La maladie mentale existe depuis lโantiquitรฉ. Plusieurs conceptions du ยซ fou ยป ont รฉtรฉ abordรฉes. A lโinstar des pathologies somatiques, la maladie mentale est rรฉpandue dans le monde. Du fait de lโinfluence de la culture, elle peut revรชtir diffรฉrents aspects en fonction des localitรฉs. Ainsi les conceptions et la prise en charge de la maladie mentale diffรจrent en Occident et en Afrique. Dans lโimaginaire collectif africain, il faut amener une personne qui souffre de maladie mentale chez le guรฉrisseur, mรฉdiateur du monde des esprits et des ancรชtres. Par ailleurs, ceux qui sont amenรฉs ร lโhรดpital psychiatrique sont des ยซ fous ยป. Plusieurs questionssontรฉmises concernant la prise en charge des malades mentaux. Que se passe t-il dans la famille lorsquโun membre a un trouble mental ? Comment, dans quels cas les diffรฉrentes ressources thรฉrapeutiques sont-elles utilisรฉes ? Quels sont les principaux facteurs qui influencent ce choix et qui peuvent, en particulier, rendre difficile ou impossible lโaccรจs aux diffรฉrentes ressources thรฉrapeutiques [21]? De nos jours, la maladie mentale peut รชtre assimilรฉe ร un flรฉau. En effet, lโOMS affirme que plus de quatre cents millions de personnes souffrent de troubles mentaux ou de problรจmes psycho sociaux liรฉs lโusage abusif dโalcool ou de drogues [63]. Nรฉanmoins, face ร ce flรฉau, la rรฉponse apportรฉe par les pays africains est quasiment inexistante en raison principalement de la concentration des moyens et des ressources sur dโautres maladies, notamment le paludisme, le VIH/sidaโฆ De mรชme, le recensement des pathologies mentales reste trรจs limitรฉ en Afrique en raison dโune part de la peur des patients de se voir รฉcartรฉs de la sociรฉtรฉ et dโautre part du rรดle accru jouรฉ par la mรฉdecine traditionnelle [41]. Ces รฉlรฉments nous ont poussรฉs ร nous intรฉresser aux aspects traditionnel et moderne de la prise en charge des malades mentaux au service de psychiatrie de lโhรดpital Fann. Certains auteurs anglo-saxons ont apportรฉ des rรฉponses ร certaines questions.
Dโaprรจs Kleinmann [76], chaque sociรฉtรฉ exprime parmi ses systรจmes culturels (comme la langue, la religion ou le systรจme de parentรฉ) โun systรจme de soinsโ. Celui-ci est constituรฉ par le rรฉseau des connexions qui sโรฉtablit entre lโรฉvรจnement et la maladie, la rรฉponse individuelle et sociale, lโensemble des croyances et des pratiques (savantes ou populaires) liรฉes ร la maladie et institutions censรฉes รชtre compรฉtentes en la matiรจre. Les composantes qui constituent ce systรจme varient dโune culture ร lโautre en mรชme temps que les comportements de recherche de soins. Un systรจme de soins comprend lโรฉventail des ressources thรฉrapeutiques auxquelles le malade ou (sa famille) peut sโadresser. Kleinmann les regroupe, sur la base de son expรฉrience ร Taiwan, en trois principaux secteurs partiellement superposรฉs :
– Le secteur โpopulaireโ, qui comprend : les connaissances et les pratiques de lโindividu malade, de sa famille et de la communautรฉ dont il fait partie.
– Le secteur โprofessionnelโ : les connaissances et les pratiques des agents professionnels de la santรฉ quโils soient reprรฉsentant de la mรฉdecine conventionnelle ou dโautres mรฉdecines institutionnalisรฉes (reprรฉsentรฉes au sein du Gouvernement par le Ministรจre de la Santรฉ et dont les pratiques, connaissances et enseignement sont connus et contrรดlรฉs). Le secteur โpopulaireโ, implique un agent avec un statut social de thรฉrapeute. Alors quedans le secteur โprofessionnelโ, les agents de ce secteur nโont pas reรงu pas une formation institutionnalisรฉe et le soutien direct de lโEtat.
– Le secteur โethniqueโ (appartenance culturelle) comprend les connaissances et les pratiques qui ne rentrent pas dans les deux secteurs prรฉcรฉdents.Devant la raretรฉ des travaux, sur les systรจmes de soins traditionnel et moderne de la maladie mentale au Sรฉnรฉgal, nous avons menรฉ ce travail pour permettre la connaissance des aspects de la prise en charge de ces deux systรจmes [21,76].
Dรฉfinition
L’OMS dรฉfinie la santรฉ comme un รฉtat de bien-รชtre complet, comprenant l’รฉtat physique, mental, social, environnemental. Ainsi la santรฉ n’est pas seulement le fait d’รชtre malade ou d’รชtre atteint d’une infirmitรฉ. Aucune mesure rรฉelle ne peut estimer la santรฉ, puisquโelle est le fait de satisfaire tous ses besoins (affectifs, nutritionnels, relationnels, sanitaires). En mรฉdecine, la santรฉ est l’absence de maladie [61]. Le Larousse dรฉfinit la santรฉ comme un รฉtat de bon fonctionnement de l’organisme [18]. LโOMS dรฉfinit รฉgalement la santรฉ mentale comme le bien-รชtre รฉmotionnel et cognitif ou une absence de trouble mental. Le terme est relativement rรฉcent et polysรฉmique. Habituellement, la santรฉ mentale est perรงue comme l’ยซ aptitude du psychisme ร fonctionner de faรงon harmonieuse, agrรฉable, efficace et ร faire face avec souplesse aux situations difficiles en รฉtant capable de retrouver son รฉquilibre ยป. Le rapport paru en 2001 met l’accent sur le fait que la santรฉ mentale, trop longtemps nรฉgligรฉe, est essentielle pour le bien-รชtre des individus, des sociรฉtรฉs et des pays. Il indique les politiques ร adopter d’urgence pour mettre fin ร la stigmatisation et ร la discrimination, et pour instaurer une prรฉvention et un traitement efficaces [65]. L’OMS et les enquรชtes mรฉdicales rapportent qu’il n’existe pas qu’un seul consensus concernant la dรฉfinition de la maladie mentale, et que le terme utilisรฉ dรฉpend du contexte social, culturel, รฉconomique et lรฉgal de diffรฉrents contextes dans diffรฉrentes sociรฉtรฉs.L’OMS rapporte un dรฉbat intense concernant les conditions sous lesquelles le terme de trouble mental doit รชtre induit ; une principale dรฉfinition pour dรฉsigner ร la fois une maladie mentale, un retard mental, un trouble de la personnalitรฉ et une toxicomanie, mais l’inclusion varie selon les pays et semble avoir un avis complexe [66].
Classification
CIM-10
La classification internationale des maladies(CIM) est une classification qui permet de poser le diagnostic dโune large variรฉtรฉ de conditions sanitaires. Nous sommes ร la 10รจme version dโoรน le concept de CIM10. Le chapitre 05 se focalise principalement sur les ยซย troubles mentaux et du comportementย ยป et se sรฉpare en 10 principaux groupes :
– F0 : Troubles mentaux organiques, y compris les troubles symptomatiques
– F1 : Troubles mentaux et du comportement liรฉs ร l’utilisation de substances psycho-actives
– F2 : Schizophrรฉnie, troubles schizotypiques et troubles dรฉlirants
– F3 : Troubles de l’humeur (affectifs)
– F4 : Troubles nรฉvrotiques, troubles liรฉs ร des facteurs de stress et troubles somatoformes
– F5 : Syndromes comportementaux associรฉs ร des perturbations physiologiques et ร des facteurs physiques
– F6 : Troubles de la personnalitรฉ et du comportement chez l’adulte
– F7 : Retard mental
– F8 : Troubles du dรฉveloppement psychologique
– F9 : Troubles du comportement et troubles รฉmotionnels apparaissant habituellement durant l’enfance et l’adolescence .
Dans chacun de ses groupes sont rรฉparties des sous-catรฉgories spรฉcifiques. La CIM inclut les troubles de la personnalitรฉ dans le mรชme domaine qu’un trouble mental, contrairement au DSM. La CIM-10 explique que le trouble mental n’est ยซ pas un terme exact ยป bien que gรฉnรฉralement utilisรฉ pour impliquer l’existence de nombre de symptรดmes et de comportements reconnaissables associรฉs dans la majeure partie des cas avec de la dรฉtresse et l’interfรฉrence de fonctions personnelles (OMS, 1992).
DSM-IV
Le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV), est rรฉdigรฉe par l’Association amรฉricaine de psychiatrie (AAP), dรฉfinit le trouble mental comme ยซ un syndrome psychologique ou comportemental ou modes de fonctionnements cliniquement significatifs qui se produisent chez un individu et qui est associรฉ ร une souffrance prรฉsente (par exemple, un symptรดme douloureux) ou ร une incapacitรฉ (cโest ร dire, dรฉfaillance dans un ou plusieurs domaines importants du fonctionnement) ou ร un risque accru de souffrance, mort, peine, incapacitรฉ ou une perte importante de libertรฉ ยป (AAP, 1994 et 2000). Il faut noter que le DSMIV est paru dans sa version anglaise.
Conception et prise en charge des malades mentaux en occident
C’est autour de la tradition Hippocratique en occident que va apparaรฎtre la premiรจre classification purement mรฉdicale des maladies connues dans l’histoire occidentale. C’est le premier ร avoir pris en compte le malade. Avant lui les choses รฉtaient faites de faรงon thรฉorique; on les trouve mentionnรฉes dans la Bible. Dans Deutรฉronome, encore, lโEternel menace de punir le peuple dโIsraรซl de toutes sortes de maladies, y compris de ยซ dรฉlire ยป et ยซ dโรฉgarement dโesprit ยป. De son cรดtรฉ, la mรฉdecine babylonienne, peu avare de dieux et de dรฉmons il est vrai, compte un dรฉmon des maladies mentales [103]. Hippocrate a observรฉ directement la manifestation des troubles. Il prรฉsente une collection de manifestations des maladies. Les maladies mentales prennent ร cette รฉpoque une place faible. Il nous indique que ces manifestions ne sont pas dues au surnaturel. Il s’attache plus au corps du malade pour dรฉcrire les manifestations. Ainsi est nรฉe la diffusion de ยซ la thรฉorie humorale ยป par Hippocrate : la santรฉ est fonction de l’รฉquilibre des humeurs (sang, flegme, bile jaune, bile noire), il la justifiera toujours de maniรจre scientifique. Pour lui la maladie est le rรฉsultat des quatre humeurs [94]. Hippocrate fonde une nouvelle mรฉdecine basรฉe sur lโobservation et qui avait la particularitรฉ de thรฉoriser les observations de la mรฉdecine antique. Une petite place รฉtait rรฉservรฉe aux maladies mentales dont les manifestations รฉtaient plus rattachรฉes aux surnaturels. Ainsi lโune des premiรจres thรฉories de la santรฉ mentale รฉtait basรฉe sur un รฉquilibre de lโhumeur. Ceci est ร la base de la thรฉorie ยซ humorale ยป dโHippocrate [34].
Atrabile est ร l’origine de la mรฉlancolie et de l’hypochondrie. Phlegme => mucositรฉ => liquide contenant de l’eau d’aspect laiteux qui proviendrait de l’estomac, qui tourmenterait l’estomac.Hippocrate va dรฉvelopper les dรฉfinitions de plusieurs maladies, dont 5maladies mentales :
โ Phrรฉnรฉtis : Dans la pensรฉe Hippocratique, il รฉtait corrรฉlรฉ ร la folie aigรผe. C’est un tableau qui est fait dโun dรฉlire aigu associรฉ ร une fiรจvre intense et continue.
โ Manie : C’est une affection chronique, dรฉlire sans fiรจvre avec une forte agitation.
โ Mรฉlancolie : Elle รฉtait due, ร la sรฉcrรฉtion de la bile noire par la rate et responsable des passions tristes.
โ Epilepsie : Elle รฉtait connue aussi sous le nom de maladie sacrรฉe. Maladie la plus dรฉcrite par Hippocrate. Maladie du phlegme. Elle n’est plus de nos jours considรฉrรฉe comme une maladie mentale.
โ Hystรฉrie : Maladie des nerfs [94,34].
La XIXe : la naissance de la psychiatrie
La vรฉritable รฉvolution dans la maniรจre de percevoir les malades mentaux est notรฉe, avec la naissance des premiรจres classifications modernes des maladies mentales, des รฉtudes de cas clinique, de vรฉritable traitement humain et de dรฉplacement des aliรฉnistes vers les patients. Lโapparition d’un nouveau type de mรฉdecin ยซ l’aliรฉniste ยป avec l’apparition de la psychiatrie [94]รฉtait implicite : isoler, rassembler, dรฉfinir, soigner. Le mรฉtier de psychiatre est la pratique dโun mรฉdecin qui se consacre ร lโรฉtude de la pathologie des comportements et aux soins requis par celle-ci. Le mot psychiatrie est une crรฉation de lโaliรฉniste allemand Reil appartenant au courant dit de la psychiatrie romantique (Postel &Quรฉtel, 1983; Shorter, 1997). Celui-ci introduit en 1808 le terme ยซ psychiatrie ยป .La psychiatrie รฉmerge lentement ร partir du moment oรน se dรฉfinit un projet de connaissance ordonnรฉe du monde de la pathologie mentale, la folie, par lโobservation clinique. Le premier objectif des aliรฉnistes รฉtait de constituer un savoir, le projet thรฉrapeutique les soins [28].
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
1. Dรฉfinition
2. Classification
3. Conception et prise en charge des malades mentaux en occident
3.1 La XIXe : la naissance de la psychiatrie
3.2 La loi du 30 juin 1838
3.3 Le XXe, La psychiatrie contemporaine
4. Conception de la maladie mentale en Afrique
4.1 Au Gabon
4.2 Au Bรฉnin
4.3 Au Burkina Faso
4.4 Au Sรฉnรฉgal
4.4.1 Mรฉdecine moderne et traditionnelle
4.4.2 Les diffรฉrents tradithรฉrapeutes
DEUXIEME PARTIE
1. Mรฉthodologie
1.1 Objectifs
1.1.1 Objectif gรฉnรฉral
1.1.2-Objectifs spรฉcifiques
1.2 Matรฉriel et mรฉthodes
1.2.1 Cadre dโรฉtude
1.2.2 Type et pรฉriode dโรฉtude
1.2.3 Critรจres dโinclusion
1.2.4 Critรจres de non inclusion
1.2.5 Echantillon
1.2.6 Mรฉthode
1.2.7 Difficultรฉs et limites de lโรฉtude
1.2.8 Considรฉrations รฉthiques
2. Rรฉsultats
2.1 Identitรฉ du patient
2.1.1 Rรฉpartition des patients selon lโรขge
2.1.2 Rรฉpartition des patients selon le Sexe
2.1.3 Rรฉpartition des patients selon la Profession
2.1.4 Rรฉpartition des patients selon le niveau dโรฉtude
2.1.5 Rรฉpartition des patients selon le lieu de rรฉsidence
2.1.6 Rรฉpartition des patients selon la rรฉgion dโorigine
2.1.7 Rรฉpartition des patients selon lโappartenance culturelle
2.1.8 Rรฉpartition des patients selon la religion
2.1.9 Rรฉpartition des patients selon la situation matrimoniale
2.2 Rรฉpartition des patients selon les antรฉcรฉdents
2.2.1 Personnels
2.2.2 Familiaux
2.2.3 Notion de tuur rab dans la famille
2.2.4 Consommation de substance psychoactive
2.3 Motifs dโhospitalisation et suivi
2.3.1 Rรฉpartition des patients selon la premiรจre hospitalisation
2.3.2 Rรฉpartition des motifs de consultations
2.3.3 Durรฉe de la symptomatologie actuelle (en annรฉe)
2.3.4 Contexte dโapparition des symptรดmes
2.3.5 Avez-vous un accompagnant
2.3.6 Diagnostic รฉvoquรฉ
2.3.7 Traitement mรฉdicamenteux
2.3.8 Compliance thรฉrapeutique
2.3.9 Effets secondaires
2.3.10 Existence dโune comorbiditรฉ
2.3.11 Couts des diffรฉrents traitements
2.3.12 Evolution de la symptomatologie
2.4 Itinรฉraire thรฉrapeutique
2.4.1 Avez-vous consultez ailleurs avant de venir ร lโhรดpital
2.4.2 Les motifs de recours ร un tradipraticien
2.4.3 Le nombre de consultations antรฉrieures
2.4.4 La croyance des patients
2.4.5 Le diagnostic du tradithรฉrapeute
2.4.6 Type de tradithรฉrapeute
2.4.7 Traitement reรงu
2.4.8 Compliance au traitement tradithรฉrapeutique
2.4.9 Motifs de non observance
2.4.10 Effets secondaires
2.4.11 Coรนt
2.4.12 Le patient est il satisfait du traitement ?
2.4.13 Changement de circuits de soins aprรจs hospitalisation
2.5 Opinion de lโentourage
DISCUSSION
3. Discussion
3.1 Le profil sociodรฉmographique
3.2 Le mode de vie
3.3 Les antรฉcรฉdents
3.4 La symptomatologie
3.5 Lโaccompagnement
3.6 Les diagnostics retenusร lโhรดpital
3.7 Traitement, compliance, effets secondaires et cout
3.8 Changement de circuits de soins
3.9 Motifs de consultations et prise en charge chez tradithรฉrapeutes
CONCLUSION
REFERENCES
ANNEXES