Principe de l’expérience
1.5.2 Comparaison des performances
1.5.3 Objectifs
1.6 Plan du mémoire
2 Présentation générale théorique
2.1 Transitions Raman stimulée
2.1.1 Atome à trois niveaux
2.1.2 Atome de 87Rb et configuration des lasers
2.1.3 Déplacement lumineux
2.2 Interféromètre
2.2.1 Modélisation de l’interféromètre
2.2.2 Fonction de sensibilité
2.2.3 Sensibilité au bruit de phase
2.2.4 Sensibilité aux accélérations et vibrations
2.2.5 Sensibilité au bruit de projection quantique
2.3 Imperfections de l’interféromètre et optimisation
2.3.1 Emission spontanée
2.3.2 Sélection de vitesse longitudinale
2.3.3 Sélection transverse
2.3.4 Préparation
2.3.5 Optimisation de la sensibilité
2.4 Autres formalismes
3 Dispositif expérimental
3.1 Le piège PMO-2D
3.1.1 Dispositif
3.1.2 Système optique
3.1.3 Résultats
3.2 L’enceinte à vide centrale
3.2.1 Description d’ensemble
3.2.2 Contraintes d’utilisations
3.3 Piégeage et refroidissement à trois dimensions
3.3.1 Faisceaux de refroidissement
3.3.2 Construction et chargement
3.3.3 Mélasse optique-3D
3.4 Détection
3.4.1 Faisceaux sonde
3.4.2 Collection de la fluorescence
3.4.3 Temps de vol
3.5 Blindages magnétiques
3.6 Description d’ensemble
4 Génération des fréquences optiques
4.1 Les sources lasers
4.1.1 Laser en Cavité Étendue
4.1.2 Amplificateurs Optiques Évasés
4.1.3 Fréquences lasers
4.2 Fonctions du banc optique
4.3 Laser L1
4.3.1 Asservissement
4.3.2 Montage optique
4.4 Laser L2 : repompeur et maître Raman
4.4.1 Asservissement du laser L2
4.4.2 Montage optique
4.5 Laser L3 : refroidisseur et esclave Raman
4.5.1 Deux battements séparés
4.5.2 Montage optique : les deux battements
4.5.3 Asservissement de fréquence du laser L3
4.5.4 Asservissement de phase du laser L3
4.6 Dynamique des asservissements au cours d’un cycle de mesure
4.6.1 Désaccord de 2 GHz
4.6.2 Commutation entre asservissement de fréquence et asservissement de phase
4.6.3 Cycle de mesure
4.7 Stabilité de la différence de phase Raman
4.7.1 Boucle d’asservissement
4.7.2 Qualité de l’asservissement de phase
4.7.3 La référence de fréquence
4.7.4 Bruit de phase dans la fibre
4.8 Distribution
4.8.1 Distribution entre pièges et faisceaux Raman
4.8.2 Coupleurs de fibres
4.9 Banc optique complet
5 Résultats expérimentaux et analyse
6 Conclusion