L’eau d’origine souterraine représente entre 70 et 80% de l’eau totale prélevée en Europe, et plus de 90% dans des pays aussi divers que la Tunisie, Malte, l’Arabie Saoudite ou le Danemark, (UNESCO, 2004). A l’échelle mondiale, elle répond à 50% des besoins en eau potable, 40% de la demande industrielle et 20% des besoins agricoles. Dans certaines régions arides du monde (Lybie, Arabie Saoudite), elle est l’unique source d’irrigation des cultures. Dans les régions méditerranéennes, elle couvre 25% des besoins en eau d’irrigation.
L’eau souterraine présente des avantages qui, couplés à des facteurs économiques favorables, ont entraîné l’intensification de son exploitation par le secteur agricole ces dernières décennies. Cette ressource est caractérisée par une grande disponibilité, à la fois dans l’espace et le temps. Son extension géographique la rend accessible à l’ensemble des irrigants d’un territoire (FAO, 2003; Shah, 2008) : elle offre aux irrigants l’opportunité de s’affranchir des contraintes de la gestion collective des systèmes irrigués traditionnels dépendant des eaux de surface et des coûts de transaction associés (coûts d’information, de négociation, de contestation, etc.) (Llamas et Martinez-Santos, 2005; Schlager, 2006; Hammani, 2009). Elle permet une exploitation proche du lieu d’utilisation, réduisant les coûts de transport et les coûts de gestion des infrastructures associées (réseaux de canaux ou canalisations) (Schlager, 2006; Ross et Martinez-Santos, 2009). Sa disponibilité dans le temps (stock important) lui confère le rôle de ressource de sécurité (Llamas et Martinez Santos, 2005). Sa grande inertie lui permet de résister aux variations saisonnières du climat et de jouer le rôle de tampon en supportant momentanément des pics de prélèvements correspondant à des besoins exceptionnels, comme en période de sécheresse (Tsur et Graham-Tomasi, 1991; UNESCO, 2004; Schlager, 2006; Ross et Martinez-Santos, 2009). Enfin, la qualité de son eau et son rôle de stockage sont d’autres caractéristiques qui ont accru l’intérêt des usagers de l’eau pour la ressource souterraine (Schlager, 2006).
Par ailleurs, des facteurs exogènes ont favorisé l’usage croissant des eaux souterraines pour l’irrigation : la réduction des coûts d’accès et d’exploitation grâce aux progrès techniques (pompes et forages à des prix accessibles) (Llamas et Martinez-Santos, 2005; Shah, 2008), une demande en eau croissante (due à l’augmentation démographique dans les pays du sud et à un changement d’assolement dans les pays du nord), des incitations financières à l’irrigation par la Politique Agricole Commune (PAC) en Europe (jusque dans les années 1990) ou encore des incitations financières et subventions de l’énergie dans certains pays du sud (Shah, 2008).
Au nord comme au sud, l’exploitation des eaux souterraines a permis de développer et de sécuriser les zones déjà irriguées à partir de réseaux collectifs approvisionnés par des ressources superficielles parfois insuffisantes et sujettes au risque de sécheresse. Elle a aussi favorisé le développement de l’irrigation dans des zones précédemment non irriguées, permettant une diversification de l’agriculture et un accroissement des surfaces en cultures à haute valeur ajoutée (maraîchages, arboriculture, semences dans le cas des pays du nord). Si elle est parfois le moteur d’une démocratisation de l’irrigation et d’un développement humain au sud (FAO, 2003), son impact est tout aussi important dans les pays du nord, où elle peut être le pilier du développement économique d’un territoire (Garrido, Martinez-Santos, et al., 2005).
Cependant, la multiplication des points de prélèvements dans un contexte réglementaire peu contraignant, caractérisé par des politiques de régulation inexistantes (régime en libre accès) ou inefficaces (inadéquations en volumes autorisés et volumes disponibles dans la ressource, contrôle inefficace des prélèvements, etc.), a conduit à une exploitation non durable de la ressource. La surexploitation apparait lorsque le volume d’eau extrait de la ressource est supérieur à sa capacité de recharge (UNESCO, 2004), mais une ressource peut être considérée surexploitée dès que les prélèvements ont des impacts négatifs sur l’environnement (Custodio, 2002). Elle entraîne des dommages environnementaux (Changming, Jingjie, et al., 2001; FAO, 2003; Shah, Roy, et al., 2003; Llamas et Martinez-Santos, 2005; Fienen et Arshad, 2015) : baisse des débits des cours d’eau associés et des sources à l’aval (réduction des débits et tarissement) ; dommages sur les écosystèmes associés (zones humides) ; affaissement de terrains en surface; dégradation de la qualité de l’eau par la contamination ou par une modification des flux entre nappes, ou, dans le cas des aquifères côtiers, par l’intrusion d’eau salée.
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Table des matières
Introduction
CHAPITRE 1 Conception de deux instruments pour réguler les prélèvements agricoles en nappe
1. Problématique et objectifs des instruments
2. Instruments pour la régulation des prélèvements dans une ressource commune : un état de l’art
3. Instruments de régulation n°1 : le bonus-malus
4. Instrument de régulation n°2 : le contrat solidaire
CHAPITRE 2 Méthodologie d’évaluation des instruments
1. Objectifs de l’évaluation et choix méthodologiques généraux
2. Evaluation par l’approche de prospective participative
3. Approche expérimentale
4. Une démarche répliquée sur 5 terrains d’étude
CHAPITRE 3 Evaluation des instruments par une méthode participative
1. Méthodologie des ateliers
2. Résultats par instrument
3. Conditions locales favorisant la mise en œuvre des instruments
4. Retour sur les hypothèses de comportements
CHAPITRE 4 Evaluation des instruments par l’économie expérimentale
1. Le jeu : extraction d’une ressource commune par des préleveurs hétérogènes et instrument de régulation
2. Prédictions théoriques
3. Procédure expérimentale
4. Résultats
5. Discussion
DISCUSSION – CONCLUSION
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